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Nous connaissions déjà un Dominique muet. Matisse l’avait privé d’orifice buccal et de cordes vocales. Supplice infernal, réservé aux prédicateurs bavards. Infamie pour le fondateur d’un Ordre de «prêcheurs». Et voilà qu’un frère provocateur glisse sous mon nez un Dominique manchot! Difficile d’épater un auditoire par des effets de manches. Mais Dominique en avait-il vraiment besoin?

Je ne saurais ni comparer ni rapprocher ces deux «icônes». La première est un chef d’œuvre devenu classique; la seconde, sortie d’un grenier de monastère, a subi l’épreuve du temps. A moins qu’elle ne fut la victime d’un iconoclaste impénitent.

Même sans voix et sans mains, il est encore possible de prêcher.

Mais rien n’est perdu. Même sans voix et sans mains, il est encore possible de prêcher. Le message évangélique n’a nul besoin d’être audible ou gesticulé. Dominique au pied de la croix ou penché sur sa Bible est à lui seul message et messager. Notre frère Angelico qui l’a peint dans cette double posture en était persuadé. Manchot ou non, le prêcheur fait corps avec Celui qui l’envoie. La prédication devient sublime quand le porte-parole est lui-même suspendu à la croix qu’il veut annoncer. Le témoin se confond alors avec son message. Même s’il n’est plus capable de le balbutier.

Ainsi Dominique prêchait-t-il, seul sur les sentiers caillouteux et épineux du Lauragais, à l’heure nocturne où le sicaire le guettait. Merveilleuse prédication aussi ce jour où il vendit ses parchemins pour nourrir des pauvres qui ne lui devaient rien. Prédication encore quand ses frères le portèrent sur une civière des hauts de Bologne vers le couvent où il voulait mourir et reposer sous leurs pieds.

Dietrich Bonhœffer aimait dire que le prédicateur avait mission d’accompagner la Parole. Parole en quête d’une terre en friche pour la féconder. Et si cette terre était d’abord la chair du prédicateur? Son corps, son âme et son histoire. Pour manifester la cohérence nécessaire entre la Parole qui vient de Dieu et le prêcheur qui la profère.

Le Matisse de Vence a voulu exprimer cette incarnation, légère, subtile et quasi décharnée. Un Dominique filiforme, réduit à quelques traits, comme une esquisse transparente et inachevée. Le prêcheur n’a nul besoin de bouche pour dire l’indicible. Il ne fait que le suggérer. Nul besoin non plus de mains pour le dessiner. Son cœur lui suffit.

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