« Va dire à mes frères! » – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 04 Jan 2017 13:42:45 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 La pastorale d’engendrement https://www.revue-sources.org/la-pastorale-dengendrement/ https://www.revue-sources.org/la-pastorale-dengendrement/#respond Sun, 01 Apr 2012 11:55:31 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=145 [print-me]

Pastorale d’engendrement. Cette expression a été forgée par un groupe de théologiens français: Philippe Bacq, Jean-Marie Donegani, Christoph Theobald. Par le nom qu’elle porte, il est signifié que cette pastorale a un lien profond avec la naissance. Bien sûr, il ne s’agit pas de la naissance biologique, mais de la nouvelle naissance qu’évoque l’Evangile de Jean.

Une définition

Cette nouvelle naissance est donnée par l’Esprit, dans la mesure où l’homme consent à en recevoir le souffle. Elle est aussi donnée en Dieu (le Père), en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être (Actes 17). Elle est encore donnée en Christ, qui est le Chemin, la Vérité et la Vie. Une naissance trinitaire, en quelque sorte.

En un sens strict, ce n’est donc pas l’Eglise, ni ses ministres qui engendrent ou qui donnent la nouvelle naissance. Que font-ils alors? Ils sont appelés à offrir les meilleures conditions de possibilité pour que cette naissance advienne.

Permettre aux personnes de faire l’expérience vivante du Christ et de l’Esprit. Faire route avec les personnes, pour qu’elles accueillent en elles la présence agissante et vivifiante du Christ dans l’Esprit et qu’ainsi elles trouvent des horizons nouveaux de générosité, d’intelligence et de réconciliation. Offrir les moyens que l’Eglise a reçu, pour que cette naissance soit évoquée et communiquée: le respect de l’homme et l’entraide fraternelle, la vie communautaire, la Parole de Dieu, les sacrements, l’eucharistie. Comme le dit Christoph Theobald, les ministres de l’Eglise sont invités à être les passeurs de la présence du Christ et de l’Esprit.

Deux illustrations

Le deuxième exemple est plus inhabituel. Il ne se passe pas dans le giron de l’Eglise. Il est athématique, en ce sens qu’il n’est pas explicitement orienté sur la présence du Christ, bien que cette présence affleure partout.

Il s’agit d’Etty Hillesum, cette femme juive hollandaise morte à Auschwitz en 1943, dont on connaît la fulgurante évolution spirituelle. Au départ de son journal, elle semble mener une vie assez dispersée, avec des recherches tous azimuts, y compris dans le domaine affectif. Puis, elle fait la rencontre d’un psychologue, spécialiste de la lecture des traits de la main: Julius Spier. Par sa médiation, elle se met à faire une croissance humaine et spirituelle fulgurante, en lien avec le peuple juif, avec Rilke, et même à certains moments avec l’Evangile. Elle échappe aux sentiments de haine et de désespoir; elle entre dans une profonde compassion pour le sort de son peuple et même, ô paradoxe, pour le sort de Dieu lui-même qui semble bien abandonné. Elle devient, dans les pires situations des camps de transit, « le cœur pensant de la baraque« . Elle dit cette parole si profonde: « mon Dieu, tu as fait tout ce que tu as pu ; c’est à nous de garder un peu de toi dans le cœur des hommes« .

Que l’horizon de la vie de l’homme soit la résurrection et non pas seulement les petites patries de cette terre.

Le chemin d’Etty Hillesum est vraiment un chemin de mise debout de la personne, un chemin de résurrection, de croissance devant Dieu et les hommes. Un grand moment d’engendrement, dont Julius Spier fut le passeur, malgré et avec toutes ses limites. La première est la rencontre entre Jésus le Ressuscité et les disciples d’Emmaüs (Luc 24). Les disciples d’Emmaüs sont à terre ; leurs espoirs ont été anéantis par la mort de Jésus. Et pourtant, ils marchent. Il leur reste encore assez de puissance de vie pour pouvoir marcher. Jésus les rejoint et, longuement, fait route avec eux. Il leur explique les Ecritures. Leur cœur devient brûlant ; en quelque sorte, il revient à plus de vie. Ce n’est pas seulement à cause de l’explication des Ecritures mais surtout du fait de la Présence vivante, fraternelle, patiente, chaleureuse de Jésus. Présence qui s’atteste autour de la table par le partage du pain et remet debout avec enthousiasme. Cet épisode évangélique nous indique deux aspects importants de la pastorale d’engendrement: le patient compagnonnage fraternel en Christ mort et ressuscité et le partage (au sens fort de ce mot) des Ecritures et de l’eucharistie.

Le nouvel accent de cette pastorale dite d’engendrement pourrait tenir en un slogan: que l’homme soit mis debout (au sens fort de ce terme, qui fait allusion à la résurrection). Que l’homme puisse accéder à sa dignité et à l’exercice de sa liberté (Galates 5). Et s’il est tombé, que l’homme puisse accéder à la réconciliation qui est une forme de renaissance. Que l’horizon de la vie de l’homme soit la résurrection et non pas seulement les petites patries de cette terre.

Un peu d’histoire

Comment en est-on arrivé à mettre l’accent sur une telle manière de voir la pastorale? Un peu d’histoire peut être utile.

Au point de départ, une crise: celle de la transmission de la foi. Aujourd’hui, la foi et l’identité chrétiennes ne se transmettent que très difficilement. Cette crise n’est pas nouvelle. Déjà, en 1943, Godin et Daniel, en écrivant La France, pays de mission?, avaient tiré la sonnette d’alarme. De larges pans de la société étaient fort éloignés de l’Eglise, en particulier dans la classe ouvrière. Les aumôniers militaires avaient dû constater combien les jeunes hommes avaient oublié le catéchisme de leur enfance. Il fallait alors, dans le langage de l’époque, « reconquérir les masses » ; l’un des moyens privilégiés était l’Action catholique. Visiblement, le projet n’a pas abouti

Affrontée à cette nouvelle donne, l’Eglise s’est orientée dans les vingt dernières années vers une nouvelle stratégie pastorale, qu’elle appelle –du moins en France– la proposition de la foi. L’Eglise se rend compte qu’elle ne peut plus insuffler à la société, voire aux personnes, ce qu’elle tient à transmettre de son identité structurelle, doctrinale et morale. Elle ne peut plus être dogmatique et prescriptive. Elle se risque donc simplement à proposer sa manière de voir le monde, la société, la personne devant la face de Dieu. L’Eglise se rend compte qu’elle ne peut pas s’isoler dans sa tour d’ivoire. Dès lors, elle doit consentir à dialoguer avec les tendances les plus diverses qui traversent les sociétés occidentales. Finalement, l’Eglise se rend compte qu’elle n’a pas réponse à toutes les sollicitations nouvelles de la modernité. Dès lors, elle doit se mettre à chercher avec les autres, en faisant valoir la voix de l’Evangile.

Proposer la foi est donc un acte d’humilité. L’Eglise consent à donner et à recevoir. C’est aussi un acte de reconnaissance du pluralisme des visions du monde et des représentations religieuses. C’est aussi un acte d’offrande de sa propre vision et de sa propre représentation. Proposer la foi, est un acte de patience face à la recherche tâtonnante de chaque homme en son individualité. C’est un acte de respect de la liberté de chaque personne.

Comment proposer la foi?

Proposer la foi est donc une autre manière de faire Eglise, de positionner l’Eglise dans la société et de construire l’identité chrétienne. Plus précisément, comment se réalise la proposition de la foi? En quatre moments qui ne sont pas forcément successifs:

Proposer la foi est un acte d’humilité.

Ensuite, l’offrande de la foi (ou de l’interprétation que la foi donne à la vie). Cette offre de la foi devrait avoir une couleur existentielle, consister en témoignage, plutôt qu’en enseignement. Elle ouvre sur un dialogue. Elle permet un « chercher ensemble » dans la vérité, à partir des convergences et des différences.D’abord l’accueil des personnes, de leurs histoires, de leurs demandes. Cet accueil doit être empathique ou, pour employer un terme plus évangélique, fraternel. Cela signifie qu’il doit permettre d’entrer dans la problématique, le désir, la demande, la quête de l’autre.

La proposition de la foi implique aussi un cheminement. Il ne suffit pas d’une discussion, il faut faire route ensemble. La raison en est que la foi n’est pas seulement une connaissance, pour laquelle suffirait une argumentation. Elle est une vie, qui s’apprend avec d’autres qui essaient d’en vivre et qui par là même en sont témoins. L’Eglise des premiers temps avait magnifiquement compris cela, en inventant des processus de type catéchuménal. Cette intuition commence à être reprise à nouveaux frais aujourd’hui dans le cadre de l’acheminement au baptême, à l’eucharistie, au mariage.

Enfin, si la proposition arrive à sa complétude, elle aboutit au moment de « faire communion ». C’est un moment de célébration, où le cheminement se trouve scellé devant Dieu, où il est en même temps relancé, car la route de la foi n’est jamais finie. C’est aussi un moment ecclésial qui manifeste le caractère communautaire de la route de la foi où tous ont donné et reçu. Même les personnes avec un handicap mental sont parfois des guides pour les catéchistes virtuoses. Chacun reçoit ce qu’il peut et veut. Il établit son identité chrétienne. Il la « bricole », comme disent les sociologues de la religion. Car, aujourd’hui, « la synthèse est dans l’individu« . L’identité n’est pas quelque chose que l’on reçoit, mais le fruit d’une recherche.

Questions à la proposition de la foi

Aujourd’hui, les tenants de la proposition de la foi pensent qu’il faut aller plus loin. Que l’identité chrétienne soit le consentement plus ou moins libre aux prescriptions de l’Eglise ou qu’elle soit le bricolage subjectif du chemin de sens et de bonheur offert en Christ, n’est-ce pas finalement passer à côté de l’essentiel? N’est-ce pas quelque peu égocentrique, au sens littéral de ce mot?

La question était déjà posée dans les années 60. Qu’est-ce que l’essentiel chrétien? Je me souviens que les réponses que j’entendais alors ne m’avaient pas satisfait. On essayait de trouver le spécifique chrétien dans les évangiles, dans les comportements sociaux, dans les déterminations existentielles et morales. On trouvait alors une collection plus ou moins large d’originalités chrétiennes, comme l’amour des ennemis ou la conception d’un Dieu Père. Mais cela ne me paraissait pas bouleverser le cœur.

Aujourd’hui, certains affirment – et j’en suis – que l’identité chrétienne tient dans cette formule de Paul: « Pour moi, vivre, c’est le Christ« . Ou dans celle de Jésus que rapporte Jean: « Demeurez en moi« . Autrement dit, l’identité chrétienne tient essentiellement dans la rencontre intime et vivante avec le Christ. Elle est d’abord une relation interpersonnelle (et mystique) avec Celui qui est le chemin, la vérité et la vie ; une relation qui se joue au plus intime de l’être: « interior intimo meo« , comme disait saint Augustin. Tout le reste en découle: connaissance aimante de l’Ecriture et de la Tradition, rites, sacrements, appartenances communautaires, service des pauvres et de la justice, etc. Une fois que la rencontre est faite, la vie se trouve transformée en Christ ; c’est une nouvelle naissance. Saint Augustin, encore lui, en est un admirable exemple.

Cette affirmation n’infirme pas ce qui a été dit auparavant sur la proposition de la foi. Il faut souvent de longues et tâtonnantes recherches, pour qu’advienne la rencontre bouleversante. Il faut donc que de multiples chemins soient proposés et parcourus, au service de ces recherches. Cette affirmation indique le but ultime de la proposition de la foi: la personne devient vitalement être-en-Christ. Cette approche, théologique bien plus que sociologique de l’identité chrétienne doit prendre une place première. C’est pourquoi, en France comme en Suisse, on se tourne vers ce qu’on appelle la pastorale d’engendrement. En d’autres termes, la pointe de la pastorale devrait viser la nouvelle naissance en Christ qui est comme un engendrement nouveau. Dès lors, la pastorale devrait porter des accents nouveaux. Ce qui devient premier, c’est d’offrir à chacun les conditions de possibilité de cette rencontre intime avec le Christ et de vivre les conséquences qui en découlent: la justice et la charité fraternelle. Seulement les conditions de possibilité, car la rencontre échappe à nos prises ; elle relève du mystère de la personne dans son ouverture à l’Esprit.

Trois piliers indissociables: partager l’Ecriture, relecture de la vie, intériorité.

