Les voies du bien commun – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 13:03:04 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 L’individu moderne et le bien commun https://www.revue-sources.org/lindividu-moderne-et-le-bien-commun/ https://www.revue-sources.org/lindividu-moderne-et-le-bien-commun/#respond Tue, 01 Oct 2013 10:13:50 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=348 [print-me]

Le langage n’est jamais neutre. Pourquoi notre époque préfère parler de « l’intérêt général » plutôt que du « bien commun » alors qu’on semble vouloir désigner la même chose par ces deux expressions?

Bien commun et intérêt général

On pourrait, sans grand inconvénient, utiliser la notion « d’intérêt commun » ou celle de « bien général », car ces deux adjectifs permutables renvoient à une sorte de transcendance du social par rapport à l’individu. Ce qui est commun ou général, par définition, n’est point particulier. Car, même pour les sociétés qui ne sont plus holistiques (où l’individu est assigné à une place déterminée par la totalité dans laquelle il s’insère), mais individualistes (où le tout est au service de l’épanouissement individuel), une tension irréductible demeure entre ce qui est bon pour tous et ce qui est bon pour quelques-uns. Ainsi, il est rare qu’une expropriation liée à un projet collectif nécessaire à tous (nouvelle voie routière ou ferroviaire, barrage, aménagement urbain, etc.) ne heurte pas de plein fouet les situations particulières, ne déstructure pas les modes de vie de plusieurs individus. Sauf pour les doctrinaires de l’ultralibéralisme, la somme des intérêts particuliers ou des biens individuels ne s’identifie pas avec la construction d’une société qui se veut harmonieuse, s’élevant au-dessus des volontés de chacun, et cela parce qu’est reconnue une instance supérieure permettant précisément la coexistence apaisée des individus.

Jean-Jacques Rousseau, avec son concept de volonté générale, formellement distincte de l’addition des volontés particulières, atteste la nécessité de cette distinction dans le champ de la philosophie politique.

C’est naturellement la différence de perception entre les notions d’ « intérêt » et celle de « bien » qui est instructive. Sur le terrain de la philosophie politique et dans le discours du personnel politique, « l’intérêt » général est le plus souvent invoqué, non le « bien » commun. À cela, deux raisons.

Bien commun ou biens marchands?

Parler de « bien », c’est inévitablement se référer à la sphère morale et celle-ci, souvent renvoyée à la vie privée des individus, à leurs préférences singulières, non seulement semble avoir perdu sa prétention à l’universalité, mais est soupçonnée d’orchestrer un retour à la société holistique qui interdirait à l’individu d’occuper une autre place que celle qu’une hiérarchie sociale prétendument anhistorique lui désignerait. C’est aussi en ce sens que l’on parle d’ « ordre moral ». Plus gravement, l’idée du bien commun serait le masque d’une idéologie tellement totalisante qu’elle en deviendrait totalitaire, ce qui s’est hélas! vérifié parfois dans l’histoire.

C’est en raison de ce soupçon que l’anthropologie de l’utilitarisme (selon lequel l’utile est le principe de toutes les valeurs) a imprégné nos manières de penser et, en particulier, l’économisme et le consumérisme ambiants. L’utilité renvoie aux intérêts. Le Bien a été remplacé par le bien-être, le bien commun par les biens marchands. Et c’est seulement dans la mesure où le marché, c’est-à-dire le libre jeu des intérêts privés, peut nuire à la préservation de l’intérêt général que ce dernier sera défendu plus ou moins efficacement par l’instance politique. Mais, dans ce contexte, nul ne remet en cause que l’infrastructure économique soit la base essentielle de la société, comme le voulaient aussi bien les théoriciens d’un marxisme pétrifié que les hérauts d’un capitalisme débridé.

Force et faiblesse de l’individualisme contemporain

Prenons acte de l’irréversibilité du mouvement de l’histoire: l’individu ne peut plus être identifié au rôle et au statut que le groupe lui attribuerait. Dans nos sociétés, du moins dans leur version occidentale en voie de mondialisation, les individus sont logiquement premiers par rapport au tout social dans lequel ils choisissent librement et contractuellement de s’inscrire et la construction des droits de l’homme est l’héritière directe de ce renversement de paradigme puisque ces droits expriment désormais la possibilité de recours contre les abus des pouvoirs. Renversement auquel le christianisme n’est pas étranger. En effet, sa fonction historique d’unification sociale dans l’empire romain et l’univers médiéval ne doit pas occulter que la sécularisation de la notion chrétienne d’âme a engendré le « moi » des modernes, l’espace du sujet singulier, la référence à cette réalité ultime qu’est l’individu.

L’individu moderne est plus angoissé qu’il ne veut bien l’avouer devant la nécessité permanente de s’inventer un destin.

Sans nullement revenir aux sociétés antérieures, il nous faut bien admettre que la trajectoire de l’individualisme contemporain n’est certainement pas achevée et qu’elle attend d’être réorientée, d’une part parce que l’individu moderne est plus angoissé qu’il ne veut bien l’avouer devant la nécessité permanente de s’inventer un destin et, d’autre part, parce que la société qui résulte de la recherche incessante des jouissances privées, pour parler comme Benjamin Constant, engendre des effets sociaux dont l’action en retour sur l’individu lui-même est imprévisible. Or, des questions demeurent en suspens et elles peuvent recevoir des réponses différentes: situation féconde et stimulante pour l’intelligence et le débat politique. Signalons ici simplement trois pistes.

Questions en suspens

D’abord, cessons de récuser en bloc l’individualisme. Le sens péjoratif que le mot véhiculait exclusivement il y a encore quelques décennies n’est pas le seul possible. « Mon individu » n’est pas uniquement « la forteresse d’égoïsme que j’érige tout autour pour en assurer la sécurité » qu’il faudrait opposer à la personne qui, elle, « risque par amour au lieu de se retrancher » (Mounier en 1935). L’individu aujourd’hui, c’est aussi celui qui assume sa responsabilité sans s’abriter derrière l’évidence d’un statut conféré de l’extérieur, revendique ses droits contre les pouvoirs oppressants, demeure apte à entrer en relation avec autrui dans des modalités nouvelles qu’autorisent les moyens de communication modernes, est souvent désireux de participer à l’édifice politico-social en affirmant sa citoyenneté.

