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[print-me]Depuis le début des années 2000, l’Europe connaît une importante vague de populisme. Les situations sont variées, mais certaines constantes se retrouvent dans tous les mouvements incarnant cette mouvance politique. Globalement, ce regain du populisme va de pair avec une mise en cause du système démocratique libéral.

Dans certains pays, la mouvance populiste a la majorité et est au pouvoir. C’est le cas en Hongrie, en Pologne, en Slovaquie et en République tchèque. A Budapest, Viktor Orban est au pouvoir. Son parti, le Fidesz, dispose d’une majorité des deux tiers à l‘Assemblée. Une série de décisions ont été prises qui vont contre les principes démocratiques: prise de contrôle sur le pouvoir judiciaire, affaiblissement du pluralisme des médias, discours public marqué par des références nationalistes. En Pologne, pour la première fois en 2015, le parti «Droit et Justice» (PiS) a accédé au pouvoir avec une majorité absolue au parlement. Les parlementaires du PiS tiennent un discours de revanche anti-élites, souverainiste et prônent une révolution conservatrice. Suivant l’exemple hongrois, le gouvernement de Beata Szylo coordonne de près les médias publics, dont le message doit être validé par des proches du pouvoir. Robert Fico, premier ministre slovaque, en principe classé à gauche, a été suspendu du Parti socialiste européen depuis qu’il gouverne avec le SNS, un parti nationaliste de Slovaquie. En République tchèque, le président Milos Zeman s’est illustré par de nombreuses diatribes contre les immigrés et les musulmans, prétendus inassimilables.

Malgré l’appartenance de leur pays à l’Union Européenne (UE), ces dirigeants d’Europe centrale critiquent ouvertement des aspects du fonctionnement des institutions communautaires. Durant sa présidence de l’UE (juillet-décembre 2016), l’exécutif slovaque a déclaré œuvrer en faveur de la limitation du pouvoir des institutions communautaires.

Les autres mouvements populistes

A côté des partis populistes gouvernementaux, une série d’autres mouvements européens (une quarantaine en tout) s’inscrivent dans la même tendance. Trois d’entre eux ont même momentanément sérieusement menacé de prendre le pouvoir: le Front National en France, le Parti pour la liberté aux Pays-Bas et le Parti de la liberté (FPÖ) en Autriche. En fin de compte, ni Marine le Pen (FN), ni Geert Wilders (PVV) ni Norbert Hofer n’ont réussi leur pari de s’emparer du pouvoir. Les électeurs furent un sursaut de civisme et ont résisté à la montée du populisme européen, mais la partie fut serrée et l’on ne saurait se bercer de l’illusion que le populisme dans ces pays est définitivement vaincu.

Dans d’autres pays comme la Finlande, le Danemark, la Suède, l’Allemagne et l’Italie, les mouvements populistes ne menacent pas encore les démocraties établies. Ils sont néanmoins des forces politiques non négligeables qui recueillent entre 10 et 15% de voix aux élections nationales. Quant au parti nationaliste de Nigel Farage (UKIP), il fut suffisamment puissant pour provoquer le Brexit. Depuis ce succès retentissant, ses leaders se sont retirés et le parti semble actuellement en perte de vitesse.

Les perdants de la mondialisation sont incontestablement à la racine du populisme actuel.

Le cas suisse de l’Union Démocratique du Centre (UDC) est différent. Cette dernière a obtenu pratiquement 30% des votes lors des dernières élections législatives fédérales, mais, en raison du système suisse, elle ne peut monopoliser l’exécutif formé d’un collège de ministres appartenant aux quatre grands partis. Par ailleurs, même si Christoph Blocher, son leader charismatique, s’inscrit pleinement dans la ligne des autres partis populistes européens, une partie de ses membres viennent du parti agrarien à l’idéologie moins extrémiste.

Ces mouvements européens ne se limitent pas au continent mais se développent ailleurs. Trump aux Etats-Unis, Erdogan en Turquie et Poutine en Russie sont des dirigeants qui ont des points communs avec les populistes européens. Mais alors que Trump s’en rapproche, Poutine et Erdogan sont d’abord des autocrates. Tous les trois exercent un fort attrait sur les leaders européens, mais moins sur l’électorat de la base.

Quoi qu’il en soit, la plupart des principaux partis populistes européens semblent en perte de vitesse. En Finlande, les Vrais Finlandais ont été virés de la coalition au pouvoir. En Italie, lors des récentes élections municipales partielles, le Mouvement Cinq Etoiles a été éliminé dès le premier tour. Au Royaume Uni, UKIP a déjà changé de tête trois fois depuis la décision du Brexit. Aux législatives françaises, le FN n’a pas de quoi pavoiser. En Allemagne, l’AfD connaît des dissensions et lors des régionales son score a été divisé par quatre depuis l’an dernier. Néanmoins, il faut s’interroger sur ce qui a donné naissance à ces mouvements qui contestent les fondements du système démocratique établi depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.

Les causes de l’embardée populiste

Les perdants de la mondialisation sont incontestablement à la racine du populisme actuel. L’ultralibéralisme économique dominant fonctionne en ignorant des franges importantes de la société qui vont des ouvriers pénalisés socialement par ce système jusqu’aux classes moyennes dont le pouvoir d’achat stagne ou diminue. Un contrôle qui corrige ces déséquilibres et ces inégalités criantes est nécessaire si l’on veut réduire la frange de la population séduite par les thèses populistes qui leur font des promesses sociales alléchantes.

Au plan économique encore, la grave crise de 2008 a touché des classes de citoyens qui se sont appauvris ou ont perdu leur emploi; ce qui polarise aussi la société entre privilégiés et nouveaux pauvres. Comme l’écrit Nicolas Bavarez (Le Figaro 03.10.16): «L’angoisse devant la mondialisation et la révolution technologique a remis en question le salariat et l’Etat providence.»

