Revue Sources

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Les expressions:

  1. L’hébreu

En hébreu, nous avons deux ensembles d’expressions de sens différent:

  1. a) hèsèd: principale qualité de l’honnête homme hébreu Une expression que l’on pourrait traduire par magnanimité, générosité, libéralité, clémence, sens de la famille et du bien commun
  1. b) rahamîm: compassion, pitié.

Les deux termes sont apparentés ou dérivés (épithètes, verbes)

Il faut distinguer ces deux familles de mots d’un autre groupe: hen qui signifie grâce au double sens:

  1. a) de charme, beauté, rayonnement de la personne, et

b) de faveur, attachement, inclination aimante, attirance.

  1. Le grec

La traduction grecque de la Septante a choisi pour hèsèd la traduction éléos qui met l‘accent sur le côté émotionnel de la générosité et probablement aussi sur l’inclination du supérieur vers l’inférieur. Rahamîm est traduit par: oiktirmoí, splangchna, mais aussi éléos. Quant à hen ce terme est traduit par: cháris

  1. Le latin

La version dite Vetus Latina ainsi que Jérôme dans la Vulgate traduisent hèsèd par: misericordia, rahamîm par: viscera, et hen par: gratia.

Hésed ou Miséricorde

Le terme principal, hèsèd, dans son milieu sociologique et culturel a trois significations complémentaires:

  1. a) une vertu ou qualité de l’homme riche et influent dans un milieu (village, ville) qui ne connaît pas de réseau social pour aider les pauvres et les faibles. Le miséricordieux est donc celui à qui on peut s’adresser pour obtenir de l’aide. A Rome, on l’appellerait le patronus; les pauvres étant ses clientes ou ses obligés. Il est responsable de la cohésion sociale. L’avantage qu’il tire de sa protection des faibles est sa célébrité. Il sera connu et loué pour sa générosité.

Il accueille aussi les étrangers de passage et pratique l’hospitalité ( cf. Gen 18; 2 Sam 12,1-4). Il fait l’aumône aux mendiants et intervient en l’absence d’autres appuis, par exemple, le bon Samaritain, cité en la parabole (Luc 10,25-37.

  1. b) une vertu familiale. Est appelé miséricordieux celui qui a une responsabilité dans la famille, la protège, veille sur elle et sur chacun de ceux qui la composent. En particulier, ceux qui ont le plus besoin d’être soutenus. Ce serait en latin la pietas, vertu honorée dans l’ancienne Rome. Ruth aussi est un exemple de miséricorde. Elle exerce la hèsèd pour sa belle-mère réduite à la solitude en l’absence de tout autre parent.
  1. c) une vertu religieuse qui consiste à reconnaître en Dieu le «patron», la source de bienfaits et donc se reconnaître comme son «client». Cette vertu proche de celle de «religion»: reconnaître Dieu comme celui qui veut et qui peut aider (hasîd = saint, pieux, dévot vis-à-vis de Dieu)

Essai de définition:

Le Hésed ou miséricorde serait donc une disposition à assumer généreusement des responsabilités là où il n’y a personne qui est obligé de les prendre. Une intervention donc qui se situe au-delà du strictement obligatoire. Le mot comporte l’idée d’un plus, du «surérogatoire», de générosité, de magnanimité, de libéralité.

Usage linguistique dérivé

Le terme le plus souvent associé à hèsèd, éléos, misericordia est celui de èmèt, alétheia, veritas (surtout dans les psaumes); il signifie ce qui est digne de confiance, ferme. Soit les paroles qui sont dignes de confiance quand elles sont vraies et ne tromperont pas, soit des personnes qui sont dignes de confiance quand elles sont fidèles et ne tromperont pas. La «miséricorde» biblique est durable et ferme. La nuance de «vérité» lui assure cette perfection.

Compassion et miséricorde

La compassion, fruit de l’émotion ressentie face à ce qui est petit et faible (Am 7:1-6; Ps 103,13-16), est proche de notre compassion-empathie. Elle exprime davantage le mouvement intérieur de l’âme qu’une vertu qui sert de fondement à la vie et à la cohésion sociale. Elle est proche de la douceur, ou de la clémence de celui qui est fort et victorieux, sans éprouver pour autant le besoin ou le désir d’anéantir l’adversaire ( Os 11,8-9).

Et comment comprendre la béatitude des miséricordieux en Matthieur 5,7? Il semble qu’il faille la lire dans la perspective de la hèsèd. En effet la parabole du bon samaritain qui se trouve en Luc mais fait partie du contexte néotestamentaire ainsi que l’appellation « Père » que Jésus préfère donner à Dieu semblent orienter l’interprétation de la béatitude dans ce sens. La hèsèd n’exclut donc pas le coeur, comme la pietas latine ne l’exclut pas non plus. Mais le côté émotionnel n’en est qu’une dimension, non le tout de cette qualité ou vertu.

Et si le rédacteur risquait cette paraphrase de la béatitude: Bienheureux le riche ou le puissant qui a le cœur compatissant pour aider le pauvre ou accueillir l’étranger, sans qu’il ne soit obligé de le faire. Il se pourrait qu’un jour, connaissant semblable détresse, il rencontre sur son chemin un autre humain qui ait pour lui la même «miséricorde». (NDLR)

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Adrien Schenker

Adrien Schenker

Le frère dominicain Adrien Schenker est professeur émérite d’Ecriture sainte à l’Université de Fribourg.

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