Afrique – Revue Sources https://www.revue-sources.org Fri, 01 Jun 2018 08:56:24 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Une colline au Kasaï. Chronique de guerre et d’espoir https://www.revue-sources.org/une-colline-au-kasai-chronique-de-guerre-et-despoir/ https://www.revue-sources.org/une-colline-au-kasai-chronique-de-guerre-et-despoir/#respond Fri, 01 Jun 2018 04:10:24 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2603 Guy Luisier: Une colline au Kasaï. Chronique de guerre et d’espoir, Editions Saint-Augustin, Saint-Maurice 2017, 193 p.

Le chanoine Guy Luisier, de l’Abbaye de St-Maurice en Valais, fut recteur du collège abbatial avant de devenir curé de paroisse, puis missionnaire en RDC. Précisément, au Kasaï où il accompagne la fondation d’une communauté de chanoines réguliers. Le fait qu’il partage désormais son temps entre l’Afrique et l’Europe lui permet de se vouer à des travaux d’écriture où il excelle.

Le chanoine avait déjà fait connaître sa «colline» africaine dans un ouvrage paru en 2013: «Une colline au Congo. Six mois dans la savane missionnaire du XXIème siècle». Tableau idyllique peint par un Européen, à la fois étonné et conquis par les découvertes que l’Afrique lui réserve. L’ouvrage paru trois ans plus tard est d’une autre facture. Il s’agit d’une chronique rédigée entre le 20 juin 2016 et le 17 avril 2017, période traversée par une série d’épreuves vécues par l’auteur et ses confrères congolais.

J’ai admiré la persévérance de cet homme.

J’avais déjà lu des extraits de ce journal dramatique dans divers médias romands, avant qu’ils ne fussent rassemblés dans un seul volume. Hier comme aujourd’hui, je ne puis m’empêcher de comparer la guerre civile qui enflamme le Kasaï à celle qui ravagea le Rwanda dans les années 90. L’une et l’autre, irrationnelles et abominables dans leurs effets, mettent en scène des enfants tueurs galvanisés par la drogue ou la sorcellerie, tandis que d’autres jeunes sont leurs victimes. Le fait que ces horreurs n’épargnent pas l’Eglise est aussi une similitude. Que ces drames aient été commandités par des politiciens corrompus, affamés de pouvoir, à la botte de puissances économiques internationales ou régionales, ne nous surprend pas non plus. Mais plus important que l’analyse des causes et le détail des exactions est la réflexion et le comportement du chanoine qui vécut cette guerre dans sa chair et son esprit.

J’ai admiré la persévérance de cet homme qui refuse de quitter les lieux alors que se déchaîne la tempête. Courageux mais non téméraire, il ne s’expose pas à la mort, gardant tête froide au-dessus de la mêlée et n’abandonnant jamais son humour décapant. Face aux ruines accumulées autour de lui, il veut encore rêver aux lendemains qui chantent. Je pourrais aussi évoquer sa foi robuste, sevrée de tout pieux bavardage. Ce rude et sobre évangile lui suffit pour exorciser ses peurs et celles de ses compagnons qui marchent à ses côtés ou tremblent derrière lui.

Guy Musy

]]>
https://www.revue-sources.org/une-colline-au-kasai-chronique-de-guerre-et-despoir/feed/ 0
Le mensonge en Afrique: un fait culturel ou un phénomène de la société moderne? https://www.revue-sources.org/le-mensonge-en-afrique-un-fait-culturel-ou-un-phenomene-de-la-societe-moderne/ https://www.revue-sources.org/le-mensonge-en-afrique-un-fait-culturel-ou-un-phenomene-de-la-societe-moderne/#respond Thu, 15 Mar 2018 01:10:06 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2534 Les sociétés africaines font face à un phénomène complexe et inquiétant, à savoir le mensonge.

La réalité du mensonge s’est transformée en une véritable culture, mode de vie, de penser, d’agir, d’être ou en système de gouvernement. D’aucuns parlent de la «maladie du mensonge», car le mal est tellement profond qu’il a atteint une dimension endémique. Aucune couche et classe sociale ne semble être épargnée. Les enfants, les jeunes, les personnes âgées, les hommes, les femmes, les personnalités politiques et même les hommes d’Eglise mentent. Il n’y a ni peur ni honte de mentir. C’est un gagne-pain, un business florissant. Le mensonge et les contre-valeurs sont érigés en vérité. On s’interroge sur les causes de ce fléau. Est-ce un fait culturel, un problème d’éducation ou une conséquence de la civilisation moderne?

