Revue Sources

[print-me]

André Gachet fut chargé par la délégation suisse au Colloque Européen des Paroisses (CEP)[1] de rédiger la contribution de son pays pour la rencontre de Malte, en juillet 2013. Nous publions la partie de son exposé consacrée à présenter « une expérience pastorale significative d’une paroisse » à Fribourg, appelée « Point d’Ancrage« . Les bénéficiaires en sont les demandeurs d’asile présents dans cette ville.

La Suisse et ses réfugiés

La Suisse est fière de sa tradition humanitaire séculaire, solidement enracinée. Toutefois, dans l’exercice de ces droits humanitaires, les Suisses, ou plus précisément certains d’entre eux, opèrent une subtile distinction dont le fondement éthique est contestable. Il y a les « bons » étrangers, ceux qui usent ou abusent des dispositions juridiques relatives au secret bancaire et autre blanchiment de fonds douteux. Discrets, ces étrangers sont généralement assez bien accueillis. Puis, les «autres» que l’on pourrait répartir en trois catégories: les travailleurs migrants, main d’œuvre dont les entreprises suisses ont grandement besoin, les réfugiés politiques, rescapés de régimes totalitaires, et les réfugiés économiques, nés sous les tropiques et qui parviennent en Suisse au terme de douloureuses péripéties ou par le truchement de passeurs sans scrupules. Ce sont ces personnes qui font problème, car peu « helvético-compatibles ».

Les Suisses –ou certains d’entre eux, hélas, de plus en plus nombreux – opèrent une subtile distinction dont le fondement éthique n’est pas très… catholique!

Les mouvements d’extrême-droite ont en effet réussi à rendre plus intransigeante la nouvelle loi sur l’asile et exercent une pression efficace sur le Gouvernement fédéral afin de mettre en application les « Modifications urgentes de la loi sur l’asile » acceptées en votation populaire le 9 juin 2013 par 78.4 % des votants et par l’unanimité des 26 Etats cantonaux qui forment la Confédération.

Des religieux et religieuses de Fribourg réagissent

Face à ce tour de vis juridique intolérable, dénoncé par les organisations de coopération et de solidarité, les syndicats, quelques partis politiques et les Eglises, le Groupe Romand des Instituts Missionnaires (GRIM) a réagi en 2001 déjà. Il s’agit d’une communauté de travail des ordres, congrégations religieuses et sociétés de vie apostolique qui ont notamment leurs lieux d’insertion dans les pays de l’hémisphère sud.

Dès 2008, un service d’accueil bénévole a été ouvert à l’ « Africanum » de Fribourg, maison provinciale de la « Société des Missionnaires d’Afrique » (Pères Blancs). Sise sur le territoire paroissial de St-Pierre, l’ »Africanum » a obtenu, d’une part, des autres Instituts missionnaires et, d’autre part, de la paroisse, un engagement non seulement moral mais financier d’un subside annuel. Chaque mercredi, à midi, un repas chaud (la nourriture étant fournie par des grandes surfaces et des commerces de la ville) est préparé et servi à quelques 90 requérants d’asile par des religieuses et religieux, auxquels viennent de s’adjoindre des laïcs. Ce même jour, l’après-midi, un religieux disponible pour un service d’écoute et un travailleur social pour traiter de questions juridiques accueillent ces personnes, sans distinction de religions, bien entendu. C’est l’occasion de lire, d’expliquer et commenter les courriers officiels reçus par les réfugiés, et qui leur sont souvent inintelligibles. A l’ « Africanum » toujours, des cours de langue française sont dispensés les mardis et jeudis. Sont également pris en compte les questions de santé, spécialement à l’intention des mamans, ainsi que les problèmes liés à l’éducation des enfants. Trente personnes environ, toutes bénévoles, forment ce « Point d’Ancrage », constitué en association juridique depuis 2011.

Seuls, quelques rares demandeurs d’asile pourront obtenir un permis de séjour. La plupart, déboutés par les Tribunaux administratifs, deviendront des « NEM » (Non Entrée en Matière) et seront renvoyés chez eux sans le précieux statut de réfugié politique tant convoité. « Point d’Ancrage » les aide à envisager sereinement leur échec, puis leur fournit un coup de pouce financier et matériel pour un retour – peu glorieux – dans leur pays .

Grâce à des quêtes organisées dans d’autres paroisses, l’Eglise locale, à travers le Vicariat épiscopal du Canton de Fribourg, soutient ces activités d’amour et de justice au service des plus démunis. « Point d’Ancrage » témoigne à sa manière de ce dogme inaliénable: « Il n’y a pas d’étrangers dans l’Eglise! ».

[1] Le CEP (Colloque Européen des Paroisses) est un rassemblement de militants de paroisses et communautés chrétiennes de la plupart des Etats d’Europe. Tous les deux ans, dans un pays différent, ces chrétiens se retrouvent. Forts de leur engagement pastoral, ils veulent, à partir de questions ecclésiales et sociales, partager des expériences et des idées de manière à collaborer à la construction d’une communauté de peuples européens. Le 28ème Colloque Européen des Paroisses se tiendra à Lisieux (France), du 5 au 10 juillet 2015. Pour en savoir plus: www.cep-europa.org

[print-me]


André Gachet, de Genève, enseigne à Fribourg depuis de nombreuses années la Doctrine sociale de l’Eglise, d’abord à l’Ecole de la Foi (de Jacques Loew), puis à l’IFM (Institut Romand de Formation aux Ministères Laïcs).

 

Article suivant