Le continent numérique – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 12:44:52 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 L’icône du bon samaritain https://www.revue-sources.org/licone-du-bon-samaritain/ https://www.revue-sources.org/licone-du-bon-samaritain/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:14:54 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=252 [print-me]

Extraits du message du pape François pour la journée mondiale des communications sociales du dimanche 1 juin 2014.

Comment la communication peut-elle être au service d’une authentique culture de la rencontre? Et pour nous, les disciples du Seigneur, que signifie rencontrer une personne selon l’Évangile? Comment est-il possible, malgré toutes nos limites et nos péchés, d’être vraiment proches les uns des autres? Ces questions se résument à celle qu’un jour un scribe, c’est-à-dire un communicateur, posa à Jésus: «Et qui est mon prochain ?» (Lc 10, 29). Cette question nous permet de comprendre la communication en termes de proximité. Nous pourrions la traduire ainsi: comment se manifeste la «proximité» dans l’utilisation des moyens de communication et dans le nouvel environnement créé par les technologies numériques? Je trouve une réponse dans la parabole du bon Samaritain, qui est aussi une parabole du communicateur. Celui qui communique, en effet, se fait proche. Et le bon Samaritain non seulement se fait proche, mais il prend en charge cet homme qu’il voit à moitié mort sur le bord de la route. Jésus renverse la perspective: il ne s’agit pas de reconnaître l’autre comme mon semblable, mais de ma capacité de me faire semblable à l’autre. Communiquer signifie alors prendre conscience d’être humains, enfants de Dieu. J’aime définir ce pouvoir de la communication comme «proximité».

Lorsque la communication est destinée avant tout à pousser à la consommation ou à la manipulation des personnes, nous sommes confrontés à une agression violente comme celle subie par l’homme blessé par les brigands et abandonné au bord de la route, comme nous le lisons dans la parabole. En lui le lévite et le prêtre ne considèrent pas leur prochain, mais un étranger dont il valait mieux se tenir à distance. À ce moment, ce qui les conditionnait, c’étaient les règles de pureté rituelle. Aujourd’hui, nous courons le risque que certains médias nous conditionnent au point de nous faire ignorer notre véritable prochain.

Il ne suffit pas de passer le long des «routes» numériques, c’est-à-dire simplement d’être connecté: il est nécessaire que la connexion s’accompagne d’une rencontre vraie.

Il ne suffit pas de passer le long des «routes» numériques, c’est-à-dire simplement d’être connecté: il est nécessaire que la connexion s’accompagne d’une rencontre vraie. Nous ne pouvons pas vivre seuls, renfermés sur nous-mêmes. Nous avons besoin d’aimer et d’être aimés. Nous avons besoin de tendresse. Ce ne sont pas les stratégies de communication qui en garantissent la beauté, la bonté et la vérité. D’ailleurs le monde des médias ne peut être étranger au souci pour l’humanité, et il a vocation à exprimer la tendresse. Le réseau numérique peut être un lieu plein d’humanité, pas seulement un réseau de fils, mais de personnes humaines. La neutralité des médias n’est qu’apparente: seul celui qui communique en se mettant soi-même en jeu peut représenter un point de référence. L’implication personnelle est la racine même de la fiabilité d’un communicateur. Pour cette raison, le témoignage chrétien, grâce au réseau, peut atteindre les périphéries existentielles.

Je le répète souvent: entre une Église accidentée qui sort dans la rue, et une Église malade d’autoréférentialité, je n’ai pas de doutes: je préfère la première. Et les routes sont celles du monde où les gens vivent, où l’on peut les rejoindre effectivement et affectivement. Parmi ces routes, il y a aussi les routes numériques, bondées d’humanité, souvent blessée: hommes et femmes qui cherchent un salut ou une espérance. Aussi grâce au réseau, le message chrétien peut voyager «jusqu’aux extrémités de la terre» (Ac1, 8). Ouvrir les portes des églises signifie aussi les ouvrir dans l’environnement numérique, soit pour que les gens entrent, quelles que soient les conditions de vie où ils se trouvent, soit pour que l’Évangile puisse franchir le seuil du temple et sortir à la rencontre de tous. Nous sommes appelés à témoigner d’une Église qui soit la maison de tous. Sommes-nous en mesure de communiquer le visage d’une telle Église? La communication contribue à façonner la vocation missionnaire de l’Église tout entière, et les réseaux sociaux sont aujourd’hui l’un des endroits pour vivre cet appel à redécouvrir la beauté de la foi, la beauté de la rencontre avec le Christ. Même dans le contexte de la communication il faut une Église qui réussisse à apporter de la chaleur, à embraser le cœur. (…)

Que l’icône du bon Samaritain, qui soigne les blessures de l’homme blessé en y versant de l’huile et du vin, soit notre guide. Que notre communication soit une huile parfumée pour la douleur et le bon vin pour l’allégresse. Notre rayonnement ne provient pas de trucages ou d’effets spéciaux, mais de notre capacité de nous faire proche de toute personne blessée que nous rencontrons le long de la route, avec amour, avec tendresse. N’ayez pas peur de devenir les citoyens du territoire numérique. L’attention et la présence de l’Église sont importantes dans le monde de la communication, pour dialoguer avec l’homme d’aujourd’hui et l’amener à rencontrer le Christ: une Église qui accompagne le chemin, sait se mettre en marche avec tous. Dans ce contexte, la révolution des moyens de communication et de l’information est un grand et passionnant défi, qui requiert des énergies fraîches et une nouvelle imagination pour transmettre aux autres la beauté de Dieu.

[print-me]

]]>
https://www.revue-sources.org/licone-du-bon-samaritain/feed/ 0
Révolution numérique https://www.revue-sources.org/revolution-numerique-genese-et-enjeux/ https://www.revue-sources.org/revolution-numerique-genese-et-enjeux/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:13:29 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=250 [print-me]

Un siècle a suffi pour que s’édifie solidement un «village planétaire», véritable monde unifié où l’information circule à une vitesse incroyable. L’évolution technologique, longuement et discrètement façonnée, connut un tournant décisif au cours du XXe siècle. En l’espace d’une soixantaine d’années une véritable révolution numérique a déferlé sur le monde, nivelant au passage bon nombre de frontières. Quelle est la genèse de cet avènement et quelles perspectives laisse-t-il poindre? Quels enjeux suscite-t-il aujourd’hui et quel regard poser sur ce que Benoît XVI appelait «le continent numérique»? Autant de questions qui constituent la trame de ce propos.

Un phénomène extraordinaire?

Beaucoup en conviendront: il y a quelque chose de fascinant dans l’évolution technologique. Ses avancées continuent d’émerveiller. Les plus âgées se souviennent de la première voix émanant d’une radio ou de la première image retransmise par un poste de télévision. Aujourd’hui encore, on reste frappé d’étonnement quand il suffit de pointer un smartphone vers le ciel pour découvrir non seulement d’où est parti l’avion qui vole sur notre tête, mais également son itinéraire, l’heure prévue de son atterrissage et la vitesse avec laquelle il se dirige vers la ville où il déposera la centaine de personnes qu’il transporte.

Dans le même temps, nous pressentons bien quelques éléments négatifs dans cette course au développement technologique. Or la critique est rendue difficile pour deux raisons: d’une part, l’incessante innovation tend à rapidement submerger celui qui s’y intéresse; d’autre part, la fascination d’un grand nombre devant cette déferlante numérique étouffe les voix critiques.

Ce que nous appelons depuis une vingtaine d’années la «révolution numérique» est un fait massif et, semble-t-il, soudain. Ordinateurs, smartphones et autres tablettes ont envahi l’espace. On les retrouve non seulement dans nos foyers, mais aussi dans les transports publics, les écoles ou encore les restaurants. Cet avènement prend des allures quasi mystérieuses: comment en sommes-nous arrivés là si rapidement? Une telle évolution, si universelle et précipitée, semble défier la logique. Or, il n’en est rien. Avant d’en souligner les enjeux, il est intéressant de nous pencher sur la genèse de cette révolution afin de «démythifier» ce phénomène, mais aussi de favoriser sa compréhension.

