Revue Sources

Frère Clau Lombriser OP
16 mai 1947 – 2 septembre 2017

[print-me]Notre frère Clau Lombriser nous a dit «au revoir» le 2 septembre dernier et nous étions très nombreux à lui dire «adieu» quatre jours plus tard dans l’église et le cimetière des Sœurs Dominicaines d’Ilanz, proche de Rabius, son village natal. Au cœur de ses Grisons dont, avec fierté, il parlait la langue, le romanche. Une région qu’à vrai dire Clau n’avait jamais quittée. Des témoignages émouvants lui furent rendus lors de ses obsèques, ne serait-ce que la messe unanimement chantée dans sa langue maternelle par une assemblée de compatriotes avec lesquels il aimait célébrer la vie. D’autres commémorations suivirent à Zürich, où pendant dix-sept ans le frère Clau exerça la charge de curé de la communauté francophone, et au couvent St-Hyacinthe de Fribourg dont il était le sous-prieur et le maître des étudiants, tout en assurant un poste de secrétaire général de l’organisme «Fidei Donum», une mission qui lui fut confiée par les évêques suisses.

Un lien particulier rapprochait le signataire de ces lignes du frère Clau. Ils ont partagé dix ans de vie dans un quartier populaire de Kigali au Rwanda. C’était au cours des années 75 – 85. Un idéal et un projet d’animation socio-pastorale enflammaient alors une poignée de Dominicains suisses et canadiens. Un jeune frère grison vint un jour s’y joindre. D’emblée, il s’investit avec fougue et compétence au sein du «Club Rafiki» qui rassemblait alors une foule de jeunes, la plupart désoeuvrés et illettrés. Les responsables actuels du Club ne l’ont pas oublié. Ils viennent de nous le rappeler dans un émouvant message de sympathie.

C’est dans ce contexte africain que Clau prit goût au journalisme et à la communication. De réels talents dont il fera plus tard abondamment profiter sa patrie grisonne: émissions radiophoniques, publications et, bien sûr, prédications, où il excellait. Et toujours en langue rhéto-romanche. Dès son arrivée à Fribourg, je le persuadai de faire partie de l’équipe rédactionnelle de notre revue «Sources». Un peu en lui tirant l’oreille, je l’avoue, mais certain de son apport original, fécond et novateur. Je n’eus jamais à le regretter, pas plus que les autres membres de l’équipe rédactionnelle. Sans parler de nos lecteurs.

Mais il fallait lui laisser sa place, respecter son autonomie, et même négocier parfois ses excès de témérité. Je me souviens avec sourire d’un épisode qui marqua son passage au Journal Rafiki que nous avions lancé à Kigali. Une réunion de chefs d’Etat africains devait se tenir dans un stade de la capitale rwandaise proche de notre quartier. Le Maréchal Président Mobutu, alors glorieusement régnant, devait en faire partie. Pour Clau, ce fut l’occasion inespérée d’un scoop pour faire exploser le tirage de «son» Journal ronéotypé. Il prit langue avec un dessinateur congolais qu’il pria de réaliser les caricatures – assez innocentes – de tous ces «Guides bien aimés du peuple». Clau en fit une édition spéciale du Journal Rafiki qu’il fit vendre à la criée aux portes du stade. Notre frère n’y voyait rien de répréhensible et ne pensait offenser personne. Il désirait simplement sortir des sentiers battus et faire preuve d’originalité. Mais notre frère n’avait pas suffisamment pris en considération le culte voué à ces éminents personnages ni leur susceptibilité qui ne supportait pas la moindre égratignure à leur dignité. Dieu merci, l’affaire ne se termina pas comme celle du Charlie Hebdo. Il n’y eut ni assassinats, ni emprisonnements, ni même d’expulsions. Un lot d’exemplaires incriminés furent saisis, mais beaucoup se vendirent sous le manteau. Le Journal Rafiki survécut, son rédacteur et les Dominicains aussi! Mais nous avions senti passer le vent du boulet.

Cette anecdote suffira pour dépeindre le caractère et le génie de notre ami. Sous une enveloppe imprévisible et déroutante se cachait pourtant un cœur d’or. Surtout, une foi de montagnard, apparemment sans tourments ni inquiétudes, capable de déraciner les plus hauts sommets alpins.

Emporté en quatre mois par un cancer foudroyant, Clau affronta sa mort avec une telle lucidité et un tel courage que nos larmes se convertirent en admiration et en reconnaissance. Pour en persuader les lecteurs de Sources, nous ne pouvons mieux faire que reproduire ici le message électronique qu’il rédigea quelques jours avant son départ à l’adresse de ses frères, de sa famille et de ses nombreux amis et amies.

