Art sacré – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 29 Aug 2018 11:37:30 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Liliane Jordan, émailleuse https://www.revue-sources.org/liliane-jordan-emailleuse/ https://www.revue-sources.org/liliane-jordan-emailleuse/#respond Wed, 29 Aug 2018 10:17:47 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2698 Liliane Jordan, émailleuse fribourgeoise, met son art au service de la foi eucharistique. Grâce à ses dons particuliers, une porte de tabernacle n’est pas signe d’absence et de fermeture, mais rayonne de la présence lumineuse de Celui qui habite sous cette tente.

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Les vitraux de la Fille-Dieu de Romont https://www.revue-sources.org/les-vitraux-de-la-fille-dieu-de-romont/ https://www.revue-sources.org/les-vitraux-de-la-fille-dieu-de-romont/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:24:57 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2625 Le génie des vitraux de la Fille-Dieu à Romont est d’avoir pointé la mission profonde de la vie monastique. Voilà 20 ans que Soeur Salomé les contemple tous les jours. « Je ne me suis jamais lassée », avoue-t-elle.

Ces vitraux sont l’oeuvre de l’artiste londonien Brian Clarke. Ils ont été posés à la fin de la deuxième restauration de l’église abbatiale, en 1996. La réalisation des vitraux fut la dernière et une des plus importantes interventions sur ce bâtiment. Un ensemble de 14 vitraux fut créé pour les 14 fenêtres de l’église et posé quelques jours avant l’inauguration de l’église, en août 1996. La complémentarité des vitraux de Clarke avec le reste de la restauration est exemplaire. Dans un édifice presque monochrome, déclinant toutes les nuances de beige-ocre, les vitraux colorés de Clarke rassemblent vigoureusement les autres éléments en un tout vivant.

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L’église du couvent St-Hyacinthe à Fribourg https://www.revue-sources.org/leglise-du-couvent-st-hyacinthe-a-fribourg/ https://www.revue-sources.org/leglise-du-couvent-st-hyacinthe-a-fribourg/#respond Thu, 15 Mar 2018 00:30:33 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2552 L’église du couvent St-Hyacinthe des dominicains à Fribourg en Suisse – ou comme on dit plus familièrement, leur chapelle – fut réalisée en 1974-1975, dans le contexte du deuxième agrandissement du couvent, bâti en 1908-1909. Cet agrandissement, devenu nécessaire à cause de l’accueil de nombreux frères en formation, suisses et étrangers, était rendu possible grâce à un legs généreux que les frères avaient reçu peu auparavant.

Le Prieur de l’époque était frère Richard Friedli, énergique et soucieux du rayonnement de la communauté. Il était sensible à une présence attrayante des frères. Celle-ci dépend aussi du cadre de vie et d’activité de ceux-ci. On était dans la période de l’après-concile, du renouveau de la liturgie qui se reflétait dans la construction d’églises modernes en Suisse, bien souvent de haut niveau architectural. L’enthousiasme était grand pour un art sacré renouvelé, après les églises de Vence et de Ronchamp en France. Le frère Henri Stirnimann (1920-2005), qui avait commencé des études d’architecture à l’Éole polytechnique de Zurich avant d’entrer dans l’Ordre dominicain, faisait partie de la communauté St-Hyacinthe. Il enseignait alors à l’Université de Fribourg la théologie fondamentale et venait d’y fonder l’Institut d’études œcuméniques, autre signe de la vitalité ecclésiale à cette époque.

Le frère Henri présidait la commission de l’agrandissement du couvent et de l’église. En effet, la chapelle ancienne, couloir long et étroit, au plafond bas et à l’acoustique ingrate, avait fait désirer depuis longtemps un autre lieu liturgique.

La commission et les frères de la communauté se mirent d’accord pour réaliser une église belle et moderne, répondant aux exigences de la liturgie de Vatican II. Les matériaux devaient être authentiques. Espace et mobilier allaient être adaptables à différents types d’assemblée, une partie de l’église restant réservée à la liturgie tandis qu’une autre partie plus grande pouvait être transformée en salle, pour diverses activités.

Les artistes

Le frère Henri avait des contacts personnels avec le milieu des artistes et des architectes. Il fit appel à l’architecte Dieter Schenker (1938-2015) qui avait rénové l’église St-François à Zurich-Wollishofen peu de temps auparavant. Il fut chargé de l’agrandissement du couvent et de l’église. Pour le mobilier sacré un artiste de Bâle, Ludwig Stocker, fut choisi qui avait fait sa formation de sculpteur dans les années 1950, d’abord à St.Gall et ensuite à Rome à l’Academia delle belle Arti. Il poursuit aujourd’hui encore son travail de sculpteur. À son actif il a un grand nombre de sculptures et d’expositions en Suisse et à l’étranger qui lui assurent une place reconnue dans l’art contemporain suisse. L’architecte et l’artiste s’entendaient pour dessiner l’autel, l’ambon, les chaises, identiques pour le chœur des frères et les fidèles, le tabernacle.

L’intérieur de l’église

Ce mobilier est fait de bois peint en bleu-foncé, de même les portes d’entrée ; pour l’autel et l’ambon, du marbre blanc de Carrare s’y joint. Les murs entourant l’espace sont de béton crépi de blanc à l’intérieur, le sol revêtu de simples catelles en terre cuite rouges à l’italienne, et le plafond plat en bois clair, qui, au regret de l’architecte, devait prendre trop vite une couleur plus foncée. Vers l’ouest une large baie vitrée laisse entrer la lumière à flots, tandis que vers l’est (l’église est orientée vers l’est !), une fenêtre plus petite, qui fait angle à droite, lui fait pendant. Le volume intérieur n’est pas très élevé, pour des raisons imposées par l’ensemble de l’agrandissement, mais il est lumineux. Nulle impression d’oppression accueille ceux qui entrent.

Maître Stocker a placé devant l’angle gauche du mur du fond, dans un pan de mur en biais, une sorte de retable, un mince et haut relief qui va du sol au plafond, dans un mouvement d’un seul élan. En bas et jusqu’à hauteur d’homme un cadre de briques bleu-vert comme le mobilier forme une sorte de vallée en bas et d’ouverture vers le haut : le cosmos, le monde terrestre, l’univers de la matière. Un mètre plus haut, dans une fenètre ressemblant à la pièce centrale d’un retable médiéval, s’ouvre un registre supérieur, fait de styropor blanc, traversé de bas en haut par une tige en bois. Le styropor, matière moderne, évoque le temps de l’histoire, de monde de l’homo faber. La tige de bois porte le crucifié, dont on ne voit cependant que les jambes jusqu’aux lombes du crucifié tandis que le haut du corps est absorbé par le troisième registre, le plus haut et plus étendu, fait de marbre blanc. Dans le “retable”, la poutre de la croix est entouré de saints, disciples de Jésus qui ne l’ont pas abandonné sur le calvaire ; ce sont des saints de l’Ordre de St. Dominique, d’abord Dominique lui-même embrassant la croix, comme sur la célèbre fresque de Fra Angelico à San Marco à Florence, puis tout à gauche Catherine de Sienne et Diane d’Andalo et à la droite  Hyacinthe de Pologne, Henri Suso et Thomas d’Aquin. Leur corps sont formés en styropor, sauf les visages qui sont en terre cuite comme le sol de l’église, et les nimbes en marbre blanc de Carrare, tous dans un profond recueillement. Les fidèles dans l‘église et les saints sur le “retable” sont la communauté de ceux qui accompagnent le Christ dans sa vie et dans sa passion, qui est célébrée dans l’eucharistie.

Le registre le plus haut, fait de marbre blanc à la surface en ondes comme une mer balayée par un vent doux, est marqué par trois cercle concentriques, devant lesquels la figure de Saint-Dominique de dos abîmé dans l’adoration. C’est la gloire divine trinitaire et éternelle, et Dominique entré dans la gloire éternelle. La gloire de saint Dominique évoque celle que Guido Reni a peinte dans la coupole de San Domenico à Bologne, dans la chapelle de la tombe du saint. Les « citations” de représentations célèbres sont une caractéristique de Ludwig Stocker.

L’artiste a offert à la communauté une autre œuvre sculptée, la Vierge Marie, exécutée également en marbre blanc, en styropor et en terre cuite. C’est Marie Mère des vivants, la nouvelle Ève. Cette sculpture est placée au mur près de la porte de l’église vers le couvent. Elle se tient au centre de la gloire du ciel, en écho à la gloire du ciel sur le retable en marbre de Carrare. Ici la gloire est évoquée par un carré dont la surface est un filet de petits carrés concaves. Marie est assise au milieu, se penchant affectueusement en avant  et bénissant l’humanité qui défile devant elle, avançant sur deux branches de styropor disposées en équerre. Sur celles-ci on voit la famille humaine marcher, une longue procession de figurines en terre cuite, dans des postures variées, ployant sous le fardeau ou avançant confiants sur les chemins de la vie.

Il faut encore mentionner les vitraux du frère Pierre Kim En Yong qui a passé plusieurs années à St-Hyacinthe comme jeune frère dominicain en formation. Ce sont les premiers vitraux qu’il a réalisés. Les trois vitraux, l’un sur le mur est à droite, les deux autres sur le mur sud, laissent beaucoup de verre blanc, pendant que des cascades en couleur descendent en diagonale de haut en bas en vagues joyeuses, en un jeu de lumière et de couleurs.