Révolution numérique: une définition…

L’expression «révolution numérique désigne l’introduction progressive mais massive de la technologie numérique dans tous les domaines et les moments de la vie, du niveau social – économie, administration, espaces publics – au niveau individuel – équipements domestiques, activités de loisir jusqu’aux objets que l’on porte sur soi ou désormais en soi. Dans les faits, la révolution numérique est une évolution technique extrêmement rapide qui ne cesse de se développer depuis la seconde partie du XXe siècle. Comparable à la révolution industrielle, elle est directement associée à la naissance puis au développement de l’informatique. En effet, l’informatique, en s’appuyant sur des moyens de communication toujours plus efficaces, a contribué à l’émergence d’un réseau mondial tentaculaire qui ne cesse de se densifier par de nouveaux supports.

Comment en sommes-nous arrivés là si rapidement ? Une telle évolution si universelle et précipitée semble défier la logique.

«Informatique» reste un de ces mots-valise qui tend à échapper à une définition ciselée. En soi, le terme désigne la numérisation de tout type d’information: caractère d’imprimerie, son, forme, couleur et, de là, mot, texte, musique, photographie, film etc. Cette numérisation, qui s’exprime par une combinaison binaire – en l’occurrence de 0 et de 1 –, a pour but de stocker, d’éditer et de transmettre ces informations au moyen d’une pléthore d’appareils dont les plus connus sont les ordinateurs, les tablettes ou encore les smartphones. Ces appareils toujours plus performants permettent aujourd’hui à des milliards d’individus d’effectuer des tâches toujours plus complexes dans des délais toujours plus courts – au point que l’on s’accorde à dire qu’ils sont dotés d’«intelligence artificielle».

Fondamentalement donc, l’informatique repose sur des chiffres – historiquement d’ailleurs, les premiers ordinateurs n’étaient que de simples machines à calculer. D’une certaine manière, ce phénomène remonte à l’Antiquité, dès lors que les humains ont commencé à concevoir abaques et bouliers. Pour comprendre comment son développement a donné lieu à l’émergence d’un village planétaire, il est intéressant d’approcher non seulement son évolution technique, mais aussi de souligner quelques étapes-clé de l’édification d’un réseau de communications qui relie aujourd’hui la quasi totalité du monde habité. Loin de lister toutes les étapes qui relie l’ordinateur au boulier, brossons un tableau général des grandes évolutions de l’informatique et de la manière dont elle a investi notre monde.

et une genèse

Au XVIIe siècle déjà, deux événements sont à relever: l’invention de la «pascaline» et l’institutionnalisation de l’esprit des télécommunications. Influencé par l’hypothèse que la pensée peut se formuler de façon systématique par le biais d’un langage mathématique[1], Blaise Pascal met au point la première machine à calculer dont le fonctionnement permet de traiter un algorithme, principe fondamental s’il en est de l’informatique. Dans le même temps, Henri IV fait créer un corps de courriers chargé de transporter les correspondances administratives et privées. En 1612 un service de diligences transportant à la fois courriers, paquets et voyageurs est mis sur pied. La «poste» est née et, avec elle, une première ébauche d’un réseau qui ne cessera de se densifier.

Au XVIIIe siècle, dans le but d’automatiser le fonctionnement des métiers à tisser, le Français Jean-Baptiste Falcon invente le système de cartes perforées – morceau de papier rigide contenant des informations représentées par la présence ou l’absence de trou dans une position donnée. Dès lors, émerge ce qui constituera le cœur de l’informatique: le système binaire[2]. Le siècle des Lumières verra également naître l’Encyclopédie dont le but de promouvoir l’universalisme préfigure, d’une certaine manière, les notions de réseaux et de «village global». Un siècle plus tard, le réseau ferroviaire affinera encore cette préfiguration.

Le XIXe siècle verra naître la «machine analytique» du mathématicien anglais Charles Babbage. Véritable ancêtre de l’ordinateur, cet appareil, alimenté par l’énergie à vapeur, associe la machine à calculer de Pascal et le système de cartes perforées des métiers à tisser inventée par Falcon. Le siècle est également marqué par des inventions décisives dans le domaine des télécommunications. En 1844, Samuel Morse effectue la première démonstration publique du télégraphe, en envoyant un message sur une distance de 60 kilomètres entre Philadelphie et Washington. En 1858, le premier câble transatlantique est tiré entre les Etats-Unis et l’Europe. En 1876, l’Américain Graham Bell invente le téléphone. L’énergie électrique, quant à elle, est mieux maîtrisée. La fin du siècle, enfin, verra naître le tube cathodique qui servira aux premiers écrans de télévision puis aux ordinateurs – jusqu’à l’invention de l’écran plat.

Au début du XXe siècle, l’électricité investit l’industrie, l’éclairage public, le chemin de fer puis les foyers. En 1906, la voix est pour la première fois enregistrée sur les ondes radio et, en 1926, l’Écossais John Logie Baird effectue la première retransmission télévisée publique en direct.

Un tournant décisif

Les années trente et quarante marquent un tournant décisif. En 1930, l’Anglais Fredrik Bull crée la première entreprise développant et commercialisant des équipements mécanographiques en utilisant le principe des cartes perforées. L’Allemagne nazie s’intéresse de près à ce procédé. En 1941, à Berlin, l’ingénieur Konrad Zuse met au point le Z3, calculateur électromécanique, première machine programmable entièrement automatique.

C’est aux Etats-Unis, cependant, que s’amorce véritablement la révolution numérique. En l’espace de trois ans, de 1945 à 1948, trois prouesses technologiques marqueront le début d’une hégémonie américaine en terme de progrès technique. En effet, durant cette période, l’ingénieur Vannevar Bush imagine une machine à mémoriser mécanique qui stocke des microfilms. Dans les murs de l’Université de Pennsylvanie, l’ENIAC[3] devient en 1946 le tout premier ordinateur mondial. Enfin, en 1948 le transistor ouvre la voie à la miniaturisation des composants.

Et tout va très vite

Dès lors tout va aller très vite: en 1958 Jack Kilby invente le circuit intégré, un composant capable d’effectuer plusieurs fonctions complexes sur un minuscule support en silicium. La même année, la société téléphonique Bell met au point le modem, un périphérique permettant de transmettre des données binaires sur une ligne téléphonique – Internet pointe le bout de son nez. En 1961 Léonard Kleinrock développe une technologie permettant d’accélérer le transfert de ces données. Grâce à ses recherches, le projet Arpanet[4] voit le jour en 1969. Mis en place dans le contexte de la Guerre froide, ce réseau, qui deviendra l’internet, poursuit initialement un but militaire. L’objectif est de créer un réseau de télécommunication de structure décentralisée, capable de fonctionner malgré des coupures de lignes. En 1971, vingt-trois ordinateurs sont reliés sur Arpanet et le premier courriel est envoyé.

En 1977, l’Apple II est l’un des premiers ordinateurs personnels fabriqué à grande échelle. Conçu par Steve Wozniak – cofondateur, avec Steve Jobs, de la société Apple – il gagne la sphère privée. En 1981, le numérique envahit littéralement la vie quotidienne lorsque l’IBM-PC fait irruption dans les foyers. En 1983 le mot «Internet» fait son apparition. 562 ordinateurs sont connectés en août[5].

