Revue Sources

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Quelle est l’actualité de la prédication dans la vie d’un jeune dominicain? Reconnaissons que ce terme a pris quelques rides dans notre langage usuel. Est-il pour autant dépassé? Pour frère Pierre de Marolles, étudiant à la Faculté de Théologie de Fribourg, pas le moindre doute: prêcher est une dimension fondamentale de son engagement religieux.

Reste que la prédication est une réalité complexe. Frère Pierre en a bien conscience. Ce qu’il perçoit et la communication de son enthousiasme s’achoppe à de multiples obstacles. Le Dominicain du couvent fribourgeois de St-Hyacinthe nous partage le fruit de sa réflexion, très lucide sur les enjeux de ce ministère particulier.

Frère Pierre, c’est quoi la prédication?

Prêcher, c’est transmettre Dieu. Communiquer ce qu’il te dit et ce qu’il veut dire à l’autre. Et c’est souvent semblable. Tu peux tabler sur le fait que si une parole est importante pour toi, elle a des chances de l’être pour l’autre.

Pendant un certain temps, j’ai cru qu’il fallait transmettre des notions. Mais les évangiles nous indiquent qu’il s’agit plutôt de l’enthousiasme d’une rencontre. Les notions viendront après. Quand saint Paul dit aux Corinthiens: « Nous vous le supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu », il ne transmet pas un concept. Il met sur un plateau la possibilité d’une relation avec Dieu. Prêcher ce n’est donc rien d’autre que d’affirmer: « J’ai rencontré quelqu’un qui veut vous rencontrer aussi », tout en sachant qu’on ne maîtrisera jamais l’expérience spirituelle de l’autre.

Quelles sont les conditions d’une bonne prédication, selon vous?

En premier lieu, la prière. Pour transmettre la parole de Dieu, il faut être en relation avec lui. On peut parfois s’assécher dans une vie de prédicateur. On transmet de belles idées, on émoustille un peu les gens, mais au fond tout cela peut cacher une indigence spirituelle terrible.

Prêcher suppose également un ménage intérieur: se désencombrer de concepts inutiles pour savoir ce qu’il faut dire et comment il faut le dire. Sans cette attention, tout ne sera que mots échangés et la parole ne transformera rien, ni chez moi, ni chez celui à qui je m’adresse.

Une vie en mouvement met en mouvement à son tour.

Je crois que la prédication nécessite une certaine exigence la capacité à ne pas se satisfaire du peu. Ce n’est pas parce que j’avais deux ou trois bonnes idées que j’ai fait mon job. Il faut rechercher une parole efficace. Les gens sentent tout de suite une parole verbeuse, mêmes les grands-mères, qui vous ne le diront certainement pas.

Quels sont les lieux où vous exercez ce ministère de prédication?

Auprès des élèves du catéchisme, dans les retraites que je prêche, ainsi qu’à l’Université.

N’avez-vous pas un peu l’impression de prêcher à des convaincus?

Parfois c’est vrai. Quand je constate l’effort que déploient nos frères français pour rejoindre les gens qui n’ont jamais entendu parler de Dieu, avec Retraite dans la ville notamment, je me dis que je n’en fais pas assez.

Mais je me retrouve face à une interrogation. Les convaincus sont-ils suffisamment convaincants? Quand on regarde nos communautés ecclésiales, les problèmes et les dissensions ne manquent pas. Alors, que va-t-on dire aux autres: « Venez à la messe pour assister à nos disputes »? Il faudrait que l’on commence à travailler sur nous-mêmes.

Je crois qu’il ne faut pas trop vite déprécier une prédication faite aux « convaincus ». C’est d’autant plus important que toute la communauté est appelée à la prédication.

Et les « non convaincus », comment les rejoindre ?

Prenez l’exemple de grands-parents qui souhaitent transmettre leur foi à leurs petits-enfants. Un cours de catéchisme ex-cathedra n’y fera rien – et ce d’autant plus si papa et maman y sont opposés. Mais si ces mêmes grands-parents se laissent travailler par la Parole de Dieu, s’ils prient, s’ils cherchent à approfondir leur foi, les petits-enfants s’en apercevront et ils seront peut-être un jour curieux de savoir ce qui habite leur cœur.

Je crois qu’une vie en mouvement met en mouvement à son tour. L’immobilisme, en revanche, paralyse. Si nous sommes pris au trip, même si nous n’avons pas les meilleurs mots pour le dire, quelque chose va se transmettre.

La prédication est-elle unilatérale?

Je ne crois pas. Elle doit aussi transformer le prêcheur. Elle implique une attention à l’autre, à sa manière de voir les choses. Chercher à convaincre revient à ne pas quitter son point de vue.

Un regard sur l’histoire nous montrera assez vite que les grands saints ont toujours su se laisser toucher par l’autre. Charles de Foucault a fait un dictionnaire touareg dans le désert. Mère Teresa accompagnait les mourants. A quoi ça « sert », puisqu’ils vont mourir? Ils ne deviendront pas évangélisateurs à leur tour. Si on envisage ces réalités avec une logique de rentabilité humaine, on peut conclure que de tels engagements ne servent à rien. Et pourtant, ce sont eux qui ont réussi. Ce sont eux les modèles. Que nous disent-ils? Que la transmission de la foi est avant tout l’affaire d’un cœur « inquiet » de l’humain, un cœur qui à la vue de ses frères et de ses sœurs se demande : « Où courent-ils? Qu’est-ce qui les fait vivre? A quoi s’intéressent-ils? ». Rien de ce qui est humain ne devrait être étranger au prédicateur.

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Pierre PistolettiInterview menée par Pierre Pistoletti, membre de notre équipe rédactionnelle.

Je remercie Frère Pierre, notre voisin, pour son enthousiasme et son témoignage. Comme je serai sous d’autres cieux lors de son ordination sacerdotale, je l’assure dès maintenant de ma communion en ce jour. Fraternellement. CB


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