Le tabernacle avait été d’abord en bois peint bleu-vert, placé à droite du retable contre le mur. Plusieurs frères ont eu le sentiment d’un réceptacle irrespectueux pour la réserve eucharistique. Dans les années 1980 on l’a remplacé par un nouveau tabernacle à la porte en émail rouge feu, évoquant le buisson ardent, encastré dans un cadre en marbre blanc finement ciselé. Beau en lui-même par les deux matériaux nobles, il ne s’intègre pas parfaitement dans le caractère plus austère de l’église.

L’accueil de l’église et de ses œuvres d’art à l’époque et l’épreuve du temps

L’architecture et les sculptures avaient été confiées à des artistes venus d’ailleurs. Cela n’a pas plu à tous puisque Fribourg comptait alors plusieurs artistes et architectes de renom qui avaient réalisé des œuvres d’art sacré. Le style de l’église de St-Hyacinthe était insolite pour le public fribourgeois. Les frères dominicains eux-mêmes n’étaient pas tous convaincus par le projet choisi. Notamment le relief de la sainte Vierge irritait fortement.

Avec la distance de plus de quarante ans on peut cependant dire que l’espace de l’église de Saint-Hyacinthe respire une atmosphère de recueillement et aide à la prière. L’acoustique y est excellente. L’église ne lasse pas ceux qui s’y rassemblent plusieurs fois par jour pour la prière chorale et la liturgie de la messe. C’est un témoignage en faveur de la qualité du volume architectural et des œuvres d’art sacré qui s’y trouvent. En ce sens, l’édifice n’a pas vieilli.


Le frère dominicain suisse Adrian Schenker, bibliste, professeur émérite d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg, réside au couvent St- Hyacinthe de cette ville.

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La difficile nudité du Christ https://www.revue-sources.org/difficile-nudite-christ/ https://www.revue-sources.org/difficile-nudite-christ/#respond Wed, 29 Nov 2017 22:07:24 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2489 [print-me]Les artistes chrétiens, en règle général, hésitent à représenter le Christ nu. Réflexe de pudeur ? Hésitation de croyant ? Pourtant leur foi ancrée dans l’incarnation du Dieu fait homme ne les empêche nullement.

Un constat

Je n’ai pratiquement jamais vu dans nos églises un crucifix présentant le Christ nu sur la croix. Je pense que beaucoup parmi vous me rejoindront dans ce constat. C’est interpellant. Pourquoi ces images, certes très rares, se trouvent plutôt en dehors de nos lieux de culte ?  Force est de constater que les représentations du Christ sur la croix où son sexe n’est pas couvert par un voile ont été souvent sujet de controverse. Il est surprenant der constater  que les images du Christ enfant entièrement nu dont le sexe est souvent apparent semblent être reçues avec plus de « sérénité ». Les théologiens, au long des siècles, ont avancé des arguments pour expliquer le sens de la nudité du Christ. A certaines époques, ils été empruntés par une interprétation fortement moralisante. La représentation explicite du sexe était associée sans  plus à la notion de « désordre », de péché, à quelque chose de fondamentalement dangereux, laid, « défigurant » l’être humain.

Deux données objectives

Au-delà des interprétations moralisantes que l’on a pu donner à la nudité  – ce ne sera pas la perspective de ma réflexion -, arrêtons-nous sur quelques éléments objectifs qui concernent pleinement la personne du Christ.

La crucifixion

Crucifix de Philippo Brunellesci, entre 1410-1415

A l’époque de Jésus, la crucifixion était un supplice courante utilisé par les Romains pour mettre à mort un condamné. Chez les Juifs, la crucifixion était ressentier comme une malédiction divine (Dt 21, 23). Après avoir été torturé, on déshabillait le condamné pour le clouer (parfois on utilisait des cordes) sur la croix. La victime mourrait d’étouffement, mais l’instant de la mort pouvait tarder plusieurs jours. On pourrait se demander pourquoi Jésus aurait été traité différemment des autres condamnés, pourquoi on aurait pris soin de couvrir son sexe. Parce qu’il était Dieu ? Combien de personnes, même parmi ses disciples, auraient eu l’idée de faire ce geste ? Il est fort probable que la plupart des personnes témoins de cette crucifixion n’étaient pas en mesure de reconnaître Jésus comme étant Dieu…

L’Incarnation

Une des caractéristiques fondamentales (et la plus originale) du christianisme est de reconnaître en la personne humaine de Jésus-Christ Dieu lui-même. Cette reconnaissance n’est pas le résultat d’une démarche de type scientifique qui amène des preuves concrètes et tangibles de ce que l’on affirme. Elle est de l’ordre de la foi. C’est un fait tellement inimaginable (l’incarnation de Dieu) que l’Eglise, par la nécessité de la mission, s’est vue rapidement poussée à élaborer un discours pour donner à comprendre l’incompréhensible. Logiquement, la corporéité ne pouvait pas être exclue d’un discours portant sur le mystère de l’Incarnation. « Selon la doctrine patristique de l’Incarnation, de la enanthropesis, Dieu, en Christ, a vécu de l’intérieur l’expérience de l’humain, en accueillant en soi l’altérité de l’homme. Jésus de Nazareth a fait le récit, a expliqué, a rendu visible Dieu dans l’espace humain » dit Enzo Bianchi, ancien prieur de la communauté de Bose (Italie). Il ajoute : « La corporéité est le lieu essentiel de ce récit qui fait de l’humanité de Jésus de Nazareth le sacrement primordial de Dieu »[1]

En quoi alors la nudité du Christ en croix pourrait être dérangeante?

En général, la vision d’un corps nu (réel ou imagé) laisse rarement nos émotions, notre esprit et notre intelligence indifférents. D’une manière immédiate, cette vision nous met en face de nos propres interprétations de la nudité, élaborées à partir de l’expérience personnelle et fondamentalement à connotation éthique ou morale.

Concernant les images religieuses, et plus particulièrement la représentation du Christ nu sur la croix, il est important de se demander quelle est l’intention qui se cache derrière ce type d’image. Dans un travail doctoral consacré à la nudité sacrée pendant la Renaissance[2], j’ai trouvé des réflexions éclairantes,  même si la période qui était sujet d’étude restait limitée aux XV et XVI siècles.

Lors de la Renaissance « la redécouverte de l’Antiquité, l’intérêt pour la pure beauté plastique, amènent les artistes à valoriser le nu pour lui-même »[3], ce qui va provoquer un changement dans la manière de dire le message religieux à travers la nudité, sujet central pour la théologique chrétienne mais aussi pour la tradition artistique en Occident. Une certaine manière de représenter le nu sera considérée par l’Eglise de l’époque comme étant provocante et lascive. La nudité du Christ n’y échappera pas, et la censure fera son œuvre.

Il me semble que les enjeux soulevés par ce « nouveau regard » sur la « nudité sacrée » restent toujours d’actualité. Au moment de la Renaissance, la représentation du nu est perçue par l’Eglise comme une menace pour la méditation spirituelle, puisque l’attention du spectateur est portée vers l’image du corps nu, souvent imprégnée de sensualité. Le nu est alors au centre d’une grande ambiguïté : est-il au service d’un message religieux, de l’attrait sensuel ou de la pure beauté plastique ?

La chair sacralisée

« La vierge au long cou » de Parmigianino, vers 1534-1535

Certaines images présentant la nudité du Christ ont eu une fonction éminemment dévotionnelle : il s’agit alors de représenter un Christ très beau, alliant féminité et virilité, beauté sensuelle et message religieux, qui amène le fidèle à « l’élévation spirituelle » tout en agissant sur sa dimension affective et sa piété. La nudité restait, dans ces cas, liée au contenu spirituel de l’image. Mais il y a encore d’autres fins : certains artistes de l’époque (par exemple, Parmigianino, (1503-1540) ont représenté des figures féminines très érotisées, y compris celle de la Vierge Marie. « Ainsi révélée dans la nudité gracieuse et parfaite de la Vierge Marie, la chair, loin d’être honteuse ou pécheresse (…) se trouve en quelque sorte sacralisée. »[4] En l’inscrivant dans l’histoire du salut, pour ces artistes le nu devient sacré.

Revenir à l’objectivité de l’Incarnation

Au-delà de toute la palette d’intentions que l’on a pu prêter aux représentations de la nudité du Christ au long des siècles, une image du Christ nu sur la croix reste en dernière analyse la manifestation du réel : Dieu fait homme a eu un corps comme celui de n’importe quel autre homme et lors de la crucifixion, il a subi le même sort que les autres condamnés. Pensez-vous vraiment que le Christ nu et agonisant sur la croix prit du temps pour réfléchir sur l’impact que sa nudité avait sur ses disciples ?

A chacun et à chacune de réfléchir à ce qu’il ressent face à cette « nudité sacrée » et de débusquer les raisons qui le mettent plutôt mal à l’aise ou plutôt dans un état d’action de grâces et d’adoration. L’image de Jésus nu sur la croix, sans beauté et sans éclat, peut devenir un lieu de contemplation où nous n’avons qu’à rester en silence, sans aucune gêne, en accueillant dans nos vies, par le regard, ce Dieu qui par amour pour l’humain s’est abaissé jusqu’à la mort pour nous enrichir à jamais de sa vie. [print-me]


Bernadette Lopez est théologienne, aumônière d’hôpital et d’EMS à Morges (Vaud) et artiste-peintre. Elle s’intéresse à ce titre au rapport art et foi. Elle anime un site internet www.evangile-et-peinture.org  où elle met ses oeuvres gratuitement à disposition pour les besoins de la pastorale.


[1] BIANCHI Enzo, « Vivre l’incarnation. Une grammaire de l’humain », Etudes 2011/7 (Tome 415), p 65-76.