Le grave échec de la politique migratoire de l’UE fait aussi le lit du populisme. En effet, le chaos qui a résulté de la crise des migrants engendre des peurs dans la population qui se sent désemparée devant l’arrivée des migrants. En réalité, la masse de migrants victime de la guerre ou de régimes dictatoriaux ne dépasse pas 0,1 à 0,2% de la totalité de la population européenne. Il aurait été tout à fait possible pour l’UE de répartir ces requérants entre tous les pays membres de l’UE.

Les mouvements populistes sont en directe opposition avec les bases de la construction européenne.

En plus des causes déjà mentionnées, le regain du terrorisme international depuis le 11.09.2001 et la création de l’Etat islamique (EI) a répandu dans la société une peur panique. Les mouvements populistes s’en sont saisis pour durcir à l’extrême de pseudo mesures de sécurité qui vont de la fermeture des frontières jusqu’à la diabolisation de tous les musulmans soupçonnés d’être des terroristes en puissance. Cet amalgame entre islam et terrorisme est sans fondement réel, mais agit émotionnellement sur beaucoup de citoyens prêts à suivre les discours extrémistes des populistes.

En se basant sur la contre-vérité de l’amalgame islam-terrorisme, les mouvements populistes/nationalistes prédisent l’avènement d’une Europe musulmane qui tuera l’Europe chrétienne. Cette approche civilisationnelle, confortée par l’omniprésence des réseaux sociaux, effraie une partie de la société qui y adhère. Elle relève de la dimension immatérielle de la vague populiste européenne et explique pourquoi plusieurs pays sont touchés, bien que ne connaissant pas de chômage ni de crise économique (Suisse, Norvège, Suède, Autriche, Pays-Bas). Daniel Oesch, spécialiste des partis populistes européens, souligne le rôle des variables identitaires ou culturelles dans le vote populiste:«Les électeurs de la droite populiste semblent plus sensibles à l’influence négative des immigrés sur la culture que sur l’économie du pays» (International Political Science Review, vol.29, n°3, juin 2008 p.373).

Au plan politique, on ne peut s’empêcher de mentionner ce qu’il convenu d’appeler la «crise de la représentation politique», abondamment évoquée par les populistes. La confiance dans les partis traditionnels ne cesse de baisser, d’où la volonté de se débarrasser de la vieille classe politique. Le politologue Peter Mair qualifie les partis de plus en plus «responsible» (conscients de leurs responsabilités) et de moins en moins «responsive» (à l’écoute de la société). Cette constatation rend beaucoup de gens très réceptifs aux idées populistes qui remettent en cause des principes démocratiques. Or, une revitalisation de la démocratie ne peut se faire sans payer ce prix inacceptable. On peut en finir avec le retour éternel du même personnel politique et introduire des représentants de la société civile, ce qui ne doit pas exclure la présence d’experts dans différents domaines. Mettre fin à la suprématie des lobbys et des riches et laisser de l’espace aux représentants de la classe moyenne et des frustrés est essentiel pour corriger le système de représentation politique.

Enfin, la démographie est aussi un déterminant important de la crise de la démocratie et du succès du populisme. Depuis 2015, en Europe, le nombre des décès est supérieur à celui des naissances. Ainsi, les démocraties, quoique prospères, vieillissent et le vieillissement entraîne une forme de conservatisme qui va de pair avec une aversion au risque et une disponibilité aux thèmes sécuritaires et aux discours populistes.

L’UE, bouc émissaire des populistes

L’UE, née sur les cendres des drames de la deuxième guerre mondiale, est construite sur le principe des libertés démocratiques, clé de la paix sur le continent. Les mouvements populistes, eux, sont en directe opposition avec les bases de la construction européenne.

Etant donné la crise actuelle de l’UE et le récent vote britannique en faveur du Brexit, les populistes disposent d’un terrain favorable pour s’en prendre aux élites technocrates de Bruxelles et faire de l’UE le bouc émissaire idéal pour justifier des replis nationalistes. De plus, le système de représentation indirecte leur offre un terrain facile pour renforcer leur critique de la représentation politique. Mais, en dépit des 28% qu’ils représentent au Parlement européen, les populistes n’ont pas réussi à perturber le fonctionnement de ce dernier.

Ceci dit, Moscou, qui n’aime pas l’UE, soutient inconditionnellement les populistes d’Europe. Rappelons-nous la visite de Marine le Pen chez Vladimir Poutine. La Russie y voit un moyen stratégique de dislocation de l’Union. Jusqu’ici, ce fut un échec dû entre autre à l’inimitié entre la Pologne, la Hongrie (les deux gouvernements populistes de l’UE) et la Russie, leur ancien mentor.

Au niveau des structures de Bruxelles, les mouvements populistes sont très peu influents. La Commission européenne ne compte aucun représentant de ces courants et le Conseil (Affaires étrangères, Défense, Finances) où siègent les ministres des Etats membres n’a nullement souffert des rares représentants de gouvernements dirigés par des partis populistes.

Les risques de dislocation de l’UE ne peuvent cependant pas être complètement négligés. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission a même déclaré: «En Europe, les démons du nationalisme n’ont pas été bannis, ils sont simplement endormis.» Le passé de l’Europe l’expose aux ressentiments ethniques et aux frustrations historiques.

Le populisme européen est signe d’un repli sur soi et d’une perte de souffle de l’Europe. Le combat pour un renouvellement de la démocratie sur le continent doit donc se poursuivre énergiquement.[print-me]


© hirondelle.org

Paul Grossrieder, ancien Directeur Général du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) à Genève.

 

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