Merci, cher Clau, et à nous revoir!

fr.Guy Musy op


Message de Clau

«Vous avez été nombreux à exprimer par courrier, par courriel, par message, par téléphone ou par une visite combien vous avez été touchés d’apprendre qu’un cancer du pancréas s’est insinué dans mon pauvre corps mortel pourtant si « sain », au moment même où je m’apprêtais à fêter mes 70 ans, et qui ronge déjà visiblement, sensiblement, ma santé.

Nombreux ! Car en ce moment où ma vie se trouve à un tournant, je découvre, touché aux larmes, combien sont fraternels, amicaux et solides les liens que j’ai pu nouer tout au long de mes années de ministère pastoral:

– au sein de la Famille Dominicaine tout d’abord, frères et soeurs confondus…

– à la MISSION catholique de Zurich en particulier durant mes 17 ans de ministère…

– mais également parmi mes chers compatriotes montagnards dans les Grisons, ma patrie de coeur, que je connais personnellement ou qui me connaissent comme prédicateur à la radio romanche et dans la presse locale.

Ce qui m’a frappé et touché davantage, et plus particulièrement, c’est la justesse, l’authenticité, la véracité… des mots dont vous vous servez pour partager et exprimer avec délicatesse votre désarroi et votre douleur qui sont aussi les miens. Et en même temps votre encouragement, votre soutien, votre prière pour et avec moi. Loin d’être de « piètres consolateurs » (Job 18, 16), vous m’avez redressé! Quel don, quelle grâce!

Grand fut aussi mon étonnement de constater que les uns et les autres se réfèrent, non pas à ce que nous avons « fait » ensemble, mais à tant de mots «partagés ensemble» : une homélie, un sermon, une catéchèse, une parole, un mot tiré de la Page du curé… et qu’ils conservent quelque part, comme un précieux trésor, dans le fond de leur coeur. Pour un Dominicain dont la vocation est de croire à la Parole et de la proclamer, à temps et à contretemps, c’est une grande consolation qui confirme, et parfois à contre-courant, que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu ».

Cela, je l’affirme avec assurance et conviction alors même que l’épreuve de la maladie ne me rend pas la prière et la parole plus faciles et plus intenses. Au contraire: il arrive que celle-ci tarisse, comme une source d’eau fraîche qui cesse de couler. C’est bien ce dont parle le Psaume 21: « Ma vigueur a séché comme l’argile, ma langue colle à mon palais ». Les mots s’envolent, deviennent creux… Quel bonheur alors de retrouver les hymnes du bréviaire, ces bribes de psaumes, ces mots conservés dans un recoin du coeur… Je me fais alors « glaneur d’épis », comme Ruth, une à une, sur un champ de blé déjà récolté… (Ruth, 2, 1-23). C’est bien ça, le pain quotidien! Et que dire des merveilleuses Paraboles du Maître qui, en ce moment, me semblent plus proches, sobres, vraies, modestes surtout, que la haute théologie de saint Paul.

En cette fin de juillet -début août, les vacances battent leur plein, et je ne vous en tiendrai pas rigueur si vous lirez ce courriel à la rentrée de vos vacances familiales.

Sachez cependant qu’un répit dans ma santé (surtout côté digestion) m’a permis de passer dix jours dans notre chalet familial dans les Grisons. Ma tête en a voulu ainsi (!). J’ai du lutté contre les médecins et les frères qui ne voulaient pas me laisser partir. Avec l’aide de SPITEX, soins à domicile, grâce à la présence de ma famille sur place et, surtout, de mon cher confrère Adrian, j’ai passé de merveilleuses journées relativement ensoleillées, clémentes et d’une incroyable luminosité dans cette ferme de montagne située à 1000 mètres qui m’a vu naître, moi et plusieurs générations d’ancêtres. Grâce à des petites marches, toujours plus soutenues, j’ai même retrouvé mes forces physiques. Bonheur total, grâce aussi à de nombreuses visites que j’ai accueillies à table aussi bien que possible. Saint-Nicolas de Myre, patron de la petite chapelle du hameau de Runs, a veillé sur moi, sur nous !

Hier mardi, j’ai repris le train pour Fribourg, avec une immense gratitude, serein, content de retrouver « mon couvent ». Accueilli par le prieur mais déserté de ses nombreux frères, j’apprécie l’ambiance et je suis chez moi. Là aussi, SPITEX est aux portes. Quant à l’avenir, je ne sais absolument pas ce qu’il va me réserver. Comment  évoluera  la  maladie? Quels  sont  les  organes  qui «craqueront» les premiers? Ce mystère est grand! Vaut-il mieux ne pas le connaître?

Lorsque saint NIcolas de Flue se retrouvait importuné par des questions-interrogatoires qui le laissaient perplexe, il aimait répondre: GOTT WEISS ES! Dieu le sait!

Portez-vous bien!

Votre Frère Clau

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