[2] DE HALLEUX, Elisa, LORA Marianne (éds.), Nudité sacrée. Le nu dans l’art religieux de la Renaissance entre érotisme, dévotion et censure (Histo.Art 3), Paris, Editions de la Sorbonne, 2011,

[3] DE HALLEUX, Elisa, LORA Marianne, op. cit., p 7

[4] Id., p 10


Note: Ravenne, Baptistère des Ariens

Alors qu’au VI ème siècle, Théodoric, empereur ostrogoth de religion arienne, imposait son pouvoir en Lombardie, sa cour fit construire à Ravenne un baptistère pour les adeptes de cette religion d’origine chrétienne, mais qui niait la divinité du Christ. Une des fresques du « Baptistère des Ariens » – que l’on peut visiter encore aujourd’hui – le souligne explicitement. Elle représentant Jésus sous la forme d’un jeune homme nu, le sexe apparent, au milieu des eaux baptismales. Une façon  – provocante ? – d’exprimer fortement l’humanité du Sauveur au détriment de sa divinité, face aux Catholiques  fidèles au concile de Nicée qui avaient leur propre baptistère dans les parages.

Mais faut-il être disciple d’Arius pour oser représenter le Christ nu ? Les chrétiens « orthodoxes » ne le pourraient-ils pas eux aussi ? Leur foi ne les empêche nullement.

Guy Musy

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Le Rosaire et les Dominicains https://www.revue-sources.org/le-rosaire-et-les-dominicains/ https://www.revue-sources.org/le-rosaire-et-les-dominicains/#respond Mon, 24 Jul 2017 06:20:21 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2358 [print-me]Le retable que nous présentons dans ce numéro peut se découvrir à Gruyères dans la vénérable église paroissiale St-Théodule, au coeur de la cité comtale. Le peintre s’est inspiré du décor naturel de cette région emblématique pour y fixer ses modèles dominicains.

Il existe un lien étroit entre la diffusion de la prière du Rosaire et l’apostolat des fils et des filles de saint Dominique. L’iconographie associe de multiples manières la prière du Rosaire à saint Dominique et sainte Catherine de Sienne. De nombreux retables les relient aux mystères du Rosaire. La longue histoire de cette dévotion nous permet de relativiser certaines affirmations sur l’origine du Rosaire et situe la place des Dominicains davantage sur l’accent missionnaire donné à cette prière.

La préhistoire du Rosaire

Avant le Rosaire existait la dévotion à la prière de l’Ave Maria qui s’ajoutait aux prières du Pater noster et au Credo. Il faut toutefois préciser que cette prière ne comportait que la première partie de la prière; c’est seulement en 1568 dans la nouvelle édition du Bréviaire que le Pape saint Pie V joignit officiellement la deuxième partie (Santa Maria Mater Dei…) à la prière que l’on a régulièrement enseignée au 11ème et 12ème siècle.

Il faut souligner que cette prière répétitive permettait aux religieux non prêtres (cisterciens ou chartreux, par exemple) de s’associer aux moines de chœur qui chantaient les 150 psaumes de David. 150 Ave pour 150 psaumes. Il est ainsi question du «Psautier de Notre Dame»

Il faut attendre le 15ème siècle pour aboutir à une systématisation du Rosaire. A Trèves en Allemagne, le chartreux Dominique de Prusse ajoute à chaque Ave Maria une «clausule» qui relie chaque Ave à un passage de l’évangile. A la frontière du Luxembourg, de l’Allemagne et de la France, à quelques centaines de mètres d’un village bien connu de nos jours, Schengen, on garde le souvenir d’un prieuré chartreux appelé Marienfloss où Dominique de Prusse aurait séjourné pour composer ces «clausules». Les esprits bien intentionnés pourraient y voir un lien entre la femme «couronnée d’étoiles» et … le drapeau européen!

Alain de la Roche

Il faut attendre le Dominicain Alain de la Roche(+1475) pour associer le Rosaire et saint Dominique. Il est difficile de voir en cette affirmation autre chose qu’une affirmation de type apocryphe pour donner une autorité à la prédication du Rosaire par les Dominicains. Aucun des biographes anciens de saint Dominique ne fait allusion à la dévotion du Rosaire: ni le Libellus de Jourdain de Saxe, ni les récits de Pierre Ferrand ou d’Humbert de Romans.

Le bienheureux Fra Angelico, mort à Rome le 18 février 1455, a consacré de nombreuses œuvres à la vie du Christ et à celle de saint Dominique. Le retable du Louvre et le tryptique de Cortone ne montrent pas la Vierge remettant un chapelet. Le couvent San Marco de Florence représente souvent saint Dominique en prière, mais jamais avec un chapelet. A Florence au milieu du 15ème siècle on ne croyait donc pas que saint Dominique ait reçu de la Vierge la dévotion du Rosaire ou en ait répandu l’usage.

Dans la tradition dominicaine on signale le premier tryptique du Rosaire situé à l’entrée de l’église saint André à Cologne (1515). A côté de ce précieux souvenir est située la tombe de saint Albert le Grand.

Les Confréries du Rosaire

Bien vite dans chaque église des retables représentant les mystères du Rosaire furent déposés au dessus d’un autel particulier. Les membres des «Confréries du Rosaire» y récitaient quotidiennement la prière du Rosaire. La plupart des familles spirituelles et religieuses leur apportaient leur soutien. Les Dominicains n’étaient donc pas les uniques propagateurs de cette pratique. Les Pères Montfortains, par exemple, dans la tradition de Louis-Marie Grignon de Montfort y étaient très attachés de même que les curés de paroisse. Il faut souligner aussi l’appui de nombreux évêques qui, de nos jours, encouragent cette prière, surtout dans les églises où la célébration eucharistique n’est pas régulièrement assurée.

Pauline Jaricot et le bienheureux Bartolo Longo

Dans l’histoire du Rosaire il faut citer le cas de Pauline Jaricot (1799-1866) qui eut l’idée de la «Propagation de la Foi» pour soutenir l’extraordinaire dynamisme missionnaire du 19ème siècle. Elle fut aussi à l’origine de la diffusion du «Rosaire Vivant» qui associait en France plus de deux millions de membres à sa mort.

Un peu plus tard en Italie, un laïque du tiers-ordre de saint Dominique, le bienheureux Bartolo Longo (1841-1926), participe activement à la reconstruction de l’église Notre-Dame de Pompéi qui devient un lieu de pèlerinages. Il reprend l’idée du «Rosaire Vivant» en le proposant aux enfants pauvres de Pompéi, tout comme Pauline Jaricot avait proposé cette pratique aux jeunes ouvriers des soieries de Lyon.

Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’offrir une pratique chrétienne à des enfants et à des pauvres qui semblaient si éloignés de Dieu. Comment ne pas évoquer le cri de saint Dominique dans la nuit: «Que vont devenir les pécheurs

Le père Joseph Eyquem

Dans un contexte bien différent, quelques années plus tard, en 1954, du côté de Marseille, deux Dominicains engagés auprès des ouvriers et des dockers en particulier vont être atteints par la condamnation des prêtres ouvriers par le pape Pie XII. Le fr. Jacques Loew ((+1999) sera plus tard à l’origine de l’Ecole de la Foi à Fribourg. Le fr. Joseph Eyquem (+1990) sera avec une laïque issue du mouvement de l’Action Catholique, Colette Couvreur, à l’origine de la reprise du Rosaire Vivant dans une perspective missionnaire. En 1965, cette intuition prendra le nom d’un nouveau mouvement d’Eglise: «Les Equipes du Rosaire».

Il y a actuellement plus de 100.000 membres des Equipes du Rosaire. Ils se situent majoritairement en France, mais de nombreuses équipes ont été crées à partir de là. Les équipes de l’Ile de la Réunion ont ainsi essaimé dans tout l’Océan Indien, aux Seychelles, à l’Ile Maurice, à Madagascar… mais aussi en Australie. Les Antilles françaises, depuis de nombreuses années, ont vu naître de nombreuses équipes. L’Afrique avec la coopération des frères dominicains accueille elle aussi des équipes.

Emouvants témoignages

Il faut enfin souligner le lien étroit de l’idéal dominicain entre la contemplation et la prédication que cherchent les frères dominicains et qui se retrouve dans la prédication du Rosaire. Il ne s’agit pas seulement d’honorer une piété vénérable, mais il s’agit tout autant d’utiliser cette nourriture spirituelle pour le service de la mission. Tous y sont appelés… des plus pauvres aux plus grands.

Beaucoup de témoignages font écho à cette double ambition. Je retiens le témoignage du frère dominicain Dominik Jaroslav Duka (devenu cardinal archevêque de Prague). Sous le communisme il avait partagé la cellule d’un certain …Vaclav Havel! Sa seule prière possible était le Rosaire.

J’aime aussi évoquer la situation d’une autre prison celle de Tananarive à Madagascar. Il y avait en 1990 deux équipes du Rosaire: une formée de prisonniers et une autre de gardiens de la même prison.

La famille dominicaine peut être fière de participer à cet humble témoignage missionnaire.[print-me]


Le frère dominicain Claude Bonaïti, du couvent de Genève, est animateur des «Equipes du Rosaire» de Suisse romande.

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Les vitraux de la chapelle protestante de Martigny https://www.revue-sources.org/vitraux-de-chapelle-protestante-de-martigny/ https://www.revue-sources.org/vitraux-de-chapelle-protestante-de-martigny/#respond Tue, 09 May 2017 12:43:35 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2234 Trois personnalités ont participé, chacune à sa manière, à la création des vitraux qui illuminent la chapelle protestante de Martigny.