Quelques réalités et visages du mensonge en Afrique

Si tous les secteurs de la vie sociale sont concernés par le phénomène du mensonge, le monde politique est celui qui est le plus épinglé et fait l’objet de plusieurs critiques. L’Afrique étant plurielle, avec des réalités diverses et complexes, nous ne pouvons prétendre maîtriser le phénomène du mensonge, ni en parler de façon générale, et encore moins de manière exhaustive. Dans les limites de cet article, nous voudrions juste évoquer quelques réalités du mensonge qui nous semblent pertinentes pour aborder cette problématique, telles qu’elles sont présentées et vécues dans notre pays le Congo-Brazzaville et dans certains pays voisins où nous avons vécu.

Au Congo-Brazzaville

Le sujet est à la une de l’actualité et de toutes les conversations. Il est alimenté par la crise socio-politique et économique que traverse le pays. Ainsi, on entend dire:«le Congo a menti au FMI». Dans la presse on trouve des articles avec des titres évocateurs comme: «Mensonge d’Etat: le ridicule ne tue pas au Congo-Brazzaville» ou encore,«Le mensonge comme programme gouvernemental au Congo-Brazzaville ». On fait allusion ici aux «ragots» et «supercheries» dont le pouvoir abreuverait le peuple congolais. Ces critiques font suite, entre autres, au bruit qu’a couru au sujet d’une menace terroriste contre les intérêts français et américains au Congo-Brazzaville. La presse congolaise a fustigé le gouvernement soulignant que: «Pour les ex-communistes au pouvoir, la maxime est rodée: un mensonge répété plusieurs fois devient une vérité’’. Une partie de la rue congolaise nourrie aux ragotsse met à croire à la nouvelle supercherie.» (http://congo-liberty.com). Sur le site de Dac-Presse, on peut lire:«Menace terroriste au Congo? Plus le mensonge est gros, plus il passe’’. «Plus souvent il est répété, plus le peuple le croit’’» (http://www.dac-presse.com).

Ces articles rappellent une certaine conception congolaise de la politique. En effet, pour nos parents, «la politique c’est l’art de mentir». On entend les parents dire d’un politicien «qu’il a la politique»; ce qui se traduit dans une langue locale (le lari) par: «Nge nguria politike yenaku». Cette conception populaire de la politique indique que la personne ne fait pas de la politique, mais elle a, elle possède la politique, c’est-à-dire le mensonge.

Littéralement l’expression «Nge nguria politike yenaku» signifie, tu as vraiment de la politique. Mais le mot nguria traduit par l’adverbe «vraiment» vient de nguri qui signifie, mère, maman mais aussi, la mère des jumeaux ou des jumelles «Mâ Nguri». Le politicien a donc un mensonge mère, c’est-à-dire un gros mensonge ou un très gros mensonge à l’image de Mâ nguri qui, non seulement est la mère des jumeaux ou des jumelles, mais curieusement est souvent grosse physiquement. C’est donc toute une image d’énormité et de gros mensonge qui est portée par le mot nguria. L’histoire politique du Congo est marquée par de gros mensonges, souvent montés de toutes pièces.

Un ancien homme politique, général de l’armée congolaise à la retraite, Benoît Moundélé-Ngollo, qui a occupé de hautes fonctions politiques et administratives comme celles de Ministre des Travaux Public, d’Administrateur-Maire et Préfet de Brazzaville, a écrit un livre dont le titre en dit long: Les vautours ou charognards de la République Populaire de Lokuta capitale Mbongwana. Ce livre contient des néologismes qui décrivent le comportement des citoyens de cette république pour gérer et diriger leur pays. Le nom de cette république, Lokuta qui en lingala (une des deux langues nationales du Congo-Brazzaville), veut-dire: mensonge. Le nom de la capitale, Mbongwana (toujours en lingala) signifie, chambardement, grand bouleversement, grand changement, rupture. Qu’un tel livre soit écrit par un ancien homme du pouvoir permet donc de comprendre l’ampleur de la culture du mensonge, quand on sait qu’au temps du communisme / marxisme, le Congo-Brazzaville s’appelait République Populaire du Congo.

Un fléau généralisé

Ce qui étonne et surprend les Anciens (nos grands-parents) c’est le fait de rencontrer des personnes adultes, mûres, qui selon la tradition devraient être sages, honnêtes et modèles, mais malheureusement racontent des mensonges. Comment ces personnes respectées pour leur âge et leur sagesse peuvent-elles mentir, sans honte, ni crainte, ni respect de la culture des ancêtres ? En effet, un adage africain dit: «La bouche d’un vieillard sent, mais elle ne prolifère pas de mensonges». En lingala, cela se dit: «Monoko ya mobange ebimaka solo kasi ebukaka lokuta te.»