Ensuite, la notion de « bien commun » que quelques théoriciens laïques du XIXème siècle ne répugnaient pas à utiliser et que l’on rencontre encore, certes parcimonieusement, dans les discours de politiciens contemporains, mérite assurément d’être revitalisée. Car la notion d’ »intérêt général » qu’on lui préfère souvent reste trop imprégnée par les seules valeurs de l’utile; et la déconnexion moderne entre l’économique, le politique et la morale est largement illusoire. Une nouvelle morale qui ne dit pas son nom s’est substituée à l’ancienne et elle correspond exactement à cette volonté de déconnexion. On peut l’appeler « libérale-libertaire » et Paul Valadier a même parlé d’un « nouvel ordre moral libertaire ». Pour le dire rudement, elle est encore morale, la visée qui impose à la société de servir l’individu dans ses intérêts, ses penchants et ses désirs. Curieuse conception qui, d’une part exige une séparation radicale de l’individu et de la société et, dans le même mouvement, revendique une société à son service. Il conviendrait d’accepter de porter le débat à ce niveau qui oppose des visions morales entre elles au lieu de prétendre qu’il y aurait, d’un côté, une vision moralement engagée et, d’un autre, une perspective moralement neutre. Cela se repère dans la société qui résulte du « fantasme de l’homme auto-construit », selon l’heureux sous-titre d’un livre intitulé significativement Une folle solitude (Olivier Rey, Seuil, 2006).

Enfin, lorsque les philosophes de l’Antiquité, en particulier Aristote et ses continuateurs du Moyen Âge, expliquent que l’état naturel de l’individu est d’être en relation avec autrui et le corps social, ils ne craignent pas de parler de bien commun et il est instructif de méditer un philosophe contemporain, François Flahault (Où est passé le bien commun? Mille et une nuits, 2011) quand il rappelle l’importance de ces « biens communs fondamentaux », comme les échanges non marchands, la confiance ou la qualité de vie, qui échappent aux critères économiques de l’utilitarisme. Le contractualisme et le libéralisme économique ne sont donc pas notre seul horizon.

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Jacques Ricot

Jacques Ricot

Jacques Ricot, agrégé et docteur en philosophie, est chargé de cours de bioéthique à l’Université de Nantes.

 

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Un bien rendu commun à tous: la voie du don https://www.revue-sources.org/un-bien-rendu-commun-a-tous-la-voie-du-don/ https://www.revue-sources.org/un-bien-rendu-commun-a-tous-la-voie-du-don/#respond Tue, 01 Oct 2013 10:08:47 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=346 [print-me]

La notion d’intérêt commun semble avoir été préférée par nos sociétés contemporaines à celle de bien commun[1]. Notion moins connotée philosophiquement ou religieusement? Pourtant, le bien commun n’est pas une notion inaudible. Dans le contexte actuel de crise, elle prend même de nouvelles dimensions.

Du bien commun à la communauté du Bien

Dans son récent magistère, l’Eglise a fait recours à la notion de bien commun. Pas moins de 19 occurrences dans l’encyclique Caritatis in Veritate de Benoît XVI, qui le définit aux côtés de la justice comme un « critère d’orientation de l’action morale » (n°6): « À côté du bien individuel, il y a un bien lié à la vie en société: le bien commun. C’est le bien du ‘nous-tous’, constitué d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale. […] Œuvrer en vue du bien commun signifie d’une part, prendre soin et, d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement, et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la polis, de la cité. » (n°7). La charité chrétienne n’est au fond rien d’autre que cela. Plus récemment, le pape François, dans l’encyclique Lumen Fidei, la mentionne 7 fois et affirme: « Oui, la foi est un bien pour tous, elle est un bien commun » (n° 51). Rappeler que la foi est un bien commun, un bien pour tous, voilà qui peut stimuler la nouvelle évangélisation! C’est aussi rappeler, comme le faisait en son temps Gaston Fessard, jésuite et philosophe[2], que le bien commun intègre nécessairement la mise en commun des biens des individus au profit de la communauté. Mais il allait plus loin en postulant que ce bien commun devait s’ouvrir à l’infini, et s’universaliser dans la « communauté du Bien »: communion dans le Bien. Cela passe essentiellement par la voie du don, cette respiration du « recevoir-donner » qui permet à tout un chacun d’être un bien pour autrui. Il semble que l’Eglise soit en train de réentendre cette invitation.

Une belle illustration de cela nous est donnée par le père Joseph Wresinski (1917-1988), fondateur d’ATD Quart-Monde. A travers la création des universités populaires, il a notamment permis au savoir de descendre l’échelle sociale et de faire de la connaissance «un bien rendu commun à tous« [3]. Le but était d’offrir à ces « sans espoir de réciprocité » cette culture tout aussi nécessaire que le pain qui nourrit les corps. A la base de cet engagement, une conviction: « [Ils] sont Jésus parmi nous. Apprendre d’eux devient un état de vie« [4]. Une révolution: recevoir de ceux à qui nous pensions apporter quelque chose, car ce sont eux qui ont à nous donner. « Toute famille, si écrasée par la misère soit-elle, est, en effet, porteuse d’un message unique, celui de Jésus misérable, Jésus fait homme de la misère en toute chose, sauf le péché. L’Eglise nous le rappelle

Recevoir de ceux à qui nous pensions apporter quelque chose, car ce sont eux qui ont à nous donner.

sans cesse: toute famille très pauvre a le droit de savoir qu’elle est le message de Jésus-Christ« .[5] A une époque où la charité était essentiellement « descendante », le père Joseph a permis d’opérer un déplacement que le récent rassemblement Diaconia de l’Eglise de France a mis en exergue.

« Personne n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager »

Que signifie cette petite phrase extraite du message final du rassemblement? Aucune situation d’exclusion, de souffrance, d’isolement n’est insignifiante ou disqualifiante. Il y a une dignité inaliénable dont nous devons tous être témoins. Toute personne recèle d’une richesse unique. « Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » dit Dieu à Israël (Is 43,4). Cela commence par là: reconnaître l’autre, quel qu’il soit, quelle que soit sa situation. Briser par la relation l’exclusion, l’isolement et le repli sur soi où tant de personnes se retrouvent pour bien des raisons. Voir l’autre, c’est déjà lui permettre d’exister en nous. Et ce compagnonnage peut alors être source d’un autre don. Celui de l’interpellation. « Où es-tu? », « Où est ton frère? » interroge Dieu dans le livre de la Genèse. Nous voici situés en vis-à-vis, en relation de garde, apprenons-nous. Dieu nous espère gardiens de nos frères dont la situation doit être pour nous source d’interrogation et d’interpellation. Par sa parole, Dieu nous relie et nous permet de voir et d’entendre celui que nous ne voyions plus et que nous n’entendions plus.

