Engagement. Risques, peurs, joies – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 03 Jan 2017 15:18:54 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Engagé ou compromis? https://www.revue-sources.org/engage-ou-compromis/ https://www.revue-sources.org/engage-ou-compromis/#respond Thu, 01 Jan 2015 17:46:00 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=696 [print-me]

Au monde des curiosités linguistiques, je me suis souvent étonné du sens du mot espagnol «compromiso» que l’on traduit en français par «engagement» et non pas par «compromis», qui serait plus logique, compte tenu de la proximité phonétique des deux expressions. Mais cette traduction paresseuse aurait généré un sérieux contresens.

Et pourtant… Il y a tellement d’engagements qui prennent la forme d’un compromis. Ceux qui ont été longuement négociés, assortis de conditions dirimantes, comme si la crainte de signer un chèque en blanc ou parapher un contrat sans qu’il ne soit relu jusqu’à sa dernière ligne nous prenait à la gorge ou aux entrailles. En général, les humains refusent de sauter sans filet. Comme au cirque, du reste!

Dans la dernière livraison de «Sources», un lecteur semblait affirmer que la restriction mentale n’était pas rare lors de l’échange de ce fameux «oui pour la vie » proclamé sous les voûtes d’une église ou les lambris d’une mairie. On pourrait peut-être en dire autant des diverses formes d’engagement religieux, si les acteurs acceptaient de s’exprimer en toute franchise et liberté.

On veut bien promettre d’aller jusqu’au bout de la route, mais à condition de pouvoir rebrousser chemin en cas de force majeure.

Mais alors, que resterait-il de l’authenticité d’un serment juré? Un mariage, on le sait, est déclaré nul s’il a été contracté sous condition et Jésus n’accepte pas à sa suite un disciple qui négocie préalablement sa disponibilité. Conflit entre idéal et réalisme. Entre absolu et compromis. On veut bien promettre d’aller jusqu’au bout de la route, mais à condition de pouvoir rebrousser chemin en cas de force majeure.

L’expression «compromiso» pourrait aussi évoquer un autre faux frère francophone du mot castillan: la «compromission», une attitude voisine de l’«engagement ». Se compromettre c’est entrer malgré tout et même à son corps défendant dans un processus tenu d’abord à l’écart de ses perspectives. Un demi engagement en quelque sorte. Une velléité, plutôt qu’une décision vraiment volontaire. J’ai l’humilité de penser que la plupart de nos engagements pompeux et solennels se situent en fait à ce modeste niveau. Nous entrons peu à peu, sans bruit excessif, dans une logique du don de soi, dont nous mesurons progressivement l’exigence, mais aussi la joie. Il nous arrive ainsi de faire un jour le saut périlleux que nous redoutons aujourd’hui.

J’en donne deux illustrations. La première inspirée par le quatrième évangile. Quand Jésus avertit ses disciples qu’il va partir en Judée pour réveiller de la mort son ami Lazare, Thomas, d’abord horrifié par la perspective de ce voyage suicidaire, finit par se rendre et s’écrie: «Allons nous aussi et nous mourrons avec lui!». J’emprunte la seconde image aux Carmélites de Compiègne dont Bernanos a narré le martyre. La plus jeune fut aussi la dernière à monter à l’échafaud. De longs jours d’atermoiements, de peurs et de fuite précédèrent son sacrifice. Et cela, malgré ses vœux prononcés un jour d’euphorie.

Il faut du temps et beaucoup d’amour pour qu’un «oui» déclaré puisse éclore en force et en lumière. Il en faut tout autant pour qu’un compromis négocié devienne un inconditionnel engagement.

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L’engagement passe par le dégagement https://www.revue-sources.org/lengagement-passe-degagement/ https://www.revue-sources.org/lengagement-passe-degagement/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:31:08 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=229 [print-me]

L’engagement fait peur aujourd’hui. Notre faiblesse nous prend à la gorge devant le pas à faire pour sceller un engagement, et surtout un engagement de vie et à vie. La Parole de Dieu peut-elle nous aider à y voir plus clair et à marcher d’un pas plus ferme?

Ce recours est non seulement louable, il est nécessaire, à une condition pourtant: ne pas s’attendre à trouver dans la Bible des recettes de « prêt à porter ». En revanche, le livre des Ecritures est éclairant dans la mesure où il rassemble, de la Genèse à l’Apocalypse, des trajectoires de personnes et de nations, de pécheurs et de saints pour notre instruction. Les quelques lignes qui vont suivre relèvent d’un choix, du regard du rédacteur de cet article qui est frappé une fois de plus par le visage de notre Dieu, aussi déconcertant qu’engageant!

Un MaÎtre exigeant

On se souvient de l’enseignement de Jésus sur la fidélité à notre parole: « Que votre langage soit: « Oui? Oui », « Non? Non » (Mt 5,37). S. Paul, une fois configuré au Christ, peut écrire aux Corinthiens: « Aussi vrai que Dieu est fidèle, notre langage avec vous n’est pas oui et non. Car le Fils de Dieu, le Christ Jésus que nous avons proclamé parmi vous Silvain, Timothée et moi, n’a pas été oui et non; il n’y a eu que oui en lui. » (2Co 1,18-19). C’est pourquoi Paul précise ensuite que c’est par le Christ que nous disons « l’Amen » à Dieu pour sa gloire. Quant à Jean de Patmos, il donne au Christ ce beau nom: « Ainsi parle l’Amen, le Témoin fidèle et vrai » (Ap 3,14).

Le croyant est donc invité à tenir sa parole, à s’appuyer sur le Christ, à s’engager à sa suite.

Rappelons que ce petit mot AMEN qui conclut nos oraisons évoque en hébreu la solidité et la fiabilité. Dire « je crois – Amen », c’est dire: je puis m’appuyer sur Celui qui me porte et m’assure. C’est évoquer à la fois la solidité du roc sur lequel on peut se fonder, mais aussi la sécurité perçue par l’enfant porté sur les bras de sa mère ou de son père. Le croyant est donc invité à tenir sa parole, à s’appuyer sur le Christ, à s’engager à sa suite. Certes, mais c’est là que le panorama biblique réserve quelque surprise. Le témoignage à rendre au Christ ne relève pas que de la fermeté, de la conviction: le fanatique ne manque ni de l’une ni de l’autre. Qu’est-ce qui va distinguer le croyant disciple du Dieu d’Israël et de Jésus de Nazareth?

Généreux mais éconduits

Les évangiles ne manquent pas de portraits d’êtres magnanimes, séduits par le Christ et prêts à le suivre, du moins le pensent-ils. A un scribe généreux qui venait de lui promettre: « Maître, je te suivrai où que tu ailles » (cf. Mt 8,18-22), Jésus précise que ce sera exigeant de suivre un Maître qui n’a pas où reposer la tête. Et au disciple qui, dans la foulée, lui disait sa disponibilité tout en lui demandant de pouvoir aller enterrer son père (une des obligations les plus impérieuses et les plus nobles), Jésus rappelait que sa suite requiert une disponibilité dépassant tous les autres liens. Pas très engageant, le Maître…

Une messe, même présidée par le Seigneur, ne convertit pas en un instant l’apôtre fanfaron.

