Revue Sources

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Le président de la Conférence des Evêques de Suisse (CES), Mgr. Büchel, dans une interview à la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), le 21 septembre 2013, précise qu’en Suisse l’Eglise catholique jouit d’un système de gouvernement ecclésiastique « dual »: d’une part la « corporation ecclésiastique » et d’autre part ce qu’il appelle l’ « Eglise canonique ». Autrement dit: le pouvoir laïc et le pouvoir épiscopal.

Mgr Büchel convient que des tiraillements sont possibles et bien réels. Mais il ne remet pas en cause ce système qui, selon lui, ne doit pas être supprimé, mais « optimisé ». D’où les questions posées par notre rédaction à M. Philippe Gardaz.

Toute l’Eglise catholique qui est en Suisse est-elle concernée par ce « gouvernement dual », ou seulement certains cantons?

Philippe Gardaz: A juste titre, Mgr Büchel parle de « système dual » plutôt que de « gouvernement dual ». Ce système concerne presque tout le pays, car il y a une organisation ecclésiastique cantonale (Fédération, corporation, LandeskircheKantonskirche), parallèle aux diocèses, vicariats, unités pastorales, etc., dans chaque canton, sauf en Valais.

Quelle est l’origine de ce système? Déteinte de l’ecclésiologie réformée sur l’Eglise catholique? Défection du pouvoir épiscopal sous l’Ancien Régime? Mesures imposées par le Kulturkampf?

Ce système est le résultat de plusieurs facteurs. Tout d’abord, le fait que ce sont les Etats cantonaux qui sont depuis toujours compétents en matière de rapports Eglise-Etat. Dans les cantons réformés, l’Eglise était, sous l’Ancien Régime, Eglise d’Etat, acquérant progressivement son autonomie au cours des XIXe et XXe siècles et adoptant alors une organisation calquée sur celle de son canton. Dans les cantons catholiques, l’Eglise et l’Etat étaient organiquement séparés, mais très proches dans leurs actions concrètes.

Le système dual est une solution ancrée dans les mœurs helvétiques et dès lors durable.

Lorsqu’au cours du XXe siècle, les cantons réformés, Berne et Zurich notamment, ont reconnu leur minorité catholique, ils ont « naturellement » prévu pour elle une organisation symétrique à celle de leur Eglise nationale réformée, mais divergeant de la tradition catholique. Ce fut aussi le cas dans les cantons paritaires (Argovie, Thurgovie, Glaris, Grisons). Certains cantons catholiques ont aussi créé des structures ecclésiastiques de droit public, organisées démocratiquement, vu l’octroi du droit de lever l’impôt ecclésiastique. Ainsi Fribourg à la fin du XIXe siècle. Mais sans imposer l’élection des curés par les fidèles.

Ce système est-il compatible à l’ecclésiologie catholique définie par Vatican II?

Ce système est conforme à l’ecclésiologie de Vatican II dans la mesure où il respecte le rôle fondamental de l’évêque diocésain. Mais tel n’est pas toujours le cas en Suisse. D’où le Vade-mecum qui n’est qu’un rappel, une mise au point sur quelques questions particulières.

Compte tenu de la sécularisation actuelle, ce système n’est-il pas désuet, appelé à disparaître?

Non. Le système dual est une solution ancrée dans les mœurs helvétiques et dès lors durable. Il permet d’ailleurs, à travers l’impôt (ou la contribution) ecclésiastique en vigueur dans plus de vingt cantons, d’assurer le financement de l’Eglise catholique par les contributions des fidèles, comme le prévoient ses règles propres (can 222 CIC).

L’Eglise n’a-t-elle pas avantage à pourvoir elle-même à ses moyens de subsistance plutôt que de les attendre d’un Etat qui la contrôle?

L’Etat, c’est-à-dire les cantons suisses, ne contrôle pas les Eglises. La Confédération non plus. L’Etat se désintéresse des Eglises, mais leur octroie le droit de prélever l’impôt ecclésiastique moyennant l’organisation d’une structure démocratique de droit public qui n’est pas un contrôle de l’Eglise mais un appui. A Neuchâtel et à Genève, l’Etat récolte la contribution volontaire. Mais l’argent vient des fidèles, pas de l’Etat.

Autre application: le Canton de Vaud. Depuis 2003, l’Etat par son budget général assure aux deux Eglises reconnues les moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission au service de tous dans le canton. Pour l’Eglise catholique, ce sont environ 25 millions de francs suisses par an. C’est un cas unique en Suisse.

L’expérience est positive, car l’Etat a respecté l’identité catholique, s’abstenant, par exemple, d’imposer l’élection des curés par les fidèles. Mais il n’a pas reconnu l’Eglise catholique romaine comme telle, notamment les diocèses englobant le territoire vaudois, sinon à travers la Fédération ecclésiastique catholique romaine, qui fait suite à la Fédération des paroisses catholiques du canton.

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Philippe Gardaz

Philippe Gardaz

Philippe Gardaz, ancien juge cantonal vaudois, spécialiste du droit ecclésiastique suisse.

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