A quelle expérience sommes-nous alors conviés? « A la lecture de l’Evangile, à la suite du Christ serviteur, tous ont appris à écouter la voix des pauvres de notre temps. Chacun a été entendu dans sa singularité: ceux qui souffrent, malades, handicapés, personnes seules ou abandonnées, sans domicile ou mal logées, chômeurs ou précaires, divorcés, remariés ou non, salariés en souffrance ou menacés dans leur emploi, jeunes sans perspectives d’avenir, retraités à très faibles ressources, locataires menacés d’expulsion, tous ont pris la parole. Leurs mots, leurs colères sont aussi dénonciation d’une société injuste qui ne reconnaît pas la place de chacun. Ils sont une provocation au changement.» (Message final de Diaconia[6]). La conviction profonde ici exprimée ouvre une fenêtre pour la vie de nos communautés chrétiennes. Elle peut aussi inspirer une société en quête de voies nouvelles pour sortir de l’impasse et de la crise profonde que nous connaissons actuellement.

L’écologie du don

Un appel à vivre un déplacement, une conversion pour plus de dignité, plus de fraternité, pour que la vie soit ce bien réellement commun, souci de tous pour tous. Voilà le don permis par la relation. Se mettre à l’écoute de l’autre, c’est lui permettre de prendre part à la vie et à sa croissance. C’est aussi enrichir sa propre intelligence de la vie et de ses exigences. Le don n’est pas à sens unique. Inauguré par Dieu par le don de la vie, il est premièrement du côté de l’homme accueil et reconnaissance. « Qu’avons-nous que nous n’ayons reçu? » (1 Co 4,7). Il devient ensuite partage. Le don est toujours soumis à cette double respiration. C’est une loi de la vie qui se découvre aujourd’hui toujours davantage comme le principe premier et ultime de toute activité humaine. Marcel Mauss, ethnologue, avait été le premier à manifester cette loi du don que les anthropologues et sociologues n’ont eu de cesse de commenter. La pertinence de son analyse fait encore autorité. Des philosophes revisitent le concept et pour la plupart en démontrent non seulement l’importance (Marion), mais la centralité (Hénaff, Gildas). Plus tôt, des penseurs comme Rozensweig, Buber ou Levinas en ont développé les conséquences éthiques. En théologie, c’est presque un lieu commun de rappeler que le don exprime au fond la gratuité d’un amour premièrement donné (cf. l’expression « de rien! »), la gratuité du créé. La cause première du bien nous excède, rappelle le philosophe Martin Steffens[7]. Notre générosité n’a pas un fondement moral, elle exprime « l’Etre profond des choses ». « C’est en quoi le serviteur atteint un degré de vie supérieur. Si le fond de l’être est générosité, servir c’est être davantage. Qui donne sa vie la gagne (Mc 8,35): cette phrase du Christ n’est pas une stratégie à adopter, voilée sous un paradoxe, c’est la vérité même de notre présence au monde. Si être, c’est être donné à soi, alors donner, c’est être à soi, c’est devenir partie prenante de la donation d’où l’on provient, c’est procréer ». Le philosophe en tire la conséquence: « Quiconque est capable d’une telle mise en perspective se libère de cette économie de soi qui, calculant ce qu’on donne pour ne pas se faire avoir, assèche l’individu, le racornit, l’appauvrit. »

Le don n’est pas à sens unique. Il est aussi accueil, reconnaissance, partage.

Le partage, le don et sa reconnaissance, ne sont donc pas une option mais l’accès à une vie réellement humaine. Raison pour laquelle Alain Caillé, dans le sillage de Marcel Mauss, en arrive à cette question: « Est-ce que donner, c’est autre chose en définitive que donner à l’autre la possibilité de donner à son tour? […] Bien évidemment tout sujet désire être reconnu mais être reconnu comme quoi? Être reconnu en dernière instance, je crois, comme un sujet qui « donne» quelque chose… »[8]. On voit bien le sentiment d’inutilité et de dévalorisation qui naît des situations de chômage ou d’incapacité physique. Le prendre-part à la vie sociale, le fait de pouvoir investir et donner quelque chose de soi aux autres est une dignité de l’individu, un droit sur lequel les sociétés doivent pouvoir veiller pour leur propre survie et croissance. Cette part de soi investie pour l’autre, les autres, c’est cela que l’on appelle gratuité, valeur sans prix ou infinie, valeur ultime qui échappera toujours à la marchandisation et qui pourtant est inscrite partout où l’humain s’investit.

Le don pour humaniser l’économie

Le dynamisme de la vie et du don sont à observer aujourd’hui notamment chez les jeunes générations. L’intuition de la gratuité et du collaboratif, du partage et du communautaire sont au cœur des pratiques des réseaux sociaux, du travail, du développement et de la consommation alternative. Ces pratiques bousculent l’idéologie main stream. L’épuisement du système, voire sa stérilité et son incapacité à garantir le bien commun, ouvrent la voie à d’autres manières de concevoir la vie, bref à l’expression d’une autre anthropologie et de nouveaux modes de vie. Remettre le don et la gratuité au centre, c’est remettre l’homme au centre de la vie et de l’activité humaine. C’est le principe adopté depuis plus de vingt ans par les tenants de l’économie de communion née du mouvement des Focolari de Chiara Lubich[9]. Plus de 800 entreprises ont choisi ce mode de fonctionnement fondé sur un axe double: d’une part la redistribution des profits selon une tri-partition (pour les pauvres, pour le développement de la structure, et pour la formation des personnes), et d’autre part, la création de structures de développement créatrices d’emplois. L’économie, le travail, peuvent aujourd’hui être ces lieux favorables, révélateurs et structurants d’une autre manière de vivre, plus gratuite et fraternelle: plus humaine.

Cette gratuité, nous l’avons vu, trouve en Dieu son origine. C’est aussi en lui qu’elle trouve sa finalité ultime, sa réalisation parfaite. C’est cela que nous célébrons dans l’eucharistie. Celle-ci est le mémorial d’un don originel, d’une parole toujours créatrice, appelant une réponse. Les oblats sont le signe de cette réponse. « L’offrande du pain et du vin ne sont pas que le symbole, mais le fidèle offre réellement sa vie, la part de sa vie incorporée dans son travail, elle-même incorporée, symbolisée dans le pain et le vin. […] L’offrande des fidèles dans le Christ est portée à sa perfection. En ce sens, si l’économie permet de constituer une communauté, c’est bien à travers la grâce de l’eucharistie. C’est ce qu’exprime la prière eucharistique: que nous soyons réunis en un seul corps. Avec l’extension à la multitude. Ainsi nous voyons que la participation des fidèles à l’eucharistie dominicale engage de manière très réelle nos vies et n’est pas séparée du reste de la semaine. Nous entrons ainsi dans ce qui se joue dans l’économie et dans l’eucharistie. Cela dépend de la reconnaissance de la communauté que nous formons.« [10]

