Revue Sources

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Dans son encyclique sur l’écologie, le Pape François écrit que «la spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu[1]». Cette idée d’une sobriété dans la consommation rejoint des aspirations de nombreux contemporains, chrétiens ou non (par exemple Pierre Rabbi dans son ouvrage Vers la sobriété heureuse[2]). La relier à une tradition spirituelle proprement chrétienne n’est pas sans fondement, comme le rappelle le Pape. Même dans des contextes très différents du nôtre, la Bible puis les Pères de l’Eglise ont promu un ethos spécifique, un mode de comportement à l’égard de la sobriété, qui peut encore nous inspirer aujourd’hui. On pourrait associer cette valorisation de la sobriété à une mise en garde à l’égard de la richesse possédée et à une grande sévérité à l’encontre de la richesse recherchée pour elle-même.

Sobriété dans la richesse possédée

La Bible présente parfois la richesse reçue comme un don de Dieu. Ainsi la bénédiction que Jacob arrache à son père est accompagnée d’une promesse de richesse matérielle (Gn 27,28) et pour signifier la réussite de David il est dit de lui qu’«il mourut dans une heureuse vieillesse, rassasié de jours, de richesses et d’honneurs» (1Ch 29,28). Cependant, même s’ils peuvent prendre un aspect individuel, les bénéfices matériels n’acquièrent leur sens plénier que dans la mesure où le Peuple élu – voire l’humanité dans son ensemble – en est l’ultime bénéficiaire.

« La tradition chrétienne manifeste une méfiance à l’égard de la richesse non seulement possédée, mais surtout recherchée »

La Terre qui produit la richesse est d’abord une propriété de Dieu (Lv 25,23), généreusement confiée à son Peuple. La mise à la disposition de tous des richesses individuelles semble caractériser également les premières communautés chrétiennes, comme le rapportent les Actes des Apôtres (par exemple Ac 4,32-34), mais aussi Saint Justin dans sa Première apologie composée vers 153-161 qui indique: «autrefois (…) nous recherchions par-dessus tout l’argent et les domaines; aujourd’hui nous mettons en commun ce que nous avons, nous le partageons avec les pauvres[3]». Pour Justin, un signe de la conversion au christianisme consiste donc en l’adoption d’un nouveau comportement à l’égard des biens matériels. La sobriété dans le rapport aux richesses possédées semble donc avoir pour premier fondement de rappeler l’égalité de tous les membres de la communauté (de la communauté de foi, mais plus largement, de la communauté humaine) devant Dieu.

Sobriété dans la richesse recherchée

Mais la tradition chrétienne manifeste une méfiance encore plus importante à l’égard de la richesse non seulement possédée, mais surtout recherchée. La dangerosité de la recherche du gain pour l’individu est soulignée sous plusieurs rapports que l’on pourrait résumer en indiquant que celui qui se consacre à une telle quête s’expose à une distorsion du sens de la réalité et finalement de la justice. Saint Ambroise de Milan écrit ainsi «l’avare se réjouit davantage de l’excès des prix que de la profusion des ressources[4]»… Cette mise en garde ne semble pas concerner les seuls «avares» de l’Antiquité tant son actualité paraît claire. Plus fondamentalement, cette distorsion grève le rapport à Dieu de l’homme qui refuse la sobriété. La recherche de la richesse est ainsi fréquemment décrite comme rendant l’homme qui s’y engage insatiable et donc incapable de se donner à sa quête de Dieu. La recherche de la richesse menace ce dernier de devenir idolâtre (Ep 5,5), susceptible de glorifier davantage ses propres forces que Dieu. Paul le résume avec sévérité quand il s’adresse à Timothée: «la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont transpercé l’âme de tourments sans nombre» (1Tm 6,10).

La sobriété chrétienne n’est donc pas simplement l’adoption d’une mode moderne. Elle est profondément ancrée dans la vie des croyants qui ont réfléchi sur les enjeux de la possession et de la recherche des richesses. Voir qu’elle rejoint la quête de nombreux contemporains peut nous rendre fiers de notre tradition spirituelle et nous aider à la proposer à des personnes qui n’auraient pas nécessairement eu l’idée de puiser ce type d’inspiration auprès du christianisme.

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Le frère dominicain Jacques-Benoît Rauscher, docteur en sociologie, diplômé en sciences politiques, master en théologie à l’Université de Fribourg.


[1] François, Lettre encyclique Laudato Si, 24 mai 2015, n°222.

[2] Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse, Arles, Actes Sud, 2010.

[3] Saint Justin, Première apologie, 14, traduction Georges Archambault, La philosophie passe au Christ, l’oeuvre de Justin, Paris, Desclée de Brouwer, 1982.

[4] Saint Ambroise de Milan, La vigne de Naboth, traduction des bénédictines de la Rochette revue par Michel Poirier in Riches et pauvres dans l’Eglise ancienne, Lettres chrétiennes n°2, Paris, Editions Migne, 2011, pp. 281-322.

Magnifiquement prsente! Felicitations Jacques. Bonne sante et bonne continuation. Maurice


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