Rappelons-nous également la fougue de Pierre, le premier des apôtres. Aussitôt après avoir partagé avec ses disciples le dernier repas, celui de l’institution de l’eucharistie, Jésus leur annonce que tous, ils vont succomber à cause de lui, cette nuit même, tout en leur faisant entrevoir la victoire de sa résurrection. « Prenant la parole, Pierre lui dit: Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais. » (Mt 26,33). Comme quoi, une messe, même présidée par le Seigneur, ne convertit pas en un instant l’apôtre fanfaron. Un coq sera chargé de le rendre plus réaliste!

Autre scène tragicomique: après la troisième annonce de la Passion, alors que Jésus une fois de plus tente de préparer les disciples à la terrible épreuve de son agonie et de sa mort sur la croix, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, font part à leur Maître du désir qui les habite: « accorde-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire » (Mc 10,37). Comme quoi, une catéchèse prolongée donnée par le Seigneur lui-même ne change pas non plus en un instant des apôtres encore gros-grain et très terre-à-terre.

Jésus tente bien de leur faire prendre un peu de hauteur ou, si l’on préfère, de profondeur, et de les mettre à sa suite: « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire et être baptisés du baptême dont je vais être baptisé? » Ils lui dirent: « Nous le pouvons. » Les dix autres qui avaient entendu se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean, nous rapporte S. Marc.

Et Jésus de reprendre la formation permanente de ses proches: le Fils de l’Homme n’est pas venu pour régner, pour dominer, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. Le décalage paraît tellement grand entre ce que Jésus essaie de faire partager à ses disciples et ce qu’ils en comprennent… L’évangéliste Marc nous le fait percevoir en insérant ici une guérison d’aveugle, à la sortie de Jéricho. L’aveugle était « au bord du chemin ». C’est seulement une fois guéri par Jésus, qu’il peut suivre Jésus SUR le chemin (Mc 10,46-52).

Serait-il si difficile de libérer les hommes? Ni la force ni la parole ne semblent y parvenir.

Nous voilà prêts à accueillir un des traits marquants de l’expérience spirituelle d’Israël et de l’enseignement à la suite du Christ: c’est moins la force et la vigueur qui comptent que l’amour pour notre Dieu, la conscience de notre faiblesse et l’appel à la rescousse pour que notre engagement soit possible et ensuite fidèle: « Seigneur, viens à mon aide ». Dans les fameuses Lettres aux Eglises d’Asie qui ouvrent l’Apocalypse, le Christ glorieux s’adresse à sept communautés, sorte de microcosme pour toute l’Eglise (7, comme 12, sont des chiffres de l’universel dans l’Ecriture). A l’Eglise d’Ephèse, le Christ reconnaît un engagement courageux: « je connais ta conduite, tes labeurs et ta constance » (Ap 2,2): que demander de plus? Et pourtant ce qui suit est instructif: « Tu as de la constance. N’as-tu pas souffert pour mon nom, sans te lasser? Mais j’ai contre toi que tu as perdu ton amour d’antan. » (Ap 2,3-4).

Appelé et dérouté

La question n’est donc pas seulement celle de l’engagement, mais d’abord et surtout celle du comment de cet engagement. J’ai retenu quelques scènes de l’Ancien Testament où la logique déconcertante de Dieu se donne à connaître.

Tout d’abord l’appel d’Abraham: cette scène ouvre l’histoire du salut, elle est donc programmatique et mérite la plus grande attention. Le premier mot vaut programme: « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père et va vers le pays que je te montrerai. » (Gn 12,1). L’homme qui entend cet appel se doit d’être dégagé, libéré d’attaches trop humaines, pas seulement au niveau familial, national, culturel mais aussi au niveau intellectuel. « Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes voies ne sont pas vos voies » rappelle le Seigneur (Is 55,8). C’est pourquoi l’entrée en obéissance, la mise à disposition du croyant commence non par un engagement mais par un dégagement: « Quitte ».

Appelé et détourné

De l’histoire de Moïse, je retiens une autre scène devenue emblématique: celle de sa vocation dans le désert, à la montagne de Dieu, l’Horeb. Le Seigneur lui apparaît dans une flamme de feu au milieu d’un buisson qui, bien qu’embrasé, ne se consumait pas. « Moïse dit: ‘Je vais faire un détour pour voir cet étrange spectacle, et pourquoi le buisson ne se consume pas.’ Yahvé vit qu’il faisait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson. » (Ex 3,3).

Un départ, un détour, une écoute: autant de conditions pour qu’un engagement au service d’un Dieu libérateur et ami des hommes ne soit pas qu’une divinisation de nos énergies naturelles.

Notez l’insistance du rédacteur: non seulement Moïse fait un détour, quitte son chemin pour s’approcher du buisson, mais le Seigneur lui-même prend en compte ce détour et alors l’appelle et lui révèle son Nom. Celui qui va être appelé et envoyé, commence par être dérouté. Il lui faudra ensuite entendre et accueillir la révélation du Nom, la solidarité de Dieu avec son peuple opprimé et enfin sa mission de libérateur.

La scène se laisse résumer en quelques mots impressionnants: « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu son cri, je suis descendu… maintenant je t’envoie: va. » A la surprise incrédule de Moïse répond une promesse: « Je serai avec toi ». Cette vocation prend d’autant plus de relief que l’on se souvient d’un premier « engagement » de Moïse devant l’oppression de ses frères sous la férule égyptienne. Témoin d’une scène de violence – un Egyptien qui frappait un Hébreu – Moïse tua l’Egyptien; le lendemain c’est par le dialogue qu’il essaya de ramener à la raison deux Hébreux qui se battaient. Econduit, il ne lui reste que la fuite. Serait-il si difficile de libérer les hommes? Ni la force ni la parole ne semblent y parvenir. Mais cette fois c’est le Seigneur qui va prendre l’initiative, dérouter Moïse pour finalement le fidéliser sur une autre logique, celle de son Dieu.

Appelé à écouter

L’appel à l’engagement au service de Dieu prend encore une autre figure dans la vocation du jeune Samuel. Après le « départ » avec Abraham, et après un « détour » avec Moïse, c’est maintenant l’oreille qui est sollicitée.

Un maître juif ou un philosophe grec auraient intimé: « étudie ». Le Rabbi de Nazareth détonne et étonne: « suis-moi ».

On connaît la scène. Le prêtre Eli servait Dieu au temple, il y logeait et avait près de lui le jeune Samuel. Le rédacteur précise qu’en ce temps-là « il était rare que Yahvé parlât, les visions n’étaient pas fréquentes » (1Sm 3,1). Faute d’être très mystique, et devant la discrétion du Seigneur, le prêtre Eli s’était reconverti en brave fonctionnaire du culte. Lorsque le Seigneur appelle Samuel, en pleine nuit, et que celui-ci répond « me voici » et se précipite vers le prêtre, croyant que ce dernier l’avait appelé, il s’entend répondre: « je ne t’ai pas appelé, retourne te coucher », et cela une première fois, puis une seconde fois. La troisième fois, Eli finit par se douter que c’est peut-être bien le Seigneur qui est en train de se manifester à son jeune stagiaire. « Alors il dit à Samuel: Va te coucher, et si on t’appelle, tu diras: Parle, Yahvé, car ton serviteur écoute » (3,9).