Léonard Gianadda

L’homme est à lui seul une institution. Octogénaire, il continue de régir un important bureau d’affaires immobilières au centre de la ville de Martigny, tout en partageant avec quelques originaux de son âge l’étrange singularité de ne maîtriser aucun appareil électronique. Ce qui ne l’a pas empêché de créer et de diriger dans sa ville une prestigieuse Fondation artistique qui porte son patronyme et le prénom de son frère Pierre décédé.

D’origine italienne, Leonard Gianadda mena de front une carrière technique et un goût immodéré pour l’Art, ses maîtres et son histoire. Ce hobby prestigieux l’amena à nouer au cours de sa vie non seulement des contacts utiles, mais des relations d’amitié avec de nombreux artistes, comme celle qui le lia à Hans Erni. Catholique, Léonard épousa en terre vaudoise Anne, l’amour de sa vie, de confession réformée. L’Eglise catholique du Valais avait en son temps refusé de bénir cette union. Ce mariage «mixte» développa chez lui une réelle sensibilité œcuménique qu’il n’a cessé de mettre en valeur. A trois reprises en cours d’année, une exposition de la Fondation Gianadda donne lieu à un service œcuménique de prières ouvert à tous.



Hans Erni

L’artiste qui naquit à Lucerne en 1909, fut graphiste avant d’être peintre, sculpteur et verrier. Il ne cacha pas sa sympathie aux militantes féministes et participa aux luttes ouvrières. Engagé par la Banque nationale suisse pour dessiner le profil de ses billets de banque, il est brutalement remercié en 1949 sur l’injonction d’un conseiller national de son canton qui le dénonça comme communiste. Cette injustice ne l’éloigna pas de sa ville natale où en 1979 il créa son propre musée, proche de celui des Transports.

Mais c’est en Valais qu’il aimait trouver son inspiration et parsemer la contrée de ses œuvres. C’est encore en Valais que naquit et se développa une solide amitié, vieille de trente ans, entre le peintre lucernois et l’homme d’affaires italo-valaisan. C’est tout naturellement vers cet ami que se tournera Gianadda quand il se mit à la recherche d’un artiste pour créer les vitraux de «sa» chapelle, sise à deux pas de «sa» Fondation. Hans Erni était déjà plue que centenaire quand il exécuta cette œuvre.



Pierre de Boismorand

Ce fut la paroisse protestante de Martigny, par l’intermédiaire de son pasteur français, Pierre de Boismorand, qui fut le maître de l’ouvrage. Un peu comme Abraham priant l’Eternel d’épargner Sodome, le pasteur s’y prit à quatre reprises pour faire monter les enchères de la générosité de son mécène. L’entreprise se réalisa en effet en quatre étape jusqu’à ce que les douze baies de la chapelle puissent réfracter la lumière du jour à travers le prisme des couleurs choisies par Erni. Le généreux donateur ne se fit pas trop supplier. Cette chapelle lui tenait à cœur, comme un mémorial lumineux dressé en l’honneur de sa chère épouse réformée qui de son vivant avait coutume de venir prier en ce lieu.

Le pasteur toutefois, en accord avec son conseil de paroisse, se réserva le choix des motifs des vitraux. Il dut abandonner assez vite l’idée d’un saint Christophe qui aurait séduit l’artiste, mais scandalisé ses fidèles calvinistes.[1] Pour n’effrayer personne, Pierre de Boismorand s’en tint à la Bible et confia à l’inspiration de l’artiste quelques versets tirés de la Genèse et des Prophètes, lui laissant tourte liberté de les traduire en espaces lumineux. On ne se privera pas d’admirer Noé et sa colombe, Adam et Eve devenus par la magie du peintre un couple de montagnards valaisans ou encore ce jeune garçon qui joue avec les serpents, évoqué par Isaïe comme une image de paix et de réconciliation universelles.

Le 16 mars 2014, la chapelle entièrement rénovée était inaugurée. Le vieil artiste lucernois avait 105 ans. Il devait mourir l’année suivante.


La Chapelle de la Bâtiaz

La générosité de Leonard Gianadda ne s’arrêta pas en si bon chemin. Un ami lui fit remarquer que sa bienfaisance devait avoir une note oecuménique. Les paroissiens catholiques de Martigny suggérèrent alors au mécène de solliciter un artiste pour créer les vitraux de leur antique chapelle de La Bâtiaz, au pied de la tour romaine qui surplombe le défilé du Rhône. Ce fut l’artiste dominicain Pierre Kim à qui Gianadda confia cette œuvre inaugurée en septembre 2014.

Notre revue»«Sources» dans son numéro de janvier-mars 2014 a consacré en page 47 une notice à cette réalisation.


Frère Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».


Bibliographie:

Sophia Cantinotti et Jean-Henry Papilloud: Les vitraux des chapelles de Martigny, Fondation Pierre Gianadda, Martigny, 2014.

[1] Hans Erni avait déjà exécuté une statue de saint Christophe sur le parvis de l’église catholique de Crans-Montana, en Valais.

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La mosaïque Saint-Dominique https://www.revue-sources.org/mosaique-saint-dominique/ https://www.revue-sources.org/mosaique-saint-dominique/#comments Tue, 07 Feb 2017 13:58:40 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2084 [print-me]Depuis le retour des Dominicains à Genève en 1962, une mosaïque de Théodore Strawinsky représentant le fondateur de leur Ordre orne le hall du rez-de-chaussée de leur couvent au 27 B du Chemin de Grange-Canal à Cologny. A proximité de l’église paroissiale St-Paul dont ils sont les desservants. Cette œuvre est mentionnée dans le Catalogue de la Fondation Strawinsky à Genève, dont la conservatrice, Madame Sylvie Visinand, a bien voulu collaborer à la rédaction de cette note. Deux parties: un bref rappel de la vie et de l’œuvre de Théodore Strawinsky et quelques informations sur la mosaïque elle-même. 

Repères biographiques

Thédore Strawinsky naît en 1907 à Saint-Pétersbourg. Il est le fils aîné du compositeur Igor Strawinsky et de Catherine Nossenko. Il est baptisé dés sa naissance selon le rite de l’Eglise orthodoxe russe.

De 1914 à 1920, il accompagne ses parents réfugiés en Suisse suite à la première guerre mondiale et à la révolution bolchévique. Théodore, ainsi que sa famille, est déchu de sa nationalité russe et devient apatride. En 1920, la famille Strawinsky quitte la Suisse pour la France et séjourne àGarches, Anglet, Biarritz puis à Nice.

En 1927 première exposition de Théodore à Paris. 53 expositions personnelles suivront en France, en Suisse, aux USA, jusqu’à son décès en 1989. De 1930 à 1932, le jeune artiste suit les cours de l’Académie André Lhote à Paris et s’installe dans cette ville.

C’est au cours de cette période parisienne que Théodore fit la connaissance du philosophe catholique Jacques Maritain. Son père Igor l’avait déjà rencontré à Meudon en juillet 1926. Les archives de la Fondation Strawinsky conservent une lettre de l’année 1933 dans laquelle Théodore remercie Maritain de lui avoir fait don de son livre dédicacé «De la vie d’oraison», paru en 1925. Leur relation personnelle a dû débuter avec le don de cet ouvrage. Selon Denise, l’épouse du peintre, ce serait Jean Cocteau qui présenta Théodore à Maritain. Depuis 1925, Théodore lisait les ouvrages du philosophe.

C’est chez les Maritain que Théodore rencontre sa future épouse Denise Guerzoni. Denise avait grandi dans une famille de libres-penseurs et ne fut donc pas baptisée. Préoccupée très jeune par des problèmes religieux, elle rencontre et fréquente Jacques et Raïssa Maritain, en compagnie des filles du peintre Gino Severini, elles-mêmes amies, comme leur père, de ce couple. En 1934, après une retraite aux Allinges en Haute-Savoie, sous la conduite du Père Garrigou-Lagrange et de l’Abbé Journet (intime ami des Maritain), elle se fait baptiser à Paris par l’Abbé Pouplain, dans la chapelle des Petites Soeurs de l’Assomption. L’Abbé Journet lui fait parvenir cette lettre le 18 novembre 1934:

«Quelle joie m’a faite la petite carte du jour de votre baptême où vous avez eu la pensée de m’associer à votre grande joie; et depuis, votre bonne lettre dont je vous suis si reconnaissant. Oui, je savais bien, mon enfant, que cette entrée dans l’Eglise vous apporterait une grande joie profonde, qui sera pour toute la vie ! Il y aura certes bien des souffrances, bien des déchirements, mais toujours le sens des épreuves vous deviendra lumineux dans la lumière de la Croix. Et plus vous aurez à souffrir pour l’Eglise, plus elle vous deviendra chère. Je penserai beaucoup à vous dimanche prochain pour votre confirmation, et je serai de cœur et de prières avec vous. Avez-vous un Missel un peu complet ? Je serais heureux de vous donner un souvenir, et si vous n’aviez pas de Missel, j’aurais une grande joie à vous en donner un. Ecrivez-moi si je puis le faire, ou si vous en aviez un, quel livre vous aimeriez que je vous envoie. Au revoir Denyse, et croyez à mon bien affectueux et bien religieux souvenir en JESUS-DIEU

Un mariage suivra en 1936. Jacques Maritain s’emploiera pour qu’il soit reconnu par l’Eglise catholique.