Pour ce faire, point n’est besoin d’être sainte Monique pleurant pour la conversion de son fils Augustin (même si c’est un bel exemple d’engendrement). Mais le chemin se joue d’homme à homme, de frère à frère, du cœur au cœur dans une rencontre interpersonnelle ou communautaire. Quelque chose de la flamme d’un fou de Dieu – ou d’une communauté de fous de Dieu – va toucher le cœur d’une personne et l’orienter vers le oui à la rencontre du Christ. Rien ne dit mieux cela que cette parole de Maurice Zundel: « Dieu transparaît plus qu’il n’apparaît« . Au travers de ceux qui vivent vraiment en Christ, Dieu transparaît. Il se donne à voir. Il peut toucher le cœur. La possibilité de la rencontre intime trouve une figure ou un visage.

Théologiquement, on retrouve ici la notion d’Eglise sacrement (cf. Lumen gentium 1). L’Eglise est sacrement de la rencontre de Dieu. La personne en Christ, à sa manière, est aussi sacrement de la rencontre de Dieu. L’exigence ici est celle de la sainteté. La pastorale d’engendrement implique donc une manière plus existentielle, plus engagée et même plus mystique de partager la foi. Aider les personnes à se mettre debout dans l’espérance et le pardon réclame un engagement du cœur et de l’esprit.

Quelques pas concrets

La pastorale d’engendrement repose sur trois modes d’accueil et sur trois piliers pratiques.

Premier mode d’accueil: accueillir ce que Christoph Theobald appelle la « foi de quiconque« . De quoi s’agit-il? C’est la foi basique en la vie, en l’orientation positive de la vie, en la vie reçue comme un don qui nous précède et qui peut s’ouvrir sur l’infini. Cette foi, même si elle n’est pas consciente, est présente au cœur de toute personne. C’est cette foi que l’on peut élucider, comme on met à découvert la source. C’est à partir de cette foi que l’on peut commencer le chemin de la nouvelle naissance en Christ. C’est tellement manifeste lorsqu’on a affaire à de jeunes parents. Devant le visage du nouveau-né, leur foi en la vie est manifeste, sauf accident. À partir de là, un chemin peut s’inaugurer. En revanche, si cette « foi de quiconque » n’est pas présente, comment bâtir plus avant?

Deuxième mode d’accueil: l’hospitalité. Pour être plus précis: vivre quelque chose ensemble qui puisse fonder une relation fraternelle. Par exemple, partager un repas et accueillir le questionnement existentiel de l’autre. Comme disent souvent les psychologues, accueillir l’autre comme autre, mais avec patience et chaleur. À cet égard, il est symptomatique de voir que de nouvelles manières de partager la foi, comme Alphalive, mettent un accent très clair sur la convivialité.

Troisième mode d’accueil: la crédibilité. Celui qui accueille doit être crédible. Autrement dit, sa foi doit avoir une épaisseur existentielle, de sorte qu’elle transparaisse, avant même qu’un mot ne soit prononcé. Les attitudes doivent correspondre autant que possible à l’évangile: respect, bonté, pardon, justice, espérance. Celui qui accueille doit oser être lui-même avec humilité et douceur, dans un profond respect de la liberté de l’autre.

Sur le fond de ces trois aspects du mode d’accueil, il importe de développer trois piliers pratiques qui devraient être indissociables: partage de l’Ecriture, relecture de la vie, intériorité.

La sainte Ecriture est parole vivante, comme nous le savons tous. Elle est au fondement de notre foi, bien avant le catéchisme. Le partage de l’Ecriture a quelque chose de vivifiant. C’est pourquoi, on ne peut se contenter d’un enseignement à propos de l’Ecriture. Il s’agit de faire découvrir qu’elle a une influence sur la vie. Il s’agit aussi de donner parole sur la Parole. Chacun doit pouvoir dire ses étonnements, ses questions et surtout ses découvertes existentielles à partir de la fréquentation de la Parole.

La relecture de vie est tout aussi importante. Saint Ignace de Loyola en fut un maître. L’Action catholique l’a développée sous la forme de la révision de vie. Il s’agit de voir ce que je vis, ce qui réjouit, ce qui donne à souffrir, ce que j’espère, de manière très concrète. Et de corréler cette lecture très réaliste avec la Parole de Dieu, pour que cette dernière éclaire ou déplace le sentiment ou l’action quotidienne dans le sens d’un plus grand amour, d’une plus grande justice, d’une plus ferme espérance. Cette relecture de vie s’est estompée dans la pastorale des quarante dernières années. Elle est pourtant nécessaire si l’on veut naître et renaître les yeux ouverts.

L’intériorité enfin. C’est à l’intérieur de l’homme que se vit le cœur à cœur avec Dieu, ainsi que la transmission des énergies divines. Saint Augustin l’a montré avec une force inégalée. Il est donc fondamental que cette intériorité puisse être cultivée. Cela fait partie de la mission de l’Eglise que d’en montrer les chemins au travers d’une prière qui conduit au silence, qui offre le silence comme un contact intime avec Celui qui est la source de toute vie. En ce sens, la communauté de Taizé a trouvé des pratiques très simples et très belles: quelques « ostinati« , une Parole biblique assez brève, un commentaire bref lui aussi, un long temps de silence en commun, et encore quelques « ostinati« , ces chants longuement répétés qui appellent à la profondeur.

Parfois, quand on parle de pastorale d’engendrement, des prêtres et agents pastoraux déclarent: « rien de neuf sous le soleil!? ». Oui et non. Ces pratiques et ces attitudes sont connues, en effet. Augustin, Ignace et tant d’autres en sont les témoins. Mais, tout de même, il y a un changement de paradigme que la société d’aujourd’hui nous invite à faire: passer d’une pastorale enseignante, dogmatique, moralisatrice et prescriptive à une pastorale beaucoup plus inductive qui permette de faire route avec les personnes et de les aider à découvrir les sources de la vie. Mettre ensemble partage de l’Ecriture, relecture de la vie et intériorité, représente vraiment un grand changement pratique, du moins chez nous. Pour que ce changement ait lieu, il faut pouvoir le décliner dans une transformation progressive de notre manière de porter la charge pastorale.

En conclusion, j’aimerais dire que cette pastorale d’engendrement repose sur une parole toute simple de Jésus. Quand sa mère et sa famille viennent le chercher à Capharnaüm, parce qu’ils craignent qu’il aille trop loin, Jésus répond, en s’adressant à la foule: « Qui est ma mère? Qui sont mes frères? Celui qui fait la volonté de mon Père, voilà mon frère, ma sœur, ma mère » (Marc 3, 32). Si nous prenons cette parole dans son sens le plus fort, nous sommes appelés à devenir « la mère de Jésus ». Non pas comme Marie, bien sûr. Mais notre vie et notre action pastorale doivent avoir pour but que la présence vivante de Jésus soit engendrée au cœur de chaque homme, pour son bonheur et son espérance.

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L’Abbé Marc Donzé, après avoir été vicaire épiscopal pour le canton de Fribourg pendant six ans, vient d’être nommé Vicaire Episcopal pour l’Eglise catholique dans le Canton de Vaud par Mgr Charles Morerod, nouvel évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Spécialiste de Maurice Zundel, il a été professeur ordinaire de Théologie pastorale à l’Université de Fribourg de 1986 à 1997 avant de retourner à la pastorale paroissiale, puis cantonale.

 

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Etre catéchète: un art qui donne à réfléchir https://www.revue-sources.org/etre-catechete-un-art-qui-donne-a-reflechir/ https://www.revue-sources.org/etre-catechete-un-art-qui-donne-a-reflechir/#respond Sun, 01 Apr 2012 11:43:18 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=141 [print-me]

Souvent, dans ma vie de catéchète, je me suis trouvée face à la même interrogation: pourquoi les enfants des dernières classes primaires sont-ils devenus indifférents, même ironiques, par rapport à ce qui, de près ou de loin, touche à la religion? Pourquoi rejettent-ils soudain ce Dieu qui fut le compagnon de leur petite enfance. Le passage de l’enfance à l’adolescence est-il si préjudiciable à Dieu?

Un constat amer

Pour essayer de comprendre, je suis allée à la rencontre d’une vingtaine de jeunes romands, âgés de 18 à 25 ans, impliqués dans la pastorale de leur région. Manifestement, la catéchèse n’a pas été déterminante dans leur engagement. L’appel de Dieu est passé par d’autres médiations. Un membre de la famille croyant, un groupe de prière, une retraite au désert ont été plus convaincants et montrent l’importance de la relation.

Pour moi, catéchète depuis plus de vingt ans, le constat a été un peu amer: tant d’énergie déployée pour ces chères têtes blondes qui n’ont pratiquement rien retenu, sauf peut-être les retraites de première communion et quelques farces faites à la catéchiste.

La découverte de la catéchèse biblique symbolique, que je pratique maintenant depuis quatre ans, m’a poussée à une remise en question de ma pratique. Elle m’a fait prendre conscience de l’importance de respecter chaque étape du développement spirituel de l’enfant et d’être très attentive à un passage crucial entre 9 ans et 11 ans. C’est le moment où l’enfant passe d’un univers mental à un autre. Là se joue l’avenir de la foi de l’adulte qu’il est appelé à devenir.

La Bible dit-elle vrai?

Le petit enfant entre de plein pied dans la relation avec Dieu, tant que l’esprit cartésien ne fait pas encore obstacle à son imagination et à sa capacité d’émerveillement. Traditionnellement, on dit qu’entre 3 et 7 ans, l’enfant se situe dans la pensée magique. Il explique tous les phénomènes en inventant la réponse qui le satisfait momentanément. Que les animaux parlent ou avalent un être humain pour le recracher ensuite ne le dérange absolument pas.

Mais, un jour vient où l’enfant rejette le merveilleux. « Depuis Piaget, on sait que sur le plan psychologique, aux alentours de 7 ans, l’évolution du cerveau de l’enfant se parachève. Il acquiert alors en quelques semaines la ‘réversibilité mentale’, c’est-à-dire la possibilité du retour sur soi, qui aura de multiples conséquences sur son développement. »[1] Il déploie peu à peu la capacité de s’interroger, de structurer la réalité de façon rationnelle, de prendre du recul par rapport à ses propres réactions. Les apprentissages scolaires vont accentuer encore cette tendance. Est vrai ce qui se voit, se démontre, se prouve.

Dans ce processus de maturation, il est un moment charnière et capital: l’âge de 10 -12 ans. L’enfant commence à manier la pensée rationnelle. Il entre dans un univers mental technique. L’école développe sa pensée logique. Il rêve moins et ressent de la difficulté à exprimer ses sentiments. Ce qui n’entre pas dans cet univers est considéré par lui comme invraisemblable et il le rejette. L’enfant de cet âge trouve souvent peu de soutien de la part de ses parents qui n’ont plus de réponses. Une question va immanquablement émerger: « Est-ce que c’est vrai, ce que dit la Bible? » ou encore « Est-ce que tu crois vraiment ce que dit la Bible? »

Si personne ne prend en compte les incohérences entre un discours de foi et la vie de l’enfant, si on esquive ses interrogations en donnant des explications toutes faites, si les catéchètes ne sont pas préparés à accompagner ce questionnement, le passage critique, mal négocié aboutit à de la révolte, de l’ironie ou à un sentiment désabusé chez les jeunes. Car tôt ou tard, l’enfant va devoir se positionner: accepter ou refuser la vérité de la Bible. L’art d’accompagner l’enfant et de le préparer à traverser cette période critique est primordial.

« L’autrement dit » du récit biblique

Catéchiser, c’est « faire résonner une parole à l’oreille d’un auditeur« . Katêchein en grec signifie « faire résonner (echein) de manières multiples (kata) [la Parole].»[2]

Apprendre à écouter en soi l’écho de la Parole de Dieu

Le pape Benoît XVI, devant une conférence épiscopale européenne, a rappelé l’importance du travail sur la Parole de Dieu: « Je voudrais recommander l’antique tradition de la lectio divina à chaque fidèle. La lecture assidue de la Sainte Ecriture, accompagnée de la prière, réalise cet entretien intime dans lequel, en lisant, on écoute Dieu qui parle et en priant on lui répond, par la confiante ouverture du cœur et par la foi. Cette pratique, si elle est efficacement encouragée, apportera à l’Eglise, je suis convaincu, un nouveau printemps spirituel.« L’étymologie du mot pousse d’emblée à constater que la Parole de Dieu est mise au centre de l’action catéchétique. Résonner implique un son accompagné de résonnances: faire résonner une parole, ici la Parole de Dieu, apprendre à écouter en soi l’écho de la Parole de Dieu, de manières multiples, dans une diversité d’approches, « en soi » spécifiant bien que la Parole est entrée à l’intérieur, que l’enfant l’a intégrée.