Redécouvrir le don qui fonde nos communautés

Le mouvement de la vie nous ramène toujours à cette anthropologie belle et profonde de l’humain créé à l’image de Dieu dont la vocation est l’amour et le don qui en est l’acte. La communion des hommes est à l’image de la communion des personnes de la Trinité, don et communication. La communion humaine n’a pas d’autre sens que de rendre commun à tous ce bien qu’est l’amour dont nous sommes pétris et qui fait l’essentiel de notre existence en s’inscrivant dans les gestes du quotidien. Il y a urgence à reconnaître le don qui nous constitue. Et il y a urgence à le partager, « à sortir de nos zones de confort » (Message final de Diaconia), comme le dit le Pape François, « d’aller aux périphéries de l’Eglise et de la société« . Il en va du développement de nos sociétés, de nos communautés et des personnes qui les composent car « plus le bien est commun, plus il est particulier également: mien, tien, nôtre. Telle est la logique intrinsèque de l’existence dans le bien, dans la vérité et dans la charité« [11].

[1] cf. François FLAHAULT, « Pour une conception renouvelée du bien commun », Etudes 418-6 (Juin 2013) 773-783.

[2]    Cf. son ouvrage Autorité et bien commun, coll. Théologie, 5, Aubier, Paris, 1944.

[3]    Echec à la misère. Conférence à la Sorbonne faite le 1er juin 1983, Ed. Quart Monde, pp. 76-77.

[4]    Les pauvres, rencontre du vrai Dieu, p. 9.

[5]    « Vivre l’Evangile dans la famille », p. 30, cité dans La théologie de la filiation et universalité du salut. L’anthropologie théologique de Joseph Wresinski, Amaury Begasse de Dhaem, Cerf, Paris 2011, p. 399.

[6]    Voir le site web dédié: www.diaconia2013.fr

[7]    « De rien. Petite métaphysique du serviteur », dans Christus 237 (janvier 2013) 21-29.

[8]    Alain CAILLE, « Apologie et critique du don. Le don entre science sociale et psychanalyse. L’héritage de Mauss jusqu’à Lacan », Revue du MAUSS, 2006/1 n° 27, p. 76.

[9]    Voir le site web dédié: www.economie-de-communion.fr

[10]  Baudoin ROGER, communication au colloque « L’économie de communion: une utopie? », Université de Fribourg, 15 mai 2013.

[11]  JEAN-PAUL II, Lettre aux familles Gratissimam sane, 2.2.1994, n°10.

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Marie-Dominique MInassian

Marie-Dominique MInassian

Marie-Dominique Minassian est responsable de la formation permanente des agents pastoraux pour le canton de Fribourg (diocèse Lausanne, Genève et Fribourg) et assistante-docteure à la chaire de théologie morale fondamentale de l’Université de Fribourg. Elle est membre du comité de rédaction de la revue Sources.

 

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Un bien commun planétaire https://www.revue-sources.org/un-bien-commun-planetaire/ https://www.revue-sources.org/un-bien-commun-planetaire/#respond Tue, 01 Oct 2013 10:06:13 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=343 [print-me]

La tradition fait remonter la notion de bien commun à St Thomas d’Aquin ([1]) et parle alors d’un monde où la diversité d’opinions et de conceptions du bonheur était réduite. Il semblait naturel, qu’avec la raison et à la lumière de la foi, on sache ce qui était bien pour tous et que la gestion d’un état puisse être évaluée à l’aune de ce bien commun.

Avec le libéralisme et la multiplicité des points de vue et des manières de considérer ce qui est bien, le bien commun a laissé la place à l’intérêt général ou à l’optimum du marché. Le marché et les équilibres auxquels il conduit en termes de prix, de salaires et d’emplois, sont ainsi devenus ce qui définit sinon le bien du moins le mieux et cela permet d’exclure la réflexion éthique ou morale de l’analyse économique pour laisser jouer les seules lois du marché. L’intérêt général est ce qui résulte du « marché politique » où la majorité définit ce qui est à faire et l’impose comme étant le bien de tous, la bonne solution pour gérer un territoire.Le bonheur de tous et de chacun

Réinterroger la notion de bien commun pour penser l’économie et la société appartient surtout à la tradition de l’Enseignement social de l’Eglise catholique ([2]), même si, prenant en compte les crises induites par le libéralisme, certains auteurs ([3]) s’approprient cette approche pour proposer d’autres manières de gérer la société contemporaine. Pour la doctrine sociale de l’Eglise, viser le bien commun est une manière de rechercher le bonheur de tous ET de chacun et non l’un ou l’autre.

Parler de bien commun, c’est d’abord partir d’un point de vue critique sur l’intérêt individuel, non pour nier son existence ou sa force motrice, mais pour faire entendre d’autres logiques que celle de l’individu préoccupé de sa seule satisfaction au détriment de celles des autres, ou pour le moins sans prendre souci des autres. C’est faire entendre que la recherche du seul profit individuel ne conduit pas au bien de tous et que l’égoïsme n’est pas la meilleure façon de faire avancer la société. La concurrence entre égoïstes apparaît comme contre-productive et engendre des coûts humains qui sont non tolérables pour les tenants du bien commun.

L’approche de la société par le bien commun met l’accent sur les relations

Le bien commun conduit:

– à remettre en cause le droit absolu des multinationales de la foresterie qui déboisent systématiquement les forêts indonésiennes ou amazoniennes sans se soucier des impacts écologiques;
– à remettre en cause le droit des chasseurs (convention CITES) à détruire des espèces rares;
– à imposer des mécanismes de réduction des pollutions aux industries qui rejettent des eaux acides ou qui font courir des risques aux riverains;
– à contraindre les entreprises qui stockent des déchets dangereux à prendre des mesures de protection sur le long terme;
– à imposer des évaluations des impacts environnementaux et sociaux pour tous les grands projets.

et sur la nécessité de prendre en compte tous les humains, ou du moins de viser cet objectif. Le souci du bien commun conduit à ne pas se résigner à l’existence d’exclus. Le plus faible est celui à partir duquel il faut penser les stratégies économiques afin de l’inclure dans la dynamique sociale. Le bien commun a pour visée l’intégration et l’insertion du plus grand nombre, c’est en cela qu’il supporte des politiques de solidarité et de soutien social. C’est là sa référence éthique ou normative -la justice sociale- qui renverse les priorités d’une économie au service de quelques uns pour élargir la base des bénéficiaires de l’activité économique. Dans cette perspective, il est prioritaire de se préoccuper des inégalités et des relations sociales, tout en évitant des politiques d’assistanat qui constituent un risque réel. La notion de « subsidiarité », complément indispensable à celle de bien commun, insiste sur la responsabilisation de chacun et des niveaux les plus proches des personnes pour entrer dans la dynamique de la société.