On pourrait traduire plus finement: parle, Seigneur, car ton serviteur est en état d’écoute. Le jeune Samuel était disponible mais pas encore formé à l’écoute: « Samuel ne connaissait pas encore Yahvé et la parole de Yahvé ne lui avait pas encore été révélée. » (3,7). Le vieux prêtre, pourtant homme d’expérience, blanchi sous le harnais, n’a pas eu besoin de moins de trois appels pour qu’il en vienne à accepter que le Seigneur lui-même pouvait se manifester et surtout appeler un plus jeune.

Un départ, un détour, une écoute: autant de conditions pour qu’un engagement au service d’un Dieu libérateur et ami des hommes ne soit pas qu’une divinisation de nos énergies naturelles. Un tel engagement nous ressemblerait de trop et ne contribuerait pas toujours à l’émergence d’un monde nouveau.

Reste à entendre l’appel du Maître: « Suis-moi ». C’est ainsi que Jésus interpelle ses premiers disciples. Un maître juif ou un philosophe grec auraient intimé: « étudie ». Le Rabbi de Nazareth détonne et étonne: « suis-moi », mobilise à la fois une liberté et l’appelle concrètement. Jésus invite le disciple à mettre ses pas dans ceux du Maître, jour après jour, en tâchant de lui ressembler. Et non pas seulement intellectuellement mais pratiquement, avec un souci concret et vérifié du service du prochain. Non pas défendre ou servir une cause, fût-elle chrétienne – les idéologies même chrétiennes n’en demeurent pas moins idéologies et souvent meurtrières – mais apprendre à devenir serviteur à l’image du Serviteur.

Le testament de Jésus au soir du Jeudi Saint oriente toutes les formations à l’engagement: « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son maître ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé. Sachant cela, heureux êtes-vous si vous le faites. » (Jn 13,14-17).

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Jean-Michel Poffet, frère dominicain suisse, prieur du couvent St Hyacinthe de Fribourg, fut directeur de l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem. Il est membre de l’équipe rédactionnelle de « Sources ».

 

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Engagez-vous qu’ils disaient! https://www.revue-sources.org/engagez-vous-quils-disaient-1/ https://www.revue-sources.org/engagez-vous-quils-disaient-1/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:28:12 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=227 [print-me]

Un jour nous avons dit un oui concret et durable à un conjoint, à l’accueil d’un enfant, à un engagement professionnel, au besoin de nos proches ou de nos frères en solidarité, à Dieu à travers des vœux. En des temps marqués par l’aléatoire n’est-ce pas folie?

Fortement impliquée depuis bientôt vingt ans dans la création d’une association en Arménie, qui a pour but d’aider les jeunes à rester dans leur pays malgré crises et chômage, je suis partie de cette expérience personnelle pour tenter de cerner – ou plutôt de discerner – quelques éléments constitutifs de tout engagement, au-delà de la diversité des contenus et des formes.

Au moment de nous mettre en route qu’est-ce qui nous meut ou nous émeut? Quelles pistes ensuite, pour ne pas quitter notre poste? En définitive, une référence de foi nous apporte-t-elle un nouvel éclairage, en particulier pour concilier fragilité et durabilité?

Nous mettre en route

Que s’est-il passé au moment clef où nous avons pris notre décision?

D’aucuns, avec quelque humour, vous expliqueront qu’ils se sont munis d’une grande feuille de papier, sur laquelle ils ont noté les bonnes et mauvaises raisons de se lancer, avant de conclure que c’était possible. Une façon sans doute de se justifier; mais a posteriori, car les vrais motifs, nous le savons bien, sont en amont. Ou plus exactement, ils sont de l’ordre du cœur, avant que de l’être de la raison.

Nous sommes mus parce que nous sommes émus à la jointure de notre être.

C’est patent chez les militants. Quel que soit leur cause, de la jeune pucelle Jeanne d’Arc au révolutionnaire Che Guevara ou au nonagénaire Hessel, auteur du pamphlet « Indignez-vous », tous ont remué ciel et terre parce qu’ils ont été profondément blessés par l’injustice ou la misère. Coup de coeur préparé en général par des années de sensibilisation ou d’humiliation souterraine. Avant qu’un événement, fût-il minime, précipite la décision: « Non ce n’est plus possible, il faut agir! »

La décision est certes moins impérieuse chez la plupart, mais ne relève-t-elle pas toujours d’un long cheminement intérieur? Pour moi, ce fut une histoire de famille qui m’avait sensibilisée à mon insu à la tragédie du peuple arménien. Des traces discrètes mais parlantes, des livres, des revues qui traînaient sur une table durant toute mon enfance sans que je n’y comprenne mot, vu la langue et l’alphabet. Des lettres aussi héritées de mon grand père mort bien avant ma naissance, mais qui attestaient de son engagement pour son peuple. Et puis l’évidence lors d’un voyage en 1997 dans la jeune République d’Arménie, à la vue du contraste entre la richesse culturelle et la misère matérielle de tout un peuple brisé par tremblements de terre, conflits et crise économique.

Oui, il fallait faire quelque chose, me suis-je dit avec les autres présents, tout en ne sachant pas encore exactement quoi… De manière analogue les amoureux, tout comme les fous de Dieu diront simplement parce que c’était elle, parce que c’était lui ou Lui, mais refuseront, à juste titre, de détailler. Joie, joie, pleurs de joie, écrit Pascal dans son mémorial suite à sa conversion. Bref nous sommes mus parce que nous sommes émus à la jointure de notre être. Avec l’aimé dans le couple, avec quelques-uns ou beaucoup d’autres dans l’engagement politique et social, voire avec le Tout Autre dont nous découvrons l’appel.

Ne pas quitter son poste

Après le choc ou l’illumination, la joie des fiançailles et les départs en fanfare, comment taire les crises – ou, pire, la grisaille – de la vie quotidienne, du terrain, du cloître? C’est donc à cela que mène notre enthousiasme initial: la platitude d’une vie monotone, des chicanes sans fin, une absence d’horizons? Que de coup de blues, avant de tenter de se motiver à nouveau en se plongeant dans les souvenirs, les photos. La mariée était si belle, les adieux si glorieux, la fête si chaleureuse. Vient à l’esprit une chanson: « Quand un soldat s’en va-t- en guerre il a dans sa musette un bâton de maréchal. Quand un soldat revient de guerre, il a dans sa musette un peu de linge sale et puis voilà ! »

C’est donc à cela que mène notre enthousiasme initial: la platitude d’une vie monotone?

Remises en questions réelles que nous ne pouvons pas escamoter. D’autant qu’elles sont souvent accompagnées des multiples regards négatifs que nos proches nous jettent, sous couvert de prétendre nous comprendre: « Pourquoi t’es-tu engagé? Pour résoudre un problème, parce que tu n’étais pas bien dans ta peau, que tu as eu un chagrin d’amour? » 

Réaction de la personne visée: « A quel titre vous permettez-vous de soupeser mes motivations, conscientes et inconscientes, alors que moi-même je vais de l’avant sans toujours me poser toutes ces questions, portée par un élan qui vient d’ailleurs? » Et même si la question visait juste, Boris Cyrulnik, en compagnie de bien d’autres, nous rappelle l’importance de la résilience, cette capacité de rebondir à partir de nos fragilités.