En 1990, Arpanet disparaît pour laisser la place au World Wide Web[6]. En 1992, on dénombre un million d’ordinateurs connectés pour 130 sites internet. Très rapidement cet archipel devient un labyrinthe: en quatre ans à peine le nombre de sites explose: on en recense rapidement plus d’un million. Dès lors, l’orientation devient un enjeu de taille dans cette masse énorme de données. Les premiers moteurs de recherche voient le jour[7].

Le premier smartphone date de 1992. Commercialisé deux ans plus tard, il est l’objet le plus symbolique de la révolution numérique: tenant dans la main et pouvant être utilisé presque en tout lieu, il concentre toute sorte de fonctions: téléphone, appareil photo, ordinateur, poste de radio etc.

En 2000, alors qu’Internet passe au haut-débit, 368 millions d’ordinateurs sont connectés dans le monde. Le réseau se démocratise progressivement: un grand nombre d’individus se l’approprient en ouvrant leur propre site. Les nouveaux moyens d’expression deviennent de plus en plus intuitifs et ne requièrent plus de compétences informatiques très spécifiques. Dès lors Internet n’est plus conçu comme une «autoroute de l’information», mais plutôt comme une «société de communication»[8]. Ce que l’on peut également nommer le «web participatif» verra l’émergence d’interactions toujours plus nombreuses. Dans ce contexte Jimmy Wales et Larry Sanger fondent Wikipedia, première encyclopédie collaborative. Les réseaux sociaux font leur apparition: en 2004, Mark Zuckerberg crée Facebook; deux ans plus tard, Jak Dorsey met en place Twitter. Internet s’immisce dès lors dans tous les domaines de la sphère privée. Les premières années de la décennie 2010 sont caractérisées par deux éléments: d’une part, par le fait que la traditionnelle distinction entre vie privée et vie publique ne cesse de s’estomper; d’autre part, par l’avènement des «big data», lié au fait que l’ensemble des informations circulant dans le monde est devenu si volumineux qu’il exige de nouveaux outils.

Et demain? A la pointe de la technologie

Si l’on en croit la presse spécialisée, la révolution numérique a encore de beaux jours devant elle. Parmi les derniers rejetons d’une technologie toujours fleurissante: les lunettes interactives Google. Selon certains spécialistes, elles pourraient rapidement s’imposer dans le grand public et atteindre plus de 20 millions d’unités vendues d’ici 2018[9]. Le principe de ces lunettes révolutionnaires: «pouvoir accéder immédiatement à des informations pratiques provenant d’Internet par l’intermédiaire d’un minuscule écran semi-transparent fixé sur une monture»[10]. Ses avantages? Un GPS pour s’orienter dans les rues ou au volant de sa voiture; la possibilité de lire ses nouveaux mails directement dans la lunette, découvrir des informations pratiques liées à des commerces, des lieux ou des monuments ou encore prendre des photos et des vidéos[11], le tout par commande vocale, bien évidemment.

Bien que la finalité annoncée d’un tel projet soit bonne, il ne peut se soustraire à d’urgentes questions éthiques.

Ultime développement médiatisé en janvier de cette année: l’ordinateur quantique. Un ordinateur capable d’être théoriquement des millions de fois plus puissant que nos «bonnes vieilles» machines qui fonctionnent – encore – sur un système binaire. Synthèse entre physique quantique et informatique traditionnelle, cette machine ne calculerait plus seulement avec des 0 ou des 1, mais aussi avec des variables qui peuvent être des 0 et des 1 au même moment[12].

Où va-t-on s’arrêter?

Qui ne s’est jamais posé la question de savoir où va s’arrêter cette technologie. Personnellement, je me souviens l’avoir naïvement posée à l’un de mes professeurs d’informatique un jour qu’il nous présentait ses hypothétiques perspectives. «Lorsque le paradis sur terre sera instauré» m’avait-il répondu d’un ton péremptoire! Tout un symbole: la technologie se substituerait ainsi aux grandes aspirations religieuses ou politiques! Qu’elle soit explicite ou non, une telle opinion – prégnante sous nos latitudes – associe ainsi développement technologique et progrès social. L’expression «révolution numérique» est d’ailleurs connotée en ce sens. Elle servirait le progrès de l’humanité à différents niveaux: social, économique, mais désormais également sur un plan anthropologique. En effet, les penseurs transhumanistes attendent de cette révolution qu’elle transforme radicalement l’espèce humaine[13].

En ce sens, le Human Brain Project (le «Projet du cerveau humain»), dirigé par une équipe de l’École polytechnique fédéral de Lausanne, en collaboration avec 90 universités et hautes-écoles réparties dans 22 pays différents, vise à simuler le fonctionnement du cerveau grâce à un superordinateur. Bien que la finalité annoncée d’un tel projet soit bonne – le développement de nouvelles thérapies sur les maladies neurologiques – il ne peut se soustraire à d’urgentes questions éthiques.

Point de vue critique

Opposés à cette conception «technophile», d’autres penseurs ne voient pas du tout d’un bon œil cette déferlante numérique. Les plus pessimistes considèrent même que cette prolifération informatique, signe d’une aliénation profonde, pourrait conduire l’humanité à sa perte. Critique sans pour autant tomber dans cet extrême, le théologien protestant Jacques Ellul percevait dans l’adaptation à la technique la marque d’un nouveau type de conformisme: «L’homme est aujourd’hui tellement fasciné par le kaléidoscope des techniques qui envahissent son univers qu’il ne sait et ne peut vouloir rien d’autre que de s’y adapter complètement»[14]. Pour lui, l’association des mots «révolution» et «technique» est une contorsion du langage car l’homme moderne serait non pas libéré, mais submergé par une technique qui le contraint et l’oblige toujours davantage.

De nouvelles inquiétudes

C’est désormais un lieu commun d’affirmer que les innovations technologiques ont révolutionné notre rapport au monde. Aujourd’hui, les échanges s’opèrent de façon toujours plus immatérielle, les barrières géographiques et culturelles s’estompent, les règles géopolitiques et économiques sont bouleversées. Indéniablement, ces mutations ont changé notre conception du monde. Tout est à portée de main – ou plutôt de clic – et, il faut l’avouer, il y a là quelque chose de fascinant. Or, l’essor du numérique génère également son lot d’inquiétudes. Des phénomènes tels que la vidéosurveillance, le fichage biométrique et la géolocalisation pourraient inaugurer de nouveaux types de totalitarismes. Les effets de la révolution numérique sur l’environnement sont, quant à eux, encore trop peu soulignés. En dématérialisant l’activité humaine, le numérique peut certes avoir un impact positif sur la crise environnementale. En revanche, il n’est pas «propre» pour autant:

«Si le monde numérique semble virtuel, les nuisances qu’il provoque, elles, sont bien réelles : la consommation des centres de données dépasse celle du trafic aérien, une recherche sur Google produit autant de CO2 que de porter à ébullition de l’eau avec une bouilloire, la fabrication des équipements nécessite l’utilisation d’une quantité considérable de matières premières, l’obsolescence des produits ne cesse d’accroître la mise au rebut de composants électroniques extrêmement polluants»[15].

La révolution numérique bouleverse également les cadres juridiques traditionnels. La mise en ligne d’œuvres artistiques – films, musique, photos, livres etc. – oblige à une révision de la notion de propriété intellectuelle. Internet, tout en inaugurant de nouveaux types de délits, comme le piratage, développe certains pans de la criminalité «classique»: incitation à la haine raciale, blanchiment d’argent, pédophilie etc. Internet et les réseaux sociaux en particulier peuvent être source d’addictions et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, destructeurs du lien social. Exemple emblématique: ces personnes qui ne quittent pas leur smartphone des yeux lorsqu’elles partagent un repas au restaurant ! Au niveau social, ces mutations impliquent également des bouleversements intergénérationnels. Ce ne sont plus les anciens qui détiennent le savoir, mais les jeunes générations. De plus, la généralisation de l’anonymat sur Internet invite à repenser la notion de responsabilité alors que la prolifération des informations rend toujours plus difficile l’exercice de l’esprit critique. Citons enfin, dans cette liste non exhaustive, un élément qui est très certainement en train de bouleverser notre champ éthique: le libre accès aux contenus pornographiques, toujours plus massif, sur n’importe quel type de support.