Quatre ans plus tard, le 15 mars 1940, déjà baptisé dans l’Eglise orthodoxe, Théodore embrasse la foi catholique romaine en l’église catholique russe de Paris. Il est reçu par le Père Dumont archimandrite. Un mois plus tôt, le 7 février 1940, l’Abbé Journet lui écrivait:

«Pour le moment, je pense qu’il vous faut faire, Denise et vous, votre travail de chaque jour avec une grande foi en la présence de Dieu à chaque instant de votre vie. Si vous pouviez lire – au point de vue spirituel – l’ « Abandon à la divine providence » du P. de Caussade (un jésuite français du XVIIIe) je pense que vous y trouveriez de la lumière.
Je vous dis à tous deux ma profonde et fidèle affection in Christo.
Avez-vous lu «La Russie et l’Eglise universelle» de Soloviev?»

Dès leur établissement à Genève en 1942, le couple Strawinsky sera en contact permanent avec l’Abbé Journet dont ils écoutaient les sermons en l’église du Sacré-Cœur, suivaient ses retraites et ses directives spirituelles. Thédore collabora à «Nova et Vetera», la revue fondée et dirigée par Journet.

« L’intelligence des compositions de Strawinsky, la sobriété allusive de son vocabulaire plastique, cet heureux équilibre dans les rapports de tons et la sûreté de ses contrastes lumineux demeurent, me semble-t-il, les dominantes de cet art personnel et très abouti qu est le sien. »

En 1940, suite à l’occupation allemande, le couple quitte Paris et s’installe en Haute-Garonne. L’année suivante, Théodore est arrêté et interné dans un camp de détention du régime de Vichy comme apatride. Il parvint à s’en échapper et se réfugie en Suisse avec son épouse.

En 1942, le couple s’installe à Genève. Théodore et Denise logent d’abord quelques mois dans une pension, puis jusqu’en 1953 habitent dans un appartement de la Rue du Marché, dans la vieille ville. Enfin et jusqu’à leur décès respectif, ils résident au 4, du chemin de la Florence, à Malagnou, dans une villa qui de nos jours a fait place à des immeubles locatifs.

En 1948, première commande monumentale: cinq vitraux pour l’église paroissiale de Siviriez, dans la canton de Fribourg, en Suisse. Cette œuvre sera suivie de 36 autres réalisations (peintures murales, vitraux, mosaïques, tapisseries, gravures sur marbre etc.). En particulier: vitraux à la Basilique Notre Dame de Genève, ceux en l’église St-Joseph de la même ville et, surtout, ceux de l’église du Christ-Roi à Fribourg.

En 1956, Théodore reçoit la nationalité suisse et cesse d’être apatride. Dès son arrivée en Suisse en 1942, il avait entamé une procédure pour obtenir ce statut. Pas moins de 14 ans de formalités administratives pour y parvenir. Genève exigeait alors douze ans de résidence continue avant l’octroi du passeport suisse.

En 1987, Théodore réalise sa dernière œuvre et, atteint de cécité, pose définitivement ses pinceaux. Deux ans plus tard, en 1989, il décède à Genève et sera inhumé au cimetière russe de Sainte Geneviève-des-Bois, près de Paris, où reposent déjà d’autres membres de sa familial.

La mosaïque

Au verso d’une étude de la mosaïque Saint-Dominique, étude conservée au Musée du Vitrail de Romont, l’artiste a écrit cette note manuscrite :«Projet de mosaïque ayant été exécutée et placée dans la Maison des pères dominicains avenue de St Paul – Grange-Canal à Genève»

Denise, son épouse, a ajouté à la note de son mari les précisions suivantes: la mosaïque a été exécutée par Antonietti, en 1961 et offerte aux Dominicains par le Dr Maurice Gilbert.

En 1961, les Dominicains résidaient encore dans leur couvent d’Annemasse. Leur couvent ne sera formellement transféré à Genève que l’année suivante, mais ils avaient déjà pris en charge la paroisse St-Paul et certains frères habitaient la cure. D’où le léger flottement de datation. Par contre, l’adresse est exacte. Ce n’est que plus tard qu’elle fut modifiée par l’administration.

Quant au Dr Maurice Gilbert, le généreux donateur, il s’agit d’un médecin, spécialistes des voies respiratoires et de la lèpre. En contact avec Raoul Follereau, officier de Grâce Souveraine de l’Ordre de Malte, il vivait au 35 de la route de Chêne, dans le territoire de la paroisse St-Paul. Sa fille reçut sa première communion des mains de l’Abbé Druetti qui fut le dernier curé diocésain de St-Paul avant l’arrivée des Dominicains. Ce médecin, par le biais de la paroisse St.Paul, fut donc en contact avec les Dominicains qui en avaient la charge.

En 1961, la mosaïque a été exposée au musée d’Art et d’Histoire de Fribourg lors d’une exposition d’art sacré sous les auspices de «Pax Romana». Deux communiqués de presse l’attestent.

Le premier, paru dans l’«Echo Illustré», de Genève, le 5 août 1961: «Saint Dominique Mosaïque de Théodore Strawinsky pour le couvent des Dominicains d’Annemasse. Figurative, très étudiée et très nuancée comme toutes les œuvres de ce peintre, elle se relie jusque dans la modernité de son dessin aux grandes traditions de la mosaïque. Les effets de matière sont dosés avec un goût savant. Exécution Antonietti, Genève

On notera l’imprécision déjà relevée dans l’adresse du couvent. Effectivement, la communauté dominicaine en tant que telle ne quittera Annemasse pour rejoindra Genève qu’en 1962, tandis que deux ou trois frères résidaient déjà à la cure St-Paul depuis 1961. La mosaïque a-t-elle été exposée quelques semaines à Annemasse avant qu’elle ne rejoigne le lieu où elle se trouve encore aujourd’hui? Faute de témoins, nous n’avons pas pu élucider cette question.

La seconde mention a paru le 8 août 1961 dans le quotidien catholique genevois «Le Courrier»: «Strawinsky présente une très récente mosaïque – exécutée par René Antonietti – destinée à l’église de Saint-Paul à Genève et la maquette du vitrail récemment inauguré en la basilique Notre-Dame. L’intelligence des compositions de Strawinsky, la sobriété allusive de son vocabulaire plastique, cet heureux équilibre dans les rapports de tons et la sûreté de ses contrastes lumineux demeurent, me semble-t-il, les dominantes de cet art personnel et très abouti qu est le sien.» Signé: Jean de Fontaines.

Une autre exactitude. La mosaïque n’était pas destinée à l’église St Paul desservie depuis 1961 par les Dominicains, mais à leur couvent qui rejoindra en 1962 le site de Grange-Canal. La confusion paroisse-couvent perdure encore aujourd’hui.[print-me]


Frère Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».

 

Bibliographie

Théodore Strawinsky. Texte de Maurice Zermatten, Editions Galerie suisse de Paris, 1984, 157 p.

Théodore Strawinsky. L’œuvre monumentale.Texte de Maurice Zermatten, Fondation Enrico Monti, 1990, 165 p.

Théodore et Denise Strawinsky, Au cœur du Foyer. Catherine et Igor Strawinsky 1906 – 1940, Editions ZurefluH , 1998, 179 p.

Théodore Strawinsky, Fondation Théodore Strawinsky, 2006, 158 p.

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L’église Saint-Paul de Grange-Canal: foi en Dieu et foi en l’art https://www.revue-sources.org/leglise-saint-paul-de-grange-canal-foi-dieu-foi-lart/ https://www.revue-sources.org/leglise-saint-paul-de-grange-canal-foi-dieu-foi-lart/#respond Tue, 13 Dec 2016 15:03:19 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1744 [print-me]

Vouloir déchiffrer le programme artistique, et plus particulièrement iconographique, de l’église Saint-Paul, c’est s’atteler à une tâche titanesque, et il faudrait bien plus que ces quelques lignes pour en faire un inventaire exhaustif. Je me bornerai donc ici à livrer au lecteur quelques considérations personnelles qui n’engagent que moi, mais qui auront pour but de susciter l’intérêt et l’envie de voir, de visiter, de ressentir et, pourquoi pas, de comprendre les éléments fondamentaux qui ont fait de Saint-Paul le premier édifice religieux du 20e siècle à avoir été classé monument historique par les autorités genevoises en 1988, précisément en reconnaissance de l’exceptionnelle richesse artistique exprimée dans ses murs.



Entrer dans la Saint-Paul artistique, c’est prendre acte du Credo d’un homme: l’abbé Francis Jacquet, curé-fondateur de la paroisse. Car cette église constitue véritablement la double profession de foi de ce prêtre trop tôt disparu: foi en Dieu, et foi en l’art, en tant que vecteur privilégié de la transmission de la foi chrétienne. Et je dis bien «chrétienne», car s’il s’agit d’un lieu de culte catholique-romain, il est remarquable qu’à l’époque de sa construction, au sortir du Kulturkampf, l’abbé Jacquet ait fait appel à des artistes réformés aussi bien qu’à des catholiques. Mais entrons à présent…

La monumentale toile absidiale

Auparavant, on se trouve sur le parvis. Devant soi, en haut des marches, la porte surmontée par un tympan inspiré de celui de la cathédrale de Chartres. On y reconnaît le Christ en gloire, entouré des quatre représentations constituant le Tétramorphe, symbolisant les quatre évangélistes. Eh bien, cette symbolique, disposée en deux dimensions sur la façade, se retrouve représentée façon quasiment identique par tout le bâtiment, en trois dimensions cette fois.

L’église St-Paul invite le visiteur à un voyage qui n’a qu’un but: le Christ!