Le regard pointu d’autrui peut toutefois nous interpeller. Notre engagement ne doit pas grignoter toute notre vie, nous envahir et nous couper des autres. Il est évident qu’au début – et c’est valable pour un couple comme pour un départ en mission ou un démarrage professionnel important – chacun se donne à fond, quitte à négliger tous les autres réseaux. Acceptable si c’est provisoire, mais discutable quand, au fil des années, tous les liens se dénouent. Et au final doublement regrettable: à la fois pour la personne qui se coupe ainsi, et pour ceux qui ne peuvent pas s’ouvrir à ce qu’elle vit.

Qui songe encore à se marier?

Ringard le mariage? Réaction curieuse, alors que ceux qui ne peuvent pas se marier le revendiquent tellement ! Il faut bien croire que le mariage demeure une perspective qui fait envie! Mais, en même temps, alors que la durée de vie a doublé depuis un siècle, on peut comprendre qu’un tel engagement requière des qualités redoublées et redoutables, à commencer par la volonté de remettre sans cesse le travail sur le métier, sans se gargariser d’idéaux.

Viser un idéal?

Une nécessité ou une plaie? D’un côté les grandes utopies de mai 68, ayant montré leurs limites, ont cédé la place à un repli identitaire qui tue l’esprit de solidarité et l’ouverture à autrui. Que d’associations ou communautés peinent à trouver une relève!

Allons-nous nous laisser enrôler au risque de ne plus exister personnellement?

Mais, de l’autre côté, il est difficile de nier que le besoin de s’impliquer fortement perdure, quitte à changer de cible: sports extrêmes, embrigadement dans des mouvements sectaires, sinon suicidaires… D’où l’hésitation légitime: allons-nous nous laisser enrôler au risque de ne plus exister personnellement? Comment accepter un carcan qui nous prive de notre capacité de choix? Des siècles d’histoire attestent que le risque est réel et que même aujourd’hui il n’est pas toujours facile d’être reconnu comme personne au-delà de notre fonction. Mais relevons aussi d’indéniables progrès: dans nos sociétés démocratiques l’idéal visé se profile moins comme un donné figé que comme une perspective à construire, dans l’échange et le partage, compte tenu des moyens du bord, changeants et aléatoires. Pour concilier la beauté du but avec les turbulences des moyens, l’utopie avec la réalité mouvante du terrain.

Dans dix ans, tout aura changé!

L’argument est central. Il est bien risqué de s’engager, et à fortiori pour toute une vie, alors que les centenaires se multiplient. S’engager dans un monde qui se transforme à un rythme forcené? Il ne faut donc pas s’embarquer tête baissée. Si je vise le long terme, suis-je garant de la durée? Les contenus, les méthodes, voire les objectifs ne seront-ils pas rapidement remis en question?

Le couple que nous songeons à former se donne-t-il d’emblée l’espace et les outils requis pour rebondir dans les turbulences qui l’affecteront nécessairement? Saint-Exupéry suggérait de regarder ensemble dans la même direction. Et si la direction était brumeuse voire changeante, accepterions-nous de faire nôtre cette belle phrase de Machado: « La route se fait en marchant »? Comprenez: ce qui nous lie, c’est notre dynamisme, notre faculté de rebond, nos valeurs plus que la nécessité d’atteindre un objectif vite dépassé.

Une fois admis que les besoins évoluent énormément, l’essentiel est de maintenir le cap sur quelques orientations majeures, énoncées par exemple dans une charte.

Il en est de même dans la coopération ou l’engagement social. Une fois admis que les besoins évoluent énormément, l’essentiel est de maintenir le cap sur quelques orientations majeures, énoncées par exemple dans une charte. Et, pour le reste, s’adapter aux conditions du terrain afin d’éviter un comportement néo-colonialiste, peu respectueux des individus.

Beaucoup de congrégations religieuses vivent de nos jours des tournants majeurs faute de nouvelles vocations. J’admire celles qui anticipent et prennent des décisions positives, sans sacrifier les personnes aux structures. Il en va de même de nos communautés paroissiales dont la vocation première devrait être de traduire pour le plus grand nombre et sans nostalgie une bonne nouvelle permanente en termes actuels.

Les choses vont-elles continuer sans moi?

Que se passerait-il si nous venions à manquer? Aussi paradoxal que cela puisse être, nous devons à la fois nous engager à fond et ne jamais perdre de vue que nous ne sommes pas indispensables. Mettons-nous tout en œuvre pour que ce que nous avons échafaudé continue sans nous? Prenons-nous conscience que les besoins ont évolué? D’autres sont mieux équipés que nous pour y répondre.

Ceci postule un réel discernement pour éviter deux écueils corollaires. Tout d’abord, celui de nous identifier tellement à notre cause que nous n’existons plus en tant que personne. Non sans conséquences néfastes: l’infarctus du jeune retraité tellement donné à son travail qu’il a perdu toute autre raison de vivre, sans parler des divorces parce que le travail a mis à mal les relations ou les loisirs. Le deuxième écueil est de papillonner de cible en cible, parce que rien ne mérite qu’on s’y arrête et que l’éternité est inatteignable. Alors qu’un instant vrai est une minute d’éternité !

Au nom de Dieu ou au nom de l’homme?

Je pressens une question: est-ce qu’un engagement au nom du Christ diffère d’un engagement pour l’homme? Je serais tentée de répondre à la fois par non et par oui.

Non, car la vie du Christ atteste d’une immense foi en l’homme et en sa capacité de vie. Trop de discours pieux ont tenté d’opposer l’appel de Dieu à l’engagement pour l’homme, en prétextant que nous devrions choisir pour ne pas avoir un cœur partagé. Or le Christ manifeste une incroyable confiance à autrui, à commencer par les plus démunis, les enfants, les femmes mises à l’écart, les étrangers, tout en se référant constamment à son Père, source vive: « Si tu savais le don de Dieu… » Dieu ne s’est pas incarné pour diviser l’homme, mais pour le diviniser, au nom de l’amour, de la justice, de la solidarité.

Il s’agit de nous engager à fond tout en sachant que notre œuvre ne nous appartient pas. Voire, d’accepter qu’elle puisse changer, sinon disparaître.

Oui, car l’Evangile nous offre de magnifiques ouvertures trinitaires pour éviter les pièges évoqués plus haut entre idéalisme désincarné et positivisme aveugle. C’est le Père qui nous a appelés et nous a dotés des charismes requis pour accomplir notre tâche. A nous d’y répondre sans atermoiements, et sans nous en vanter, puisque nous ne sommes que des intermédiaires qui gérons nos talents. Dans un esprit de liberté et d’audace, pour imaginer des sentes audacieuses: N’ayez pas peur, vous les enfants de Dieu !

Comme celle du Fils notre mission est incarnée, tributaire de mille limites. Dans le temps, dans l’espace, compte tenu de nos capacités physiques, intellectuelles, affectives. Il s’agit de nous engager à fond tout en sachant que notre œuvre ne nous appartient pas. Voire, d’accepter qu’elle puisse changer, sinon disparaître. Bref d’assumer cette dynamique du provisoire dont frère Roger ressentit l’impérieuse nécessité, au sortir de la deuxième guerre mondiale, que nos cathédrales deviennent des tentes, qui hébergent pour une halte bénéfique tous les nomades de la terre.

