Revue Sources

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Ils avaient rebouché le trou
à l’intérieur d’eux-mêmes
et quittaient Jérusalem
Quand l’inconnu les rejoignit
le soir sur la route
et leur parla des Ecritures
quelque chose en eux
remua profondément
A l’auberge il disparut
Comprenant enfin
ils s’aperçurent qu’en eux-mêmes
le trou était ouvert

Jean-Pierre Lemaire, [1.Jean-Pierre Lemaire est né le 18 août 1948 à Sallanches, en Haute-Savoie. Il a passé son enfance dans le nord de la France. Enfant, il préférait la musique aux mots: il a appris le piano, car il voulait devenir musicien. Jean-Pierre Lemaire a fréquenté l’Ecole normale supérieure et obtenu l’agrégation de lettres classiques avant de faire un stage dans la marine. A 24 ans, à la suite d’une crise spirituelle, il a pris conscience de sa foi catholique et commencé à écrire ses premiers vrais poèmes. Il est professeur de lettres en classes préparatoires littéraires au lycée Henri IV à Paris et à Sainte-Marie de Neuilly.] «Les marges du jour», La Dogana, 1981


A Emmaüs tu étrennais tes pas
tout neufs quand nous traînions les nôtres
sur le chemin de la déroute.
Leur battement dans notre cœur
abolissait le temps. La nuit tombait,
mais en nous tu remontais la mèche.
A mesure que s’étendait
l’obscurité, notre vision
se clarifiait. Ta voix lavait notre regard
dépoli. Dans une fraction de seconde,
nos yeux s’ouvrirent
sur une absence.

Gilles Baudry [2. Gilles Baudry est né à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, en Loire-Atlantique, le 27 avril 1948. Il a grandi à la campagne avant d’entrer au séminaire. Il a fait son service militaire dans la ville universitaire allemande de Tübingen, puis travaillé en usine. Il a fréquenté la communauté de Taizé. Il a enseigné deux ans au Togo avant d’entrer à l’abbaye bénédictine de Landévennec.], « Nulle autre lampe que la voix», Rougerie, 2006


La route est lourde d’ombres;
elle vient de la ville
où tout fut consommé 

et va vers la maison:
nous y rentrons bredouilles,
sans hâte ni jubilation.
Reprendre le collier:
était-ce là ton vœu de vie? 

Celui dont le pas résonne et nous rejoint
fête l’espérance.
Son geste de partage nous remet en partance. 

Colette Nys-Mazure [3. Colette Nys-Mazure est née le 14 mai 1939 à Wavre, près de Bruxelles, en Belgique. Elle vit à Tournai, au nord du pays. Elle avait sept ans lorsque son père, vétérinaire, est mort dans un accident; sa mère ne s’en est pas remise et l’a suivi quelques mois plus tard. «Une blessure irréparable, dira-t-elle, mais peut-être féconde», dont tout ce qu’elle fait porte la marque. Elle a étudié à l’Université catholique de Louvain de 1957 à 1961, obtenant une maîtrise de lettres. Elle a enseigné la littérature française de 1961 à 1999. Elle a été assistante  à l’Université catholique de Louvain de 1974 à 1980. Colette Nys-Mazure est mère et grand-mère. Outre la poésie, elle a écrit des essais, des nouvelles et des pièces de théâtre. Elle anime des sessions et des ateliers d’écriture et donne des conférences en Belgique et à l’étranger. Elle aime travailler en correspondance avec des artistes, notamment des peintres.] et Lucien Noullez, «Traces et ferments. Un dialogue à bible ouverte», l’arbre à paroles, 1998


Marchions fourbus
vers Emmaüs,
le profil bas
à reculons
avec nos pas
de feuilles mortes.

Marchions si las
clopin-clopant.
Le ciel aussi
boitait si bas
sans horizon.

Nous rejoignit
un inconnu
nous questionnant
sur nos tourments.

Le soir tombait
mais l’étranger
trouvait des mots
comme des lampes.

Ces mots si simples
et si immenses,
c’étaient des portes
à deux battants
qui nous ouvraient
les Écritures.

Or, parvenus
au carrefour,
à la pliure
du grand livre,

sans un détour
il fit semblant
de s’éloigner
nous laissant seuls
abasourdis
avec nos cœurs
meurtris, brûlants.

« Où irions-nous
si tu t’en vas ?
Reste avec nous !
Vois : l’ombre
gagne
sur nos jours.
Reste avec nous
quand tout
s’éloigne.

Sur le chemin
de la déroute
tu as des mots
qui nous éclairent
et qui dissipent
notre doute.
Voici l’auberge
où nous refaire.
Ta compagnie
nous avoisine. »

À peine entré,
notre invité
passa commande
à la serveuse,
et nous, ses hôtes,
vîmes le Maître
rompre le pain
avec un geste
rayonnant d’infinitude,
mais reconnu
il disparut
laissant la table
ouverte à tous.

Foi de disciples
à n’y pas croire !
C’était donc lui
notre Sauveur
et notre ami
encore tout frais
ressuscité
et nous restés
à nos tombeaux !

Gilles Baudry, Demeure le veilleur, 2013, p. 71-73

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