Revue Sources

«Comme une rage de justice!»

Henri, dominicain français, nous a quittés en novembre dernier à l’âge de 87 ans. On aurait pu dire de lui ce que Madeleine Debrêl avait écrit à Johnny, alors jeune chanteur de 20 ans: «Seuls vieillissent pour de bon ceux qui ne furent pas jeunes pour de bon.» En fait, Henri ne prit pas le temps de vieillir. Ses quatre ultimes années passées dans son port d’attache, le couvent St Jacques de Paris, ne furent qu’accueils, informations et communications de ce Brésil qu’il découvrit en 1977 pour ne le quitter que le jour de sa mort, quarante ans plus tard.

Henri était l’un de ces quatre mousquetaires à bure blanche dont certains se plaisent encore de parler aujourd’hui. Le plus jeune de la bande, le frère Xavier Plassat, vit toujours au Brésil, seul survivant du quadrige. Le frère Rettenbach dirigea l’équipage sur les rives agitées de mai 68 et les deux autres compagnons, Jean Raguénès et Henri Burin des Rpziers, bien avant de rejoindre le Brésil, furent aumôniers du Centre St Yves de la rue Gay-Lussac à Paris. Ils y accueillirent les étudiants des Facultés voisines de Droit et de Sciences Economiques, pourchassés comme de vulgaires émeutiers par les forces de l’ordre appelées à «nettoyer» les rues et les trottoirs du Quartier Latin. D’autres religieux aumôniers, moins courageux, préférèrent fermer leur Centre pour se mettre à l’abri.

Le frère Henri n’entra pas chez les Dominicains dès l’aube de ses vingt ans. De brillantes études de droit comparé, en France et en Angleterre, couronnées par un doctorat, l’y préparèrent. Peut-être aussi la rencontre du Père Yves Congar, alors exilé à Cambridge. Mais c’est la révolution de 68 et le réveil conciliaire qui donnèrent à sa vie une tournure conforme à son appétit de justice. Au risque de transgresser des habitudes et des mœurs conventuelles qui n’auraient fait que l’attiédir et l’assoupir. En juin 1970, Henri troqua donc son couvent parisien pour un HLM de Besançon, dans le but de forma avec Jean Raguénès une petite équipe de «prêtres au travail». Alors que Jean prenait part à l’aventure de l’entreprise LIP autogérée par ses ouvriers, Henri devint manœuvre, chauffeur, homme de ménage jusqu’au jour où il fut embauché dans un bureau de la DDASS à Annecy pour enquêter sur les conditions de logement des travailleurs immigrés. Il y demeura sept années, imprimant profondément sa marque sur les jeunes militants chrétiens de Haute-Savoie, affamés comme lui de justice. Quarante ans plus tard, ils étaient plus d’une centaine à se retrouver à Annecy le 14 janvier dernier pour rendre hommage à leur mentor et rappeler son courage et sa ténacité dans les conflits sociaux qui à cette époque agitaient leur région. Son sourire lumineux, jamais amer, le faisait aimé de tous. Une amabilité qui s’accompagnait d’une volonté ferme de faire respecter dans toutes leurs exigences le droit et la justice, si souvent bafoués. Henri incarnait à lui seul le fameux couple biblique amour et vérité, ordinairement en recherche d’équilibre.

C’est en mars 1977, à l’avant-veille de ses cinquante ans, qu’Henri commence à s’intéresser au Brésil. Mais cette fois-ci à travers les Dominicains présents dans ce pays. Le suicide en 1974 du jeune frère Tito de Alencar, torturé par les sbires des colonels maîtres du pays, puis exilé en France, avait déclenché une vague de compassion et de sympathie pour les Prêcheurs brésiliens et pour leur pays sous la botte d’une sinistre dictature militaire. Henri y débarque fin 1978 et commence par s’initier à la langue et à aux coutumes brésiliennes. Ce qui lui permit de s’engager dans la Commission pastorale de la terre (CPT) qui prenait la défense des petits paysans installés (?) aux franges de l’Amazonie victimes des expropriations. Henri y travaillera plus de dix ans, s’inscrivant au barreau brésilien pour rendre plus efficaces ses interventions.

Après quelques mois sabbatiques mis à profit pour découvrir l’Amérique Centrale, nouvelle décennie d’engagements pour Henri, axés sur la lutte contre l’impunité qui gangrène le Brésil. Ce qui ne va pas sans lui créer de gros ennuis et de voir sa tête mise à prix par de riches propriétaires fonciers qui réduisent en esclavage les petits paysans qui travaillent sur leurs terres. Il en faut beaucoup plus pour intimider notre homme. De procès en procès, de procédures en procédures, Henri ne lâche jamais son morceau tant, que justice n’ait pas été rendue..

Victime d’accidents cardio-vasculaires, Henri rentre en France en 2013, imaginant que ce séjour ne serait qu’un bref intermède médical avant de regagner sa patrie d’adoption. Son état de santé empirant, il trouve un refuge naturel dans son bon vieux couvent St-Jacques de Paris. Il y retrouve aussi quelques complices et amis, sans oublier tous ceux et celles du Brésil ou d’Annecy qui ont besoin de se réchauffer à la lumière de son beau sourire. Henri cessera de combattre ce 26 novembre 2017. Il se met entre les mains de son Dieu et remettant ses «armes» dans celles de ses frères et de ses amis. Depuis Vittoria, Las Casas et Montesinos, en passant maintenant par Henri, le même refrain parcourt les rangs dominicains:«Vérité, Justice quoi qu’il en coûte!»


Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».

 

Bibliographie

L’historienne Sabine Rousseau a fait paraître aux Editions du Cerf en 2016 ses entretiens avec Henri Burin des Roziers, sous le titrer: «Comme une rage de justice».

Une biographie d’Henri, écrite par le même auteur, est en chantier.

Article suivant