Finalement, nous ouvrir à l’Esprit pour passer joyeusement la main quand cela s’impose. Il nous prête souffle pour affronter les changements qui nous affectent. Savons-nous lire les signes du temps, qui nous invitent tantôt à foncer, tantôt à nous mettre en retrait? Pas facile de laisser partir nos enfants de chair ou de cœur. Mais nous avons mieux à faire que pleurer en nous retirant. Soyons des appelants. Que d’autres adviennent dans le souffle de l’Esprit. Démarche libératrice pour nous et pour ceux que nous invitons à continuer notre oeuvre, fût-ce autrement. Devenons des passeurs, fidèles, mais sans fidéisme. Notre engagement fait-il de nous de farouches gardiens du poste ou d’audacieux pisteurs de vie?

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Monique Bondolfi

Monique Bondolfi

Monique Bondolfi-Masraff est enseignante à l’Atelier Œcuménique de Théologie de Genève et responsable de projets de développement en Arménie. Elle est également membre de l’équipe rédactionnelle de « Sources ».

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Je suis à quelques semaines de ma retraite civile et le hasard d’un dossier de « Sources » sur l’engagement m’invite à m’arrêter quelques instants pour décoder une aventure professionnelle vécue au cœur de ma vocation religieuse.

Dominicain à 49 ans!

Tout d’abord quelques éléments pour contextualiser mon propos. J’entre dans la vie religieuse dominicaine à 49 ans, abandonnant une activité professionnelle dans le monde de la santé. Je démissionne donc. Après une année de noviciat, mon ancien employeur [1. L’Institut et Haute Ecole de la santé La Source (Lausanne)] qui était venu assister à ma prise d’habit me demande si je ne veux pas reprendre mon activité professionnelle avec un pourcentage adapté et compatible avec des études de théologie que je devais entreprendre à l’université de Fribourg.

La question était audacieuse et la réponse ne dépendait plus de moi. Le Provincial [2. Nom que l’on donne pour désigner le supérieur d’une province dominicaine.] fut favorable et en perçut probablement les bénéfices à moyen et long terme.

Je m’attendais à « devoir tout quitter » et me voilà à nouveau « réengagé » dans une activité civile.

Je venais de m’engager dans la vie religieuse pour trois ans avant mes vœux définitifs. Je m’attendais à « devoir tout quitter » et me voilà à nouveau « réengagé » dans une activité civile, celle que j’avais laissée un an plus tôt. L’enjeu était important et risqué car il mettait en articulation plusieurs dimensions: l’apprentissage de la vie religieuse avec une formation exigeante, la responsabilité d’un réengagement professionnel et l’équilibre d’une posture nouvelle en rapport à un passé connu de mes collègues de travail.

Cet équilibre a bien fonctionné jusqu’à la fin de mes études tout en reconnaissant quelques tensions. La décision fut donc prise à mon ordination sacerdotale de maintenir cette activité professionnelle intégrée à mon apostolat général, sans être néanmoins un temps plein. Ce point était déterminant pour assurer l’équilibre entre mes deux « vies ». Il fallait par ailleurs répondre à des besoins précis de la communauté de Genève dans laquelle j’allais être assigné.

Pastorale d’enfouissement

Je réalise aujourd’hui que l’articulation vie religieuse et vie professionnelle doit s’inscrire dès l’origine dans l’essence même d’une vie engagée totalement au service de l’Evangile et de l’Eglise. La dimension professionnelle devient alors un lieu catalyseur, une facette de cet engagement fondamental. Ce qui n’est pas toujours facile à faire comprendre à ses « pairs ». Ne serait-ce déjà qu’à cause d’un environnement si différent.

Par ailleurs, cet apostolat peut apparaître sans protection et présenter toutes les aspérités d’une existence séculière: carrière, évaluation, compétition, production, rentabilité. Des questions peuvent se poser et rendre l’équilibre fragile, mais elles peuvent aussi nourrir et creuser une vocation.

En fait, j’engageais bien plus que moi-même.

J’ai toujours fait le choix de me situer dans mon activité [3. Celle d’enseignant et de chercheur dans le domaine des sciences infirmières, de la bioéthique et de la philosophie des sciences (HES-SO et Université).] uniquement comme professionnel, en indiquant cependant à l’occasion de mes interventions ou rencontres mon identité de prêtre dominicain. C’est dans cette configuration parfois surprenante que se vit une pastorale indirecte ou « d’enfouissement » faite pour une bonne part d’éléments que la vie professionnelle très souvent évacue ou minimise: une certaine écoute et attention à l’autre, la disponibilité pour aborder des questions essentielles, un regard d’espérance, la confiance dans une vie plus forte que la mort…

Dans ce parcours, il y eut aussi des moments de visibilité religieuse, tels la demande d’un baptême pour l’enfant d’une collègue, les funérailles d’une autre collègue qui m’avait demandé de l’accompagner dans ses derniers moments, une célébration pour une étudiante tragiquement décédée…

Travailler dans une institution laïque, fortement marquée par un passé « religieux » [4. L’Ecole La Source, première école « laïque » au monde de soins infirmiers, fondée en 1859, appelée néanmoins Ecole normale évangélique de gardes-malades est depuis 2002 la Haute Ecole de la santé La Source.], sans en être l’aumônier, vivant un sacerdoce qui ne « se dit pas », voilà une belle alchimie qui m’a aidé, entre autres, à comprendre l’importance des mots et du langage qu’il faut souvent interpréter.

Et pourtant pas schizophrène!

Au moment où je quitte mon statut civil, je prends conscience de la densité de ce qui a été engagé. Je ne m’en suis pas toujours rendu compte. Me vient à l’esprit l’expression « mis en gage ». Car dans le mot engagement, il y a une notion de contrat, de promesse, de respect mutuel, de garantie, de caution. J’ai l’impression que ce que je mettais « en gage » du fait de mon identité de prêtre était quelque chose de ma personne dans son unité profonde.

En fait, j’engageais bien plus que moi-même. Cette conviction m’a toujours accompagné sans pour autant me peser. Très souvent mes collègues de travail m’ont demandé comment je conciliais certaines questions bioéthiques ou philosophiques qui faisaient partie de mon programme d’enseignement avec mon choix religieux. Ces questions me renvoient aujourd’hui à celle de l’unité de cet engagement. Je ne me suis jamais senti schizophrène fonctionnant dans des catégories d’existences séparées, affirmer d’un côté ce que je devais nier de l’autre.

Un chemin à parcourir bien plus qu’un but déjà atteint.

Je réalise aujourd’hui qu’un équilibre enrichissant peut s’établir en de telles situations du moment que l’on est enraciné dans une liberté profonde et ouverte trouvée dans l’Evangile. Si j’essaie de mettre des mots et un cadre théologique à cette expérience de vie qui a duré près de dix-huit ans, je les emprunterai à Xavier Thévenot [5. Salésien de don Bosco, il a été un des grands théologiens moralistes contemporains, décédé en 2004.]. Comme lui, je suis de plus en plus convaincu que: « …tout ce qui se commande au nom du Dieu de Jésus-Christ doit pouvoir se justifier du point de vue de la vérité de l’homme, et tout ce qui est prescrit par la raison droite doit pouvoir montrer sa cohérence avec la vérité de la foi chrétienne« [6. Xavier Thévenot, Compter sur Dieu. Etudes de théologie morale, Ed. Cerf. Paris, p.15].

S’engager dans une activité professionnelle tout en ayant engagé pleinement et totalement sa vie par des vœux religieux révèle à celui qui en fait l’expérience le caractère exigeant mais profondément évangélique de ce choix. Un chemin à parcourir bien plus qu’un but déjà atteint.

