Revue Sources

Imaginons: un groupe venu au monastère de Chalais demande à rencontrer une soeur. Suite aux questions rituelles concernant la couleur de l’habit, les horaires de la communauté, l’emploi du temps quotidien, vient « la » question par excellence « Comment êtes-vous arrivée ici? »

Pour ma part, j’évoque l’appel de Dieu qui se traduit par une attirance profonde, irréductible à toute explication extérieure et un engagement « à la vie jusqu’à la mort ». « Mais, vous n’avez jamais eu de doute sur votre vocation?  » Me voilà au bord de la plongée sous-marine, répondre « non », c’est m’exposer à l’inquiétude générale et même à une sorte de déception. Aujourd’hui, bien souvent, le doute rassure, il offre à la réponse une fragilité qui lui donne une apparence de réalité plus crédible et donc garantit son authenticité. Jouer la carte de la vérité est toujours le meilleur parti, même si, sur le moment, il y faut un certain courage et la grâce de Dieu.

Je n’ai jamais douté

Eh bien non, je n’ai jamais douté de l’appel depuis qu’il est devenu certitude à l’âge de seize ans, lors d’une balade à vélo sur les routes de Seine et Marne. Mon journal secret de jeune fille en a été seul témoin à l’époque. Pas de révélation, ni de vision, là, on peut être rassuré ! Rien qu’une affirmation, une confirmation intérieure, secrète et ferme. Et, dans les événements et rencontres qui suivirent offrant d’autres choix, l’assurance de ma liberté face à celle de Dieu. Le « oui » de l’envol n’en fut que plus puissant.

Pourtant, les accidents de parcours n’ont pas manqué sur la route de la foi et de sa pratique dans une communauté où la fraternité est un trésor caché dans le champ de la vie quotidienne. La question des anciens au sujet d’un candidat à la vie monastique: »Cherche-t-il vraiment Dieu? » est toujours d’actualité. « Est-ce que vraiment, je cherche Dieu ou est-ce moi-même? Suis-je en train de me fabriquer un ‘kit de survie’ ou bien est-ce que je donner ma vie par amour? » La réalité ne ment pas, elle résiste, et peu à peu je découvre que c’est Lui, Dieu, qui me cherche et me trouve, comme la brebis perdue de l’évangile

Mais les tentations n’ont pas manqué.

Les angoisses, les incapacités d’aimer, l’opacité de la vie et de la mort, les tentations multiples nous persuadent, s’il en est besoin, de nos humaines fragilités mais nous découvrent tout en même temps la force de la grâce « qui se déploie dans la faiblesse », comme le dit l’apôtre Paul.

Une communauté de moniales peut se trouver en proie à la tentation. On voudrait tant se sentir fortes, assurées de l’avenir ! Oui, mais là encore, il faut nous en remettre à Dieu qui nous tient et nous soutient. Tout miser sur la foi en celui qui nous a appelées, ce n’est pas rien. Dans la communion fraternelle, quand l’une tombe, l’autre la relève et nous avançons, tantôt boitant, tantôt courant sur les rudes chemins du plus grand amour.

Douter de soi mais garder sa certitude

Autre chose est de douter de soi, de ses capacités ou de celles des autres et de mettre en doute la vocation qui nous attire ensemble, au-delà de nos horizons, « aux frontières » et même « hors frontières », à l’extrême. Bien sûr, il m’est arrivé de douter de moi-même, de perdre coeur et même de tomber, mais je dois confesser avoir gardé intacte la certitude initiale.

Nous avons trop souvent tendance à oublier un point fondamental que saint Paul rappelle aux chrétiens de Rome: « Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance » (Rm 11, 29). Ce qui est donné est donné. Le doute n’a aucune prise sur la foi, notre liberté étant sauve. Et la foi trouve sa confirmation dans les actes. « Ainsi donc la foi, si elle n’est pas mise en oeuvre est bel et bien morte » (Jc 2, 17). La mise en oeuvre de la foi, c’est « l’amour » dans ses gestes les plus simples mais aussi les plus vrais et « l’amour parfait bannit la crainte. » (I Jn 4, 18).

Amis qui lirez ces humbles lignes, croyez que l’amour de Dieu a infiniment plus de poids que les doutes qui parfois vous assaillent. Et recevez cette Parole du Christ: « Ne crains pas, crois seulement »(Mc 5, 36).


Sœur Pascale Dominique est une moniale dominicaine du Monastère de Notre-Dame-de Chalais en Isère (France).

Article suivant