Au côté des adultes, des hommes politiques, il y a aussi les enfants, autre catégorie de menteurs. Ce qui est aussi inquiétant et préoccupant. Un prêtre, directeur d’un Foyer de Charité nous a fait remarquer avec stupéfaction le degré de mensonge des enfants d’aujourd’hui. Il en est de même dans les familles, à l’école, dans la société a-t-il poursuivi, se demandant où les enfants puisent un tel courage pour mentir à leur âge. Une religieuse nous a raconté comment une petite fille de onze ans s’est présentée à leur communauté comme orpheline: une histoire montée de toute pièce. Les communautés religieuses elles-mêmes ne sont pas épargnées. Elles souffrent de ce qu’on appelle, les ‘‘les ont dit’’ qui font naitre des inimitiés en communauté.

Signalons enfin le phénomène des téléphones cellulaires ou portables. Autre source de mensonges. Au temps du téléphone fixe on était sûr que l’interlocuteur se trouvait là où on l’avait appelé. Aujourd’hui, les téléphones portables mentent sans vergogne; ils vous trompent sur l’endroit où devrait se trouver celui ou celle à qui vous parlez. Ces scènes sont fréquentes dans les transports ou lieux publics et donnent lieu à des réactions amusantes ou violentes. De bonnes histoires de ce genre courent dans le pays.

Et chez les voisins?

En République Démocratique du Congo (RDC), le mensonge est considéré comme un art, une profession, une maladie, un fléau social «systémique». Tout se passe comme si le mensonge avait établi son «règne» dans ce pays, notamment dans la vie politique congolaise qui, selon l’auteur du livre, «Le règne du mensonge politique en RD Congo », est réglée par le mensonge.

Dans sa déclaration en marge de la marche des laïcs du 31 décembre 2017 violemment réprimée par les forces de l’ordre, le Cardinal Laurent Monsengwo, archevêque de Kinshasa, a dénoncé « des mystifications présentées comme informations véridiques et fiables.Il est temps, martèle-t-il, que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix, la justice en RD Congo ».

Flatteries et mensonge semblent être unemarque déposée. Dans son article intitulé «La saison des flatteries et du mensonge en RDC», Didier Makal souligne que «flatteries et mensonges sont tellement répandus qu’ils devraient mobiliser sociologues, communicologues, psychologues et politologues pour être compris en RDC» (http://lubumbashiinfos.mondoblog.org).

Mentir, flatter et endormir n’épargnent même pas les religions, affirme Makal. Dans un contexte de pauvreté généralisée, «flatter devient ainsi une nécessité, mentir un art ». Survivre est la règle et s’enrichir une obsession. Ceci est un vestige de la dictature de Mobutu qui touche intellectuels et citoyens ordinaires. Makal donne ce témoignage: «Je croise des politiciens soutenant des thèses qu’ils reconnaissent vraies juste pour la télévision. J’ai vu des intellectuels révoltés en chambre, mais moutons en pleine journée. Pas de remord, au-delà du double discours et de la double vie qui en résultent! «Il faut vivre, mon petit», lance un politicien».

Du côté du Cameroun

Au Cameroun le mensonge est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre et de salive. Mentir est devenu une culture, une mentalité, un style de vie et un mode de gouvernement. Un ancien ministre, Urbain Olanguena Awono, qui se trouve en prison dans le cadre de «l’opération épervier», parle des «Mensonges d’Etat». Un journaliste rescapé du «train de la mort», Intercity 152 dans la tragédie d’Eseka de 2016, a ravivé la sempiternelle question du mensonge au Cameroun. Le journaliste-animateur, Patrick Goldman a décrié une «communication mensongère sur le bilan humain» et dénoncé l’attitude des autorités avec leurs «grossiers mensonges». Pour lui, au Cameroun «on a érigé le mensonge en style de vie, qui devient une carrière, une fonction, un métier pour des gens. Au mépris de la vie humaine. Au mépris de la vie des individus» (www.cameroon-info.net).

Indigné par le mensonge institutionnel dont les médias d’Etatabreuvent le peuple camerounais, le Cardinal Christian Tumi, archevêque émérite de Douala, connu pour son franc-parler et sa défense de la vérité, a toujours combattu cette peste avec la dernière énergie. C’est ainsi qu’il a doté l’Archidiocèse de Douala d’une radio catholique appelée Radio Veritas et lui a donné comme devise «La vérité libère». Une ligne éditoriale qui faisait peur au pouvoir de Yaoundé, au point que la radio fut fermée un temps par le ministre de la communication, avant d’être autorisée par le chef de l’Etat camerounais, lui-même. Cette radio que nous avons mise sur pied et dirigée pendant une dizaine d’années s’est distinguée dans l’échiquier médiatique camerounais par son professionnalisme et son engagement pour l’annonce de la vérité.