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Michel FontaineLe frère Michel Fontaine, prieur de la communauté dominicaine de Genève, a quitté ses activités professionnelles à Lausanne et Strasbourg. Formé en soins infirmiers, en sciences sociales et en éthique, son apostolat principal demeure la formation et l’accompagnement en lien avec la pastorale de la santé à Genève et l’Université de Fribourg. Il est aussi membre de l’équipe rédactionnelle de « Sources ».

 

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S’engager en politique https://www.revue-sources.org/sengager-en-politique/ https://www.revue-sources.org/sengager-en-politique/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:21:57 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=223 [print-me]

A quel moment et dans quelles circonstances débuta votre engagement en politique?

En 2000, le canton de Fribourg a élu les membres d’une assemblée constituante chargée de la révision complète de la Constitution cantonale. J’étais candidate à cette élection. C’est à cette occasion que j’ai fait mon entrée en politique. J’avais alors 43 ans et ne m’étais jamais engagée sur ce plan.

Quelle ne fut pas ma surprise le 12 mars de cette année-là, lorsqu’au soir de l’élection j’appris que j’allais me trouver pour une durée de quatre ans parmi les 130 élus à la Constituante. Mon nom avait figuré sur une liste indépendante, hors parti, le «groupe citoyen». Contre toute attente, ce groupe obtint onze élus. J’étais du nombre. C’est ainsi que je pris goût à la politique, grâce à cette expérience exceptionnelle de participer à la révision de la Constitution cantonale. La dernière datait de 1857.

L’engagement c’est donner du temps, mais, plus encore, c’est répondre aux appels qui nous parviennent sur le parcours de nos vies.

Engagée sur cette voie, je fus sollicitée pour assumer d’autres responsabilités politiques. Ainsi, quelques années plus tard, je fus élue à l’exécutif communal de Belfaux, ma commune de domicile. Il me fallut alors apprendre «sur le tas» le fonctionnement du système et me confronter aux difficultés très concrètes des réalités villageoises. Je n’en avais aucune idée jusque là. Responsabilités et travaux pas toujours gratifiants. Les décisions prises ne pouvaient plaire à tout le monde. Pourtant, j’ai beaucoup aimé traiter de projets qui touchaient directement la vie quotidienne des citoyennes et citoyens. Il ne me fut pas toujours possible de réaliser leurs propositions et leurs rêves, mais le dialogue et l’écoute suffisaient à calmer les esprits.

Quels sont vos mandats actuels? Et quelles sont les motivations qui vous ont conduite à les accepter?

Depuis 2011 j’ai accédé à la députation du Grand Conseil fribourgeois, l’organe législatif du canton. Un peu plus éloignés des problèmes quotidiens, les députés sont chargés d’élaborer les lois et surveillent, en quelque sorte, le Conseil d’Etat chargé d’exécuter et de mettre en application cette législation. Pour pouvoir agir au sein de ce parlement et influencer les changements de société, j’ai dû suivre les règles du système démocratique et intégrer un parti politique. Pour moi, ce fut le parti socialiste. Mon appartenance à ce groupe parlementaire me permet de défendre mes convictions et mes points de vue. Même s’ils ne sont pas toujours admis par d’autres députés.

Comment associer votre vie privée et professionnelle avec l’exercice de vos mandats politiques?

L’engagement c’est donner du temps, mais, plus encore, c’est répondre aux appels qui nous parviennent sur le parcours de nos vies. Pendant plusieurs années j’ai répondu aux besoins de ma famille, de mon fils et de mes amis. Je me suis engagée dans un comité de parents d’élèves, dans des mouvements d’Eglise, dans des associations culturelles. Lorsque j’ai commencé mon engagement politique les occupations familiales avaient diminué. Mon engagement n’a pas changé d’orientation, bien au contraire. J’ai simplement fait le pas d’accueillir des responsabilités qui me permettraient de continuer d’accomplir les missions auxquelles je tenais.

Dans mon travail professionnel, mes activités au sein du centre culturel dont je suis responsable me permettent de m’organiser librement. C’est un avantage bien appréciable. En effet, la disponibilité est un atout indispensable pour s’adonner aux responsabilités politiques.

Quels bénéfices personnels en retirez-vous? (Je ne parle pas de vos jetons de présence!). Y a-t-il une expérience particulièrement positive dont vous aimeriez parler? Et peut-être aussi vos déceptions…

L’expérience de la politique me fait grandir chaque jour davantage. Les défis sont nombreux, personnels et sociaux. Je me sens toute petite devant la masse de choses à faire, à décider, à accomplir pour avancer sur le chemin de notre réalité sociale. Ma satisfaction n’est pas nécessairement celle d’avoir réussi à faire passer telle ou telle motion ou idée, mais plutôt celle d’œuvrer pour le bien commun, à ma toute petite échelle.

Il est important de donner aux jeunes le goût de la politique.

Les déceptions sont multiples. Par exemple, celles que j’éprouve lors des résultats de votes qui nous sont défavorables. Cependant, les membres d’un parti minoritaire comme le mien apprennent à être des perdants, toujours prêts à repartir et rebondir. Déceptions, mais aussi désillusions. Il y a encore trop de laissés-pour-compte qui n’ont pas trouvé place sur l’échiquier de notre démocratie. Et cela, malgré mes convictions.

Pourquoi la politique suscite-t-elle que peu de vocations? Celles de jeunes, en particulier. Que leur diriez-vous pour les sensibiliser à cet engagement?

Une des causes du désintérêt que suscite l’engagement politique est la charge qu’il impose et la grande disponibilité qu’il réclame. Mais ceci n’est pas particulier à la politique. Il existe des professions incompatibles en termes de disponibilité de temps avec un autre engagement tant soit peu sérieux. D’autre part, la politique de milice de notre système suisse implique que l’on entre en politique sans que le militant n’en connaisse les règles et sans qu’il n’ait appris à gérer les tâches qui lui incombent. De nos jours, les responsabilités sont importantes et difficiles à assumer. Beaucoup d’élus se découragent et démissionnent de leur fonction avant la fin de leur mandat.

Je pense toutefois qu’il est important de donner aux jeunes le goût de la politique. La meilleure voie pour y parvenir est leur engagement dans des associations existantes. On y apprend comment fonctionner ensemble, comment s’accorder pour mener à bien des projets. Ces expériences sont formatrices. Elles permettent aux futurs politiciens et politiciennes d’asseoir leurs engagements sur des convictions profondes, plutôt que chercher à accéder à une promotion personnelle.

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Née à Fribourg et mère d’un enfant. Avant de s’engager en politique, Andréa Wassmer s’est investie dans le scoutisme et la JEC (Jeunesse Etudiante Chrétienne). Actuellement elle est responsable d’un espace culturel de sa ville natale et membre de l’équipe rédactionnelle de «Sources».

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Au Nicaragua, pour la défense des femmes https://www.revue-sources.org/au-nicaragua-pour-la-defense-des-femmes/ https://www.revue-sources.org/au-nicaragua-pour-la-defense-des-femmes/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:19:29 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=221 [print-me]

Aspirant depuis longtemps à un engagement sur le terrain au service de la justice sociale, E-CHANGER/Comundo m’a d’emblée convaincue. Cette ONG me propose une immersion sur le long terme avec un statut et des conditions de vie proches de celles de la population locale. Et cela dans une logique de partage de compétences.