Et le pape ajoute: « la lectio divina est l’élément fondamental dans la formation du sensus fidéi, du sens de la foi, et à travers la lectio divina on peut devenir un chrétien vrai, mûr et adulte.« [3]

La Bible est un laboratoire pour y apprendre à voir, à comprendre comment Dieu voit et agit. C’est un lieu d’apprentissage d’un savoir-vivre avec Dieu, en le fréquentant au gré des rencontres avec les différents personnages bibliques. Dieu parle, il faut l’écouter. Mais sa Parole n’est pas celle de notre monde positiviste, limitée à ce qui est visible, concret et matériel. Le monde de Dieu tient du mystère et pour comprendre sa Parole, il est nécessaire d’apprendre à entrer dans le double sens des images bibliques, dans «l’autrement dit » du texte. Quelle joie pour le catéchète quand un enfant s’exclame, après avoir discuté, creusé, ruminé avec ses camarades, une bizarrerie du texte: « Ah mais on peut comprendre autrement! ».

Comment l’enfant change-t-il dans sa tête?

Souvent, les parcours de catéchèse sont organisés par thèmes, thèmes de la foi chrétienne ou de la vie relationnelle de l’enfant, en famille, à l’école etc. Le récit biblique vient corroborer des idées déjà formulées. Or l’enfant, entre 7 et 11 ans, ne raisonne pas en idées, mais en images. Il est concret. Si nous commençons par raconter un récit biblique, sans a priori, l’enfant fera forcément des liens avec ce qu’il connaît et ce qu’il vit, et le récit lui permettra d’exprimer son expérience, à son niveau de parole, et non comme l’adulte l’attend.

L’enfant qui, à 7 ans, adhérait au fait qu’un poisson puisse avaler un homme puis le recracher ensuite, réalise, deux ans plus tard que cette situation est invraisemblable, et il le dit. C’est alors que l’adulte lance la discussion dans le groupe en faisant circuler la parole, en suscitant des rapprochements avec d’autres récits bibliques ou des situations de vie et en s’abstenant surtout de donner sa propre réponse afin de respecter le rythme de l’enfant et son niveau de parole. Progressivement, ce dernier comprend qu’il y a quelque chose à décrypter: cet homme dans les entrailles du poisson, trois jours et trois nuits, peut lui ouvrir un nouvel espace de sens. L’enfant évolue par lui-même, en changeant d’univers mental, grâce à la recherche commune menée par le groupe en faisant des liens avec d’autres récits bibliques mis en mémoire.

Les pédagogues nous le disent, l’enseignement conçu de façon à faire acquérir un message essentiel, théologique ou moral est peu efficace: « Les activités les plus susceptibles de provoquer des apprentissages signifiants et permanents chez l’élève sont des activités de résolution de problèmes (…) C’est un contexte idéal d’apprentissage parce que chaque phénomène est présenté dans toute sa complexité et que l’élève doit établir de nombreuses relations entre ses connaissances. ».[4]

Genèse de la catéchèse biblique symbolique

Cet enjeu-là, Claude et Jacqueline Lagarde, un couple de catéchètes français, l’ont repéré dans les années septante déjà. Depuis plus de trente ans, ils proposent une pédagogie de la Parole qui n’est pas nouvelle, mais inspirée par l’exégèse rabbinique dans sa méthode, et par celle des Pères de l’Eglise dans son orientation: la catéchèse biblique symbolique. Elle permet de dépasser le sens littéral de la Bible pour découvrir le sens spirituel. Il se trouve que cette démarche a une parenté évidente avec le programme de catéchèse Porte Parole, émanant du diocèse de Montpellier, appliqué depuis peu dans les classes de 4e, 5e et 6e primaire du canton de Fribourg.

Claude et Jacqueline Lagarde ont écouté et enregistré des centaines d’enfants et d’adultes de tous âges lorsqu’ils parlent à partir de textes bibliques. Ils ont retranscrit et analysé ces enregistrements pour comprendre comment les enfants comprennent et ils ont découvert qu’en fonction de leur âge, les enfants utilisent différents niveaux de parole. Forts de cette constatation, ils ont mis au point une grille opérationnelle qui permet de comprendre les divers univers mentaux à l’œuvre chez l’enfant et de dialoguer avec lui selon le niveau de parole dans lequel il se trouve. Ainsi, il est possible d’adapter l’apprentissage de façon à ce que l’enfant ou l’adolescent puisse progresser au mieux dans la découverte du sens de la Parole de Dieu et de la prière. Les adultes aussi passent d’un niveau de parole à l’autre.

Les niveaux de parole

« Le niveau de parole d’un être humain est le rapport, souvent inconscient, qu’il entretient verbalement avec un langage entendu, ou bien avec un texte.« [5]

Voici les quatre étapes que Claude et Jacqueline Lagarde ont mises en évidence:

– la parole anecdotique qui crée la mémoire biblique engrange le trésor de la Révélation. C’est le sens littéral du texte. L’enfant de 3-4 ans en est capable et a plaisir à entendre et à redire les histoires

– la parole analogique qui relie telle image biblique à telle autre. Elle fait des liens entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre les récits et l’expérience personnelle, la liturgie ou les sacrements et enrichit le sens. Entre 5 et 8 ans, l’enfant peut commencer à trouver ces liens

– la parole qui s’étonne devant telle bizarrerie du texte biblique; elle arrête le lecteur, le fait creuser, chercher pour comprendre ou provoque le doute. « La prise en compte de la parole critique n’est pas chose courante dans les pratiques catéchétiques actuelles. Souvent perçue comme menace pour la foi, la pensée critique est rarement valorisée » remarque Colette Beauchemin.[6] Cette remise en question apparaît vers 9-10 ans, c’est précisément le moment crucial à ne pas négliger

– enfin, la parole que les anciens nommaient sens spirituel qui est métaphorique puisqu’elle évoque toujours le ciel avec la terre, l’homme avec Dieu, l’Alliance. Elle peut être possible dès l’âge de 11-12 ans.

Le passage de l’extériorité vers l’intériorité

L’observation des niveaux de parole réactualisés par les Lagarde permet de faire la distinction entre « deux sortes de parole » humaines.

Une parole en extériorité: « la parole qui explique (le langage de la science) (…) selon ce type de parole ou de langage, le monde, les choses sont pour nous des objets dont nous prenons possession (…); cette parole par laquelle nous les maîtrisons, ne nous atteint pas personnellement, elle ne nous change pas (…). » C’est la parole de l’enfant qui a enregistré les données qui l’entourent mais qui ne sont pas de lui. L’implication est superficielle.

Une parole en intériorité: « la parole qui crée » (le langage de la relation entre les personnes; le langage de l’amour). (…) « Ici on ne ‘possède’ pas l’autre comme un objet; l’autre est quelqu’un qui nous interpelle, à qui on répond: on sort de soi pour aller vers lui, on ‘existe’. (…) C’est de ce dernier type qu’est la Parole de Dieu. »[7] Elle exprime la vérité de ce que je suis. C’est la parole de l’adolescent qui veut s’appartenir et se construire et qui se sert de sa parole pour dire sa quête d’identité intérieure. Cette parole est consistante et structurante, c’est la parole en Alliance. « Les mots et le langage ne changent pas mais la façon de s’y rapporter est tout autre; ils ne veulent pas dire la même chose pour celui qui les emploie. Par exemple lorsque le mot ‘feu’ est utilisé dans une parole en intériorité, il prend une valeur symbolique et analogique pour évoquer une expérience intérieure. On comprendra que le langage biblique et liturgique nécessite une implication personnelle du sujet pour pouvoir déployer son sens existentiel et spirituel.»[8]

Le catéchète doit devenir animateur, accompagnateur

Quelles qualités le catéchète doit-il cultiver?L’Alliance, cette union intime du Créateur et de sa créature, suppose l’engagement de tout l’être créé. Une pédagogie explicative, comme on l’a beaucoup pratiquée depuis le 17e siècle jusqu’à maintenant, reste en extériorité. Elle n’oriente pas l’enfant vers la relation à Dieu, la prière et la foi, mais vers le monde extérieur et ses règles. Pour permettre ce passage, Claude et Jacqueline Lagarde proposent une initiation à la Parole et à la prière biblique. Ce passage de la parole biblique à la prière est capital. L’enfant nourri par les Ecritures, habitué à les parler, les prier, se les approprie pour la vie et éduque son regard.

Il faut un temps d’adaptation pour entrer dans cette démarche. L’enfant doit faire intervenir sa mémoire, sa foi, sa faculté de déduction, ses connaissances bibliques, son imagination, sa persévérance, c’est nouveau. Le catéchète, lui aussi, doit quitter la posture de celui qui enseigne et reproduit une rencontre que l’on a préparée pour lui pour devenir animateur, accompagnateur de chercheurs de sens.

Le catéchète doit captiver l’attention de l’enfant par sa façon de raconter les récits et pour cela il doit les avoir travaillés et médités avec d’autres adultes.

Il doit être directif au niveau des consignes à faire respecter pour permettre à la parole de circuler. Son rôle consiste à aider les enfants à s’approprier la Parole que Dieu leur adresse, les aider à chercher des liens entre les récits, des liens avec leur vie, avec ce qu’ils ressentent de leur relation à Dieu Père, Fils et Esprit, avec la liturgie et les sacrements pour ceux qui les connaissent. Autrement dit, il doit savoir poser les bonnes questions, mais ne pas donner des réponses ou des explications pour faire passer un message, ne pas donner le sens d’un récit que l’enfant ne peut pas comprendre et qui ne restera, (s’il reste…) qu’un sens appris.

Le catéchète doit apprendre à repérer le niveau de parole dans lequel évolue l’enfant et lui tendre des perches afin de l’aider à trouver sa solution à sa question et peut-être l’aider à faire un pas de plus dans sa relation à Dieu.

Le catéchète favorise l’accès des enfants à l’intériorité, par l’apprentissage du silence, en présence et à l’écoute de Dieu. Le catéchète reformule tout simplement le vécu de la rencontre et l’offre à Dieu. Il invite les enfants à continuer sur cette lancée, peut-être en évoquant aussi l’actualité, un événement qu’un enfant lui a signalé mais il évite de formuler des affirmations que les enfants doivent répéter et qui ne leur correspondent pas nécessairement.

En conclusion

Par ce petit exposé issu de mes recherches et expériences en lien avec celles d’amies proches, j’ai essayé de démontrer comment la Parole de Dieu, travaillée dès la petite enfance, permet, avec des outils qui induisent le passage de l’extériorité vers l’intériorité, la croissance de la foi de l’enfant, puis celle de l’adulte.

Il y a bien des façons de penser la catéchèse, j’en suis bien consciente. J’ai présenté la catéchèse biblique symbolique, une parmi d’autres, parce qu’elle m’a ouvert des horizons inespérés. J’y ai vu les fruits dans mon cheminement personnel, dans celui des enfants de mes groupes de catéchèse et plus récemment, dans celui des catéchètes que j’accompagne. Elle a le mérite de centrer les personnes sur l’écoute de la Parole de Dieu et de rendre accessible, par une pédagogie de dialogue et de prière, le lieu de rencontre entre Dieu et l’homme.

« Le Verbe s’est fait chair et il est venu parmi nous » (Jn1,14). Il vient toujours aujourd’hui, habiter notre réalité la plus banale et y tracer ses chemins les plus inhabituels.

La vie de l’Eglise a tout à gagner de ces expériences de la Parole partagée, vécues en petits groupes, entre adultes ou avec des enfants. Des personnes nourries par cette Parole vont la mettre en œuvre dans leur vie et se rapprocher de la communauté ecclésiale au moment où elle prendra sens pour elles.

Une communauté vivifiée par l’engagement de croyants qui articulent leur expérience de foi à partir de la Bible, c’est une communauté qui se rapproche de celle décrite en Ac 2,42 où se vit une diaconie vivante au service du frère.