Mensonge et éducation

Il est difficile d’expliquer les causes d’un phénomène aussi complexe que le mensonge. L’éducation étant la base de la formation à la vie de tout être humain, nous allons étudier un principe d’éducation dans la culture Kôongo dont la pratique pourrait avoir une influence dans l’agir des enfants et des adultes. Il s’agit des « interdits et des non-dits». Nous dirons aussi un mot bref sur la culture Ubwenge du Rwanda.

Dans la culture Kôongo, notamment chez le peuple Lari du Sud du Congo-Brazzaville, l’éducation des enfants se faisait aussi à travers le principe d’interdit et de non-dit (Mulôngo). Un de ces principes appelé kinzienina consistait à interdire aux enfants d’uriner dans les eaux pour raison d’hygiène et pour protection l’environnement. Le kinzienina est une douleur ressentie à l’extrémité de l’appareil génital masculin du fait d’uriner dans les eaux. Cette sorte de maladie serait une punition de l’esprit des eaux appelé Ya Wamba. Bien que les objectifs de cet interdit soient nobles, le principe en lui-même est basé sur la crainte et le mensonge. Sans le vouloir, on apprend aux enfants à mentir. Plutôt que de reconnaître sa faute et demander pardon, le principe invite l’enfant à accuser l’esprit d’être l’auteur de sa transgression.

Un enfant accuse donc un «dieu» sans avoir peur. Grandissant dans cet esprit, il ne craindra pas de mentir, même à ses parents ou à toute autre personne. On voit ainsi dans les familles des enfants qui n’acceptent jamais spontanément leur faute. S’ils viennent à voler, ils nient et mentent de toutes leurs forces. A la limite, c’est sous le coup de la chicotte qu’ils avoueront leur faute. D’autres enfants nieront jusqu’au bout, malgré le fouet.

Dès le bas âge les enfants et les jeunes développent une certaine habileté, malignité et ruse dans la manière de parler. Porte ouverte au mensonge. Ils apprennent et croient à l’adage courant déclarant que «l’habilité dans la manière de parler n’est pas un péché»; en lari «Mayela ma zonzela ka disumuako». Nous nous rappelons comment le curé de notre paroisse, un spiritain français, condamnait cet adage avec la dernière énergie, martelant que cette habilité et cette ruse était précisément un péché.   

La culture d’Ubwenge au Rwanda

Au Rwanda (et au Burundi), il existe un principe d’éducation culturelle appelé Ubwenge. La culture d’Ubwenge consiste à inculquer certains principes à l’enfant et au jeune pour lui permettre d’acquérir la capacité à s’organiser pour s’en sortir en toute situation. En d’autres termes, il s’agit, de développer sa sagacité pour faire face à toute espèce de communicateur. Ce terme polysémique d’Ubwenge veut dire intelligence, savoir. Mais, suivant les contextes, il peut aussi signifier la malignité, la ruse (y compris la ruse du vaincu), l’esprit astucieux. Il peut même avoir le sens de fourberie, de calcul mesquin. Ces aspects négatifs seraient une porte ouverte au mensonge. Aussi certains auteurs parlent-ils d’une culture rwandaise du mensonge. C’est l’avis d’Antoine Nyetera qui affirme qu’on apprenait aux jeunes enfants rwandais dès leur jeune âge à travestir età dissimuler: ne jamais dire ce qu’il pense. Travestir et dissimuler étaient des qualités d’une bonne éducation. Ce mensonge ou cette restriction seraient simplement motivés par le besoin de protection de soi et du groupe auquel on appartient. Il ne faut pas se dévoiler devant n’importe qui, surtout pas devant un étranger . (https://rdcongoveritas.wordpress.com)

En conclusion

Le mensonge est une réalité humaine. Mais quelle que soit son ampleur, il ne pourra jamais triompher de la vérité. La transformation des mentalités et la promotion d’une culture de la vérité passent par une bonne éducation et par le témoignage de vie lumineux des chrétiens. Il faut croire à la conversion des cœurs et en la miséricorde de Dieu.


Le frère dominicain Gabriel Samba, de nationalité congolaise (Congo-Brazzaville) vient d’achever un mandat d’assistant du Maître de l’Ordre des Prêcheurs pour l’Afrique subsaharienne. Frère du Vicariat provincial d’Afrique Equatoriale, assigné au couvent St-Hyacinthe de Fribourg.

