Revue Sources

 

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Depuis quelques décennies les Dominicains sont installés au Nigeria et même dans le nord du pays, victime ces derniers mois d’agressions répétées fomentées par un groupe extrémiste islamique. Le rédacteur responsable de Sources a interrogé le frère Gabriel Samba, assistant du Maître de l’Ordre dominicain, au retour d’une visite au Nigeria. Nous publions sa réponse.

Cher frère Guy,

Tu me disais dans ton mail que tu aurais aimé avoir une « information sérieuse » sur les troubles religieux qui secouent le Nigeria ces derniers temps. Tu te demandes s’il s’agit vraiment d’un conflit religieux ou alors ethnique, voire économique. Tu voudrais que j’éclaire ta « lanterne ».

Ceux qui maîtrisent bien la situation disent que Boko Haram est un mouvement islamiste armé actif au nord-est du Nigéria. Ce mouvement prône un islam radical et rigoriste. Son idéologie est inspirée par les Talibans d’Afghanistan et a probablement des liens aussi avec Al-Qaida au Maghreb islamique. Ses adeptes rejettent la modernité et visent à instaurer la charia dans les Etats au Nord du Nigeria. Boko vient du mot anglais « book » qui veut dire « livre » et « haram » est un mot arabe qui signifie « interdit ». Tous les livres sont mauvais et interdits (symbole de l’éducation occidentale). Un seul livre est valable: le Coran.

La description de ce mouvement et son idéologie font plutôt penser à un conflit religieux mais certainement pas ethnique ou économique. Ce groupe est différent du MEND, le Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger qui opère pour des raisons économiques dans la région du Delta au sud du Nigeria scandaleusement riche en ressources pétrolières. Le MEND se bat parce que malgré cette insolente richesse, paradoxalement la région du Delta ne bénéficie pas des retombées de la manne pétrolière. Le sud du Nigeria demeure l’une des régions les plus déshéritées du pays tandis que le nord est développé grâce aux ressources pétrolières du Delta.

La description de Boko Haram et son idéologie font plutôt penser à un conflit religieux mais certainement pas ethnique ou économique.

Les infrastructures routières et socio-économiques de base du sud sont lamentables. La dégradation de l’environnement est déplorable et le niveau de pollution inquiétant car les écosystèmes, les terres agricoles et les ressources halieutiques sont sérieusement menacés. Je viens de le voir de mes propres yeux. Les experts disent que « plus de 60 % des 31 millions d’habitants que compte la région du Delta vivent au-dessous du seuil de pauvreté. » Malgré son idéologie et ses modes opératoires contestables parce que basés sur les rançons et sur les trafics en tous genres, le conflit du MEND est économique du fait qu’il est motivé par les conditions de vie déplorables de la majorité de la population du Delta. Les motivations de Boko Haram sont complètement différentes.

Certaines personnes que j’ai rencontrées au Nigeria pensent qu’au-delà de l’aspect religieux, Boko Haram aurait un visage politique voilé et inavoué. Elles justifient cet argument par une sorte de frustration ou de mécontentement des gens du nord du Nigeria parce qu’ils ne sont plus à la tête du pays. Il semble que beaucoup des présidents qui ont dirigé le Nigeria étaient originaires du nord et musulmans. Ils auraient développé le nord et Abuja la capitale fédérale du Nigeria au détriment des autres Etats, surtout le Delta qui fournit pourtant toute la manne pétrolière. Avec la mort du précédent président, Umaru Yar’Adua en 2010 qui était musulman et originaire du nord, le pouvoir est maintenant entre les mains d’un président chrétien, Jonathan Goodluck et qui n’est pas du nord. Déçu et aigri, disent mes interlocuteurs, le nord veut rendre le pays ingouvernable à travers des actes de violence pour prétendre que le président Jonathan est incapable de gouverner le pays. Je ne sais pas à quel point cette affirmation est vraie, mais je l’ai entendue.

Quoiqu’il en soit, l’ampleur que prend le mouvement inquiète tout le monde: le gouvernement, la communauté internationale, les pays voisins du Nigeria, la population, l’Eglise, nos frères et sœurs dominicains. La province dominicaine Saint Joseph du Nigeria et du Ghana a des frères dans la zone concernée par ses violences, notamment à Gusau la capitale de l’Etat de Zamfara dans le nord. Il y a aussi des sœurs dominicaines dans cette ville. Nos frères et sœurs sont donc en insécurité. Au mois de janvier 2012 ils ont été sérieusement menacés. N’eut été l’intervention rapide de l’armée régulière nigériane, l’Ordre serait encore en train de pleurer ses fils et filles. Pendant ma visite au Nigeria, du 1er au 14 août dernier, je n’ai pas pu me rendre à Gusau. Les frères me l’ont fortement déconseillé pour des raisons de sécurité.

Voila cher frère Guy ce que je peux te donner comme informations qui ne sont pas une analyse de la situation de Boko Haram au Nigeria puisque je n’en ai pas la compétence.

Prions pour nos frères et sœurs, et pour la paix dans ce pays le plus peuplé d’Afrique et qui compte parmi les plus catholiques du monde.

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Le frère Gabriel Samba, dominicain du Vicariat d’Afrique Centrale, est l’assistant du Maître de l’Ordre des Prêcheurs pour l’Afrique.

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