Pour aller plus loin:

A ma connaissance, les programmes de catéchèse qui s’inspirent de cette pédagogie de la Parole, sont les suivants:

Un Chemin d’Emmaüs, du Diocèse Saint-Jean-Longueuil au Québec (2009) (catéchèse des 8-11 ans).

Ce programme est utilisé dans les classes d’enseignement spécialisé du canton de Fribourg. Il est traduit en italien et utilisé aussi dans des paroisses de Turin et Florence.

Inter-Parole: http://interparole-catholique-yvelines.cef.fr/

Porte Parole: http://www.collection-porteparole.catholique.fr/ (catéchèse de la petite enfance à l’âge adulte)

[1] ALBY, Isabelle, Au caté, comment les intéresser?, Points de repère, n. 213, (septembre-octobre 2006), p. 26.

[2] HOUTEVELS-MINET, Reinhilde, De quelques difficultés actuelles de la pratique catéchétique et de la manière d’y faire face, Lumen Vitae, n. 4 (2004), p. 462.

[3] BIANCHI, Enzo, L’Eglise trouve sa mission dans le service de la Parole de Dieu, in CD, Ecclesia, (2007).

[4] TARDIF, Jacques, Pour un enseignement stratégique, L’apport de la psychologie cognitive, Ed. Logiques, Montréal, 1997, p. 21.

[5] LAGARDE, Claude, Construire le Christ en soi, La symbolisation catéchétique, catechese.free.fr, (10 mars 2009), p. 3.

[6] BEAUCHEMIN, Colette, Une catéchèse qui ouvre la’ parole’ pour ouvrir la ‘Parole’?, Lumen Vitae, n. 2 (2005) p. 211.

[7] CHARPENTIER, Etienne, Christ est ressuscité!, Cahiers Evangile, n. 3 (1973), p. 12.

[8] BEAUCHEMIN, Colette, Une catéchèse qui ouvre la ‘parole’ pour ouvrir la ‘Parole’, Lumen Vitae, n. 2 (2005), p. 209.

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Elisabeth Piller, mère de trois enfants, œuvre depuis plus de 20 ans dans un service de catéchèse. D’abord au sein d’une paroisse de la ville de Fribourg, puis, après un diplôme à l’Institut de Formation aux Ministères (IFM), elle assume une charge d’animatrice au Service catholique de catéchèse du canton de Fribourg.

 

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De l’encadrement à l’engendrement https://www.revue-sources.org/de-lencadrement-a-lengendrement/ https://www.revue-sources.org/de-lencadrement-a-lengendrement/#respond Sun, 01 Apr 2012 11:38:57 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=139 [print-me]

Les parents transmettent à leurs enfants un code génétique, un patrimoine, une entreprise, des biens. Leur grand-mère leur transmet son argenterie, ses bijoux. Ce sont des choses que les enfants vont posséder. Les parents ont-ils la possibilité de transmettre la foi? Pour cela il faudrait que la foi soit quelque chose que l’on puisse posséder. Or la foi ne se possède pas.

La foi est-elle transmissible?

On peut transmettre des valeurs, des notions, des pratiques, on peut apprendre aux jeunes générations le sens de l’accueil, du respect, l’importance des rites, des symboles, on peut enseigner des attitudes, des gestes, des postures, on peut faire mémoriser des prières, des répons, des psaumes. Cela favorisera certainement une sensibilité à la chose religieuse, mais cela transmettra-t-il la foi, une foi vivante dans le Christ Sauveur? La plupart des théologiens actuels réfléchissent à cette question pastorale, car le modèle ancien de transmission ne fonctionne plus. Je laisserai le soin à d’autres de se poser la question de savoir s’il n’a jamais fonctionné…

Qu’est-ce que la foi? Une confiance fondamentale et fondatrice en Dieu? Qu’est-ce qui peut la faire naître? Si quelqu’un a la foi, d’où lui vient-elle? Comment l’a-t-il reçue? Lorsque quelqu’un dit « J’ai perdu la foi », qu’a-t-il perdu? Une confiance fondamentale en la vie? Une certaine représentation de Dieu? Des certitudes? Le Dieu de Jésus-Christ est-il un Dieu que l’on peut posséder? Un Dieu que l’on peut perdre?

Tenter de répondre à ces questions, c’est un peu – si l’on me permet un début d’analogie – comme si on essayait de savoir comment un enfant apprend à lire. Tous les pédagogues vous diront que c’est un mystère. L’enseignant transmet une boîte à outils, pas la lecture! Il montre à ses élèves tous les outils utiles à la lecture, il en décline les fonctionnements, il les aide à expérimenter leur usage. Il met en place des conditions de possibilité de lecture, mais il ne sait jamais ce qui fait que la lecture advient à un élève. L’illettrisme est la difficulté pour l’apprenant d’utiliser les outils proposés. L’analphabétisme est le manque total de transmission de ces outils : les conditions de possibilité de lire n’existent pas.

On ne transmet que la boîte à outils

De cette analogie, je tire l’affirmation que la transmission ne concerne pas la foi, mais ce que j’appelle la « boîte à outils ». Cette transmission d’outils – qui n’est pas à dénigrer – n’a pas forcément plus de chance de trouver du sens si la personne baigne dans un milieu religieux ou non. Dieu surprend même celui à qui nul n’aurait transmis de boîte à outils.

La pastorale actuelle cherche à faire évoluer les pratiques et les représentations vers une catéchèse de cheminement.

Car ce qui n’est pas transmissible, c’est la rencontre personnelle que chaque chrétien fait avec une personne, le Dieu de Jésus-Christ, c’est la révélation qui s’offre à tout être humain, c’est la transformation qui s’opère lorsque quelqu’un touche du doigt le mystère de l’Amour de Dieu, transformation qui peut couver sous la braise très longtemps ou être fulgurante dans le cas d’une conversion brutale.

Il devient donc difficile de parler de « transmission de la foi ». En pastorale on parle maintenant d’engendrement à la foi, de mise en place de conditions de possibilité pour que quelque chose naisse en quelqu’un et/ou pour que quelqu’un naisse à quelque chose. Ce quelque chose étant de prime abord la vie. Puis, parfois, il survient que ce soit la Vie de Dieu, la Vie en Dieu.

Une catéchèse de cheminement

En Eglise et particulièrement en catéchèse, il faut être attentif à la mise en place de ces conditions de possibilité. Plusieurs pistes s’offrent à nous. Tenter d’être un canal pour que l’autre perçoive quelque chose du divin. Entrer en résonance avec l’autre, avec son vécu. Témoigner, dire en mots même maladroits l’indicible de la rencontre, vivre ouvertement du feu intérieur allumé par cette rencontre. Marcher avec les personnes sur leurs chemins de vie, accompagner, guider, précéder par moments, suivre à d’autres. Enseigner lorsque l’on est questionné, se taire souvent. Tout ceci me semble pouvoir permettre que l’autre, rencontré en vérité, découvre sa foi en la vie, l’exprime, laisse entrer la vie de Dieu en lui, choisisse de se plonger dans sa Parole, expérimente la prière… Mais quoi qu’il arrive, le catéchète n’aura rien « transmis ».

Dans la pratique, cela implique de passer d’une pastorale d’encadrement à une pastorale d’engendrement. Encadrer, c’est monter des projets pour des gens qui vont y participer. Tout autre est l’engendrement qui n’a rien d’autre à proposer que de faire route avec des personnes qui ont envie de se mettre en chemin vers la vie et la Vie. La pastorale actuelle cherche donc à faire évoluer les pratiques et les représentations vers une catéchèse de cheminement.

Ce qui peut se passer dans la rencontre et le cheminement est hors de la volonté humaine. C’est quelque chose de l’ordre de l’Esprit qui arrive en nous et révèle à l’autre ce même Esprit qu’il a déjà en lui. Il arrive, plus souvent qu’à son tour, que ce qui se passe chez l’autre fasse vibrer en nous un espace non encore reconnu, comme le Magnificat a pu jaillir de Marie lors du tressaillement d’Elisabeth. Rien de tout cela ne s’appelle transmission, rien de tout cela n’est mesurable. Il ne s’agit que de la Vie toujours en mouvement, déjà-là et toujours à venir.

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Anne Deshusses-Raemy fut enseignante de musique, puis enseignante primaire spécialisée avec des enfants ayant des troubles de personnalité. Après ses études de théologie à Strasbourg, nommée assistante pastorale à Genève, elle enseigne à l’Atelier Oecuménique de Théologie et travaille au Service catholique de catéchèse.

 

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Transmettre la foi par la catéchèse https://www.revue-sources.org/transmettre-la-foi-par-la-catechese/ https://www.revue-sources.org/transmettre-la-foi-par-la-catechese/#respond Sun, 01 Apr 2012 11:36:36 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=137 [print-me]

La foi est un don de Dieu et, dans ce cas, peut-on envisager de la transmettre? La réponse est à la fois négative et positive. Je ne peux pas transmettre le don de Dieu: c’est l’Esprit qui le fait! Par contre je peux amener à une meilleure compréhension et intelligence de ce don et de la Parole que Jésus Christ nous a révélée. Et c’est là l’œuvre de la pédagogie religieuse.

Le contenu à enseigner

La pédagogie fait appel à la dimension de l’apprentissage. Les questions qui sont posées sont celles de savoir ce qui doit être transmis, comment et par qui.

Le contenu de la pédagogie religieuse paraît tout simple: c’est la Bonne Nouvelle éclairée par la Tradition. Ces trois mots paraissent bien simples et pourtant… Jésus lui-même, pédagogue-modèle, a connu un bon nombre de difficultés pour faire comprendre à ses disciples le contenu de la Bonne Nouvelle. Il semble donc que cela n’aille pas de soi.

Premièrement, cela suppose d’avoir soi-même acquis l’intelligence de ce que l’on veut transmettre, c’est-à-dire d’avoir une connaissance suffisante des différents éléments, de leur contexte et de leur signification. En d’autres termes, si je dois expliquer à des enfants ou des jeunes un texte du Nouveau Testament, d’un Père de l’Eglise ou d’un Maître spirituel, cela suppose une réelle exégèse du texte pour en apprécier le contexte, le sens donné aux termes utilisés, la signification à l’époque de son écriture et aujourd’hui. Sans cela, on peut affirmer de façon inconsciente des contre-vérités, des erreurs historiques, philosophiques ou théologiques ce qui est dommageable pour l’auditeur.

Deuxièmement, comme le disait saint Thomas, il convient de transmettre ce que l’on a soi-même contemplé: le contenu enseigné doit, en plus d’avoir été assimilé par l’intelligence, être prié, contemplé et assimilé par la foi du catéchiste. En effet, les enfants et les jeunes sont très sensibles à l’authenticité du témoignage du catéchiste et à sa cohérence (entre ce qu’il dit et ce qu’il fait mais aussi entre les différents éléments qu’il affirme).

La méthode

Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir une grande variété de méthodes éducatives. Il s’agit de s’appuyer sur ces méthodes et de les exploiter le mieux possible comme le suggère Vatican II.

Les enfants passent la plus grande partie de leur temps à l’école et, en Suisse Romande, les méthodes pédagogiques sont assez variées: les manuels conseillent vivement les méthodes centrées sur l’élève et sur ses apprentissages et insistent sur la capacité de l’élève à construire ses savoirs à partir de ce qu’il sait déjà. Toutefois, dans la réalité, on voit que les méthodes sont variées. Il y a les traditionnelles (le maître enseigne, les élèves écoutent… ou pas), les behavioristes (les bons comportements sont récompensés), les constructivistes ou autres. Le catéchiste qui souhaite transmettre un savoir, un savoir-faire et/ou un savoir-devenir doit en tenir compte. Les élèves ne restent plus des heures à écouter un adulte et apprennent par des canaux très diversifiés. Ce qui permet à des enfants ayant des formes d’intelligence qui ne sont pas seulement « intellectuelles » d’apprendre aussi à leur façon. Un catéchiste doit donc tenir compte de cela pour planifier ses interventions et les varier pour que la majorité de son auditoire puisse avoir une chance d’apprendre.

Le catéchiste est envoyé comme un semeur. Il annonce la Bonne Nouvelle, mais sans attendre de récolte.