]]>
https://www.revue-sources.org/le-mensonge-en-afrique-un-fait-culturel-ou-un-phenomene-de-la-societe-moderne/feed/ 0
Du mensonge https://www.revue-sources.org/du-mensonge/ https://www.revue-sources.org/du-mensonge/#comments Thu, 15 Mar 2018 01:00:12 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2539 Les lignes qui suivent ont été rédigées à partir du mémoire soutenu le 8 décembre 2017 à Bruxelles par Janine Crévecoeur, en religion Soeur Marie-Pascale, pour l’obtenion du master en théologie à l’Université Domuni. Le mémoire s’intitule: «L’art de parler avec sagesse selon le Livre des Proverbes et selon les proverbes rwandais.» L’auteur a vécu près de trente ans au Rwanda et s’est familiarisée avec la culture du pays en vivant avec les dominicaines rwandaises, leurs familles et les relations de la communauté.

Le mémoire est disponible à la bibliothèque du Centre Saint Dominique ainsi que chez les Dominicaines Missionnaires d’Afrique à Kigali. Il peut être envoyé sur demande à l’adresse de l’auteur: mpcrevecoeur@hotmail.com moyennant une participation aux frais. 


Dans la langue rwandaise – le kinyarwanda – le verbe «mentir» se dit: Kubeshya qui peut se traduire plutôt par «tromper». Celui qui trompe sera donc «ubeshye» celui qui est trompé «ubeshwa» Celui qui te trompe: ukubeshye. Le substantif «mensonge» vient d’une autre racine et se dit ikinyoma. Dans les proverbes, il est souvent personnifié.

Beaucoup de proverbes rwandais s’intéressent à la manière de parler, non pas dans le sens de l’éloquence, mais dans un sens éthique. Ils décrivent un art de parler avec sagesse en dénonçant surtout les défauts qui détériorent les relations humaines. Parmi eux, le mensonge occupe la première place. Pour faire en sorte qu’on évite le mensonge, on mettra en relief sa précarité. Les proverbes noteront aussi les conséquences du mensonge à long terme: il est inutile et le menteur se retrouve isolé, car on n’a plus confiance en lui. Il appartient aux hommes sages de tester les paroles en faisant attention à la pratique de celui qui parle. Il doit également et sans tarder débusquer le mensonge pour l’empêcher de répandre sa nocivité, sutout s’il s’agit du mensonge le plus pervers qui est la calomnie.

Quelques exemples:

Ikinyoma gihabwa intebe / ntigihabwa ikirago
Au mensonge, on offre un siège, pas une natte pour dormir.   

Ikinyoma kicaza umugabo ku ntebe limwe.
Le mensonge fait asseoir un homme sur un siège une seule fois. 

Ikinyoma gihaka umugabo imyaka ibiri
Le mensonge ne nourrit son homme que pendant deux ans.

Ikinyoma kirya umutsima / ntikiwuhambira
Le mensonge mange la pâte mais ne l’emballe pas pour l’emporter. 

Ikinyoma kiraza umugabo ku gahinga
Le mensonge fait passer la nuit à un homme dans un endroit désert. 

Ikinyoma gikubirwa ahakubuye
Le mensonge on le met à jour là où on a balayé. 

Ukubeshye ubutwari / muratabarana
Ce lui qui t’en conte sur son courage, tu l’accompagnes au combat. 

Aho gutera urubwa, uzatera urutoki
Au lieu de planter la calomnie, tu planteras une bananeraie (signe de bonne entente) 

Ukuri guca mu ziko / ntigushya
La vérité passe dans le feu et ne brûle pas.

Une morale utilitaire

L’éthique contenue dans les proverbes rwandais est utilitaire. La parole mensongère est mauvaise parce qu’elle est nuisible, elle ne permet pas d’avoir les relations solides qui sont si précieuses dans la vie en société ni d’être en sécurité soi-même. Prudence toute humaine…

Mentir dans la Bible

Dans la Bible, le Livre des Proverbes fustige le mensonge. Comme dans les proverbes rwandais, il est dit que le mensonge ne dure pas, juste le temps d’un clin d’oeil (Pr 12, 19) et qu’il sera démasqué (Pr 10, 9). Le mensonge est particulièrement répréhensible dans les procès quand il se présente comme un faux témoignage, (Pr 12,7) comme une accusation sans preuve (Pr 24,28). Une fois pris en défaut, les auteurs de ces faits seront sévérement punis (Pr 19, 5). Mais surtout le livre biblique, contrairement à la culture rwandaise, prend Dieu lui-même comme acteur. Il est dit qu’il a en horreur les lèvres fausses (Pr 12, 22) et qu’il ne laissera pas le faux témoin impuni. Le Livre des Proverbes insère même une prière pour demander à Dieu d’éloigner de soi mensonge et fausseté(Pr 30, 8).