Pour ma part, j’apporte surtout des outils méthodologiques pour formuler des projets, affiner le suivi et évaluer les actions. Il me revient aussi de préciser une stratégie concrète en vue d’appliquer la politique genre de l’organisation, élaborée il y a quatre ans, mais pas encore diffusée ni appliquée systématiquement.

Je n’ai pas de statut d’experte ou de responsable; je suis une « simple » volontaire, disponible pour appuyer mes collègues et m’ouvrir à leur réalité. J’ai ainsi découvert le contexte politique du Nicaragua, des années de la dictature de la famille Somoza de 1930 jusqu’à la révolution sandiniste de 1979. Plusieurs de mes collègues sont d’ancien-ne-s révolutionnaires, aux souvenirs parfois terrifiants. J’ai également appris une autre relation au temps dans un pays où l’on vit essentiellement au présent.

Du Nord au Sud

Progressivement je découvre que s’engager c’est accepter de remettre en question mes repères pour en adopter d’autres. Tout en visant à garder le meilleur de chaque système. Par exemple, je reprends certains outils de travail appris en Suisse, mais en les flexibilisant et les adaptant à la situation. Une grande partie de mon travail consiste à organiser et animer des formations avec un collègue psychologue dans le but de sensibiliser les membres de notre organisation à des thèmes liés à l’équité entre hommes et femmes: construction de l’identité de genre, violence et relations de pouvoir, division sexuelle du travail, etc.

Tout en prenant conscience de mes limites, je m’efforce de favoriser l’élaboration d’alternatives qui conviennent au pays et ne soient pas imposées. Je m’inspire beaucoup de l’éducation populaire basée sur la pédagogie de Paulo Freire, très répandue en Amérique latine. Elle part du principe que chacun peut contribuer à la construction de savoirs à partir de son expérience personnelle. Je dois donc trouver ma place dans l’accompagnement de ces luttes, en acceptant que les choix de mes collègues ne sont pas toujours les miens.

Progressivement je découvre que s’engager c’est accepter de remettre en question mes repères pour en adopter d’autres.

Ainsi, au Nicaragua, l’avortement sous toutes ses formes est pénalisé depuis 2008. Y compris lorsque la vie de la mère est en danger ou en cas de viol. Cette disposition me révolte, sachant que parmi les 1’300 dénonciations pour viol déposées chaque année, 83% concernent des filles mineures. Mes collègues ne sont pas forcément d’accord avec cette pénalisation, mais ils ne veulent pas aborder ce thème pour ne pas mettre en péril leurs relatifs bons contacts avec le pouvoir sandiniste qui a édicté cette loi. Je dois donc assumer cette situation et respecter leur choix. La frontière entre la solidarité et l’assistancialisme n’est pas toujours facile à délimiter. Accompagner sans s’imposer est un art difficile!

Du Sud au Nord

En sens inverse, une part de ma mission consistera à valoriser, à mon retour, le savoir-faire acquis au Nicaragua. Les techniques d’intervention que j’apprends ici me seront très utiles. J’ai aussi pour mandat de faire connaître la situation de ce pays et sa population pleine de joie de vivre et ingénieuse quand il s’agit de trouver des alternatives pacifiques pour résoudre ses problèmes. Un exemple? Les femmes au Nicaragua vivent différentes situations d’inégalité.

Ainsi, parmi les propriétaires de terres cultivables, 19% seulement sont des femmes. Pour lutter contre cette inégalité, les femmes de l’organisation avec laquelle je travaille ont milité pour obtenir un accès équitable à la propriété des terres. Une loi a été adoptée voici quatre ans. Elle prévoit la création par l’Etat d’une banque de terres cultivables que l’on pourrait acquérir à un taux préférentiel. Les femmes productrices auraient la priorité. Mais le gouvernement n’a pas encore prévu de budget pour l’achat de ces terres. Donc, affaire à suivre!

Au final

Mon engagement au Nicaragua, en plus de donner, recevoir, désapprendre et réapprendre, signifie accepter les limites de ce que je peux apporter et celles de ma contribution au changement. Je dois tenir compte du contexte local, social et politique. Mais cette expérience conforte ma conscience et mon indignation face aux inégalités que subissent les femmes en termes de surcharge de travail, de manque de reconnaissance ou de violence. Je suis motivée pour poursuivre mon engagement en faveur de l’équité des genres en Suisse ou ailleurs!

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Noémie Pulzer est volontaire de l’ONG suisse E-CHANGER/ Comundo. Elle travaille au sein d’une association de travailleurs agricoles au Nicaragua. Elle appuie plus spécifiquement les différentes actions de défense des droits des femmes paysannes.

Pour en connaître davantage:
www.terrezer.wordpress.com

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«Derrière toi jusqu’à la mort!» https://www.revue-sources.org/derriere-toi-jusqua-la-mort/ https://www.revue-sources.org/derriere-toi-jusqua-la-mort/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:16:23 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=219 [print-me]

Pourquoi s’engager au service du Pape?

Un cumul de raisons m’ont conduit à faire mes valises et à les déposer au Vatican. Tout d’abord ma foi. Le Pape est un personnage incontournable dans la vie d’un catholique. Il est successeur de Pierre, l’apôtre sur qui le Christ a bâti son Eglise. Je regardais donc avec une certaine admiration ces gardes servir le Pape. Il y eut aussi l’attrait de la vie communautaire. Les expériences inoubliables vécues avec les collègues resteront l’un des points phares de mes deux ans de service à Rome.

De plus, j’avais envie d’aventures. Le fait de quitter la maison paternelle pour découvrir un nouveau lieu, qui plus est dans un autre pays, me réjouissait beaucoup. Rome est une ville remarquable avec ses lieux riches en histoire, sa culture et sa gastronomie. Mes sorties furent autant de surprises…

Est-on réellement prêt à donner sa vie pour le Pape?

Profondément convaincu de la mission qui m’a été confiée, j’étais prêt à donner ma vie pour le Saint-Père et je le suis toujours, puisqu’un Garde Suisse le reste à vie.

Comme le dit l’évangile de Jean: « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).

Il ne faut cependant pas prendre mes propos comme ceux d’un fan de pop star. Nous sommes, tout comme des militaires professionnels, appelés à servir les intérêts de notre pays, en l’occurrence ceux du Saint- Siège. Une de nos missions consiste à protéger le Pape et le collège des cardinaux lors de la vacance du siège apostolique. Et cela, « de toutes nos forces; sacrifiant, si nécessaire, notre vie pour leur défense » (extrait du serment d’un Garde Suisse). Ce geste, tel que je le perçois, est un abandon total. En sacrifiant notre vie, nous nous donnons totalement à l’autre. Comme le dit l’évangile de Jean: « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).

Que retire-t-on d’un tel engagement?

Cet engament a marqué profondément ma manière de vivre ma foi. Dans ma jeunesse, aller à la messe représentait aux yeux de mes camarades quelque chose d’incompréhensible. De ce fait, je me taisais sur mes convictions. La Garde Suisse a totalement changé la donne. En effet, nous sommes dans un milieu où la majorité se « bat » pour les mêmes idées et les assument. Je ne suis pas prosélyte, mais si quelqu’un m’aborde et me demande si je crois en Dieu, je ne vais plus esquiver la question.

