Revue Sources

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Le débat fait rage chez notre voisin français et plus discrètement chez nous. Chacun se fait sa propre opinion entre convictions personnelles, fidélité à l’Église, attention à la souffrance exprimée et volonté de ne pas passer pour ringard. Il faut cependant savoir prendre un peu de recul, car comme souvent dans les sujets sensibles en éthique, la question glisse et se modifie à tel point que l’on ne sait plus sur quoi on se prononce.

S’agit-il simplement d’accorder ou de refuser un droit aux personnes homosexuelles vivant en couple et de se demander si, en le faisant, on ne valide pas des unions sur la légitimité desquelles on émet un doute?

Une filiation maltraitée

La question me semble être ailleurs. Le problème n’est pas d’abord le fait qu’un enfant puisse grandir et être éduqué par deux personnes qui ne sont pas ses parents biologiques, qu’elles soient du même sexe ou non. On a de multiples exemples dans notre histoire d’adoption par une personne seule, d’enfants mis en nourrice, de pensionnats ou d’enfants élevés chez une tante qui n’en avait pas, sans que cela n’ait suscité de grands problèmes moraux ni une grande réprobation.

Le problème est plutôt, qu’à notre époque, portés par un relativisme qui s’applique jusqu’aux déterminations biologiques, on prétend de plus en plus que les personnes qui élèvent un enfant sont ses parents et qu’il n’en a pas d’autres. On passe d’une revendication à pouvoir s’occuper de l’éducation d’un enfant à la revendication d’être parent envers et contre tout.

Il y a une loi qui avant d’être éthique, est d’abord psychologique.

Voici, par exemple, ce que déclarait dans une émission récente un des partenaires d’un couple homosexuel: « Chez nous, les rôles sont très clairs, il y a deux papas … les parents, c’est nous. Nos enfants savent que les garçons n’ont pas de poche pour les enfants dans le ventre … et donc qu’une dame nous a aidés et les a gardés dans le ventre. C’est évident qu’elle n’est pas la maman de nos enfants » [1. TSR, émission Faut pas croire du 8 mars 2014: « Bientôt des mères porteuses en Suisse? »].

La question éthique première est là: a-t-on le droit de maltraiter ainsi la filiation? A-t-on le droit de sortir ainsi de la vérité? Car la vérité ne sera jamais qu’on puisse avoir deux papas et que les dames qui nous « gardent dans le ventre » ne soient pas des mamans. Il y a une loi qui avant d’être éthique, est d’abord psychologique: la vérité cachée finit toujours par se manifester et cette manifestation est d’autant plus douloureuse qu’on aimait et qu’on avait mis notre confiance en ceux qui nous ont menti. Alors, quand la vérité ressortira, que vont ressentir les deux filles élevées par ce couple d’hommes? Comment vont-elles, nourries de cette fable, investir leur identité de femmes et de futures mères?

Accueillir un enfant plutôt que l’acquérir

Ceci étant pensé et mis au jour, il faut revenir à la question de savoir s’il est bien que des enfants ne soient pas élevés par leurs parents. Le contexte est celui de l’adoption en général et de la réflexion éthique qui doit pointer du doigt un autre glissement qui est celui qui voit en elle un moyen alternatif pour avoir des enfants.

Or il ne devrait jamais s’agir de fournir un enfant à un couple, mais d’accorder l’hospitalité d’un foyer à un enfant dont les parents soit ont disparu, soit sont dans l’impossibilité de s’en occuper. Les débats contemporains nous montrent que malheureusement c’est la première interprétation qui a cours dans la plupart des cas, à preuve les pressions pour ouvrir les PMA [2.Procréations médicalement assitées.] aux couples homosexuels arguant de la raréfaction de l’offre sur le marché de l’adoption et pour faire venir au monde des enfants par des mères porteuses en vue de les adopter.

Une blessure qui se cicatrise

Finalement, dira-t-on, vous êtes contre. Alors pourquoi ne pas l’avoir dit tout de suite? Ne refermons pas trop vite la page. Il est vrai qu’on ne peut accepter de tricher sur la filiation ni qu’on ne peut se servir de l’adoption comme un moyen d’avoir des enfants. Reste que le malaise n’est pas levé et, qu’à mon sens, il vient du fait que les homosexuels vivant en couple se sont, ou ont été mal, orientés.

Tout finalement semble se résoudre à un problème de logistique.

Pour rendre justice à ce qu’ils vivent, quoi qu’on en pense sur le fond, il faut reconnaître le sérieux et la densité de beaucoup de ces relations. Mais pour cela fallait-il investir le modèle de la famille? Fallait-il emboîter le pas d’une société qui ne sait pas penser la fécondité hors de la présence physique d’un enfant? Quand alors l’enfant ne vient pas, la blessure est insupportable et il faut tout faire pour qu’elle disparaisse.

Or on oublie une vérité fondamentale: une blessure ne disparaît pas, elle cicatrise, elle se dépasse, elle se transcende, elle devient autre chose. On déploie son humanité d’une autre manière, on grandit en la dépassant. Or les techniques de procréation veulent gommer, faire disparaître cette blessure. « Vous ne pouvez pas avoir d’enfant, on va vous en fournir un ».

Tout finalement semble se résoudre à un problème de logistique. Avoir un enfant devient un droit, mais aussi un devoir. Il devient l’objet à acquérir pour effacer la blessure ou pour croire qu’on l’a effacée. Or n’est-ce pas précisément ce glissement de l’accueil à l’acquisition qui devient le lieu de toutes les blessures? Blessure de l’enfant qui de personne à accueillir devient objet à acquérir et blessure de cette fécondité incomprise qui, au lieu de revendiquer à tout prix un enfant, devrait savoir s’élargir en créativité, en « service multiforme de la vie », pour reprendre les termes de Jean-Paul II. Service auquel tous sont appelés, y compris les personnes homosexuelles.

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Thierry Collaud est professeur d’éthique sociale chrétienne à l’Université de Fribourg et président de la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses (CES).

Oui, relativisme, de plus en plus.
Régulièrement on nous raconte l’histoire de la grenouille de St Augustin (?). Elle est dans un bocal. On élève doucement la température du bocal. Au début elle trouve ça confortable, puis un peu gênant. Mais elle ne saute pas hors du bocal, par paresse. Finalement la chaleur lui fait perdre toute énergie pour sauter in extremis. Et elle crève, cuite !
A nous de réfléchir. C’est pas facile. Et le sourire des deux dames est très gentil. Faut-il leur « faire plaisir » pour autant ?
Vincent Chabaud


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