En bref, dans les deux cultures, le terrible pouvoir de la langue est proclamé : “ La mort et la vie sont au pouvoir de la langue” (Pr 18, 21) comme dans la sagesse rwandaise : “Ikibi n’akanwa.” “le mal, c’est la bouche”. La sagesse biblique donne une connotation morale au mensonge et à la vérité en les confrontant à la Parole de Dieu qui est toujours vraie et fidèle.

]]>
https://www.revue-sources.org/du-mensonge/feed/ 1
Missionnaires et Eglises en Afrique et à Madagascar (XIXe – XXe siècle) https://www.revue-sources.org/missionnaires-eglises-afrique-a-madagascar-xixe-xxe-siecle/ https://www.revue-sources.org/missionnaires-eglises-afrique-a-madagascar-xixe-xxe-siecle/#respond Wed, 29 Nov 2017 22:05:07 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2472 [print-me]Ce livre, imposant par son format, constitue la sixième tome de la Collection Ânthologies missionnaires dirigées par Chantal Paisant, et publiées par le Groupe de Recherches interdisciplinaires sur les Ecritures Missionnaires (GRIEM) de l’Institut Catholique de Paris. Le livre que nous recensons contient une trentaine de textes d’inégale longueur dus à la plume de missionnaires, qui s’échelonnent sur deux siècles et couvrent tour un continent. Madagascar apparaît en finale grâce à une contribution du pasteur Marc Spindler, bien connu de l’historienne Annie Lenoble-Bart qui a réalisé cette anthologie.

Un des grands mérites de cette œuvre est que la parole soit donnée aux humbles acteurs et témoins

Les contributions relèvent de genres très divers: correspondance, extraits de journaux de bord ou de diaires, relations ou directives de supérieurs, récits de voyage et d’explorations, biographies, évocation et description de telle ou telle œuvre ou activité réalisée par les missionnaires, etc. L’unité de cette variété d’écrits est qu’ils sont tous inédits. Ils auraient sans doute disparu de la mémoire historique, si Annie Lenoble-Bart ne les avait pas repérés et introduits, mettant en oeuvre toute sa compétence et son acribie d’historienne professionnelle.

Son introduction tente de montrer les raisons de ses choix de textes et l’agencement qu’elle leur réserve. Un ordre chronologique sans doute, mais qui prend en compte les mues et la maturation de la mission au sein du continent africain qui connut à la même époque les plus profondes perturbations et transformations de son histoire. Annie Lenoble-Bart le fait en collaborant avec des auteurs dont certains lui sont professionnellement proches, comme l’historien spiritain Paul Coulon, ainsi que le regretté Pierre Trichet qui lui a fourni la plupart des contributions qui trouvent leur origine en Afrique Occidentale. Annie Lenoble-Bart ne pouvait pas ne pas puiser aussi dan son propre fond: l’Afrique des Grands Lacs et tout particulièrement le Rwanda où elle occupa à l’Université Nationale de ce pays (UNR) une chaire d’histoire, tandis que son mari, François Bart, enseignait dans le département voisin de géographie.

Un des grands mérites de cette œuvre est que la parole soit donnée aux humbles acteurs et témoins qui sur le terrain «font» l’histoire et ne s’attardent pas à pérorer ni à écrire de brillantes synthèses à son sujet. Cet ouvrage, évidemment, ne rassemble que quelques bribes éparses de cette carrière à peine explorée. Remercions son auteur d’en avoir extraits quelques pierres avec tant de soin et de métier.[print-me]

]]>
https://www.revue-sources.org/missionnaires-eglises-afrique-a-madagascar-xixe-xxe-siecle/feed/ 0
Petit pays & Là où le soleil disparaît https://www.revue-sources.org/petit-pays-soleil-disparait/ https://www.revue-sources.org/petit-pays-soleil-disparait/#respond Mon, 24 Jul 2017 06:00:44 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2367 Gaël Faye, Petit pays, Grasset, Paris, 2016, 224 p.
& Corneille, Là où le soleil disparaît, XO, Paris, 2016, 319 p.


]]>
https://www.revue-sources.org/petit-pays-soleil-disparait/feed/ 0
Dominique Louis (1921–2004) https://www.revue-sources.org/dominique-louis-1921-2004-a-dominicain-ordinaire-trajectoire-extraordinaire/ https://www.revue-sources.org/dominique-louis-1921-2004-a-dominicain-ordinaire-trajectoire-extraordinaire/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:47:01 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=420 [print-me]

Le frère Guy Musy brosse à grands traits le portrait d’un Dominicain romand, aujourd’hui décédé. Parmi tant d’autres frères qui auraient mérité d’être évoqués dans ce dossier, il a choisi de présenter Dominique Louis (1921–2004). Ni une oraison funèbre, ni une page hagiographique. Mais un devoir de mémoire. Nous avons de qui tenir.