Un catéchiste est donc appelé à préparer le contenu qu’il souhaite transmettre. Pour le faire, il doit:

–    Déterminer le savoir, le savoir-faire et le savoir-devenir qu’il veut transmettre en restant réaliste et en vérifiant que le contenu soit adapté à l’âge et au groupe auquel il s’adresse (on ne peut pas tout dire à la fois, en fonction du lieu, de la situation et des événements précédents ou à venir, il faut souvent adapter ce qui est pensé à son auditoire).

–    Choisir la méthode pédagogique qui convient le mieux (pour une nouvelle thématique complexe, un travail de groupe est inapproprié alors qu’un exposé est plus adéquat; pour connaître ce que les élèves savent déjà, un travail en petit groupe est plus adéquat, etc.).

–    Vérifier que les élèves ont atteint les objectifs d’apprentissage qui ont été fixés par des questions, un exposé, des dessins, etc.

Un catéchiste à l’écoute de Dieu

Dans le domaine de la foi, les enfants et les jeunes ont une proximité à Dieu qui nous surprend souvent. Le catéchiste doit être à l’écoute:

–    de l’Esprit qui est celui qui donne et qui soutient la démarche de la foi.

–    de l’enfant, pour tenter de comprendre ce que l’enfant dit de Dieu et de relever tout le positif de son expression religieuse (il n’est pas nécessaire que les enfants aient une précision terminologique; il est essentiel par contre qu’ils soient capables d’avoir un dialogue avec Dieu même si les mots ne sont pas adéquats)

–    de l’Eglise qui l’envoie en mission pour être un relais entre elle et le croyant.

Le catéchiste est envoyé comme un semeur. Il annonce la Bonne Nouvelle, mais sans attendre de récolte. Sa tâche est immense: il se doit d’être un modèle dans sa pratique, dans ses paroles; il doit transmettre le message de l’Evangile et de l’Eglise avec précision et avec les méthodes adéquates pour être entendu et écouté. L’Eglise se doit donc de mettre tous les moyens nécessaires pour une formation théologique, spirituelle et pédagogique suffisante. C’est une condition sine qua non pour que les catéchistes puissent mener à bien leur mission et répondre aux exigences de notre société.

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Nicole Awaïs-Giroud, après avoir obtenu un doctorat en théologie et un DAS en didactique, a collaboré comme didacticienne et formatrice d’adultes dans la formation des enseignant-e-s en Valais et à Fribourg. Outre ses charges de cours à l’Université de Fribourg, elle travaille comme collaboratrice pédagogique dans la Fondation Education et Développement.

 

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La foi est MIENNE! https://www.revue-sources.org/la-foi-est-mienne/ https://www.revue-sources.org/la-foi-est-mienne/#respond Sun, 01 Apr 2012 11:34:17 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=134 [print-me]

J’imagine les lecteurs de SOURCES parents et grands-parents. Ils ont mis des enfants au monde, les ont vu grandir, quitter le foyer familial, fonder à leur tour une famille. S’il est vrai qu’ils se disent souvent heureux et comblés, nombreux gardent au fond de leur cœur une souffrance réelle: « Nous n’avons pas su transmettre à nos enfants la foi chrétienne et l’amour de l’Eglise ». Les enfants « ne pratiquent pas ». Les petits-enfants « ne sont plus baptisés ». Se disent heureux les parents qui ont tout juste vu l’un ou l’autre de leurs enfants « se marier à l’église ».

Un bémol à ce scénario

Commençons par mettre un bémol à ce scénario catastrophique! La présence régulière et renouvelée de jeunes foyers dans certaines églises de France (notamment en milieu urbain et monastique) prouve que la transmission de la foi chrétienne d’une génération à l’autre est bel et bien possible. Y compris le goût pour la Messe dominicale. Mais s’agit-il là de transmission? Ne devrions-nous pas plutôt parler de (re)découverte de la foi, de reprise de la pratique religieuse, de recommencement après des années de défection, de foi engendrée parvenue à maturation?

Ce billet sera donc à lire comme un plaidoyer invitant les aînés à vivre leur foi comme un précieux trésor personnel!

Revenons à nos parents et grands-parents angoissés et inconsolables! Si la transmission de la foi (et de bien d’autres éléments éducatifs) demeure un objectif légitime du rôle de parents-éducateurs, celui-ci, cependant, ne saurait s’y mesurer et s’y épuiser. La foi en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit est un acte trop intime, trop personnel, trop individuel pour qu’on puisse la transmettre. A 60 ans, et encore moins à 70, on n’a ni l’obligation ni le droit d‘apprécier sa foi personnelle à ce qu’en auront fait et retenu ses propres enfants et petits-enfants.

La foi des aînés

Ce billet sera donc à lire comme un plaidoyer invitant les aînés (le troisième âge) à vivre leur foi comme un précieux trésor personnel que personne dans le monde ne viendra leur arracher. La foi leur appartient. Si la souffrance devant l’incapacité de la transmettre est réelle et compréhensible, elle ne doit pas pour autant amener les grands-parents à lâcher prise, eux aussi. Trop de grands-parents se découragent! On les voit finir leurs jours en faisant comme les jeunes…

La difficulté évoquée me semble particulièrement catholique. Plus que dans les autres confessions chrétiennes, la réussite des parents catholiques se mesure à la passation de la foi. Ne devrions-nous pas regarder du côté des réformés, des méthodistes, des évangélistes. Chez eux, « croire » demeure un acte profondément personnel. Ce trésor, certes, aspire à être partagé et à se faire témoignage, sans pour autant s’hériter. A ce titre, il ne cesse d’être un don individuel avant de devenir familial. Eminemment intime, il fera partie de ces joyaux que l’on conserve soigneusement lorsque pointe à l’horizon le soir de la vie. On ne s’en départira pas au moment de prendre sa retraite. Pas plus qu’au jour de l’entrée en maison de retraite. La foi n’est pas celle des autres. La foi est MIENNE!

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Le frère dominicain suisse Clau Lombriser est curé de la Mission Catholique de Langue Française (MCLF) de Zurich. Il est aussi membre du Comité de rédaction de la revue « Sources ».

 

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Les Dominicaines et l‘évangélisation https://www.revue-sources.org/les-dominicaines-et-levangelisation/ https://www.revue-sources.org/les-dominicaines-et-levangelisation/#respond Sun, 01 Apr 2012 11:05:06 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=149 [print-me]

Nous publions dans sa quasi intégralité la lettre envoyée le 13 janvier 2012 par le frère Bruno à l’ensemble de son Ordre. Ce document s’inscrit dans la préparation du Jubilé de l’Ordre qui sera célébré en 2016. Il a pour thème: les dominicaines et la prédication.

Des femmes irakiennes évangélisent

« Va dire à mes frères! » Cette phrase si simple du Christ a d’abord éveillé en moi le souvenir de l’émotion ressentie, il y a quelques années, dans l’église d’un village d’Irak. L’aube venait de se lever, et nous nous préparions à célébrer l’entrée au noviciat et la profession de jeunes frères. Dans l’attente de ce moment, se trouvaient là déjà dans l’église une foule de femmes, et parmi elles des mères et des sœurs, des amies, des sœurs apostoliques et des laïques dominicaines. Toutes ensemble, elles emplissaient l’église du dense silence de leur prière, alors que tout autour le pays souffrait du chaos, de la violence et des menaces. Dans le silence en la présence du Père, ces femmes priaient avec une telle intensité que, au cœur du chaos qui ravageait le pays et le déchirait par toutes sortes de divisions, elles portaient cette assurance que rien ne peut faire taire le message de la vie.(…) Ces femmes d’Irak manifestaient l’horizon de la mission d’évangélisation: inscrire au cœur de l’histoire humaine la joie et l’espérance en la vie donnée du Christ pour que le monde vive, et apprendre à en être les témoins.

Femmes vouées à l’évangélisation

Dans la famille dominicaine, les femmes – moniales, sœurs apostoliques, laïques dominicaines, membres des Instituts séculiers – apportent une contribution essentielle à la mission d’évangélisation de l’Ordre. Plutôt que de parler de prédication, je choisis la définition de notre mission donnée au temps de la fondation de l’Ordre: totalement voués à l’évangélisation de la Parole de Dieu. Nous sommes de la famille des « prêcheurs », hommes et femmes, d’abord parce que nous engageons notre vie dans cette aventure de l’évangélisation qui, en quelque sorte, chacun selon son état de vie et son ministère, définit « la vie » que nous désirons mener avant de décrire des « actions ».

Les catégories du monde n’ont pas leur place quand il s’agit d’être disciples.

« Va dire à mes frères! » Par cet envoi, le Christ charge Marie et les autres d’inviter l’Eglise à naître de la prédication. Cela évoque pour nous la première intuition de la prédication qui sera fondatrice de l’Ordre. Aux premiers temps de cette nouvelle aventure d’évangélisation menée par Dominique, ce sont en effet aussi des femmes qui viennent le rejoindre, puis des laïcs, comme pour donner d’emblée la figure que doit prendre l’évangélisation: une sorte de « petite Eglise », de communauté rassemblée par la puissance de la Parole entendue, rassemblée pour écouter ensemble cette Parole et la porter au monde. Comme dans la vie de Jésus – ainsi que l’écrit Luc (Lc 8, 1-4) – la communauté se rassemble en même temps qu’elle a l’intuition de devenir une « communauté pour l’évangélisation ». Dès l’origine déjà et aussi étrange que cela puisse paraître à cette époque, des femmes faisaient partie de la communauté qui s’était rassemblée autour de Jésus. Les catégories du monde n’ont pas leur place quand il s’agit d’être disciples. Imaginons cette communauté qui se constitue en suivant Jésus sur le premier chemin de l’évangélisation. Elle se rassemble au-delà des infirmités, péchés, fragilités qui peuvent être guéries uniquement par Jésus. C’est à cause de sa miséricorde éprouvée de tant de manières diverses que la sainte prédication s’établit. Le voyant vivre et enseigner, les disciples ont probablement l’occasion de partager leurs expériences de rencontre personnelle avec Lui. Et les femmes de l’Evangile ont eu alors l’occasion de témoigner des paroles qu’Il leur avait adressées: Parole d’annonce de la résurrection, de reconnaissance de la foi et de promesse du salut, parole de vie et de pardon, de guérison et de confiance. Il leur parlait ainsi, les rejoignant au cœur même de leur être féminin, en cette familiarité avec la vie engendrée, en cette capacité de prendre soin et de protéger la vie fragile, en cette force aussi de confiance en la créativité et la résistance de la vie. Ces femmes seront avec Lui sur les chemins de l’enseignement, comme elles seront encore avec Lui sur le chemin qui le mène au Calvaire; elles sont dans l’attente dans le jardin du tombeau, comme elles seront sur la route, courant annoncer aux apôtres qu’Il est ressuscité. La mission d’évangélisation a besoin de ce témoignage et de cette annonce pour savoir comment faire entendre au monde une Parole qui porte en elle la vie.

Image de la communauté primitive

Depuis sa fondation, lorsque les premières « dominicaines » viennent rejoindre Dominique et que naît la « sainte prédication de Prouilhe », notre propre « communion pour l’évangélisation » qu’est la famille dominicaine a besoin d’être composée d’hommes et de femmes, de religieux et de laïcs, parce qu’elle a besoin d’être à l’image de la première communauté marchant sur les routes avec Jésus, apprenant de Lui comment aimer le monde et lui parler, comment chercher le Père et tout recevoir de Lui. C’est tous ensemble, dans la diversité et la complémentarité, comme dans le respect mutuel des différences et la volonté commune d’une égalité entre tous, que nous avons à mener ce « travail de la fraternité » dont nous devons être des signes dans le monde et dans l’Eglise. Une fraternité qui sait que l’égale reconnaissance de chacun souffre souvent de la mondanéité.

La discrimination persiste

En particulier, il y a encore beaucoup à faire pour que, ici et là, parole de femmes et parole d’hommes se valent, pour que soient refusées toutes les injustices et violences dont souffrent encore tant et tant de femmes dans le monde. Les dominicaines, dans l’aventure de la « sainte prédication » ont certes la charge de rappeler envers et contre tout que le monde ne peut se sentir « en paix » tant que ces iniquités ne sont pas résolues. Il faut apprendre à devenir sœurs et frères, à identifier les injustices, à les combattre, par ce long et beau travail d’écoute et de mutuelle estime. Mais elles ont aussi à signifier que l’évangélisation n’est pas d’abord une question de ministère mais une invitation à une certaine manière de vivre, entièrement vouée à ce que la Parole de Dieu soit une bonne nouvelle pour le monde. Au fond, nous passons souvent du temps à examiner d’abord ce qui nous distingue dans la famille dominicaine. Soyons d’abord attentifs à ce qui nous rassemble et nous unit: la grâce de la Parole de Dieu, sa vérité et sa force, sa vie et sa miséricorde. Les dominicaines et la prédication? C’est d’abord le devoir que nous avons tous de partager avec elles ce qu’elles reçoivent et réalisent de la grâce de « l’évangélisation de la Parole de Dieu », afin que la communauté se construise et se consolide dans une mission commune.

