Revue Sources

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Imaginez une église catholique au cœur de la ville de Genève accueillant chaque fin de semaine près de deux mille enfants en âge scolaire. Un chiffre confirmé par le curé de l’immense paroisse lusophone – mission ou paroisse? – qui rassemble ses ouailles dans les locaux loués à une paroisse « suisse », que la sécularisation et les mutations urbaines ont désolée.

Ce samedi d’octobre 2013, accoudé à la rampe d’escaliers qui conduit à la tribune de l’église Sainte Clotilde, je donne libre cours à mon émotion face à cette nef débordante de jeunes – le célébrant était bien le seul à avoir dépassé, et de très peu, la cinquantaine! – vibrant au rythme des chants, prêts à danser dans les allées du sanctuaire. J‘étais bien à Genève et non en Afrique. Au service de cette multitude, deux prêtres brésiliens – le troisième est hospitalisé – aidés par quelques deux cents jeunes catéchistes recrutés parmi les confirmés de la veille. Hormis les prêtres, pas un seul salarié dans cette paroisse. Aucun secrétaire permanent. Tout le monde est bénévole et tient à le rester.

Alors, cette paroisse, une « usine à sacrements »?

Alors, cette paroisse, une « usine à sacrements »? J’entends murmurer ce vieux réflexe de théologien soupçonneux. Pas si sûr! Même si les jeunes gars se contenteront, une fois devenus grands, de suivre l’exemple de leurs pères qui conduisent à l’église leurs enfants sans y pénétrer eux-mêmes. Je m’amuse, à la sortie de la messe, de contempler les voitures des papas-taxis, parquées en double file, venus récupérer leur progéniture. Le curé Miguel s’esclaffe: « De toute façon, ils n’auraient pu trouver place à l’intérieur!» Le fait d’attendre sur le parvis la fin d’une messe n’est pas forcément dans les pays latins une expression anticléricale. Ce stationnement pourrait simplement signifier une foi « collective » qui n’a pas besoin de se dire pour exister.

Eglise hors les murs que cette communauté d’immigrés? Sans nul doute. Comment expliquer que cette masse de jeunes qui fréquentent l’école publique genevoise passent à l’église une partie de leur week-end, alors que leurs camarades « suisses », sauf de vertueuses exceptions, n’y mettent jamais les pieds? Les traditions familiales n’expliquent pas tout. Pas plus que le besoin de retrouver en terre étrangère des racines lusitaniennes. De mon poste d’observation, j’ai l’impression que ces enfants sont loin de souffrir d’une quelconque contrainte. Aucun ne joue avec son portable ou triture sa planchette. Au contraire, des gestes non feints de piété et d’acquiescement à la parole qui leur vient de la chaire ou de l’autel.

Eglise hors les murs au sein de la « grande » (?) Eglise genevoise? Sans doute aussi. La mission portugaise développe ses méthodes catéchétiques et ses lignes pastorales en toute indépendance, sans s’inquiéter d’un plan directeur dicté par des instances ecclésiale suisses. Chaque année pourtant elle verse sa contribution financière au Vicariat épiscopal. Une façon d’exprimer sa gratitude à l’institution qui assure le salaire de ses prêtres. Là s’arrêtent la coopération et l’inculturation. Hormis cette transaction financière, les deux « Eglises » semblent s’ignorer. Dommage! Nous avons tellement besoin d’apprendre les uns des autres. Ne serait-ce que pour demeurer « catholiques ».

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Guy Musy

Guy Musy

Le frère dominicain Guy Musy, du couvent de Genève, est rédacteur-responsable de la revue Sources.

 

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