Né à Genève au début des années vingt du siècle dernier, Michel Louis tient le troisième rang dans une fratrie de six enfants confiés à une mère esseulée. Collégien dans une bonne institution catholique, il rencontre un prédicateur dominicain et contracte le virus des Prêcheurs. Il entre au noviciat après avoir fêté ses vingt ans. Et Michel devint Dominique! Voilà l’ordinaire. De ce temps-là du moins, qui doit paraître bien étrange aux jeunes Dominicains d’aujourd’hui.

L’homme «pratique»

Moins ordinaire fut le noviciat sous les bombes à Chieri, dans le Piémont, suivi d’années d’études à l’Angélique au sortir de la guerre, dans une Rome affamée. Dominique vieillissant prenait plaisir à évoquer ses années de disette autour de notre plantureuse table conventuelle.

Puis, le voici à Fribourg, assigné à St-Hyacinthe, le «couvent des vertueux», ainsi désigné par les dames de qualité de la petite cité, voulant distinguer ce lieu d’un autre établissement dominicain de la place, sans doute plus prestigieux à leurs yeux.

On disait qu’il mettait en émoi les demoiselles venues prier le soir à Complies.

J’entrais au noviciat quand je fis la découverte de Dominique. Je n’oublierai jamais la scène. Les bras nus, son froc relevé jusqu’aux hanches, il sortait en sueur d’une buanderie chauffée comme une étuve, tel Vulcain au sortir de sa forge. C’était sa participation à la bonne tenue de ses frères qui auraient été déshonorés de déambuler sur les trottoirs du boulevard voisin avec un scapulaire qui n’eut pas été immaculé. Tout au cours de sa vie, Dominique, qui aimait se dire «pratique», affectionna de rendre ce genre de services, avec une petite pointe de superbe à l’endroit de ses frères intellos dont il vantait par ailleurs les promotions et les publications.

Mais que faisait donc dans ce couvent de vertueux ce jeune beau, au regard ténébreux? On disait qu’il mettait en émoi les demoiselles venues prier le soir à Complies. Puis qu’on ne proposait à ce «pratique» aucune carrière doctorale, il entra tout de même à l’université en empruntant les allées, les clubs, les stamm et parfois la chapelle. Une mission d’aumônier d’étudiants lui convenait à merveille. De préférence auprès des Bellettriens qui affichaient leur non-conformisme dans ce milieu clérical à l’excès. Notre Genevois y retrouvait son monde, un peu gouailleur, râleur, mais – c’est certain – attachant et même bon enfant.

Un jour, l’Afrique…

Sans qu’il ne s’y attende, un coup de tonnerre dans un ciel serein rompit le rythme de sa vie. Son provincial l’accoste dans un couloir – c’était sa manière d’exercer son autorité – et lui communique sa décision. Dominique devenait le responsable d’une petite équipe de missionnaires en partance pour le Congo, encore belge ces années-là. Bonsoir Fribourg, bonjour Bukavu! Ou plutôt, bienvenue à Kadutu, un bidonville proche de ce qui était alors la perle du Kivu.

Avec trois ou quatre frères, notre missionnaire improvisé plante sa tente dans une zone «indigène», comme on disait alors, bouleversant les réflexes et habitudes des vieilles et longues barbes missionnaires qui l’avaient précédé et à qui il ne serait jamais venu à l’esprit de s’installer dans un tel décor. Dominique vécut à Kadutu les prémisses douloureuses de ce qu’on allait appeler l’indépendance, puis les désordres sanglants qui suivirent, les dictateurs ubuesques, les mercenaires à peau blanche et, pour finir, l’impérieuse nécessité de se replier au Rwanda, abandonnant tout espoir de planter l’Ordre dans ce coin de terre chéri par les colons comme un morceau de paradis.

Dominique, élu provincial, doit regagner son pays.

De cette expérience, des monceaux de lettres, de photos, d’articles dorment dans des cartons poussiéreux, témoins muets d’une aventure exceptionnelle. En dépit des troubles ou à cause d’eux, l’homme «pratique» eut l’occasion de dépenser son énergie inventive. Disons aussi qu’il fut secondé par un tempérament jovial, avenant et optimiste qui lui concilia d’emblée ces Congolais qu’il voulait aimer autant que convertir.

Ce séjour africain aurait pu se conclure par un morne et banal rapatriement diplomatique et fermer ainsi une parenthèse ouverte imprudemment. C’était mal connaître Dominique qui offrit sur le champ ses services aux Dominicains canadiens qui œuvraient à la fondation de la nouvelle université nationale du Rwanda, à Butare, bourgade rwandaise proche du Kivu. Il s’y engagea comme s’il avait initié lui-même ce chantier. Rwandais avec les Rwandais, de même qu’il avait été Congolais avec les Congolais. Une nouvelle aventure africaine à laquelle il ne posa pas plus de limites qu’il n’en avait fixées à son précédent séjour au Kivu.