Car, parler des dominicaines –moniales, sœurs, consacrées et laïques – c’est d’abord parler de la part immense qu’elles ont pris, et qu’elles prennent aujourd’hui dans ce travail de l’évangélisation, dans cet engendrement de l’espérance par « l’évangélisation de la Parole de Dieu » dans le monde. Les lieux de prière et de fraternité, de contemplation et d’hospitalité que sont les monastères de l’Ordre sont les premières pierres de la prédication. En ces lieux ce sont les appels et les besoins, les peines et les espoirs du monde entier qui sont repris dans la prière des sœurs et présentés au Père. La contemplation dominicaine est ainsi, de part en part, prédication. Il est bien impossible d’énumérer les innombrables engagements, amitiés et œuvres menés par les sœurs apostoliques de l’Ordre. Ce sont toujours des présences et des actes qui font de la Parole une bonne nouvelle pour leurs contemporains. Avec ce souci spécifique de trouver comment traduire le désir que « s’allume le feu » de la grâce de l’Esprit en ce monde. Souci manifesté au fil des siècles par leurs fondatrices ou fondateurs, dans des contextes où la place et la reconnaissance des femmes n’étaient pas évidentes. Pour les sœurs laïques, dans leurs familles, leurs groupes d’amitié, leurs lieux professionnels, c’est encore cette grande créativité et diversité qui se manifestent pour donner à voir, et à entendre, la Parole comme une bonne nouvelle d’où peut naître l’espérance de la résurrection.

Ce qu’on apporte vaut mieux que ce qu’on fait

Parlant des dominicaines et la prédication, je ne voudrais pas développer le thème de la complémentarité, si évidente, ni non plus celui du ministère ordonné de la prédication. Comme on l’aura compris, la question n’est pas d’abord ce que l’on fait, mais ce que l’on apporte au bien commun de la sainte prédication, et comment tous ensemble nous pouvons nous organiser pour recevoir ce qui est offert. Les dominicaines, je crois – mais c’est à elles qu’il revient de l’exprimer – apportent à la sainte prédication une expérience spécifique de la relation au Christ, une manière particulière d’étudier la Parole, un mode précis d’organisation de leur fraternité, une vulnérabilité à ce qui fait naître et mourir le monde qui leur est propre, une façon de dire Dieu. Elles apportent aussi la grande diversité des interprétations de l’intuition dominicaine telle que leurs fondatrices la leur ont transmise, et tout spécialement une compréhension fulgurante, à un moment donné de l’histoire humaine, de l’actualité de l’intuition de Dominique dans tel ou tel contexte, ou milieu, pour telle ou telle tâche du service de l’humanité. Va dire à mes frères! Tel serait peut-être ce qu’il faudrait que nous enseignent nos sœurs, laïques et religieuses. Tel serait aussi, sans doute, ce que les frères pourraient avoir envie d’apprendre. Apprendre le monde ensemble, et en cette année tout particulièrement les frères par les sœurs et les sœurs entre elles au-delà des divergences, pour laisser s’ouvrir au cœur de la sainte prédication d’aujourd’hui une soif de la Parole de résurrection. Dans une famille, les liens les plus solides et les plus beaux sont souvent ceux qui se tissent par le partage des joies et des peines, par l’offrande mutuelle des amitiés partagées, par le soutien mutuel.

L’évangélisation n’est pas d’abord une question de ministère, mais une invitation à une certaine manière de vivre.

quand l’épreuve du monde nous fait douter de savoir comment y trouver notre avenir. Dans une famille, n’est-ce pas bien souvent les femmes qui font le lien, garantes du lien entre les êtres parce qu’elles engendrent à la vie, elles qui inspirent suffisamment confiance pour que l’ensemble des membres aient le désir de naître à nouveau dans la fraternité et dans la filiation? Et pour nous, dans la famille de Dominique, le désir d’apprendre à écouter et à aimer le monde comme des filles et fils du Père et comme des sœurs et frères de l’humanité, le désir d’être, dans ce monde, comme des « sacrements de la fraternité ».

Une famille solidaires de l’avenir

Va dire à mes frères! Il me semble qu’il faut évoquer, parlant des dominicaines dans leur lien avec la prédication, l’expérience difficile que font, aujourd’hui, plusieurs congrégations de sœurs apostoliques et plusieurs monastères de l’Ordre. Après des années de déploiement, voilà que ne s’annonce pas la relève pour l’avenir. C’est rassemblés que nous devons traverser cette épreuve, à la fois en soutenant chacun dans sa spécificité et son autonomie, mais aussi en attestant que la mission de la prédication, portée ensemble, d’une part est redevable de tout ce qui a été semé et, d’autre part, est plus grande que la mission spécifique d’une institution donnée. Je ne peux ignorer comme cela peut être difficile d’affronter concrètement une telle épreuve, de manière réaliste et créative, sans résignation et sans obstination. Il nous faut « passer » du côté de la véritable espérance de la vie, quand quelque chose de la mort se donne à percevoir, lorsque l’on doit fermer des maisons en grand nombre et porter trop de sœurs aimées en terre. Pour faire ce passage nous avons besoin, absolument, de nous tenir solidaires et unis afin de préparer l’avenir de la mission de la sainte prédication à partir des forces présentes. Sans rêver ce qu’elles ne sont pas, sans déterminer ce qu’elles devraient être. Mais en recevant, simplement, la grâce des vocations données et en les ordonnant à la mission commune portée par tous. La consécration et la vie religieuse doivent ouvrir notre espérance aux dimensions du monde, et pour le monde, et nous garder de vivre tétanisés dans le souvenir des gloires passées, ou la paralysie des difficultés présentes. On entend souvent dire que, dans bien des parties du monde, la vie religieuse apostolique – et donc dominicaine aussi – est très vieillissante et ne pourra pas se renouveler comme elle était jadis. Certes. Mais, il y a une grande aventure à vivre dans la vieillesse, qui peut rendre grâce d’avoir été si féconde pour la vie de l’Eglise et de tant et tant de communautés humaines: pouvons-nous, ensemble, apprendre à nous laisser porter par la légèreté de l’action de grâce plutôt que décourager par le poids de l’avenir perdu? Surtout, nous en sommes tous convaincus, la sainte prédication a besoin, absolument besoin, de la contribution de femmes dominicaines y consacrant totalement leur vie: c’est donc réunis, et à partir de ce qui déjà est bien vivant, que nous devons en préparer les figures possibles. Cette nécessité, cette urgence, d’appeler des femmes à rejoindre la mission de l’Ordre sous ses différentes formes possibles, est l’affaire de tous les membres de la famille dominicaine, les hommes autant que les femmes.

Comme au temps de la prédication de Jésus, comme aux temps apostoliques, comme aussi au temps de la fondation de l’Ordre, en un temps où l’Eglise souligne l’urgence de l’évangélisation, la famille de saint Dominique, « famille pour l’évangélisation » a aujourd’hui plus que jamais le devoir de se laisser constituer par la fraternité qui « prêche la Parole ».

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Le frère Bruno Cadoré est « Maître » de l’Ordre des Frères Prêcheurs, reconnu par tous les membres de la famille dominicaine (religieux, religieuses ou laïcs) comme le successeur de saint Dominique.

 

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Difficile catéchèse https://www.revue-sources.org/difficile-catechese-temoignage-de-levangile-de-marc/ https://www.revue-sources.org/difficile-catechese-temoignage-de-levangile-de-marc/#respond Sun, 01 Apr 2012 11:01:27 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=147 [print-me]

La situation du chrétien est paradoxale. Il est un compagnon de l’Epoux, quelque peu enivré par la Bonne Nouvelle (2,19,22), mais il se trouve aussi désorienté par cette Bonne Nouvelle qui entraîne le refus de Jésus et souvent la persécution du disciple. Il est un disciple en chemin, souvent aveuglé, mais patiemment guéri par le Maître et remis sur le chemin.

Jésus déjà peinait à évangéliser

Confronté à toutes sortes de déviations, Paul exhortait son disciple bien-aimé, vers la fin du ler siècle: « O Timothée, garde le dépôt. » (1Tm 6,20). Mais on ne garde pas le dépôt de la foi comme un coffre-fort ou un dépôt de munitions. Paul précise heureusement: « Garde le bon dépôt avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous » (2Tm 1,14). La transmission de la foi n’a rien de statique, elle requiert le secours de l’Esprit.

Citons la prière que tout Juif récite deux fois par jour, le Shema Israël: « ECOUTE, Israël! Le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN. Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. Les paroles des commandements que je te donne aujourd’hui seront présentes à ton cœur; tu les répèteras à tes fils; tu les leur diras quand tu resteras chez toi et quand tu marcheras sur la route, quand tu seras couché et quand tu seras debout; tu en feras un signe attaché à ta main, une marque placée entre tes yeux; tu les inscriras sur les montants de porte de ta maison et à l’entrée de ta ville. » (Dt 6,4-9). C’est éclairant: la foi concerne la totalité de l’existence humaine: à la maison et sur la route, debout ou couché, l’espace privé et public! L’effort de sa transmission sera donc coextensif à toute la vie des croyants, au moins comme visée.

La formation du croyant se révèle complexe, mais elle l’est plus encore en contexte de sécularisation, les repères s’effaçant de la vie sociale, le milieu familial même sain étant très vite relayé par d’autres voix. L’individualisme règne et les institutions, dont l’Eglise, doivent désormais prouver leur crédibilité. C’est vrai, mais j’observe que déjà dans l’évangile, Jésus lui-même peine à évangéliser ses disciples. A la fin de sa vie, il va jusqu’à confier: « J’ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant; lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. » (Jn 16,12-13). L’évangéliste Jean a même fait du quiproquo une constante de la relation des disciples à lui. Ils doivent toujours ouvrir leur esprit et progresser dans la compréhension de l’enseignement de leur Maître, se guérir du malentendu pour accéder à un mieux croire. La difficulté n’est donc pas d’aujourd’hui.

Mais c’est l’évangile de Marc qui est particulièrement apte à nous éclairer, voire à nous consoler, dans la tâche difficile consistant à faire connaître le Christ. Le second évangile ne commence pas par un récit d’enfance, mais ouvre d’emblée son œuvre sur « Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu« . Il ne s’agit pas ici du livret (cette acception date seulement du IIe siècle) mais de la Bonne Nouvelle. « Croyez en l’Evangile » proclame Jésus (1,14); il s’agit de perdre sa vie, ou de laisser père et mère, « à cause de l’Evangile » (8,35; 10,29); il faut que l’Evangile soit prêché aux païens puis au monde entier (13,10; 14,9). Ces paroles visent clairement la prédication à venir: pour Jésus, un futur; pour nous: notre présent. Or selon Marc, cet Evangile proclamé a un « commencement ». Par où faut-il donc commencer?

Deux boussoles

Avant même que Jésus ait engagé son ministère, Marc donne aux croyants deux boussoles, afin qu’ils ne s’égarent pas, trouvent la juste orientation pour écouter, puis suivre Jésus. « Comme il est écrit dans le livre du prophète Isaïe…« . Le commencement du kérygme invite le croyant, ici et maintenant, à se mettre à l’écoute de l’Ecriture qui annonce un messager « Voici j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer TON chemin. Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers« . La marge de nos bibles indique que c’est une citation mêlée combinant des renvois à Isaïe (40,3) mais aussi à l’Exode (23,20) et au prophète Malachie (3,1). Pour bien saisir ce qui advient dans l’annonce de la Bonne Nouvelle, Marc nous renvoie donc à l’exode où Dieu promet à Moïse l’envoi d’un messager, puis à Malachie – dernier des prophètes – où la voix d’Elie prend le relais de celle de Moïse (3,22-24). Le Messie apparaît ainsi comme un nouveau Moïse, précédé d’un nouvel Elie. Jésus dira clairement que cet Elie attendu était Jean-Baptiste (9,13). Cette promesse concernait les voies de DIEU à préparer, mais voici que TON chemin désigne maintenant Jésus. Affaire à suivre…

On ne peut croire en Jésus sans amour ni liberté.