Un défi de taille pour l’Église du XXIe siècle

La révolution numérique est aussi fascinante que déroutante. Capable d’innovations technologiques époustouflantes, elle appelle, dans le même temps, une critique qui se doit d’être toujours au fait de ses dernières évolutions. C’est là un défi de taille pour l’Église. «Experte en humanité» jusque dans les périphéries du web 2.0, elle ne peut faire l’économie d’une connaissance profonde d’un «continent numérique» qu’elle entend évangéliser. Négliger les limites – bien réelles – du virtuel en jetant un regard dépourvu de critique sur ce phénomène amputerait d’une possible fécondité toutes démarches d’évangélisation. Internet et les nouveaux moyens de communication sont, d’une certaine manière, le réceptacle de tout ce qui fait l’humanité, dans sa vulnérabilité, mais aussi dans sa bonté. Dès lors, le regard le plus profond que l’Église peut poser sur cette révolution numérique est un regard d’espérance. Dans sa compréhension des moyens de communication, l’Église est passée de l’outil au topos: il ne s’agit plus simplement de moyens qui peuvent servir à l’annonce de la Bonne Nouvelle, mais de lieux où le Royaume doit s’édifier[16]. L’espérance saisit que le message de l’Évangile peut non seulement résonner au cœur de ce continent, mais aussi le transformer de l’intérieur afin qu’il développe toujours davantage les virtualités de bonté qu’il contient.

Bibliographie

  • BENOÎT XVI, Message pour la XLVIIe Journée mondiale des communications sociales, 2013.
  • BOSTROM Nick, Qu’est-ce que le transhumanisme, www.transhumanism.org.
  • CONCILE VATICAN II, Décret sur les moyens de communications sociales Inter Mirifica, 1963.
  • ELLUL Jacques, Le bluff technologique, Paris, 2004.
  • FLIPO Fabrice, DOBRE Michelle, MICHOT Marion, La face cachée du numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies, Paris, 2013.
  • FRANÇOIS, Message pour la XLVIIIe Journée mondiale des communications sociales, 2014.
  • LIPKIN Jonathan, Révolution numérique. Une nouvelle photographie, Paris, 2006.

[1] «La raison […] n’est rien d’autre que le fait de calculer» HOBBES Thomas, Léviathan, Paris, 2000.

[2] La carte perforée indique de manière matérielle ce que le langage binaire signifiera de façon électrique. En effet le système binaire a deux états (0 ou 1) selon qu’un circuit électrique laisse ou non passer un courant électrique.

[3] Pour Electronic Numerical Integrator Analyser and Computer. Pesant trente tonnes, occupant 167 m2 et consommant 150 kilowatts, il effectue 5000 additions par seconde.

[4] Pour Advanced Research Projects Agency Network.

[5] On en comptera 1000 en 1984, 10’000 en 1987 et 100’000 en 1989.

[6] Littéralement «la large toile [d’araignée] mondiale».

[7] Dont le désormais célébrissime Google en 1998.

[8] Ce nouvel essor est connu sous l’appellation «Web 2.0».

[9] cf. Le Figaro a essayé les Google Glass, sur www.lefigaro.fr, septembre 2013.

[10] Cf. Idem.

[11] En vue, peut-être, lorsque la distinction entre vie privée et vie publique sera encore plus estompée, de la reconnaissance de visage.

[12] Une technologie qui intéresse d’ailleurs vivement la NSA, selon les documents transmis par Edward Snowden, puisque ces machines sont potentiellement capables de révolutionner le monde de la cryptographie. En effet, elles mettraient quelques secondes à décoder les clés de cryptage les plus sophistiquées – alors qu’il faudrait des milliers d’années aux ordinateurs actuels les plus puissants.

[13] «Si nous pouvions scanner la matrice synaptique d’un cerveau humain et la simuler sur un ordinateur il serait donc possible pour nous de migrer de notre enveloppe biologique vers un monde totalement digital (ceci donnerait une certaine preuve philosophique quant a la nature de la conscience et de l’identité personnelle). En s’assurant que nous ayons toujours des copies de remplacement, nous pourrions effectivement jouir d’une durée de vie illimitée». BOSTROM Nick, Qu’est-ce que le transhumanisme, www.transhumanism.org, le 07.02.14.

[14] ELLUL Jacques, Le bluff technologique, Paris, 2004.

[15] FLIPO Fabrice, DOBRE Michelle, MICHOT Marion, La face cachée du numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies, Paris, 2013.

[16] Cf. L’article de François-Xavier Amherdt, Inculturer la bonne nouvelle dans le continent numérique: enjeu de la nouvelle évangélisation, dans ce même numéro, pour un développement plus complet de l’approche du Magistère quant aux nouvelles technologies de la communication.

[print-me]


Pierre Pistoletti

Pierre Pistoletti (Photo: Eric Frattasio)

Pierre Pistoletti, étudiant en théologie, informaticien de formation, est l’initiateur de Kerusso communications (www.kerusso.ch) qui a développé à ce jour une trentaine de sites internet, principalement dans le milieu ecclésial. Il est membre du comité de rédaction de la revue Sources.

 

]]>
https://www.revue-sources.org/revolution-numerique-genese-et-enjeux/feed/ 0
Numérique et nouvelle évangélisation https://www.revue-sources.org/numerique-et-nouvelle-evangelisation/ https://www.revue-sources.org/numerique-et-nouvelle-evangelisation/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:07:45 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=247 [print-me]

Puisque le Dieu de la foi chrétienne est Trinité et relation, et qu’il a choisi de se révéler à l’homme en conversant avec lui comme avec un ami (Dei Verbum, n. 2), l’entreprise théologique ne peut faire l’économie d’une réflexion générale sur la communication, et plus précisément, dans le contexte du 3e millénaire commençant, sur les nouvelles technologies de l’information (les NTIC). Car le christianisme n’est pas une «religion du livre», mais de l’image (eikôn en grec, qui donne icône en français), de l’image faite chair par le mystère de l’Incarnation.

En Jésus-Christ, le «virtuel» du dessein divin est réel. D’où l’importance de discerner dans quelle mesure les «médias virtuels» se placent au service d’une «authentique culture de la rencontre» avec le réel (selon le titre du message du pape François pour la 48e Journée mondiale des communications sociales (JMCS) de 2014) et peuvent jouer un rôle pour la transmission de la foi.

Le Vatican «à la pointe»

Avec ses près de douze millions de followers sur son compte Twitter @pontifex, l’évêque de Rome argentin s’inscrit dans la ligne de ses prédécesseurs: de tout temps le Vatican s’est profilé dans l’univers médiatique, par la qualité de ses quotidiens, radios et télévisions diffusés en une multitude de langues, et plus récemment, par celle de ses sites internet.

Après l’élan donné par le Décret de Vatican II Inter mirifica (1964), c’est l’Instruction Communion et progrès (1971) de la Commission pontificale pour les moyens de communication sociale qui constitue la charte des médias catholiques: l’accélération de l’information paraît à même de contribuer à cimenter la paix, à développer la civilisation et à resserrer les liens de solidarité entre les peuples, et l’Église est appelée à adapter sa communication aux mutations technologiques et à chaque contexte spatio-temporel.

Vingt ans plus tard, le désormais Conseil pontifical pour les communications sociales publie un autre document pastoral de belle tenue, Aetatis novae (Un âge nouveau, 1992), qui déploie les différentes facettes de la «diaconie à l’humanité» que peuvent exercer les mass médias: service du dialogue avec les cultures contemporaines dans la ligne de la Constitution Gaudium et spes du Concile, service de la résolution mondialisée des problèmes touchant l’ensemble de la communauté humaine, service des échanges au sein de la communion ecclésiale catholique.