Provincial des années difficiles

1969, nouveau coup de gond, frappé cette fois-ci par ses frères suisses réunis démocratiquement en chapitre. Dominique, élu provincial, doit regagner son pays. Il assumera cette tâche pendant dix ans, fort de la confiance de ses frères. Ce fut pourtant une période difficile qui vit l’exode de plusieurs et réduisit à néant des projets ambitieux conçus au cours des années où les vaches étaient encore grasses. Avec beaucoup de doigté et de bonté, Dominique facilita la route des partants, tout en rassurant ceux qui avaient choisi de persévérer. Ce provincialat lui valut en haut lieu un certificat de bonne conduite, puisque le Maître de l’Ordre l’appela à Rome pour l’assister dans le gouvernement des provinces francophones.

Ce provincialat lui valut en haut lieu un certificat de bonne conduite.

Alors que d’autres auraient estimé cette nomination comme le couronnement de leur carrière dominicaine ou un tremplin pour conquérir un jour le pouvoir suprême, Dominique resta en deçà de ces ambitions. Je ne pense pas en effet que son étape romaine fut pour lui très gratifiante. Dominique était un homme de terrain et non d’administration. Je ne pense pas qu’il possédât toute la finesse voulue pour distinguer les nuances de toutes les crèmes à la glace canadiennes, pas plus que les subtiles sensibilités affichées par un Dominicain de Lyon, de Paris ou de Toulouse. Tout au plus, il fut ravi de servir d’économe de notre couvent patriarcal de Ste-Sabine. Fonction qui lui permit une fois de plus de mettre en valeur ses aptitudes «pratiques» et son entregent quand il accueillait les visiteurs de ce patrimoine dominicain.

Retraite féconde et douloureuse

Dominique ne s’attarde pas à Rome. Devenu par la force de l’âge «retraité fédéral», son provincial l’assigne au couvent de sa ville natale. Il l’avait quittée pour entrer au noviciat. Et le voilà nommé curé «intérimaire» de la paroisse St-Paul de Genève, en attendant le jour où elle serait remise au clergé séculier. Pour assurer cette sortie de jeu, on lui adjoignit un vicaire encore plus âgé, le frère Jean de la Croix Kaelin. Si on espérait un départ et une transition en douceur, il ne fallait pas compter sur cette paire de retraités. Au contraire, la paroisse reprit feu et vie et on parla de moins en moins de retrait dominicain. Le jeune (?) curé se lança dans une vaste opération de restauration de l’église et des locaux attenants. Il ne lâcha prise qu’en 1991, sous la pression et l’emprise d’un mal inopiné. Il avait alors atteint ses soixante-dix ans!

Et le voilà nommé curé «intérimaire» de la paroisse St-Paul de Genève.

Treize années le séparaient de sa mort. Treize années qui ne furent qu’un long chemin de croix. C’était pitié de voir ce chêne perdre peu à peu de sa vigueur, mais aussi de sa bonne humeur. Au terme de multiples séjours à l’hôpital, il accepta résigné de prendre le pénible chemin de non retour vers un établissement médico-social. Non loin de son couvent, mais séparé de ses frères, vers qui, littéralement, il se traînait chaque dimanche pour partager leur repas. Au surlendemain d’une de ces visites, en novembre 2004, Dominique rendit son âme à Dieu. Son prieur ramena au couvent sa Bible, la croix qui dominait son lit et un ou deux polars. C’était là tous les biens qu’il nous léguait.

Attention au réel

Pourquoi évoquer le frère Dominique Louis? Non pas, on le sait déjà, pour prononcer une nouvelle fois son oraison funèbre. Ni pour ajouter une pièce à son procès de béatification. Comme chacun de nous, ce frère souffrait des défauts de ses qualités. Son itinéraire dominicain toutefois est typique de ce que l’Ordre et l’Eglise attendent de nous, même après huit cents ans. Quelles que soient les trajectoires précises, souvent imprévues, que nous empruntons, elles doivent répondre aux appels évangéliques du moment. Ceux-ci doivent prévaloir sur toutes nos ambitions carriéristes ou personnelles. Une attention, une fidélité et une obéissance au réel, finalement. Comme l’avait admirablement initié il y a huit siècles un autre Dominique, celui dont un aubergiste cathare occitan, rencontré au hasard d’un voyage, avait bouleversé le cours de sa vie.

[print-me]

 

 

]]>
https://www.revue-sources.org/dominique-louis-1921-2004-a-dominicain-ordinaire-trajectoire-extraordinaire/feed/ 0