L’autre boussole est donnée à la scène du baptême avant que Jésus ne commence sa mission: alors que les cieux se déchirent, la voix du Père se fait entendre. Selon Marc, cette voix est perçue par Jésus seul. La scène n’est pas encore publique comme elle le devient dans les autres évangiles, mais le lecteur y assiste et entend: « Tu es mon Fils bien-aimé« . Il y a un seul passage de l’Ancien Testament où les cieux se déchirent: c’est en Isaïe 63,19: « Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais! » mais qu’il faut resituer dans tout un ensemble (63,7 à 64,11). C’est une puissante méditation sur l’histoire d’Israël qui, blessé par ses fautes, crie vers son Seigneur: « Où est-il celui qui mettait au milieu d’eux son Esprit saint? Celui qui accompagna la droite de Moïse de son bras glorieux… c’est toi Seigneur qui es notre Père, notre Rédempteur… Ah! si tu déchirais les cieux et si tu descendais. » Et voici que les cieux se déchirent, la voix du Père se fait entendre en même temps que l’Esprit Saint atteste sa présence: c’est vraiment une nouvelle entrée en Terre promise et une nouvelle Pâque qui se préparent, au bord du Jourdain. Le lecteur est avisé, guidé par ces deux boussoles. Et maintenant Jésus va commencer son ministère. La position du chrétien est paradoxale: équipé de ces deux boussoles par l’évangéliste, il a pourtant tout à découvrir, à redécouvrir.

Les limites de la parole

D’emblée rien n’est simple. A la synagogue de Capharnaüm (Marc 1,21-28), Jésus enseigne (4 fois Marc insiste sur ce fait d’enseigner et qui plus est: un enseignement donné avec autorité). Pourtant, il n’y a aucun contenu à cet enseignement: seulement un « Silence! » ou plutôt un « ferme-la » (l’expression est vulgaire) adressé à cet homme possédé qui criait: « Je sais qui tu es. Le Saint de Dieu« . Les mots semblent justes, mais les mots seulement. Il n’y a pas là de relation à Jésus. Or qu’est-ce qu’une confession de foi sans relation? Pire: cet homme semble utiliser son savoir pour se protéger de Dieu! Pour sa défense, reconnaissons qu’il est « possédé », on dira: sous influence. Il n’est pas vraiment lui-même, et Jésus ne peut accepter qu’un homme le confesse sans amour et sans liberté. Il enseigne avec autorité, mais non par des paroles revendiquant cette autorité. Sa présence et la rareté d’une parole de libération font sens. D’où ce « ferme-la!« , intimé à cet esprit mauvais afin que l’homme possédé retrouve sa liberté.

Un peu plus loin, Jésus guérit un lépreux, signe messianique par excellence (cf. Mt 11,5). Cet homme arrache pour ainsi dire sa guérison (sa purification, dit l’évangile) à Jésus, lequel lui commande de n’en rien dire, mais d’aller se montrer au prêtre. Charge à ce dernier de déchiffrer ce signe et peut-être d’advenir ainsi à la foi. Mais au lieu de cela, le lépreux va proclamer partout le miracle, empêchant ainsi Jésus d’entrer dans une ville. Il se doit de résister au succès, y trouvant peu de foi parce que peu d’écoute.

Jésus poursuit en guérissant le paralytique (spirituellement et physiquement) puis l’homme à la main desséchée, mais c’était un jour de sabbat, et voilà que s’élève la terrible accusation: « il blasphème! » (2,7), et on complote déjà pour le perdre (3,6). L’Evangile ne soulève donc pas que de l’enthousiasme, et pourtant il s’agit d’actes de libération, d’espérance face à un sabbat devenu trop formaliste. Jésus inscrit là un vent de liberté. Il fait aussi tomber les barrières, mangeant avec les pécheurs, mais précisément il dérange.

Une adhésion difficile

Mais voilà que les proches de Jésus sont ébranlés par cette étrange irruption du Règne de Dieu qui bouscule bien des attentes. Ils disent « Il a perdu le sens » (3,22), et du dehors (!) le font chercher (3,31), mais Jésus ouvre sa famille à ceux qui sont réunis autour de lui. « Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère, une sœur et une mère. » (3,35). Quant aux scribes, ils font de Jésus un possédé, relevant de Beelzeboul plutôt que de l’Esprit Saint. Ce début d’évangile n’a donc rien d’un fleuve tranquille et d’une paisible catéchèse. L’opposition s’étend jusqu’aux proches de Jésus: il est fou ou possédé!

Une catéchèse sur les flots

Avez-vous remarqué que par trois fois Jésus forme ses disciples dans une barque, et donc, pour un sémite plus habitué aux pâtures et aux déserts qu’à la mer, en plein danger. Une soudaine tempête, comme en connaît le lac de Tibériade, illustre l’ébranlement des disciples repris par Jésus: « Pourquoi avez-vous peur, n’avez-vous pas encore de foi? » (4,40). A Nazareth, le tableau est plus sombre encore: « un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, dans sa parenté et dans sa maison » confie Jésus. « Et il s’étonna de leur manque de foi » (6,6).

Une seconde fois, c’est après la multiplication des pains. Les disciples ont pris la mer et au milieu de la nuit, les voilà menacés par un vent contraire. « Ayez confiance, c’est moi, soyez sans crainte. » Au comble de la stupeur, ils n’avaient pas compris le miracle des pains, leur esprit était bouché!!! (6,52). Une troisième fois, alors que les disciples sont inquiets de ne pouvoir subvenir aux besoins de la foule (ils n’avaient qu’un pain avec eux dans la barque), Jésus les interroge: « Vous ne comprenez pas encore? Vous ne saisissez pas? Avez-vous donc l’esprit bouché? » (8,14-21).

Des aveugles en chemin

On comprend alors que pour Marc la foi en Jésus suppose à la fois un nouveau regard et un chemin à parcourir. Les deux réalités se superposent. Après l’insistance sur l’aveuglement des disciples, l’évangéliste situe la guérison de l’aveugle de Bethsaïde (8,22-26) que Jésus guérit par étapes, avec force salive, imposition des mains. Une première fois l’aveugle commence à voir mais les gens lui semblent des arbres en train de marcher. La seconde fois seulement « celui-ci vit clair et fut rétabli, et il voyait tout nettement, de loin. » Scène programmatique, mais lente à se réaliser si l’on en croit la suite. En effet, aussitôt après, c’est en chemin (8,27) que Jésus interroge ses disciples, et Pierre proclame: « Tu es le Christ« . Les mots sont justes, mais Pierre s’interpose pour éviter la croix à Jésus. Il a encore bien du chemin à faire pour être à l’unisson de son Maître. Jésus alors annonce pour la première fois sa passion. C’est en chemin aussi (9,30) qu’il leur annonce pour la seconde fois ses souffrances « Mais ils ne comprenaient pas cette parole, et ils craignaient de l’interroger » (9,32). Pire: « en chemin« , ils discutaient pour savoir qui était le plus grand! D’où, en chemin toujours, la troisième annonce de la Passion par un Jésus « qui marchait devant eux, et ils étaient dans la stupeur et ceux qui suivaient étaient effrayés » (10,32). Ce qui ne les empêchera pas de discuter des places d’honneur quand Jésus sera dans sa gloire. Les disciples sont vraiment des aveugles, même si, physiquement, ils suivent le même chemin que Jésus. D’où la portée de la seconde guérison d’aveugle à l’entrée de Jéricho (10,46-52). Bartimée était un mendiant « à côté du chemin ». Guéri, il suivra Jésus « sur le chemin« , image du vrai disciple.

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Le frère dominicain Jean-Michel Poffet, bibliste, fut directeur de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem. Il est aussi membre du comité de rédaction de notre revue « Sources ».

 

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Youcat https://www.revue-sources.org/youcat/ https://www.revue-sources.org/youcat/#respond Sun, 01 Apr 2012 10:50:57 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=75 [print-me]

Le premier Catéchisme de l’Église catholique pour les jeunes de l’histoire (!), intitulé Youcat [1], veut donner des points de repère, proposer la foi de manière claire et susciter le débat.

Comme le dit le Pape dans sa Préface, reprise en dernière page de couverture, Youcat souhaite provoquer la réflexion, seul ou à deux, il désire faire « circuler la Parole » en groupes, via les blogs et les réseaux sociaux, sur les grandes questions existentielles, sociales et spirituelles. Il se présente donc comme un point de départ. Tous les animateurs et les jeunes qui l’ont déjà utilisé le disent: Youcat constitue une bonne synthèse sur un sujet, mais il demande à être complété, soit par un dialogue entre jeunes, soit par le recours au « grand frère », le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) ou à d’autres ouvrages. Pour que l’aventure commence…

Le «Y» de la couverture

Il est jaune et blanc. Aux couleurs du Vatican. Lumineux comme le soleil. L’emballage pourrait être plus attractif. Youcat, abréviation de l’anglais Youth Catechism, est le Catéchisme de l’Église catholique pour la jeunesse, glissé dans le sac à dos de tous les participants aux dernières Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) en août 2011 à Madrid. Le «Y» de Youth, qui trône sur la première page de couverture, veut toucher le destinataire au cœur: «Y» comme You: « Prends le livre, il est pour toi!». Ce «Y» rassemble dans son graphisme, trouvaille intéressante, une multitude de symboles venus d’Orient comme d’Occident: la croix, sous une pluralité de formes, la colombe de l’Esprit Saint, le sigle IHS (Jésus), l’agneau et le cierge pascals, le poisson, le tétragramme YHWH, la Bible, la Vierge Marie, des églises, le chapelet, l’ostensoir, l’encensoir, et même une mitre épiscopale…

Rédigé avec des jeunes

D’où vient l’idée de Youcat? Lors d’une conférence de presse où il présentait l’Abrégé (2005) du CEC, l’archevêque de Vienne, Mgr Christoph Schönborn, fut interpellé par un journaliste lui reprochant la langue d’un tel ouvrage, incompréhensible notamment pour les jeunes. Soutenus par le Cardinal autrichien, un groupe de théologien-ne-s et de prêtres allemands entreprit alors de constituer un outil accessible à la jeune génération. Pour ce faire, ils se sont assuré la collaboration de professeur-e-s de religion, et surtout d’une équipe d’une cinquantaine de jeunes entre quinze et vingt-cinq ans, croyants ou non. Réunis en camps intensifs durant les étés 2006 et 2007, ces jeunes «théologien-ne-s en herbe » ont vigoureusement mis en cause la formulation de l’Abrégé et exprimé leurs interrogations dans tous les domaines de la foi. Le résultat fut ensuite communiqué aux instances romaines, légèrement réélaboré, puis soumis à quelques conférences épiscopales (Autriche, Allemagne, Suisse), et enfin élargi à l’Église universelle. Un catéchisme « de la base» en quelque sorte, pour lequel la communication ne fonctionne pas que « de haut en bas » ! Réjouissant !

La force de proposition de la foi

La crise de la société actuelle et les mutations culturelles qu’elle entraîne ont des répercussions majeures sur la vie de l’Église. La Lettre aux catholiques de France (1996) le soulignait avec force, et Benoît XVI situe dans ce contexte de turbulence la parution de Youcat (cf. Préface, p. 7). Au cœur de ce monde en mouvance, l’Église catholique n’est pas appelée à se recroqueviller frileusement sur elle-même, mais à entrer en dialogue critique avec les courants contradictoires qui agitent notre univers. Elle est invitée à rendre le service éminent de faire entendre la force de proposition de la foi chrétienne et à accompagner ainsi les jeunes dans leur croissance humaine et spirituelle. Youcat poursuit donc l’objectif de fournir à la jeunesse de notre temps les moyens de s’approprier le trésor de l’Évangile et d’en déployer la pertinence pour aujourd’hui.