Parmi les derniers Souverains Pontifes, c’est sans aucun doute Jean-Paul II qui a le mieux souligné l’importance du monde de la communication comme «premier aréopage des temps modernes» (La mission du Christ Rédempteur, 1991, n. 37). En 2002, il intitule son Message pour la JMCS «Internet: un nouveau carrefour pour l’annonce de l’Évangile». Le cyberespace «peuplé et bruyant» mérite d’être occupé en vue d’une première annonce de la foi, à condition que les contacts sur les réseaux sociaux débouchent sur des relations humaines effectives, au sein de la communauté ecclésiale.

2002 constitue un millésime particulièrement fructueux pour la réflexion du Magistère sur les NTIC, puisque le Conseil pontifical pour les communications sociales édite cette année-là deux textes essentiels: Éthique et internet, qui valorise l’outil numérique comme source d’enrichissement culturel entre personnes et pays éloignés, mais invite à la vigilance face à la diffusion en masse d’informations rendant quasi impossible le discernement de la vérité, aux contrôles de certaines instances politiques menaçant la sphère privée, aux exploitations commerciales faisant passer le marché avant la dignité humaine et à la cassure digitale entre pays des deux hémisphères ou entre générations; quant au second texte paru sous le titre L’Église et internet, de tonalité résolument positive, il invite les personnes engagées dans la pastorale à dépasser la méfiance face à la nouveauté de ces technologies et à acquérir les compétences nécessaires à leur maîtrise: elles permettent de donner accès à de nombreuses sources, de constituer des communautés de foi virtuelles, de toucher les éloignés de l’Église et d’offrir des espaces d’échange, notamment pour les jeunes.

Entrer dans cette révolution anthropologique représente pour l’Église une nécessité absolue

Mais plus que de «moyens» supplémentaires de communication, les NTIC constituent un nouveau monde où l’espace et le temps sont abolis, le savoir est partagé par tous, chacun peut exprimer son avis, le virtuel et le réel se rencontrent. Dans son Message pour la JMCS 2010, Benoît XVI parle du «continent digital» à inculturer, comme autrefois l’Amérique ou l’Asie. Le net véhicule une manière différente de concevoir l’homme, les relations interpersonnelles, le rapport à la vérité, aux connaissances et aux institutions. Entrer dans cette révolution anthropologique, aussi importante que l’invention de l’imprimerie, représente pour l’Église une nécessité absolue, si elle veut vraiment mettre en œuvre la nouvelle évangélisation souhaitée par le Synode des évêques d’octobre 2012 et l’Exhortation apostolique du Pontife actuel, La joie de l’Évangile.

Un changement de paradigme: l’interactivité

«Ouvrir les portes des églises signifie aussi les ouvrir dans l’environnement numérique», clame le pape François dans sa toute récente déclaration. «Mieux vaut une Église accidentée qui soit dans la rue qu’une Église malade d’autoréférentialité»: ce qui signifie aussi une Église qui ne craint pas de pénétrer dans l’univers de la toile, malgré tous les risques qu’il comporte!

Cela implique fondamentalement un changement de paradigme de nos pratiques pastorales et catéchétiques: quitter le modèle web 1.0, de type émetteur récepteur, où celui qui communique sait et transmet à celui qui ne sait pas, pour adopter le paradigme web 2.0, où le bénéficiaire a son mot à dire et participe à la transmission: «L’interactivité à double sens d’internet est déjà en train d’estomper la traditionnelle distinction entre ceux qui offrent et ceux qui sont destinataires de la communication et de créer une situation dans laquelle, du moins potentiellement, chacun peut faire les deux. Il ne s’agit plus de la communication à sens unique, du haut vers le bas. Alors que de plus en plus de personnes se familiarisent avec cette caractéristique d’internet dans d’autres domaines de leur vie, on peut s’attendre à ce qu’elles le recherchent également en ce qui concerne la religion et l’Église» (L’Église et internet, n. 6).

Une telle évolution demande des responsables ecclésiaux, des agents pastoraux et de l’ensemble des fidèles (par exemple des parents vis-à-vis de leurs enfants) qu’ils soient prêts à faire circuler au maximum l’information et à entrer en débat avec d’éventuels contradicteurs. Il faut qu’ils se montrent disposés à se former pour approfondir leur connaissance de ce monde si familier à la jeune génération (les digital native), pour développer leur créativité et savoir recourir à la pédagogie de l’image. Ils seront ainsi aptes à proposer une forme de «diaconie électronique» au profit des personnes isolées et à oser travailler en réseau avec des gens éloignés de l’institution ecclésiale. Car la manière dont l’Église apparaît sur le web, dans ses sites, ses blogs, ses vidéos, ses propositions catéchétiques et spirituelles, dit quelque chose du contenu de sa foi.

Enfin, cela exige d’accepter les ambivalences du monde digital, sans le diaboliser ni l’exalter. C’est seulement en y étant réellement présente que l’Église pourra inviter les internautes – comme le préconise le pape jésuite (Message pour la JMCS 2014) – à ne pas se laisser noyer sous le flux des informations qui «dépasse notre capacité de réflexion et de jugement», à «retrouver un certain sens de la lenteur et du calme» et à désirer passer du numérique à l’analogique, c’est-à-dire à s’arrêter «sur les routes digitales» pour souhaiter rencontrer en vrai ceux avec qui ils sont connectés. Benoît XVI va ainsi jusqu’à suggérer à tous les navigateurs sur le réseau des réseaux de créer «une sorte d’«écosystème » qui sache équilibrer silence, parole, image et son» (Message pour la JMCS 2012).

Confiance aux jeunes

La toile offre un espace privilégié où connaître les espoirs et les doutes, les besoins et les attentes des femmes et des hommes d’aujourd’hui. Il faut donc que nous sortions de nos sphères habituelles, que nous nous rendions dans les «périphéries virtuelles» pour y risquer la proposition du kérygme. À cet égard, les jeunes ont une longueur d’avance sur leurs aînés. Le pape émérite a raison lorsqu’il les interpelle: «à vous, jeunes, revient en particulier le devoir d’évangélisation de ce «continent digital». Sachez prendre en charge avec enthousiasme l’annonce de l’Évangile à vos contemporains!» (JMCS 2009).

[print-me]


L'abbé François-Xavier Amherdt

L’abbé François-Xavier Amherdt

François-Xavier Amherdt est prêtre du diocèse de Sion. Professeur de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique à l’Université de Fribourg. Il a coédité avec Jean-Claude Boillat Web & Co et pastorale en 2013.

]]>
https://www.revue-sources.org/numerique-et-nouvelle-evangelisation/feed/ 0
Internet et prédication https://www.revue-sources.org/internet-et-predication/ https://www.revue-sources.org/internet-et-predication/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:05:26 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=245 [print-me]

Il y a deux ans, j’ai traversé une période d’arrêt de travail complet, suite à une situation pastorale qui a failli me démolir. Deux choses m’ont tenu debout: la prière et la construction, avec l’aide d’un ami, d’un blog qui regroupe, entre autres billets, les homélies que mes paroissiens demandaient à relire chaque dimanche. Le temps que j’avais à disposition m’a permis de me former dans ce domaine.

Pendant cette période, je suis devenu également grand utilisateur du réseau social Facebook. Une thérapie comme une autre dont je ne suis pas encore sevré, mais qui m’a conduit bien plus loin que je ne le croyais au départ. On peut utiliser ce réseau d’amis de manière ludique. Mais on peut aussi évangéliser ce lieu. C’est le pari que je me suis fait. J’ai donc relié mon blog à Facebook, puis à Twitter; ce qui a donné une toute nouvelle audience à mes modestes homélies paroissiales.