Le corps social est prioritaire

Le bien commun conduit:

– à prendre en compte tous les share holders (parties prenantes) et non seulement les actionnaires (stake holders) dans l’évaluation d’une entreprise;
– à développer les volets environnementaux et sociaux dans les rapports des agences de notation boursières;
– à avoir le souci des conditions de vie des employés qui constituent la communauté de travail qu’est l’entreprise;

L’économie doit être enchâssée dans la dynamique personnelle et collective, elle doit être au service de l’humanité.

– à développer des plans de développement qui prennent en compte les ressources locales et les caractéristiques des territoires.

L’introduction de cette problématique du bien commun affirme la nécessité d’une régulation qui ne soit pas exclusivement ([4]) celle du marché et de la libre concurrence. S’il est déjà nécessaire de mettre de nombreuses règles publiques pour que fonctionne le

marché, il semble essentiel que soit affirmé que la société a des droits supérieurs à ceux des individus et que le corps social est prioritaire. Il ne s’agit pas de nier les droits de la personne (c’est la place de la subsidiarité) mais de reconnaître que les communautés humaines (du micro-local au planétaire) ont une priorité qui peut constituer une contrainte éthiquement juste (ce que contestent les tenants du minimalisme public et de l’ultra libéralisme) par rapport aux libertés ou aux lubies des individus.

Des biens au service des tous

C’est cette réflexion qui aujourd’hui est reprise dans le cadre des biens communs planétaires ou des biens patrimoniaux universels (Kaul, Hugon…). Ce sont des biens qui ne doivent pas entrer dans la logique du marché car ils sont au service de toute l’humanité et leur appropriation privée conduirait à faire peser une menace sur la Terre-Patrie (Morin) et sur l’humanité toute entière. C’est le cas de l’eau et de l’air, des pôles, des forêts… ([5]). La logique du marché ne semble pas capable d’assurer le long terme, la protection de l’environnement. Elle paraît être un mécanisme prédateur, écrasant les autres sphères ([6]) de la reconnaissance sociale qui permettent une vie digne et bonne à chacun et à tous. C’est sur cela que se fonde légitimement la responsabilité des Etats et de plus en plus le besoin d’un régulateur mondial (proposition qui est apparue pendant la crise financière). Ces autorités politiques ont en charge la construction du bien commun et sa protection contre les accaparements privés. La logique du bien commun introduit ainsi d’autres critères de performance et pas seulement ceux – caricaturaux – de la seule rentabilité financière d’un investissement.

Cette approche conduit à remettre l’économie à sa place dans la société et à ne pas en faire une sphère en soi, déconnectée de la réalité sociétale. L’économie doit être enchâssée ([7]) dans la dynamique personnelle et collective, elle doit être au service de l’humanité. Pour les tenants du bien commun, la sortie de crise ne viendra pas seulement de solutions et de techniques économiques, mais bien d’un projet où les valeurs de la société sont réaffirmées. L’économie n’est qu’un outil au service de ce projet. Le passage d’une économie libérale où domine l’intérêt privé à un autre type d’économie n’est pas aisé; ce passage requiert une reconquête du politique et de la démocratie sur les réalités sociales.

Cette perspective du bien commun est à la fois un appel à réintégrer « l’autre » dans les choix et à introduire une régulation éthique dans les politiques économiques. C’est là plus qu’un déplacement, c’est une autre manière de voir la place de l’économie non comme une forme de la mécanique sociale, mais comme un outil au service des personnes et de leur bien être individuel et collectif, leur bien vivre dans la communauté territoriale qui devient de plus en plus planétaire. C’est une perspective où les chrétiens, avec d’autres, ont à être acteurs.

[1]    Par des médiations d’Aristote, d’Albert le Grand… St Thomas réfléchit surtout à Dieu comme le Bien mais dans « de regno » (1265-67) il développe sa réflexion politique sur le bien commun.

[2]    Gaudium et spes n° 26; catéchisme de l’Eglise catholique (n° 1905-1912) et la plupart des textes du magistère traitant des sujets économiques et sociaux ou du développement.

[3]    Ce fut le cas dans les années 45-50 avec G. Fessard (Autorité et bien commun), J. Maritain (La personne et le bien commun) et L.J. Lebret (Découverte du bien commun). Dans la période plus récente, la réflexion porte surtout sur les biens communs (biens publics, patrimoine de l’humanité..) et la solidarité: Petrella, Houtart, Hugon, Stiglitz, Ostrom … Le thème « bien commun » est aussi repris dans les réflexions sur la construction européenne.

[4]    Voir « l’économie sociale de marché » que propose la COMECE (Commission des Episcopats de la Communauté Européenne).

[5]    La liste n’est pas précise et cela nuit à la promotion de ces biens. Il faudrait y ajouter les droits humains, la paix, la santé….

[6]    M. Walzer Sphères de justice, nouvelle édition, Seuil, 2013

[7]    K. Polanyi La grande transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard (1944) 1983

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Jean-Claude Lavigne

Jean-Claude Lavigne

Le frère dominicain Jean-Claude Lavigne, prieur du Couvent de l’Annonciation de Paris, est tout à la fois théologien et économiste. Il a fait ses classes à « Economie et Humanisme », centre de recherche et d’action fondé par le P. Joseph Lebret.

 

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La fonction soignante: composante du bien commun https://www.revue-sources.org/la-fonction-soignante-composante-du-bien-commun/ https://www.revue-sources.org/la-fonction-soignante-composante-du-bien-commun/#respond Tue, 01 Oct 2013 10:02:06 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=341 [print-me]

Jacques Maritain décrivait le bien commun comme « la bonne vie humaine de la multitude »[1]. Cette définition évite le piège d’un bien commun conçu comme une accumulation d’éléments matériels ou organisationnels qui seraient acquis par une communauté. Le bien commun c’est la vie même de la communauté. Il ne s’agit pas d’un état que cette communauté atteindrait, mais de quelque chose de continu, de sa vie qui se déploie encore et encore. Nous rejoignons là une définition que donnait St Augustin de la paix céleste: « jouir de Dieu et les uns des autres en Dieu »[2]. Un repos en Dieu, mais un repos actif, pourrions-nous dire, une jouissance, dit l’évêque d’Hippone, jouissance de Dieu, c’est-à-dire vie pleine avec lui, intégrés dans la dynamique de sa Vie, mais aussi avec et pour les autres pourrait-on dire avec Paul Ricœur.