Et l’on peut y ajouter une quatrième dimension, mystique celle-là. En effet, lorsqu’on pénètre à l’intérieur de l’église, le regard est instantanément capté par la toile absidiale monumentale, peinte par Maurice Denis. Tout en haut, le Christ en gloire, et l’apôtre Paul à ses pieds.

Mais alors, quid des évangélistes représentées sur le tympan? Ils sont bien présents, et ils servent même de pierres d’angle à l’enceinte sacrée que constitue le vaisseau central. Georges de Traz les a représentés aux quatre coins de la nef, dans les bas-côtés. Et en face de chacun d’eux, son attribut: l’aigle, le taureau, le lion et l’ange. Le plan est donc passé du vertical à l’horizontal. Plus que cela, la symbolique tout entière de l’édifice fait que, de spectateur devant le tympan, le croyant devient véritablement partie prenante de cette allégorie christique en se trouvant dans la nef: son regard est attiré par le Christ en haut de l’abside, comme par ailleurs le regard de tous les saints représentés sur les vitraux de l’église.

Un manifeste du renouveau de l’art sacré

Les quatre évangélistes, on les retrouve à chacun des angles de la nef, et les colonnes complètent l’enceinte, représentant chacune l’un des quatre grands prophètes du Premier Testament sur la droite (Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel) et l’un des quatre Pères de l’Eglise latine à gauche (Augustin, Ambroise, Jérôme, Grégoire). De ce fait, le peuple rassemblé dans la nef se trouve entouré et comme protégé par un «enclos spirituel». Donc, chaque fois que le peuple de Dieu célèbre en ces lieux, c’est toute l’Église, celle du Ciel unie à celle de la terre, qui rend un culte à son Seigneur.

Le Curé-fondateur et les artistes ont fait de St-Paul un manifeste du renouveau dans l’art religieux au 20e siècle, notamment grâce au concours de Maurice Denis, chef de file et théoricien du groupe des Nabis, et à qui fut confié le patronage artistique de l’édifice. On a beaucoup écrit sur cette monumentale toile marouflée dans l’abside, c’est pourquoi je préfère dévier quelque-peu pour donner l’envie au lecteur de se plonger dans toute la symbolique qui a présidé au programme scénographique des vitraux.

Tout d’abord, il faut progresser dans l’église à la manière du pèlerin qui, au fur et à mesure qu’il avance, remonte le temps jusqu’au Christ. À gauche, les saintes, et à droite les saints. Et, partant du Christ, le premier est tout naturellement saint Jean, que Maurice Denis représente ici bénissant l’abbé Jacquet par imposition des mains avec au second plan l’église St-Paul. Et c’est précisément ce vitrail qui donne une clé de lecture du programme iconographique – sans toutefois prétendre qu’elle serait l’unique clé de lecture acceptable.

Vers le Christ

En effet, si l’on prend soin de voir quels saints et saintes sont représentés sur les vitraux de la galerie supérieure, on assiste à l’évocation de l’Église de Jean, de Polycarpe et Irénée. Les vitraux supérieurs sont un résumé hagiographique de l’Église qui s’est répandue de Lyon jusqu’en pays lémanique. Toutes les grandes figures de l’histoire de l’Eglise s’y trouvent réunies. Citons notamment Blandine, Marguerite et Loyse de Savoie, Jeanne de Chantal, Marguerite-Marie Alacoque, Irénée, Pothin, Avit, Bernard de Menthon, Amédée de Savoie, François de Sales et Jean-Marie Vianney. Ces deux derniers ayant par ailleurs les faveurs du curé fondateur, puisque représentés plusieurs fois: deux vitraux pour le saint évêque de Genève, deux vitraux et un bas-relief pour le curé d’Ars.

L’église St-Paul invite le visiteur à un voyage qui n’a qu’un but: le Christ! Ce but est accessible, tous les saints représentés l’ont démontré par leur vie et leur mort, qu’ils eussent été témoins ou acteurs de l’Eglise universelle, comme celles et ceux qui sont représentés sur la galerie inférieure (Marie et Joseph, les deux François, Cécile de Rome, Jeanne d’Arc), comme de l’Eglise des «fils de saint Jean» pour la galerie supérieure. Ces saintes et saints de chez nous et d’ailleurs ont vécu leur vie de témoins du Christ en se dressant sur de solides fondations: les prophètes, les Évangiles, les Actes des apôtres, les Pères de l’Église de Rome. Georges de Traz illustre ces fondations à la manière d’un bédéiste dans les bas-côtés.

Et pour qui éprouverait quelque ennui à ouïr certaine homélie, le choix est fourni de s’évader par le regard, en un pays familier, jamais très loin des paroles qui pourraient nous lasser. Pour ma part, nulle lassitude à admirer la beauté et la symbolique de ce lieu qui, décidément, nous rapproche, un peu, du Divin.

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Frederic Monnin

Frédéric Monnin est maître de Chapelle à la paroisse Saint-Paul de Grange-Canal.

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Trois couvents dominicains inscrits aux monuments historiques https://www.revue-sources.org/trois-couvents-dominicains-inscrits-aux-monuments-historiques/ https://www.revue-sources.org/trois-couvents-dominicains-inscrits-aux-monuments-historiques/#respond Mon, 26 Sep 2016 10:01:23 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1540 [print-me]

Un couvent dominicain à l’UNESCO! Voici quelques semaines, le couvent de La Tourette, construit par Le Corbusier près de Lyon, était classé au patrimoine mondial de l’humanité. Deux autres couvents des années cinquante bénéficient d’une inscription aux monuments historiques, Lille depuis 2002 et Toulouse depuis 2007. Le couvent lillois fut même le premier monument labélisé Patrimoine du XXe siècle.

D’où vient une telle notoriété ? Pourquoi avoir bâti ces couvents et quelles sont leurs spécificités ? Quelques éléments de réponses.[2]

L’utopie du couvent idéal

Au début du XXe siècle, les dominicains sont animés, en matière de construction, par la quête du couvent idéal. Le conventus — venir ensemble — n’apparaît-il pas avec les débuts des ordres mendiants? Alors que doit-être ce lieu, en ville mais retiré, monastère sans en être, véritable cité où se ressourcer avant de partir sur les routes annoncer l’Évangile? Dans cette recherche, le cloître ouvert, au cœur de l’édifice, devient le symbole du difficile équilibre de la vie dominicaine, un dedans/dehors entre contemplation et annonce du mystère contemplé. Autour, les cellules rassemblées s’adossent à la cellule mère qu’est l’église, au réfectoire et aux espaces de formation et de prédication que sont la bibliothèque, les salles d’études, de conférences et les parloirs.

« Il est plus sûr de s’adresser à des génies sans la foi qu’à des croyants sans talent » père Couturier

Les réflexions ne manquent pas sur ces murs qui doivent édifier la communauté en puisant dans l’histoire des premières Saintes Prédications selon l’appellation données au XIIIe siècle aux couvents des frères prêcheurs.

Symptomatique de l’idéalisme de cette période, le père Couturier, dominicain et co-directeur de la revue Art sacré, est animé par cette vision utopique à laquelle s’ajoute une recherche de radicalité et de pauvreté, teintées d’une pointe de romantisme médiéval et pourtant d’un modernisme assumé.

La course aux couvents

Cette vision rencontre une période frénétique de construction en France durant les Trente Glorieuses tandis que parallèlement, on assiste à une augmentation du nombre de religieux.

Portées par cette conjoncture, les provinces de France (Paris), Lyon et Toulouse se lancent dans la construction de trois grands couvents de formation dont les églises seront consacrées en 1957 pour le couvent de Lille, 1959 pour La Tourette et 1960 pour Rangueil.

Lille: «de lumière et de joie»

Le couvent dominicain de Lille

Le couvent dominicain de Lille

En 1952, les frères de Lille achètent une belle propriété afin d’y bâtir un couvent. Le père Couturier voudrait faire appel à Le Corbusier mais le père Bous, prieur de la communauté, préfère s’adresser à un architecte moins connu, Pierre Pinsard.

Le prieur, se lie d’amitié avec l’architecte et forme avec lui un binôme humble, consciencieux et efficace qui sera la clef du succès de l’entreprise. Il souhaite que le nouveau couvent reflète «les caractéristiques dominicaines de lumière et de joie». C’est donc à partir de cette intuition spirituelle que l’architecte travaille malgré les difficultés à traduire programmatiquement une telle vision.

« S’inspirant des usines de filatures, de la simplicité des édifices romans et des apports du mouvement moderne, Pinsard, compose un couvent modèle aux proportions équilibrées ».

Le couvent, prévu pour soixante-dix religieux, ne doit pas rééditer les erreurs du Saulchoir, cet immense couvent parisien en construction depuis des années : froid, malcommode, orgueilleux et inachevé, de réputation «lamentable». Le prieur « se met à désirer des choses plus sobres, de type plus pauvre ».

S’inspirant des usines de filatures, de la simplicité des édifices romans et des apports du mouvement moderne, Pinsard, compose un couvent modèle aux proportions équilibrées. Par ses bâtiments, comme tissés dans la trame verdoyante du parc, l’architecte place la nature au cœur de l’édifice grâce aux six cloîtres et patios qui rythment le parcours des frères. L’impression de rigueur et de dépouillement du béton est tempérée par la chaleur des briques, l’élégances des voûtes partout présentes et le soin apporté aux détails. La précision du mobilier et le juste choix de quelques œuvres d’art, achèvent de donner au couvent l’éclairage joyeux dont rêvait le prieur sous le ciel gris du nord.

La Tourette: «sans luxe ni superflu».