Pari gagné

Comme j’étais comédien et animateur de radio avant d’être appelé à la prêtrise, j’ai quantité d’amis du monde artistique et médiatique sur ces réseaux. Ces personnes sont souvent en rupture profonde avec l’Eglise. Peu à peu, je me suis aperçu que mes amis lisaient mes homélies, puis les commentaient. Ils ne l’auraient jamais fait sans ce support. Certains n’avaient même jamais lu un verset d’évangile. Plusieurs découvrent ainsi le Christ et aiment son message. Ces personnes dialoguent régulièrement avec moi, malgré les centaines, voire les milliers de kilomètres qui nous séparent et font de spectaculaires retours à la Foi.

Pari gagné!

Evangéliser très simplement, c’est aussi le pari de mes deux initiatives suivantes: l’Evangile à l’Ecran et les mini-homélies quotidiennes que je publie sur Twitter. En 140 caractères, on est forcé d’aller à l’essentiel. Et l’essentiel, c’est le message du Christ. Au fond, toutes les homélies disent toujours « Aimez-vous les uns les autres; aime ton prochain comme toi-même…« . Comme le disait un message récent sur Facebook : “une théologie qui n’inciterait pas à aimer devrait être sérieusement remise en question ».

Drôles de paroissiens

Oui, mais voilà, évangéliser via Internet prend du temps! Au moment où je remettais en question le temps passé devant l’écran, un confrère m’a rassuré: « Des milliers de personnes lisent tes messages par ce biais, te suivent et réagissent, c’est une véritable paroisse! Continue! »

Aujourd’hui, je consacre environ une heure par jour à ces drôles de paroissiens. Ils me le rendent bien. Cela m’a valu de vraies rencontres en chair et en os. Et beaucoup d’émotions aussi lorsque des personnes m’avouent avoir à nouveau passé la porte d’une église suite à mes pauvres mots.

Prêtre, je crois fondamentalement que la joie de l’Evangile doit passer aussi par Internet, un autre don de Dieu. Ce credo-là m’a reconstruit, et redonné l’énergie pour témoigner du Christ.

[print-me]


L'abbé Vincent Lafargue

L’abbé Vincent Lafargue

Vincent Lafargue est un jeune prêtre actif sur Internet. Son site personnel (www.ab20100.ch) rassemble ses homélies, mais aussi différentes initiatives au rayonnement croissant. Avant de se diffuser au travers des voies virtuelles, sa parole résonne au cœur des montagnes valaisannes, dans les paroisses du secteur de Lens.

 

]]>
https://www.revue-sources.org/internet-et-predication/feed/ 0
Le portail Cath.ch https://www.revue-sources.org/le-portail-cath-ch-une-arche-dans-les-tourbillons-du-numerique/ https://www.revue-sources.org/le-portail-cath-ch-une-arche-dans-les-tourbillons-du-numerique/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:03:16 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=243 [print-me]

Il y a peu d’années, recouvert par des mètres de neige, l’hospice du Simplon, colossale bâtisse, accueillait des étudiants d’un collège de la plaine du Rhône. Un matin, l’un d’eux, australien venu apprendre le français en Suisse, paraît en état de choc, les yeux gonflés de larmes. Il montre sur son téléphone portable la photographie qu’il vient de découvrir sur les réseaux sociaux. Elle représente une maison coupée en deux par des torrents de boue. Il la reconnaît, c’est la maison de ses parents, celle de son enfance.

Nous restons dubitatifs face à la force de l’image livrée crûment, sans explication, là-haut dans le silence recueilli des montagnes. Lui veut appeler, il veut savoir et entendre la voix de ses parents. Dans la journée, les médias traditionnels nous apprennent les terribles inondations qui touchent l’Australie; le téléphone apportera des nouvelles rassurantes. Je resterai grandi par cette importante leçon: les réseaux sociaux ont dessiné le continent numérique; ils y règnent en maîtres.

Le royaume de l’immédiat

Les réseaux sociaux, ceux que l’on rassemble savamment sous la terminologie «web 2.0» pour indiquer l’évolution irrémédiable qu’Internet a vécue en comparaison des temps du gentil «site à papa», ont intronisé un nouveau royaume, celui de l’immédiat. Lisez bien ici l’absence de média, la disparition de cet intermédiaire qui délivre une information sur le monde après l’avoir collectée, critiquée, pondérée et mise en forme. Désormais le monde communique avec le monde sans médiation. Est-ce la fin du journalisme que l’histoire avait patiemment érigé en triomphe et qui semble s’effondrer maintenant?

Si les journalistes se lamentent, d’autres se frottent les mains. Les gens du devant de la scène, ceux qui veulent se tenir sous les feux des projecteurs, les politiciens, les stars peuvent communiquer au public, à un public mondial, à des millions de fans, en contournant l’exigeant filtre médiatique. Mieux encore, les annonceurs développent des campagnes publicitaires à moindre frais, mais diablement efficaces du fait de leur pénétration dans l’intimité des gens. Car, dans le monde des réseaux sociaux, les salutaires barrières de la vie privée tombent l’une après l’autre. Peut-être, n’a-t-on pas encore appris à les construire?

Une arche journalistique dans un monde d’immédiateté.

Dans les années 70-80, le téléphone – fixe! – avait fait la conquête des ménages et était parvenu à atteindre la femme au foyer. Quelle aubaine pour elle, recluse à la maison, qu’une fenêtre ouverte sur un vaste réseau sans frontière. Quelle aubaine aussi pour les annonceurs! Voici venu l’âge d’or du démarchage téléphonique qui défriche un accès providentiel dans une moitié d’humanité prête à consommer. Il n’est pas impossible que les réseaux sociaux ressemblent plus qu’on ne l’imagine au téléphone. Ils ont réussi à accéder à une population repliée sur elle-même, celle des jeunes, en leur proposant d’accéder immédiatement dans l’intimité de la sphère privée. Il n’est pas impossible que ces réseaux sociaux vieillissent avec cette jeunesse, comme le démarchage téléphonique après avoir atteint son apogée se replie inexorablement.

Cath.ch

Comment évangéliser le continent numérique? Sur le modèle de l’évangélisation téléphonique qui n’a pas eu lieu? Je crois que ce continent n’existe pas. Les personnes qui y naviguent disposent toutes d’une adresse réelle. C’est bien sur terre que la rencontre évangélisatrice doit se faire d’abord! Preuve en est les groupes de jeunes dynamiques en Suisse romande qui possèdent des sites et des pages Facebook jamais à jour ou alors trop tardivement et pas systématiquement. Ils s’organisent certes sur facebook, mais se rencontrent In Real Life.

L’Eglise catholique a édifié le plus important, le plus dense, le plus efficace et le plus humain des réseaux sociaux, parce qu’elle l’a déployé dans la vie de chair et d’esprit. Elle utilise le «web 2.0» à titre accessoire pour faciliter et assister son «web catholique» et sa mission d’évangélisation, en se gardant bien d’en faire un but en soi!

Et cath.ch me direz-vous! Eh bien, il peut paraître comme une ruine virtuelle du «web 1.0», un site à papa vieux de trois ans, une communication désuète puisqu’elle ressemble au journal de presse écrite et non pas au carnet de souvenirs du Facebook.

Mais pour moi, cath.ch se présente au contraire comme une arche journalistique dans un monde d’immédiateté, un espace de valeurs reconnues, choisies, partagées, éprouvées, critiquées, chéries et proclamées; un lieu qui participe à l’évangélisation, autant, si ce n’est plus, que les narcissismes mondains qui souvent empoisonnent les réseaux sociaux. Je lui connais un présent heureux et, malgré les tempêtes, je lui promets un avenir radieux.