Notre réflexion peut être alimentée par ces quelques considérations. Si le bien commun est à considérer comme la plénitude de vie d’une communauté, va alors en faire partie tout ce qui contribue à permettre le déploiement de cette vie. C’est là que nous rejoignons des considérations possibles sur la santé. En effet, si la vie de la communauté est plus que l’addition des vies individuelles, elle ne peut cependant pas faire l’économie de celles-ci. A l’horizon eschatologique décrit par le prophète Isaïe: « Il n’y aura plus de nourrisson emporté en quelques jours, ni de vieillard qui n’accomplisse pas ses jours » (65,20). La vie bonne de la multitude implique que chacun de ses membres vive pleinement. Et pour cela il est nécessaire que toute communauté qui veut bien vivre se préoccupe de la vie de chacun de ceux qui la composent. C’est ce que nous appellerons la fonction soignante de la communauté et qui fait nécessairement partie de la vie commune et qui contribue à ce que celle-ci puisse être dite « bonne ».

La santé: capacité de vivre comme personne

On a souvent défini la santé comme une absence de maladies. La présence de maladies chroniques, quasi ubiquitaires quand on avance en âge, rend cette définition trop restrictive, mais celle-ci est également questionnée par les exemples de personnes capables de surmonter une maladie ou un handicap et de mener malgré cela une vie pleine, de telle manière qu’on aurait de la peine à leur refuser le terme de santé.

En 1948, l’OMS a inversé la définition en disant que la santé n’est pas une absence de quelque chose, mais la présence de ce qu’elle a défini comme un « état de complet bien-être physique, mental et social« . A l’époque, on a salué ce mouvement de positivation de la notion (qui permet de passer conceptuellement de la lutte contre la maladie à la promotion de la santé) ainsi que le fait d’y inclure la dimension sociale et même quelques années plus tard, la dimension spirituelle. Cependant le but de l’existence est de vivre de la manière la plus pleine et non pas de se complaire dans un état statique[3]. La santé va alors être ce qui permet de déployer au mieux la dynamique d’une existence en vivant pleinement dans son corps et son psychisme, mais aussi en étant capable de s’inscrire dans des relations interpersonnelles et dans une ouverture et une disponibilité à l’au-delà de soi qui est le propre de la vie spirituelle.

« Le commun souci les uns des autres » (1Co 12,25)

Cette capacité de vivre, définissant la santé, est fragile. Elle est constamment soumise aux aléas d’une vie dans le monde matériel avec ses imperfections, ses accidents ou ses blessures. Il ne nous est pas possible d’avancer dans l’existence sans l’appui constant d’autrui, autrement dit sans des personnes qui prennent soin de nous. Prendre soin c’est bien comme on le conçoit habituellement, mettre des compétences professionnelles au service de la lutte contre la maladie qui empêche l’autre « d’accomplir ses jours ». Mais, d’une manière plus large, prendre soin c’est se soucier de la santé d’autrui, se soucier de sa capacité de déployer sa vie dans toutes les dimensions mentionnées plus haut. C’est le maintenir sur son chemin de vie.

Le prendre soin n’est pas un agir que des membres sains fourniraient à des membres malades de la communauté, mais un souci commun échangé les uns pour les autres

Or le souci pour l’autre se dit fondamentalement dans le cadre d’une avancée en commun, d’une histoire que nous écrivons ensemble. L’actualisation de la vie d’une personne ne peut se faire sans ceux qui marchent avec elle et réciproquement, l’actualisation de la vie de ces derniers, ne peut se faire sans la vie pleine de la personne avec qui elles cheminent. Dit d’une autre manière, le prendre soin n’est pas un agir que des membres sains fourniraient à des membres malades de la communauté, mais un souci commun échangé les uns pour les autres, un peu à l’image d’un groupe de randonneurs où, pour la réussite de la marche, la réussite de chacun est nécessaire. Nous rejoignons là une fonction importante que St Paul attribue au corps communautaire, celle du « commun souci les uns des autres » (1Co 12,25).

La fonction soignante

Cette référence paulinienne nous indique que, dans le prendre soin, nous n’avons pas affaire à une attitude optionnelle, occasionnellement observable quand certains membres de la communauté sont en difficultés, mais à une attitude structurante de toute communauté. Toute communauté vit du souci que ses membres ont pour la vie des autres. Le prendre soin est donc constitutif du rapport que les membres de la communauté entretiennent les uns avec les autres. Dans le même passage St Paul souligne cette structure et la rapporte à la volonté divine qui, dit-il, a « disposé » le corps communautaire de telle manière que se manifeste ce « commun souci les uns des autres » (1 Co 12,24-25).

C’est alors dans ce sens d’une tâche commune dont tous sont responsables et qui ne peut pas être déléguée en totalité que je parlerais de la présence d’une fonction soignante de la communauté. Cette fonction soignante fait partie nécessairement de la vie bonne du corps social, donc du bien commun. A partir de cette définition, on voit que la question n’est pas de savoir qui dans la société ou quelle communauté particulière (familles, professionnels, Etat …) va avoir la responsabilité du prendre soin, mais comment chacun des membres du corps social et chacune des communautés intermédiaires qui le composent vont exprimer cette fonction soignante tenant compte de leurs spécificités propres. Ce dernier point est important. La même fonction soignante va s’exprimer différemment dans la famille, dans l’Eglise, dans la communauté locale ou dans l’Etat parce que, dans chacune de ces communautés elle se déploiera dans les dimensions constitutives de leur bien propre.

[1] J. MARITAIN, La personne et le bien commun, coll. Oeuvres complètes, n° IX (167-237), Fribourg, Editions Universitaires Fribourg, 1990, p. 201.

[2] Cité de Dieu, 19,13

[3] Il faut rappeler qu’Aristote considérait le bonheur comme un acte et non pas comme un état.

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Thierry Collaud

Thierry Collaud

Thierry Collaud, médecin et théologien, est professeur de théologie morale à l’Université de Fribourg.

 

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Le bien commun dans l’Eglise universelle https://www.revue-sources.org/le-bien-commun-dans-leglise-universelle-missio-exemple-de-solidarite/ https://www.revue-sources.org/le-bien-commun-dans-leglise-universelle-missio-exemple-de-solidarite/#respond Tue, 01 Oct 2013 10:00:16 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=339 [print-me]

Nous nous trouvons à Neno, importante paroisse rurale au sud-ouest du Malawi. Rapidement, un dernier servant de messe se range parmi les autres, avant que le cortège n’atteigne le portail de l’église. En tête, des jeunes danseuses suivies des servants de messe qui précèdent le prêtre. Dans l’église, le chant enthousiaste d’une chorale les accueille. Les fidèles, debout, chantent avec le chœur en se balançant au rythme des chants. Le célébrant entre dans la danse, lui aussi.