Mon engagement fut aussi l’occasion d’apprécier des valeurs tels que le respect, l’amitié, la confiance, la fidélité ou encore la rigueur. Ce ne sont pas que des mots qui passent plus ou moins bien dans un CV, mais un savoir être et un savoir vivre qu’il est possible de reproduire au quotidien.

Comment vivez-vous l’engagement aujourd’hui?

Je ne suis pas un saint et Dieu sait que la route est longue pour y parvenir. Je m’efforce donc de vivre selon l’Evangile en me comportant le mieux possible et en essayant de faire transparaître la joie et l’amour du Christ qui m’animent au quotidien.

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Loïc Fahrni fut l’un des trente-trois Gardes Suisses qui en mai 2006 prêtèrent serment de fidélité au pape Benoît XVI. Aujourd’hui, marié et père de deux enfants, il est administrateur du Centre Catholique Romand de Formations en Eglise (CCRFE). Sources l’a rencontré.

 

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S’engager comme pasteur ou pasteure https://www.revue-sources.org/sengager-comme-pasteur-ou-pasteure-2/ https://www.revue-sources.org/sengager-comme-pasteur-ou-pasteure-2/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:14:50 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=217 [print-me] 

« Oui, je connais la situation de plus en plus précaire dans laquelle se trouve l’Eglise protestante de Genève. Je connais toutes ses difficultés. Et pourtant, j’aimerais quand même suivre ma formation pastorale en son sein. Pour moi, c’est un acte de foi. »

Pourquoi s’engagent-ils?

Ces paroles, je les ai entendues plusieurs fois dans mon bureau ces dernières années. Elles m’ont marqué à chaque fois. Mon Eglise ne forme pas des cohortes de nouveaux pasteurs ou diacres, mais un à deux par année. Contrairement à ses voisines romandes, mon Eglise ne connaît pas de crise de vocation. Celles qui se présentent sont déjà presque trop nombreuses pour couvrir les besoins actuels. En effet, pour des raisons financières, le nombre de postes pastoraux devra encore baisser. Il a diminué de 60% en 20 ans. Si nous formons encore de nouveaux ministres, c’est pour permettre à l’EPG de se renouveler malgré tout. Je suis chargé de les accompagner dans le processus d’admission, de suivi et de validations de leurs stages en paroisse ou en ministère spécialisé. A tous, je tiens le même discours: « Dans la conjoncture actuelle, l’EPG ne peut vous donner aucune garantie d’engagement au terme de votre formation. » Et ce n’est pas tout. Dans le cas le plus favorable, ces futurs pasteurs et diacres savent que leur salaire sera convenable, mais sans plus. Ils devront sacrifier une partie de leur vie sociale (travailler en général le dimanche et de nombreux soirs au cours de la semaine) et ils devront défendre eux-mêmes une fonction désormais mal reconnue ou incomprise socialement.

Alors pourquoi ces nouveaux ministres s’engagent-ils? Par la force d’un appel intérieur? Par goût du défi ou d’une mission impossible? Peut-être un peu des deux. Mais aussi et surtout parce qu’ils découvrent, dès qu’ils s’y lancent, que le ministère pastoral ou diaconal est passionnant. Quel autre métier donne-t-il tant de possibilités de contacts profonds avec des personnes d’horizons si divers? Il offre des privilèges incroyables, tels que recueillir le récit intime d’une vie qui s’est éteinte lors de la préparation d’un service funèbre, accompagner des mariés dans leur réflexion sur leur couple, suivre des jeunes dans leur choix de vie ou des adultes dans leur recherche de spiritualité et même une communauté entière dans de nouvelles formes de témoignage…

Attentes nouvelles

Avec mes collègues-formateurs, nous nous posons sans cesse cette question: « La formation initiale les prépare-t-elle suffisamment? Auront-ils la capacité de répondre aux besoins existentiels et spirituels d’un monde sans cesse en mutation? »

Quel autre métier donne-t-il tant de possibilités de contacts profonds avec des personnes d’horizons si divers?

Pendant longtemps, les protestants ont tout misé sur un cadre de formation de type académique: les pasteurs sont avant tout des enseignants-théologiens avec de belles compétences de réflexion et d’éloquence. Si cela reste essentiel, je pense pourtant que ce n’est plus suffisant. Lorsque les gens expriment en vérité leurs besoins spirituels – je parle surtout de ceux qui ne viennent plus à l’église !-, certains évoquent désormais des expériences spirituelles, souvent irrationnelles, qu’ils ne savent plus interpréter. La plupart vivent des crises de vie qui les désemparent. Ils n’ont plus de clefs pour continuer à espérer dans un monde qui semble s’écrouler sous leurs yeux. Ils ont besoin d’être accompagnés, guidés, dans les épreuves comme dans les choix de vie. Ils sont une multitude à se rendre dans des monastères à la recherche d’une vie intérieure intense, de lieux de méditation pour trouver un ancrage intérieur. Souvent, ils y trouvent ce qu’on ne sait pas ou plus offrir dans nos paroisses: une expérience spirituelle guidée. Quelques-uns aimeraient même pouvoir s’engager dans des formes de « monachisme intériorisé » ou dans une vie d’une radicalité comparable.

Formés comme les Jésuites?

Pour répondre à cette demande, il faudrait des ministres qui ont pu apprendre à thématiser leurs expériences de vie, qui savent traverser les crises de la vie en utilisant des « outils » spirituels (et pas seulement psychologiques), qui se sont laissés accompagner dans un processus de maturation, qui savent opérer un discernement spirituel… Mais cela manque cruellement dans la formation actuelle. Il faudrait, par exemple, s’intéresser davantage aux trésors de la mystique chrétienne, en s’inspirant de la philocalie, des Pères du désert, ou d’autres grands spirituels.

Je dis souvent que le modèle ignacien de la formation des Jésuites me séduit par l’alternance des temps d’ « expériments » et ceux de relecture spirituelle. Et si on s’en inspirait pour la formation des pasteurs? Je trouve aussi que les « exercices spirituels » sont porteurs d’une pédagogie résolument moderne et, en fait, tout à fait compatible avec la tradition réformée[1. Dans les exercices, il n’y a pas d’intermédiaires entre Dieu et le méditant, l’accompagnateur n’offrant que des pistes et un cadre pour la méditation. La Parole de Dieu est centrale. Chaque méditant est responsable, devant Dieu, de son cheminement. Quoi de plus réformé?]! Dire que « ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui satisfait et rassasie l’âme, mais de goûter et sentir les choses intérieurement » correspond exactement à l’aspiration de tant de contemporains: pouvoir éprouver par eux-mêmes et « en live », dans leur vie quotidienne et jusqu’au cœur de leurs épreuves, la force de l’Evangile! Mais qui les initiera?

Modifier le modèle de formation actuel et séculaire des pasteurs représenterait évidemment un changement identitaire important. Mais l’Eglise protestante n’a-t-elle pas placé en son fondement le principe de l’ «ecclesia semper reformanda« , c’est-à-dire le devoir de se réformer toujours?

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Nils Phildius

Nils Phildius

Nils Phildius est pasteur réformé et formateur d’adultes. Il est chargé de la formation professionnelle des ministres de l’Eglise Protestante de Genève (EPG).

 

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