[print-me]


Pascal Fessard

Pascal Fessard

Pascal Fessard est journaliste et webéditeur du portail catholique suisse cath.ch. Philosophe de formation, il partage également son regard sur l’actualité ecclésiale à travers son blog «Cuistreries spirituelles».

]]>
https://www.revue-sources.org/le-portail-cath-ch-une-arche-dans-les-tourbillons-du-numerique/feed/ 0
Le site «Evangile-et-peinture» https://www.revue-sources.org/site-evangile-peinture/ https://www.revue-sources.org/site-evangile-peinture/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:01:23 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=241 [print-me]

Le site «Evangile-et-peinture.org» est né en 2003. Le projet de départ – toujours actuel – était de présenter dimanche après dimanche le texte biblique accompagné d’une peinture, sans autre commentaire. Seule une newsletter accompagnant l’image offrait une méditation sur les textes de la liturgie du jour. Malgré des suggestions répétées d’accompagner les images d’un commentaire de l’artiste, nous avons choisi d’en rester au texte biblique pour favoriser une rencontre vraiment «personnelle» entre la Parole et son lecteur, sans autres intermédiaires.

Un autre élément important à l’origine de ce site a été le désir de mettre à disposition de toute personne, gratuitement, des peintures sur l’Evangile pour qu’elles puissent être utilisées dans un but prioritairement pastoral ou spirituel. Ce site est donc entièrement au service de la Parole, et de la Bonne Nouvelle d’espérance et de vie qui nous a été donnée par Dieu à travers son Fils, Jésus Christ, répandue aujourd’hui dans le souffle du Saint Esprit.

«Evangile-et-peinture» est aussi le fruit d’une conviction concernant l’image: nous croyons que celle-ci peut être un moyen très favorable pour «entrer» dans un texte biblique et «donner envie» de le lire et de l’approfondir. Dans ce sens, l’image est plus qu’une simple illustration. Elle est un instrument précieux pour mieux mettre en relief la parole biblique. L’image n’est pas un but en soi; le but est de donner le goût de la Parole aux personnes qui visitent le site. Celles-ci, pour la plupart, sont engagées dans un domaine de la pastorale (catéchèse, liturgie, veillées, aumôneries, animation de groupes divers…) mais nous savons aussi que d’autres personnes en font un usage plus personnel. En outre, nous recevons de plus en plus de demandes provenant de maisons d’édition ou d’organismes ecclésiaux qui sollicitent des images pour leurs projets d’édition ou pastoraux.

En activité entre 2003 et 2010 et contenant plus de 400 images, le site a vécu une parenthèse de trois années pour se refaire une peau neuve. La nouvelle version a été mise en ligne le 1er décembre 2013. Elle sera complétée progressivement. Elle se veut plus dynamique et, surtout, plus pratique, permettant aux usagers d’avoir une banque d’images facilement accessibles.

L’équipe d’animation actuelle est composée par Marie-Dominique Minassian, Bernadette Lopez et frère Vincent Cosatti.

Le site propose:

– Une image illustrant une lecture de la liturgie dominicale, et cela pour toute l’année liturgique (A, B, C) Il existe la possibilité -à travers une inscription- de recevoir par mail chaque dimanche l’illustration du jour accompagnée d’une brève méditation sur l’évangile.

– Des images bibliques, surtout tirées des évangiles (avec leur texte correspondant).

– Des propositions de méditations sur divers sujets. La méditation s’appuie sur la Parole de Dieu et les images qui s’en sont inspirées.

– Une rubrique appelée «Evangile à la maison» qui présente les peintures réalisées par Berna en lien avec la démarche lancée par le diocèse de Lausanne, Genève Fribourg (Suisse) portant ce nom. Cette initiative invite les gens à se rencontrer dans leur maison pour lire en petits groupes, tout au long de l’année, un livre du Nouveau Testament: en 2011-2012, l’évangile de Marc (40 peintures); en 2012-2013, l’évangile de Luc (101 peintures).

– Une rubrique appelée «La minute théologique », qui s’enrichit chaque mois d’une méditation «dessinée».

www.evangile-et-peinture.org

[print-me]


Berna Lopez

Berna Lopez

L’artiste-peintre Bernadette Lopez, alias Berna, est originaire de Barcelone (Espagne). Elle est théologienne, dessinatrice et musicienne. Actuellement, directrice-adjointe de l’Institut romand de formation aux ministères (IFM).

]]>
https://www.revue-sources.org/site-evangile-peinture/feed/ 0
Le monde dans ma maison! https://www.revue-sources.org/le-monde-dans-ma-maison/ https://www.revue-sources.org/le-monde-dans-ma-maison/#respond Tue, 01 Apr 2014 00:01:25 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=922 [print-me]

C’était la nuit du 31 décembre 1999. Désireux de fêter en bonne compagnie la naissance d’un nouveau millénaire, je tentais de me mouvoir au milieu de la foule agglutinée sur la plus vaste place de Genève. Quand l’ultime coup de minuit eut retenti, je m’attendais à une bousculade générale, chacun se retournant vers son voisin pour l’embrasser. Rien de tout cela. Mais un concert d’appels émanant de milliers de portables. Tous, ou presque, s’évadaient pour rejoindre en solitaire un interlocuteur lointain. Ce qui aurait pu devenir une grande fête populaire s’évanouissait dans l’anonymat. Il n’y avait plus un peuple, mais un conglomérat d’individus, chacun enfermé dans son microcosme, replié dans son quant à soi.

Quinze ans plus tard, la rue et les transports publics offrent le même spectacle. Le développement informatique n’a fait qu’exacerber ce mouvement de fermeture et d’évasion. On est rivé à son appareil, cloué à son casque et ses écouteurs, indifférent au monde qui vous avoisine. Tel un zombi qui évolue dans un univers irréel, virtuel pour tout dire. Il suffit parfois d’un choc inattendu pour ramener l’évadé à la banale et dure réalité du quotidien.

Le numérique nous oblige à un saut qualitatif qui ouvre les portes d’un continent nouveau dont nous avons peine à imaginer la couleur et fixer les contours.

Ceci dit, je ne voudrais en aucun cas me ranger parmi les nostalgiques de la lampe à huile. Je ne cracherai donc pas dans la soupe qui me nourrit chaque jour. Je constate simplement que le numérique nous oblige à un saut qualitatif qui ouvre les portes d’un continent nouveau dont nous avons peine à imaginer la couleur et fixer les contours. Le monde désormais envahit notre domaine privé; ses torrents inondent et emportent notre jardin secret. Est-ce une aubaine de tout savoir, et sur le champ, des angoisses métaphysiques propres aux pêcheurs de baleines du Kamtchatka? Ou se gargariser avec le dernier épisode affriolant d’un vaudeville présidentiel? Et cela, au détriment du regard et de l’attention qu’il faudrait porter au frère ou à la sœur avec qui on partage sa vie. Et, bien sûr aussi, du soin que réclame notre propre cœur.

Déjà, l’apôtre Jacques disait de la langue qu’elle était le meilleur ou le pire cadeau qui avait été fait à l’homme. On pourrait en dire autant de l’informatique. Un instrument merveilleux, mais ambivalent. Ou trouver la sagesse pour en faire un usage à bon escient? Le dossier de ce numéro voudrait nous y aider.

[print-me]

]]>
https://www.revue-sources.org/le-monde-dans-ma-maison/feed/ 0
Informatique et clôture monastique https://www.revue-sources.org/informatique-et-cloture-monastique/ https://www.revue-sources.org/informatique-et-cloture-monastique/#respond Wed, 01 Jan 2014 14:58:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=239 [print-me]

Sans être un tsunami qui serait en train de tout emporter sur son passage, la «vague informatique» a pénétré le monde monastique à une telle allure et de manière si universelle qu’il n’est guère vraisemblable qu’elle ait trouvé déjà partout et d’un seul coup sa juste place.