Dieu aime celui qui donne avec joie

Cette célébration eucharistique reste gravée dans ma mémoire. Notamment à cause de ses collectes. Au moment de la préparation des offrandes, les fidèles avancent, rangée par rangée, et déposent quelques monnaies dans l’assiette prévue à cette intention. Entraînés par le chœur, ils s’approchent en chantant et dansant. On échange des regards, on se sourit. La quête se répète à trois reprises: la première pour la paroisse, la deuxième pour les besoins caritatifs et la troisième pour l’entretien du prêtre. « Dieu aime celui qui donne avec joie« , écrit l’apôtre Paul dans sa deuxième lettre aux Corinthiens (2 Co 9,7). C’est bien ce qui se passe ici, à Neno.

Tous participent

C’est ainsi que l’avant-dernier dimanche du mois d’octobre les fidèles de Neno déposent leur offrande dans l’assiette prévue. Mais ce dimanche-là, la quête est faite pour le fonds de solidarité universel de l’Eglise. C’est  la collecte du « Dimanche des Missions ». La somme récoltée n’est pas très importante si on la compare aaux collectes faites dans les pays riches. Cependant, l’offrande des fidèles de Neno fait d’eux des donateurs. C’est ce qui compte avant tout.

On peut estimer que le Dimanche des missions plus de cent millions de catholiques participent à ce fonds de solidarité.

L’an passé, dans 118 pays, les fidèles ont participé à cette collecte. Le résultat fut une surprise. Certes, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, la France, l’Australie, le Brésil, le Canada et les Etats-Unis continuent à donner beaucoup, grâce à de riches donateurs. Néanmoins, leur contribution a sensiblement diminué ces dernières années. En Afrique, c’est différent. Les résultats sont certes modestes, mais ils augmentent. Le Burkina Faso, par exemple, a triplé sa contribution depuis cinq ans pour arriver en 2012 à 173’000 euros. Le Nigeria récoltait la même année 360’000 euros, doublant ainsi sa contribution. Les apports des autres pays africains sont plus modestes. Mais ils ont quasiment doublé en cinq ans.

En Asie, la Corée du Sud avec 1,2 millions et l’Inde avec 2 millions de dollars font déjà partie des pays donateurs les plus importants. Ces deux pays récoltent ensemble deux à trois fois plus que l’Eglise de Suisse. L’Amérique Latine offre une image semblable. Ces chiffres montrent à l’évidence que la majorité des fidèles catholiques vit désormais dans les pays du Sud et de l’Est. L’Eglise est devenue vraiment universelle.

La solidarité n’est pas à sens unique

Le principe fondamental de « l’œuvre de la propagation de la foi », fondée en 1822 par la jeune Française Pauline Jaricot, est la solidarité. Les dictionnaires définissent la solidarité comme le sens d’appartenance à une communauté, ou comme le sens de la responsabilité pour une communauté. Ces définitions disent bien ce que l’Eglise aimerait susciter dans le cœur des fidèles. Enfants d’un seul Père (Rom 8,14), nous sommes reliés à Dieu, mais aussi les uns aux autres, comme frères et sœurs. La solidarité entre les hommes ne peut donc être à sens unique. Les riches ne sont pas les seuls concernés. Même les pauvres ont leur part dans ce partage. Ainsi, la collecte du Dimanche des missions fait de chaque fidèle un donateur et met un terme à la dépendance.

Les sommes récoltées par « Missio » dans les différents pays du monde sont réparties de manière aussi équitable que possible. Les bénéficiaires sont les communautés démunies et leurs projets. Plus de 1’100 Eglises locales en profitent chaque année.

Cette collecte est remarquable par le grand nombre de ses participants. Certes, il y a encore de très riches donateurs. Mais la proportion de petites et très petites offrandes déborde largement les apports de ces fortunés contributeurs. On peut estimer que le Dimanche des missions plus de cent millions de catholiques participent à ce fonds de solidarité. Leur volonté de contribuer au bien de l’Eglise vaut bien davantage que toutes les sommes récoltées ce jour-là.

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Le diacre Martin Brunner-Artho est directeur de « Missio » suisse, l’ « Œuvre de la Propagation de la foi », fondée au XIXème siècle par Pauline Jaricot, dans le but d’apporter une aide matérielle et spirituelle aux missionnaires européens œuvrant au-delà des mers.

 

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«Point d’Ancrage» https://www.revue-sources.org/point-dancrage-le-courage-de-la-foi-dans-notre-societe/ https://www.revue-sources.org/point-dancrage-le-courage-de-la-foi-dans-notre-societe/#respond Tue, 01 Oct 2013 09:58:41 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=337 [print-me]

André Gachet fut chargé par la délégation suisse au Colloque Européen des Paroisses (CEP)[1] de rédiger la contribution de son pays pour la rencontre de Malte, en juillet 2013. Nous publions la partie de son exposé consacrée à présenter « une expérience pastorale significative d’une paroisse » à Fribourg, appelée « Point d’Ancrage« . Les bénéficiaires en sont les demandeurs d’asile présents dans cette ville.

La Suisse et ses réfugiés

La Suisse est fière de sa tradition humanitaire séculaire, solidement enracinée. Toutefois, dans l’exercice de ces droits humanitaires, les Suisses, ou plus précisément certains d’entre eux, opèrent une subtile distinction dont le fondement éthique est contestable. Il y a les « bons » étrangers, ceux qui usent ou abusent des dispositions juridiques relatives au secret bancaire et autre blanchiment de fonds douteux. Discrets, ces étrangers sont généralement assez bien accueillis. Puis, les «autres» que l’on pourrait répartir en trois catégories: les travailleurs migrants, main d’œuvre dont les entreprises suisses ont grandement besoin, les réfugiés politiques, rescapés de régimes totalitaires, et les réfugiés économiques, nés sous les tropiques et qui parviennent en Suisse au terme de douloureuses péripéties ou par le truchement de passeurs sans scrupules. Ce sont ces personnes qui font problème, car peu « helvético-compatibles ».

Les Suisses –ou certains d’entre eux, hélas, de plus en plus nombreux – opèrent une subtile distinction dont le fondement éthique n’est pas très… catholique!

