Revue Sources

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Le temps du chômage dont je peux parler le mieux est celui qui intervient dans un parcours professionnel déjà bien entamé, mais pas encore tout à fait terminé. On dispose d’une certaine expérience et il est encore possible de la mettre en œuvre dans un autre poste, pour un autre employeur. Mais précisément, ce poste n’existe pas ou n’existe plus. On n’a pas vu venir à temps les difficultés économiques ou la liquidation de l’entreprise. Ou alors, la société pour laquelle on travaille fait l’objet d’un rachat par de nouveaux actionnaires, par un concurrent. Et, tout à coup, le poste précédemment occupé est supprimé dans le cadre d’une vaste réorganisation.

Chômeur déstructuré…

Alors que la journée de travail est rythmée par l’heure d’arrivée au bureau, par les réunions, les tâches à mener, les appels téléphoniques reçus ou passés, les différentes pauses (la pause café, la pause cigarette ou la pause déjeuner rythment le temps de travail), le chômeur n’a plus désormais de contraintes externes. Quelques jours auparavant, il était écrasé par un emploi du temps surchargé. Du jour au lendemain, il se retrouve sans appel téléphonique, sans rendez-vous, sans date urgente pour remise de dossier.

Le chômeur n’a plus pour impératif de se lever tôt pour rejoindre son bureau, plus aucune obligation le soir de quitter ce même bureau pour rentrer à la maison. Le rythme de la semaine est également déstructuré. Pas de reprise le lundi matin, aussi difficile soit-elle. Pas de séparation d’avec les collègues le vendredi accompagnée de souhaits de passer une bonne fin de semaine. Et à quoi bon les jours fériés, auparavant attendus avec quelque impatience, puisque désormais tous les jours sont fériés!

Sans certitudes…

Le temps du chômage est le temps d’une attente dont le terme est inconnu. L’événement qui marque la fin du chômage est la date de signature du nouveau contrat de travail et la reprise effective d’une activité professionnelle. Mais quand cela se produira-t-il exactement? Personne ne le sait d’avance, ne peut y répondre. Cette incertitude est difficile à vivre. Sauf à monter sa propre activité et devenir indépendant. Mais il s’agit là d’une autre aventure!

Le plus important est donc de redonner une structure au temps.

Alors que l’Avent ou le Carême sont des temps d’attente qui peuvent être mis à profit pour se préparer à un événement futur annoncé, la date de la fin du chômage n’est pas connue, le terme est incertain.

Sans projets…

Cette absence soudaine de structuration du temps (de la journée, de la semaine, des mois ou des années) révèle un vide bien difficile à remplir. Quelques semaines auparavant on regrettait de ne pas avoir assez de temps pour rédiger une note de service, boucler un dossier, on se trouve soudain béant devant une masse de temps disponible. Ce temps qui était rare et précieux devient abondant, superflu et sans valeur.

Rares sont les personnes qui peuvent véritablement mettre à profit ce trop plein de temps libre pour réaliser des projets jusqu’alors repoussés. Il y faut une force de caractère peu commune et sans doute aussi une certaine préparation pour pouvoir les mener à bien.

Soumis à des contraintes…

Le plus important est donc de redonner une structure au temps. Il y a d’abord la contrainte que la collectivité impose au chômeur. L’assurance chômage veut bien verser des indemnités ou des prestations destinées à compenser la perte de revenus, mais le chômeur devra justifie les efforts qu’il a fait pour retrouver le plus vite possible un emploi. Le candidat va devoir prendre des rendez- vous, se présenter pour des entretiens, respecter un horaire. Mais ces contraintes suscitent rarement l’enthousiasme de ceux qui y sont soumis. Dès que les premiers échecs ou les premiers refus arrivent, la motivation initiale se transforme vite en une inertie d’un poids insoupçonné.

Mais stimulé par d’autres chômeurs

De fait, la contrainte la plus efficace sans doute est celle que l’on s’impose à soi-même dans le cadre de l’appartenance à un groupe.

Nous étions trois amis et nous nous rencontrions chaque dimanche à la sortie de la messe – une contrainte temporelle bien utile et pas seulement pour y cueillir les nourritures spirituelles! – quand nous nous sommes retrouvés quasi simultanément sans travail. Alors, nous avons décidé de nous réunir une fois par semaine pour faire le point sur nos démarches, nos progrès, nos échecs et nos difficultés. Le groupe a rapidement grandi et chaque semaine nous nous retrouvions dans un café ou une salle mise à notre disposition. Ces rencontres informelles avaient le mérite de nous obliger à sortir de nos domiciles respectifs, à reprendre le chemin d’un «bureau». Ces réunions étaient aussi l’occasion de faire le point sur les démarches des six derniers jours, de rédiger enfin et d’expédier la lettre de motivation ou le dossier de candidature dont on avait parlé lors de la dernière réunion, mais qui demeurait enfoui sous des piles d’autres dossiers tous aussi importants les uns que les autres. J’aurai toujours en mémoire cette remarque d’un des membres du groupe qui me disait ne jamais autant faire de choses en si peu de temps que la veille de nos réunions hebdomadaires.

Ces réunions furent aussi le temps de partager nos joies, comme la bonne nouvelle de la découverte d’un emploi par l’un d’entre nous. Une nouvelle dûment fêtée autour d’une bonne bouteille! Ou alors le temps de constater que tel autre s’enfonçait dans des démarches inutiles, suivait des pistes sans issue, perdait peu à peu son énergie, n’arrivait plus à mobiliser ses forces pour se battre.

Happy end

Il arrive aussi que la situation s’éclaircisse, qu’une piste aboutisse, que les entretiens se succèdent. Certes, le temps de l’entreprise paraît encore trop long au candidat sélectionné, mais il sent bien que les choses bougent, vont se préciser, que l’horizon s’ouvre, se dégage enfin.

Une fois le contrat signé, reste à savourer le temps qui s’étend entre la signature et la reprise effective du travail. Encore le temps du chômage puisque ces quelques jours, ces quelques semaines sont sans travail. Il est alors temps de réfléchir un peu, de se reposer des efforts fournis, des tensions ou des frustrations accumulées. Avant de partir pour de nouvelles missions, de nouveaux horizons!

Hélas, tous n’auront pas cette chance et devront faire face au chômage de longue durée. Il faudra s’en souvenir quand nous aurons repris le chemin du bureau ou de l’atelier.

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Yves L’Helgouach, nom fictif

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