Quelle qu’ait été l’exigence des origines quant à la clôture, peu de monastères ont échappé à la contagion. C’est un fait qu’on ne peut contester. Les mails vont bon train de l’une à l’autre des communautés, et au-delà, qu’il s’agisse des pauvres Clarisses, de quelque Carmel solitaire, des filles de St Benoît ou de St Dominique. Quel monastère n’a son adresse e-mail, voire son site?

La télévision au monastère

La dernière instruction pontificale sur la clôture des moniales, «Verbi sponsa» qui ouvrait la porte à Internet dès 1999 paraît déjà surannée à beaucoup. Le Pape François a d’ailleurs lui-même annoncé une réactualisation de cette instruction qui disait au N° 20: «L’usage éventuel d’autres (Radio et T.V du § précédent) moyens modernes de communication, tels le télécopieur, le téléphone portable, Internet, pour motif d’information et de travail, peut être admis dans les monastères, avec un discernement prudent, pour l’utilité commune, selon les dispositions du chapitre conventuel».

L’instruction était prudente, c’est le moins qu’on puisse dire! Où en sommes-nous maintenant, et de façon plus précise, où en sommes-nous à Taulignan, chaque monastère ayant sa propre sensibilité et orientation, avec une visée commune nous n’en pouvons douter, celle de rester fidèles à sa vocation de prière, inséparable d’une certaine séparation du monde.

La télévision n’a jamais eu droit de cité dans la communauté, mais nous avons téléviseur et magnétoscope qui nous permettent depuis longtemps, grâce aux vidéos et DVD, de choisir et de suivre, avec un retard sans conséquence sur l’actualité, ce qui nous paraît le plus intéressant. Pas trop d’envahissement par l’image ni d’accrochage aux bulletins d’informations, c’est l’option qui nous a paru servir davantage la communion en profondeur plutôt qu’une communication incessante. Nous en sommes toujours restées à ce choix des débuts et c’est donc dans ce sens que la communauté s’est naturellement orientée pour Internet.

Rendre justice aux ordinateurs

Avant de voir tous les dangers de l’impact de l’informatique sur la vie contemplative, ne faut-il pas d’abord rendre justice à ces bons serviteurs que sont nos ordinateurs, et distinguer l’ordinateur en soi, instrument de travail aux possibilités multiples, de l’ordinateur mis au service d’Internet, en tant qu’outil indispensable pour naviguer sur la toile. Pour le premier usage, où serait le problème par rapport à la clôture? (Leur multiplication peut poser question pour la pauvreté peut-être, mais pour la clôture?…) C’est un acquis technique irréversible. Ne serait-il pas ridicule de le bouder sous prétexte d’être fidèle à Cassien et aux Pères du désert?

Le premier ordinateur est entré en clôture à Taulignan en 1995.

Le premier ordinateur est entré en clôture à Taulignan en 1995, avec l’accueil d’une postulante formée à l’informatique et qui l’avait dans ses bagages. Nous n’étions donc pas en pointe, mais la brèche fut ouverte alors, et des petits frères n’ont pas tardé à suivre ce premier-né. L’économat en a été le premier bénéficiaire, avec les avantages évidents: gain de temps considérable, et bien des casse-tête évités dans ce monde aride des chiffres et de la gestion. On n’envisagerait plus de s’en passer et l’on ne voit pas comment ni pourquoi on le ferait!

Pourtant, quel qu’en soit l’usage (étude par ex.), aucune Sœur n’a un ordinateur, personnel ou d’emploi, en cellule, la cellule ayant toujours été pour une moniale un lieu privilégié d’intimité avec le Seigneur. Pour le moment, prieure, sous-prieure, économat et accueil ont un ordinateur dans leur bureau. Les autres sont «au commun», en des lieux ouverts à toutes. Les sœurs qui les utilisent (4 pratiquement) s’arrangent fraternellement entre elles selon les besoins.

Internet ferait-il problème?

Les vraies questions se posent, non avec l’informatique en elle-même, mais avec son ouverture sur Internet. Les quatre responsables ci-dessus y ont accès directement. Pour les autres, un seul ordinateur est branché. Pas de problème jusqu’ici pour le partage… et pas trop non plus pour les risques à courir. Seule une réserve paraît s’imposer, réserve qui n’empêche nullement de reconnaître ce qui est bon! Pour le silence par exemple, la communication par mails est bien moins perturbante extérieurement que les sonneries de téléphone, et permet souvent de se limiter de façon claire au seul nécessaire, alors qu’il n’est pas toujours facile d’endiguer le flot de paroles de certains interlocuteurs… ou les nôtres.

Pour la formation des plus jeunes, il nous paraît bon également qu’il y ait au départ une certaine rupture avec l’habitude d’Internet.

Que dire des achats possibles sans sortir de clôture, grâce à la précieuse carte bleue! Ou de la possibilité de cours à domicile grâce au télé-enseignement diffusé par Internet. Ou encore de l’intérêt du site pour se faire connaître sans bruit… Inutile enfin d’insister sur le gain de temps et la facilité de communication amenés par le courrier électronique. C’est tellement évident!

Reste à savoir si ce plus est au profit d’un travail plus paisible ou de la prière, ou s’il engendre un surcroît d’activités et d’encombrement intérieur. Nous ne sommes pas plus que d’autres à l’abri du stress de la vie moderne et l’escalade de la vitesse nous guette comme tout le monde. Rien n’est prouvé en ce domaine… La facilité des informations continuellement offertes peut aussi séduire l’une ou l’autre par moments, et les nombreuses sollicitations du petit écran être source de curiosités, innocentes en apparence, mais finalement bien dispersantes. Une ascèse s’impose forcément. A chacune de voir!

Traverser une zone de silence

Car il n’y a pas que des «affaires» à gérer par Internet (économat, fournisseurs, contacts pour l’accueil, courrier etc..), il y a aussi les relations personnelles de chacune avec sa famille et ses amis. Elles obéissaient autrefois à des limites parfois assez strictes. Que tout se soit un peu humanisé n’est pas un mal, mais où s’arrêter?

La Prieure d’un monastère en fondation au Canada et qui semble allier harmonieusement modernité et tradition, nous disait récemment que, pour la réponse à donner à bien des mails plus personnels, il lui semblait que «la parole d’une moniale devait traverser une zone de silence». Oui, savoir attendre sans céder à l’impulsion de répondre tout de suite (sauf urgence évidente) en multipliant les échanges si faciles sur le net. C’est bien dans cette ligne que nous essayons de marcher. Et pour la formation des plus jeunes, il nous paraît bon également qu’il y ait au départ une certaine rupture avec l’habitude d’Internet et que l’usage en soit limité, sans étroitesse et dans un climat de confiance.

Les téléphones portables ne posent guère de problèmes chez nous jusqu’à présent. Il y en a deux dans la maison, et nous n’en désirons pas davantage. Au moment de gros travaux récents la Sœur responsable du chantier en a eu un par vraie nécessité. Elle l’a gardé et il n’est pas inutile. L’autre est au commun, en cas de besoin: une sortie par exemple où il faudrait pouvoir se joindre sans difficulté. C’est tout!

Conclusion. Sans vouloir insinuer qu’informatique et clôture forment un couple idéal, il semble bien qu’il n’y ait pas encore péril en la demeure. Le bilan nous paraît positif pour une meilleure relation avec la société de notre temps, du moment que l’on veille fidèlement au silence intérieur qui nous permet de garder le cap sur l’essentiel de notre vie.

[print-me]


Soeur Marie-Pascale

Sœur Marie Pascale est une moniale dominicaine du monastère La Clarté Notre-Dame, à Taulignan, en Drôme provençale.

]]>
https://www.revue-sources.org/informatique-et-cloture-monastique/feed/ 0