Le couvent dominicain de La Tourette

Le couvent dominicain de La Tourette

L’année suivant, en 1953, la Province de Lyon demande à Le Corbusier de construire un grand studium en pleine campagne, à une demi-heure de Lyon. Le père Couturier réussit cette fois à imposer l’architecte suisse et réalise un rêve: «Nous avons toujours pensé et toujours dit que pour la renaissance de l’art chrétien, l’idéal serait toujours d’avoir des génies qui soient en même temps des saints. Mais dans les circonstances présentes, si de tels hommes n’existent pas, nous pensons en effet que pour provoquer cette renaissance, cette résurrection, il est plus sûr de s’adresser à des génies sans la foi qu’à des croyants sans talent[3]». Le Corbusier accepte en se justifiant : «Je ne peux pas construire des églises pour des gens que je ne loge pas [mais d’accord pour] loger cent cœurs et cent corps dans le silence.»

Le père Couturier suggère à l’architecte de visiter l’abbaye du Thoronet car dit-il: «Il me semble qu’il y a là l’essence même de ce que doit être un monastère à quelque époque qu’on le bâtisse, étant donné que les hommes voués au silence […] dans une vie commune ne changent pas beaucoup avec le temps […].Pour nous la pauvreté des bâtiment doit être très stricte, sans aucun luxe ni superflu.[4]» Cet idéalisme assure la pureté architecturale de l’ensemble mais contribue aussi à l’exigence extrême d’une vie prolongée dans ces murs.

Le choix du site d’implantation, à flanc de colline, est laissé à l’architecte «Ici, dans ce terrain qui était si mobile, […] j’ai dit: je ne vais pas prendre l’assiette par terre puisqu’elle se dérobe […]. Prenons l’assiette en haut […] Et à partir de cette horizontale au sommet, on mesurera toute chose depuis là et on atteindra le sol au moment où on le touchera[5]». Amarré à flanc de colline, la promenade architecturale à travers ce paquebot de béton met en scène les cinq points du mouvement moderne — plan libre, façade libre, toit-jardin, pilotis, fenêtres en bandeau —, adoucis musicalement par les façades pan-ondulatoires, les variations formelles et les imperfections de mise en œuvre laissées volontairement en témoignage du travail des bâtisseurs: chef-d’œuvre troublant dans le monde de l’architecture religieuse.

Rangueil: « trois rangées de soixante-dix stalles chacune »

Le couvent dominicain de Rangueil

Le couvent dominicain de Rangueil

En 1954, c’est à la demande du Maître de l’Ordre, le père Suarez — pour qui plus on bâtit grand, plus les vocations affluent — qu’est décidé de construire un immense couvent d’étude à Toulouse. Si l’église est prévue pour plus de mille personne, le programme précise que le chœur des frères ne comprendra «pas plus de trois rangées de soixante à soixante-dix stalles chacune » — ce qui correspond à près de deux cent places tout de même!

La communauté doit accepter de quitter le magnifique couvent gothique de Saint-Maximin pour être présent dans une ville étudiante en extension. Le choix du nouveau site, plus stratégique qu’esthétique, se porte sur un vaste terrain sur lequel de multiples projets se succèdent, prélude aux difficultés qui entachèrent la réalisation de l’ensemble finalement construit par Joachim et Pierre Génard, associés à Jean Auproux.

L’architecture, dans le pur style hard french, valorise la discontinuité des masses par le décentrement du cloître, le mégalithisme de la barre par l’affirmation de la répétitivité de la cellule, l’hygiénisme héliothermique et la mise en valeur du système constructif.

Si le cloître avec sa structure de tube métallique obliques et ses plaques de polyester ondulées en couverture est loin de faire l’unanimité, le couvent réserve tout de même quelques beaux morceaux d’architecture: la façade sud rythmée de brise-soleils ainsi que le volume intérieur de l’église tenu par les boisseaux des murs vitraux et le sol en marbre des Pyrénées.

Comparaisons

Ces trois couvents ont leurs défauts et qualités. L’un est mondialement connu, les autres moins et au risque d’être caricatural, on pourrait résumer ainsila spécificité de chacun : à Lille, un prieur; à La Tourette, un architecte; à Rangueil, un programme.

Chaque couvent répond différemment à son environnement. A la douceur de Lille qui s’ouvre calmement sur le beau parc existant répond spirituellement le cloître de la Tourette, qui, du toit, met les frères en tête à tête avec le ciel. Rangueil, plus pragmatique, profite d’un site en plein campus universitaire. Clochers et cheminées dessinent la skyline des constructions et à Lille semblent indiquer les deux tables qui réunissent la communauté ­— la table eucharistique et celle du réfectoire — reliées par l’atrium, où convergent toute circulation. L’esthétique de la barre, traitée avec force à Rangueil, revient comme une constante. Les vues offertes depuis les espaces conventuels cadrent le paysage, comme à la Tourette, et l’église se présente comme le lieu de l’intériorité d’où le monde extérieur est invisible mais où la lumière pénètre subtilement. La lumière est d’ailleurs le principal ornement de ces couvent aux matériaux simples. Encore une fois l’architecture se présente comme «le jeu savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière[6]».

Par chance, le couvent ne fait pas le dominicain: «Les dominicains du XIVe ont été décadents dans de magnifiques couvents et ceux du XIXe particulièrement féconds dans un cadre saint-sulpicien et néo-gothique.» Il reste à espérer que ces trois couvent puissent encore nous inviter, en leur sein, à la contemplation; nous mettent, hors d’eux, en mouvement vers nos frères; et qu’ils nous aident à être des pierres vivantes de l’Église du Christ. Et nous formons le vœu que, dans le siècle qui s’ouvre, nous sachions, en architecture, faire aussi bien ou mieux.

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Frère Charles Desjobert, architecte


[1] D’après une conférence donnée par l’auteur en janvier 2015 au couvent de Lille.

[2] Cf. Architecture et vie dominicaine au XXe siècle, Mémoire Dominicaine n°14, 1999. Ce numéro sert d’appui à l’ensemble de l’article.

[3] M.-A. Couturier, «L’appel aux maîtres de l’art moderne», in: Catalogue de l’exposition Paris-Paris, 1981.

[4] Lettres du père Couturier à Le Corbusier du 28 juin et 4 juillet 1953.

[5] Enregistrement magnétophone lors d’un entretien amical de Le Corbusier avec la communauté dominicaine (octobre 60) in: J. Petit, Un couvent de Le Corbusier, 1961.

[6] Le Corbusier, Vers une architecture, 1923.

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L’église des Prêcheurs de Berne https://www.revue-sources.org/leglise-precheurs-de-berne/ https://www.revue-sources.org/leglise-precheurs-de-berne/#respond Mon, 26 Sep 2016 09:40:25 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1522 [print-me]

L’archéologue du Canton de Berne, Hans Grüttner, dans la préface de la publication relative aux travaux effectués, dans les années 1988-1991, pour restaurer la façade et l’intérieur de l’église ainsi que dans la zone attenante où se trouvait l’ancien bâtiment conventuel, écrivait ce qui suit: «L’église Française, ancienne église du couvent des Frères Prêcheurs ou Dominicains, est, avec la Collégiale, l’un des édifices religieux les plus importants de Berne. Et de par la bonne conservation de sa construction, dont fait également partie le jubé qui fut orné, vers la fin du 15ème siècle, d’une peinture d’une qualité exceptionnelle, cet édifice occupe une place importante dans l’histoire de l’architecture des églises des ordres mendiants dans la région comprenant le sud-ouest de l’Allemagne et le nord-est de la Suisse».

La vie dominicaine à Berne

L’état actuel des recherches permet de penser que l’église des Prêcheurs de Berne a été édifiée entre les années 1280 et 1310, sans exclure que la construction ait pu se prolonger plus longtemps. En 1318 au plus tard, l’église devait être terminée, car de cette époque date une attribution de cette église au couvent dominicain de Berne, avec obligation de célébrer une messe lors de certaines fêtes. Mais l’Ordre s’était probablement déjà établi à Berne aux alentours de 1269, avant le début de la construction de l’église, dans le quartier nord de la «innere Neuenstadt» (ville neuve intérieure). L’Ordre mendiant des Prêcheurs devait tout d’abord se procurer les ressources nécessaires à la construction de l’église et du couvent.

« Malgré un destin mouvementé, l’église française d’auourd’hui a, en grande partie, conservé son état architectural des années 1300 ».

Jusqu’à la Réforme, l’église était dédiée aux apôtres Pierre et Paul, auxquels le maître autel (altare maius) était consacré. Ce patronage avait été requis par les autorités de la Ville de Berne dans l’Acte de donation de 1269, qui précisait également que l’autel à placer dans la travée centrale du jubé devait être dédié à la Vierge Marie. Le chapitre provincial des Dominicains s’est réuni quatre fois à Berne. A diverses reprises, d’éminents visiteurs de la ville ont logé chez les Dominicains, comme peut-être l’Empereur Henri VII en 1309 et 1311, mais sûrement le Roi Sigismond en 1414 et le Pape Martin V en 1418.

Durant tout le Moyen Age, l’activité des Frères en matière de pastorale et de prédication est très importante dans la ville et la campagne. Le dernier essor du couvent s’est traduit par d’importantes commandes de peintures: en 1450 le «Jugement Dernier» sur l’arc triomphal – côté nef, en 1495 la peinture du jubé tout entier, en 1498 le réfectoire du couvent fut réaménagé en vue de la tenue du Chapitre général de l’Ordre. D’autres commandes de peintures ont été faites à Niklaus Manuel Deustch (*probablement en 1484 à Berne; Ť 1530 à Berne) vers 1515 pour un autel de Sainte-Anne, en 1516 pour un nouveau maître autel et, la même année, pour une Danse Macabre, effacée en 1660, sur le mur d’enceinte sud du couvent.