Une « pédagogie d’initiation »

En visant un tel but, Youcat rejoint la perspective qui a présidé à la naissance des premiers catéchismes à l’aube de la modernité: Melanchthon et Luther, suivis par Pierre Canisius puis par le Concile de Trente, ont essayé de donner aux hommes de l’époque, confrontés à des changements historiques, les mots nécessaires pour rendre compte personnellement de leur foi. De même, placés en situation de diaspora au cœur de la postmodernité, les jeunes en quête de sens et de Dieu peuvent trouver en Youcat les bases rationnelles et spirituelles afin d’articuler leurs convictions. Mais pour entrer dans un tel processus de maturation, ils ne doivent pas rester seuls. Ils ont besoin de « biotopes communautaires » – dans des groupes en Église, en réseau sur Facebook ou Twitter. Le livre exige donc d’être «mis en jeu » selon une « pédagogie de l’initiation»[2], car ce n’est qu’ainsi que les connaissances acquises sur le christianisme pourront s’enraciner dans la prière, la lecture méditée de la Parole, la vie fraternelle et la communion ecclésiale. Comme aux JMJ, où Youcat a fait merveille, hors d’un cadre communautaire tissé de liturgie, de partage et témoignage, l’ouvrage risque de rester sur un rayon de bibliothèque et de ne pas porter vraiment de fruit. Youcat ouvre un chemin de liberté, individuel et communautaire. Sans une animation qui l’entoure, il demeurera lettre morte.

Le défi de la cohérence

Même s’il se présente sous la forme de questions / réponses – mais n’est-ce pas ainsi que les jeunes « fonctionnent»? –, Youcat ne ressemble pas aux catéchismes de nos aïeux: les éléments ne se trouvent pas simplement juxtaposés, il n’est pas nécessaire de faire appel à la mémoire. La foi ne s’y réduit pas à un ensemble d’énoncés à reconnaître, selon les trois « il faut » d’antan: les vérités qu’ »il faut croire », les commandements qu’ »il faut observer » et les sacrements qu’ »il faut recevoir ». L’originalité de Youcat réside dans le fait qu’il tente de relever le défi de la cohérence, celle de la tradition vivante venue des Écritures et déployée dans l’histoire de l’Église. L’ouvrage reprend ainsi la structure du CEC, qui correspond à celle des catéchèses des Pères: une tradition portée par la profession de foi (1ère partie: « Ce que nous croyons« ), vécue dans la liturgie (2ème partie: «La célébration des mystères chrétiens»), mise en acte dans l’existence des croyants (3ème partie: « La vie dans le Christ») et enracinée dans la vie spirituelle et la sainteté pour tous (4ème partie: «La prière chrétienne»). C’est donc l’Église elle-même qui se donne et se propose, qui s’engage et se livre, en offrant le trésor de son patrimoine dans son «intégralité ». En invitant les jeunes à accueillir ce courant de vie séculaire, pour l’inscrire dans la culture contemporaine.

Fournir à la jeunesse de notre temps les moyens de s’approprier le trésor de l’Évangile

Quelques réserves critiques

Les définitions complètent harmonieusement les réponses aux interrogations. Dans l’ensemble les textes sont réussis et peuvent servir de boussole dans cette exploration des contours de la foi.

Qu’on nous permette toutefois quelques petites réserves critiques:

Sans accompagnement, un jeune aura souvent de la peine à dégager l’essentiel du secondaire et à rétablir une saine « hiérarchie des vérités », puisqu’avec le système de l’enfilade des questions / réponses, tout risque d’apparaître sur le même plan.

– À notre avis, le langage utilisé convient mieux à de jeunes adultes qu’à des adolescents. Les formulations demeurent parfois assez complexes et peu accessibles, en tous cas si elles ne sont pas soutenues par les explications d’un animateur. Que comprend un jeune de 16 ans de phrases telles que celle-ci: « Jésus a été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu (Ac 2,23). Afin que nous, les enfants du péché et de la mort, nous ayons la vie, le Père céleste de celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous[3] (2 Co 5,21). Mais à la grandeur du sacrifice que Dieu le Père a demandé à son Fils a répondu la grandeur de l’abnégation du Fils» (n.98)? Ou encore: Si l’Église invitait à la communion des non catholiques, «la crédibilité du signe de l’Eucharistie en pâtirait« ?

– La théologie véhiculée par Youcat est assez « classique », avec des ouvertures bienvenues sur les médias, l’économie, l’écologie, le rapport entre science et foi, la dénonciation du trafic humain et de la pédophilie… Toutefois, le rôle de la hiérarchie est nettement souligné. Ainsi, par exemple, est-ce opportun de préciser que le Pape, en vertu de son autorité suprême, «si besoin, doit retirer des enseignements ou relever de leur charge des ministres…», sans mentionner du tout que son rôle premier est de soutenir ses frères comme « serviteur des serviteurs» (n.141)? D’autre part, n’y aurait-il pas eu de formule plus adaptée pour l’eucharistie que de dire: «… le sacrifice historique de Jésus sur la croix est rendu présent de manière cachée et non sanglante pendant la consécration » (n. 208)?

– Évidemment, Youcat ne peut tout dire, des choix ont dû être faits. Cependant, certaines omissions sont étonnantes: il convient d’agir toujours selon sa conscience, du moment où on agit dans les limites du bien commun (ajoute le n. 296, ce que ne fait pas le CEC, n. 1782); le péché offense l’amour de Dieu (n. 315), sans que l’amour du prochain soit mentionné (ce que fait par contre le CEC, n. 1849); le n. 221 ne signale pas l’envoi vers les pauvres que comporte l’eucharistie, contrairement au CEC, n. 1397; à la différence du CEC (n. 1241), le n. 203 n’explicite pas les trois offices du Christ « prêtre, prophète et roi », auquel le saint chrême fait participer les baptisés à leur confirmation; au n. 215, la présidence de la célébration eucharistique, réservée au prêtre, n’englobe pas, à l’exemple du CEC (n.1348) la participation active de tous les fidèles; enfin, point fort regrettable, le sacerdoce commun des fidèles n’est pas rattaché au baptême, mais uniquement défini en contraste avec le sacerdoce ministériel (n. 250).

– Le ton se fait également parfois moralisateur, comme si les jeunes rêvés par Youcat devaient être plutôt du type « bon chic bon genre de bonne famille ». Nous trouvons ainsi le n. 220 particulièrement malheureux. À la question «Comment dois-je me préparer pour recevoir l’eucharistie?», la réponse est ainsi libellée: «Celui qui veut recevoir l’eucharistie doit être catholique. S’il est conscient d’avoir commis un péché grave, il doit d’abord se confesser. Avant de s’approcher de l’autel, il faut se réconcilier avec son prochain. Jusqu’à il y a quelques années, on avait coutume de ne rien manger au moins trois heures avant la messe; on voulait ainsi se préparer à la rencontre avec le Christ dans la communion. Aujourd’hui l’Église recommande au moins une heure de jeûne. Un autre signe de respect est de bien s’habiller. Car, finalement, c’est bien avec le Seigneur de l’univers que nous avons rendez-vous ! » Et la préparation de l’être intérieur? Ne faut-il pas au moins autant « s’habiller le cœur » que bien se vêtir pour s’approcher en toute confiance de Celui qui a fréquenté les prostituées et les pécheurs?

– On peut aussi regretter certaines citations qui, sorties de leur contexte, risquent d’induire de fausses représentations quelque peu « volontaristes » ou « doloristes »: (p.124, 2ème citation, saint Augustin au sujet de l’eucharistie) « Je suis l’aliment des forts, grandis et mange-moi…« ; (p. 68, 1ère citation, de F. Fénelon) « On doit porter sa croix et non la traîner, et on doit la saisir comme un trésor et non comme une charge« .

– Au plan pédagogique, plusieurs questionnements centraux des jeunes ne sont pas repris: à propos de la résurrection du Christ (n. 104-107) et de notre résurrection (n. 152-155), rien n’est dit de son incompatibilité avec la croyance en la réincarnation, qui tente bien de nos contemporains.

Conclusion

« Ce livre est passionnant parce qu’il nous parle de notre propre destin et qu’il concerne par conséquent profondément chacun d’entre nous » (Préface, p. 9). Ce « nous » du Pape associé aux jeunes nous englobe tous, il concerne les catéchistes, les aumôniers et les enseignants de jeunes. Mais il s’étend à tous les adultes: au fond, Youcat peut rejoindre les jeunes de 17 à 77 ans et 107 ans. C’est comme dans une homélie: ce qui parle aux enfants et aux jeunes peut toucher également les plus âgés. Il n’y a donc aucune limite au «Y» de You(th) !

[1] Youcat français, traduction Monique Guisse et Joseph Stricher, révision avec le concours de Mgr Michel Dubost, Paris, Bayard / Fleurus-Mame / Cerf, 2011, 303 pages.

[2] Ainsi que le souhaitent le Texte National pour l’orientation de la catéchèse en France des évêques français (Paris, Bayard / Cerf / Fleurus-Mame, 2006) et la Commission Romande de Catéchèse, « Les défis communs en pastorale catéchétique », Lausanne, mars 2009.

[3] La construction de la phrase elle-même est incorrecte. Des fautes de syntaxe ou d’orthographe sont d’ailleurs à signaler: (p. 8, Préface) « Comment des personnes (…) pouvaient-elles produirent un texte (…) »; (p. 124, 1ère citation de BenoîtXVI) « En changeant le pain en son Corps, et le vin en son Sang, et qu’il les donne, Jésus anticipe sa mort… »; (n.215) « Le célébrant se tient à l’autel in persona Christi capiti » (au lieu de «capitis», mais beaucoup d’ados ne remarqueront vraisemblablement pas cette coquille), etc.

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L'abbé François-Xavier Amherdt

L’abbé François-Xavier Amherdt

L’abbé François-Xavier Amherdt est professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg

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«Va dire à mes frères…» https://www.revue-sources.org/va-dire-a-freres/ https://www.revue-sources.org/va-dire-a-freres/#respond Sat, 31 Mar 2012 00:01:16 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=920 [print-me]

Au petit matin de Pâques, Marie de Magdala reçoit cette consigne du Ressuscité qu’elle avait d’abord confondu avec le jardinier: « Va dire à mes frères: J’ai vu le Seigneur ». Une femme, l’apôtre des Apôtres, répand aux quatre vents l’étrange rumeur: « la mort n’a pas le dernier mot ».

Depuis près de deux mille ans, cette bonne nouvelle est répercutée par de milliers d’autres voix, relayées par des écrivains, des poètes, des peintres ou des musiciens – l’Alleluia de Haendel ! – qui modulent à leur manière le témoignage primitif de la Magdaléenne.

Toutefois, cette foule de témoins est impuissante à faire naître le moindre acte de foi. Ces hommes et ces femmes ne font que proposer et rendre crédible le message pascal. Ils ne sont que des balises sur un chemin qui peut être long. Ils ne remplaceront jamais le: »je crois » ou le: « je vois ». Entre les médiations humaines indispensables et la conviction du croyant, il y a donc place pour une expérience personnelle, mystérieuse, singulière et généralement indicible. Elle est de l’ordre de l’amour plutôt que de celui de l’esprit rationnel et ratiocinant.

A l’aube d’une « année de la foi », cette recherche n’est pas anodine.

Notre dossier a voulu aborder cette problématique difficile qui atteint de plein fouet la pastorale de nos Eglises. Nos aînés ont-ils raison de se lamenter du fait que leur foi ne se transmet plus? Nos catéchistes ne devraient-ils pas cesser de se culpabiliser face à tant d’échecs et d’indifférences au terme de longs efforts compétents et généreux? La question n’est pas réglée par le choix de nouvelles méthodes d’apprentissage ou par l’arrivée d’agents pastoraux qualifiés et bardés de diplômes. La réponse se situe au niveau de l’assentiment qui ne peut être que personnel.

Pour y voir plus clair, nous avons sollicité l’avis de théologiens, de biblistes, et, bien sûr, de personnes engagées et expérimentées dans l’art de la catéchèse. A l’aube d’une « année de la foi », cette recherche n’est pas anodine.

L’abondance et l’intérêt des contributions reçues ou sollicitées donnent à ce dossier une importance inaccoutumée. Nous avons conscience que les autres rubriques présentes habituellement dans nos numéros sont cette fois-ci éclipsées par le sujet du dossier. Que nos lecteurs se rassurent. Les numéros qui suivront respecteront la diversité des sujets auxquels ils ont droit.

Je termine cet éditorial par une note positive. Notre premier numéro « nouveau look » a été reçu avec faveur et même enthousiasme. Le thème abordé, le dialogue interreligieux après Assise, a suscité lui aussi beaucoup d’échos encourageants. Ces signes nous font du bien et soutiennent nos efforts et notre plaisir de vous servir.

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