Les mouvements d’extrême-droite ont en effet réussi à rendre plus intransigeante la nouvelle loi sur l’asile et exercent une pression efficace sur le Gouvernement fédéral afin de mettre en application les « Modifications urgentes de la loi sur l’asile » acceptées en votation populaire le 9 juin 2013 par 78.4 % des votants et par l’unanimité des 26 Etats cantonaux qui forment la Confédération.

Des religieux et religieuses de Fribourg réagissent

Face à ce tour de vis juridique intolérable, dénoncé par les organisations de coopération et de solidarité, les syndicats, quelques partis politiques et les Eglises, le Groupe Romand des Instituts Missionnaires (GRIM) a réagi en 2001 déjà. Il s’agit d’une communauté de travail des ordres, congrégations religieuses et sociétés de vie apostolique qui ont notamment leurs lieux d’insertion dans les pays de l’hémisphère sud.

Dès 2008, un service d’accueil bénévole a été ouvert à l’ « Africanum » de Fribourg, maison provinciale de la « Société des Missionnaires d’Afrique » (Pères Blancs). Sise sur le territoire paroissial de St-Pierre, l’ »Africanum » a obtenu, d’une part, des autres Instituts missionnaires et, d’autre part, de la paroisse, un engagement non seulement moral mais financier d’un subside annuel. Chaque mercredi, à midi, un repas chaud (la nourriture étant fournie par des grandes surfaces et des commerces de la ville) est préparé et servi à quelques 90 requérants d’asile par des religieuses et religieux, auxquels viennent de s’adjoindre des laïcs. Ce même jour, l’après-midi, un religieux disponible pour un service d’écoute et un travailleur social pour traiter de questions juridiques accueillent ces personnes, sans distinction de religions, bien entendu. C’est l’occasion de lire, d’expliquer et commenter les courriers officiels reçus par les réfugiés, et qui leur sont souvent inintelligibles. A l’ « Africanum » toujours, des cours de langue française sont dispensés les mardis et jeudis. Sont également pris en compte les questions de santé, spécialement à l’intention des mamans, ainsi que les problèmes liés à l’éducation des enfants. Trente personnes environ, toutes bénévoles, forment ce « Point d’Ancrage », constitué en association juridique depuis 2011.

Seuls, quelques rares demandeurs d’asile pourront obtenir un permis de séjour. La plupart, déboutés par les Tribunaux administratifs, deviendront des « NEM » (Non Entrée en Matière) et seront renvoyés chez eux sans le précieux statut de réfugié politique tant convoité. « Point d’Ancrage » les aide à envisager sereinement leur échec, puis leur fournit un coup de pouce financier et matériel pour un retour – peu glorieux – dans leur pays .

Grâce à des quêtes organisées dans d’autres paroisses, l’Eglise locale, à travers le Vicariat épiscopal du Canton de Fribourg, soutient ces activités d’amour et de justice au service des plus démunis. « Point d’Ancrage » témoigne à sa manière de ce dogme inaliénable: « Il n’y a pas d’étrangers dans l’Eglise! ».

[1] Le CEP (Colloque Européen des Paroisses) est un rassemblement de militants de paroisses et communautés chrétiennes de la plupart des Etats d’Europe. Tous les deux ans, dans un pays différent, ces chrétiens se retrouvent. Forts de leur engagement pastoral, ils veulent, à partir de questions ecclésiales et sociales, partager des expériences et des idées de manière à collaborer à la construction d’une communauté de peuples européens. Le 28ème Colloque Européen des Paroisses se tiendra à Lisieux (France), du 5 au 10 juillet 2015. Pour en savoir plus: www.cep-europa.org

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André Gachet, de Genève, enseigne à Fribourg depuis de nombreuses années la Doctrine sociale de l’Eglise, d’abord à l’Ecole de la Foi (de Jacques Loew), puis à l’IFM (Institut Romand de Formation aux Ministères Laïcs).

 

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Un pour tous, tous pour un! https://www.revue-sources.org/un-pour-tous-tous-pour-un/ https://www.revue-sources.org/un-pour-tous-tous-pour-un/#respond Tue, 01 Oct 2013 00:00:52 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=999 [print-me]

« Bien commun… Bonum commune ». Abstractions insipides, sur nos bancs d’apprentis… scolastiques! Et pourtant, Dieu sait si la réalité nous était familière. Novice dans un Ordre mendiant, je devais mettre tout « en commun » ou, du moins, « au commun ». Y compris mes chemises qui pour être particulières n’en étaient pas moins conservées dans un local appelé « le commun ». Mais déjà de misérables subterfuges me permettaient de satisfaire mon intérêt privé, sans détrôner pour autant le bien général. Ainsi, j’écrivais en latin sur la page de garde de chacun de mes livres ces mots magiques: « ad usum » (à l’usage de…) suivi de mon nom. Le tour était joué. L’ouvrage pouvait dormir sur une travée de ma bibliothèque jusqu’à ce que mort s’en suive! J’aurais pu écrire aussi la même formule sur ma brosse à dents, autre bien commun « à mon usage » ou, plus tard, sur le capot de ma voiture. Chassez le naturel…

Eternel tiraillement entre la sphère sacrée de l’individu et l’intérêt général auquel il devrait sacrifier.

Eternel tiraillement entre la sphère sacrée de l’individu et l’intérêt général auquel il devrait sacrifier. Deux pôles au magnétisme inversé: la souveraineté absolue des droits individuels d’un côté et, de l’autre, l’hégémonie, voir le totalitarisme du bien collectif, représenté, selon les cas, par le couple, la famille, la société, la communauté, l’Etat, l’Eglise ou même par Dieu. Equilibre difficile à tenir et maintenir, si bien rendu par la devise helvétique célèbre: « Un pour tous, tous pour un ». Un programme d’ajustement quotidien répété et toujours corrigé.

Par chance, l’expérience sociale et la réflexion philosophique ont progressé depuis Aristote et ses émules médiévaux (Pardon, mes frères!). Nous ne comprenons plus le bien commun comme une idole lointaine, indifférente à notre sort particulier. Ou, pire, comme un Moloch prêt à nous dévorer. On se plaît aujourd’hui à le définir – lisez notre dossier! – comme un « vivre ensemble » où chacun devrait se retrouver heureux et satisfait. Une qualité de vie pour l’ensemble des humains.

Un tel état de grâce ne tombe pas du ciel, ni ne résulte des affres d’une révolution sanglante. Il est le fruit du don volontaire de chacune des composantes de notre humanité. C’est la capitalisation de ces dons gratuits, si minimes soient-ils, qui constitue le bien général, là où les plus démunis pourront puiser selon leurs besoins mais donner aussi le peu qu’ils peuvent offrir. Une révolution, bien sûr. Celle du cœur ou de l’Amour.

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