A la suite de divers scandales, comme l’affaire des fausses visions dans le procès Jetzer (1507-1509) le couvent perdit peu à peu sa réputation et son influence. Avec la Réforme, le couvent de Berne fut finalement supprimé en 1527. Depuis 1623 l’église sert de paroisse à la communauté francophone réformée de Berne, d’où son nom actuel d‘église française. En 1685, l’église et l’ancien couvent servirent de refuge à de nombreux Huguenots. Les bâtiments conventuels ont été détruits à la fin des années 1890 pour faire place à la construction du théâtre, terminée en 1903.

Le profil intellectuel de l’Ordre

La mission de tout Dominicain doit être: la prédication par l’étude! Ou, pour reprendre l’image idéale avec Saint Thomas d’Aquin: docentura pro praedicatura. C’est ainsi qu’en 1352, le peintre Domaso da Modena a représenté, dans la salle capitulaire de l’ancien couvent dominicain de Trévise (Italie du Nord), 40 Dominicains sur une frise s’étendant sur les quatre murs.

Salle capitulaire de Trévise avec frises peintes

Salle capitulaire de Trévise avec frises peintes

La particularité de cette œuvre n’est pas l’alignement des personnages, mais leur représentation: chaque Dominicain est enfermé dans un pupitre avec des livres et de quoi écrire, illustrant ainsi la spiritualité de l’Ordre, à savoir créer un Ordo praedicatorum de l’Eglise entière.

Ce n’est pas la pauvreté, mais le savoir qui a marqué l’Ordre, qui s’est implanté dans les villes, tant pour l’enseignement dans le milieu scolaire et universitaire que pour la pastorale. La lente transformation des écoles cathédrales et des écoles conventuelles en universités à la fin du 12ème et au début du 13ème siècle a eu pour effet de créer une nouvelle relation entre le couvent et l’école: l’ancienne triade monastique legere – meditare – orare est devenue la triple démarche scolaire legere – disputare – praedicare.

La vita contemplativa conventuelle traditionnelle fut subordonnée à la vita activa, dans laquelle la prédication parmi les hommes devint le but et l’expression d’une nouvelle relation entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain, motivée par le «salut des âmes». Pour ce faire, des dispenses des observances monastiques de l’Ordre au profit de l’étude étaient même possibles, car, dans la conception de l’Ordre par les Dominicains, elles faisaient désormais partie intégrante de la vita religiosa.

Spiritualité de l’Ordre et architecture

Le profil intellectuel de l’Ordre des Prêcheurs a dû jouer, dès le début, un rôle dans la conception architecturale des églises conventuelles et des couvents. Outre les dispenses, la promotion de l’étude impliquait l’octroi d’une cellule d’étude. Celle-ci, qui combine les espaces consacrés à l’étude et au repos, constitue, au sein des habitudes de vie monastiques, une innovation apportée par l’Ordre des Prêcheurs. Cet «isolement» n’était pas dû à une tendance à la vie en ermite, mais visait à encourager la stimulation du travail des frères étudiants. Le dortoir commun est resté la règle pour les seuls frères convers.

Ce style de vie selon la règle devait toujours rester également une vie communautaire. Cette dernière trouvait son application dans les divers espaces communautaires, comme par exemple le réfectoire commun, où les repas étaient pris et la lecture faite à table, et naturellement l’église conventuelle, lieu de la prière communautaire. Outre la bibliothèque conventuelle à disposition des frères, une «bibliothèque portable» dans la cellule existait dès le début.

Un édifice paraparoissial

L’historien de l’Ordre Isnard Wilhelm Frank OP (1930-2010) qualifie les couvents dominicains de «centre culturels paraparoissiaux». Cette fonction paraparoissiale trouve également son expression dans l’église conventuelle bernoise, que l’on pouvait définir, à ses origines, comme un édifice cultuel multifonctions. L’église était intérieurement divisée en deux, selon sa fonction: le choeur, avec les fenêtres gothiques et les voûtes de pierre, servait au culte conventuel (espace clérical – ecclesia interior), et la nef aux trois vaisseaux, avec un charpente de bois visible, était destinée au nombreuses missions pastorales (espace des laïcs – ecclesia exterior).

Vue reconstituée de l'interieur de l'église des Prêcheurs vers l'est

Vue reconstituée de l’intérieur de l’église des Prêcheurs vers l’est

Les Dominicains suivaient ainsi en quelque sorte la division cistercienne entre l’église des moines et celle des convers, avec cependant une différence importante: les frères convers faisaient aussi partie de l’église des moines, et l’église des convers devint la future «église du peuple» accessible et réservée aux laïcs, dans laquelle les Prêcheurs offraient leurs services cultuels et religieux ou effectuaient ceux que les laïcs demandaient.

L’église conventuelle de Berne

Dans le choeur, espace de l’église dominicaine de Berne consacrée au couvent, les frères se rassemblaient pour la messe et les offices communautaires. Ils se tenaient assis ou debout dans les deux rangées de stalles de chaque côté du choeur (après 1302).Elles s’y trouvent encore aujourd’hui. Vers l’est, l’espace était fermé par le maître autel. L’accès au choeur était refusé aux laïcs. Le «service sacré» des frères de Berne dans le choeur ne servait pas seulement à l’édification personnelle et collective de la communauté, il présentait aussi un intérêt pour la communauté urbaine. Car les églises et les couvents en faisaient partie; ils étaient garants et expression du sacré dans la commune urbaine.

Pour la pastorale des laïcs, les Dominicains disposaient de l’espace des laïcs qui probablement a été totalement peint vers la fin de l’époque gothique et est orné aujourd’hui d’arabesques Renaissance des années 1570. La relation pastorale des Frères Prêcheurs bernois avec les laïcs était directe et concrète. Les trois vaisseaux et les multiples travées reflètent dans l’église conventuelle la multifonctionnalité de la pastorale des ordres mendiants par la diversité des services spirituels offerts, ainsi que l’illustrent les quelques exemples suivants.

Etat actuel de l'intérieur (vers l'est)

Etat actuel de l’intérieur (vers l’est)

Conformément à la tradition allemande, à Berne, les autels, dans les espaces en forme de chapelle, étaient surtout placés devant le jubé avançant dans la première travée de la nef avec ses clefs de voûte richement sculptées et ses peintures murales réalisées par le «maître des oeillets» en 1495: l’Annonciation faite à Marie, les bustes des prophètes Isaïe et Jérémie, la Racine de Jessé et, en pendant, un arbre généalogique de l’Ordre des Dominicains, les symboles des évangélistes, les Pères de l’Église latine, deux représentations de Dominique, fondateur de l’Ordre canonisé en 1234, et bien d’autres.

Le jubé

Parmi les églises des ordres mendiants en Suisse, le jubé de Berne est probablement le seul qui soit toujours à sa place d’origine, et même l’un des rares dans le pays.

Le jubé est une tribune de pierre voûtée surplombant la nef du côté est, fermée à l’arrière par un mur et ouverte vers la nef par une arcade, divisée en plusieurs travées formant les chapelles abritant les autels latéraux.

Façade du jubé, ogive de gauche, le savant Dominique enseigne à l'ambon sur la croyance mariale.

Façade du jubé, ogive de gauche, le savant Dominique enseigne à l’ambon sur la croyance mariale.

droite

Façace du jubé, panneau côté droit de la clé de voûte, avec le fondateur de l’Ordre Dominique prédicateur du peuple. Au nom du Christ il ramène à la vie un enfant mort gisant au sol. A droite, le buste du Prophète Isaïe.

Le jubé bernois n’est pas seulement une cloison destinée à souligner l’écart entre la sphère sacrée du choeur et le caractère prétendument profane de l’espace laïc, simple lieu de rassemblement pour la prédication. Le jubé, au contraire, est lui-même une expression du sacré qui rejoint celle du choeur. On peut voir le jubé comme l’ «iconostase du sacré»: piété d’autel avec de nombreuses messes et lieu de vénération personnelle et communautaire des saints et des reliques. De plus, ces autels servaient à entendre les nombreuses confessions des laïcs, à imposer les pénitences et donner l’absolution.

En conclusion

Malgré un destin mouvementé, l’église française d’auourd’hui a, en grande partie, conservé son état architectural des années 1300. Ses caractéristiques principales – le long choeur, une nef de basilique au plafond plat – la rattachent aux églises contemporaines des Ordres mendiants dans la région du Rhin supérieur. La séparation architecturale du choeur et de la nef a également été maintenue lors de la dernière restauration, car elle fait partie intégrante de l’église de l’Ordre mendiant à l’origine. Une importance toute particulière revient au jubé datant de la fondation, avec sa peinture de 1495 presque totalement conservée et ses travées en forme de chapelles, qui donnent à l’espace un aspect de la fin du gothique .

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Le frère dominicain Uwe Vielhaber du couvent St Hyacinthe de Fribourg, restaurateur et conservateur diplômé, est aussi engagé dans la pastorale de la ville de Berne.


La Province dominicaine de Suisse, dans le cadre du Jubilé 2016 «800 ans de l’Ordre des Prêcheurs», et la Paroisse française réformée de Berne, en coopération avec de nombreux partenaires, ont prévu un vaste programme festif pour célébrer 700 ans d’histoire de cette église bernoise et 800 ans de celle de l’Ordre des Prêcheurs. «Tatort Französische Kirche; C’est arrivé à l’église française…», du 27 août au 18 septembre 2016.

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