Arménie – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 03 Jan 2017 12:25:40 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Réfugiés et migrants https://www.revue-sources.org/refugies-migrants-entre-routes-deroutes/ https://www.revue-sources.org/refugies-migrants-entre-routes-deroutes/#comments Wed, 15 Jun 2016 01:54:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1394 [print-me]

Avec la belle saison beaucoup reprennent joyeusement leur bâton de pèlerin. Ils ont soigneusement préparé leur itinéraire, consulté cartes et sites, partagé les expériences de leurs amis. Leur sac pesé et repesé ne contient que du matériel extra léger propice à de longues randonnées. Tout est prévu pour soigner cloques et fièvres, pallier au manque d’eau potable et aux forts écarts de température. Ils partent certes pour l’aventure, mais  cartes d’assurance et de rapatriement en poche et forts de leurs gadgets électroniques.

De l’autre côté de la Méditerranée, autre scénario. Du jour au lendemain des milliers de familles, incluant nouveau-nés, femmes enceintes, personnes âgées et malades,  doivent  tout quitter, parfois en quelques minutes, parce que leur village ou leur quartier est en passe  d’être encerclé par des forces de mort prêtes à tout: violer, torturer, massacrer…

Je rentre d’Arménie

Le 1er avril 2016 les Azéris ont attaqué deux villages du Haut-Karabagh, région autonome peuplée d’Arméniens. Terrorisée, la population civile a fui vers l’arrière-pays et les quelques vieillards qui ont refusé de quitter leur maison ont été sauvagement assassinés, les oreilles coupées en guise de trophée… Un soldat a été décapité, et la Croix-Rouge a découvert un charnier de dix-huit soldats horriblement torturés. Plus de mille personnes, femmes, enfants, vieillards, ont pris le chemin de l’exode, cherchant un abri miséricordieux.

Dans la capitale Erevan sont arrivés depuis deux ans près de dix-sept mille réfugiés: Arméniens de Syrie, Yézidis, Irakiens, voire Ukrainiens et Africains chassés par la guerre, la famine, des pouvoirs oppressifs. Petit pays sans grands moyens, l’Arménie, au 3ème  rang européen quant au taux d’accueil de réfugiés, se met en quatre pour accueillir ces frères condamnés à l’errance. La fondation KASA en a encadré plus d’un millier sur mandat UNHCR.

Mesurons-nous le désarroi, voire l’horreur que connaissent ceux qui sont jetés brutalement sur des chemins inconnus et hostiles?

Les Syriens se confient: «Nos grands-parents ont fui le génocide de 1915 jusqu’aux terribles déserts de Syrie,  et les rares survivants ont échoué à Deir-Ez-Zor ou à Alep. Trois générations plus tard Deir-Ez-Zor a été occupée par le Djihad, l’église chrétienne détruite,  la population contrainte de fuir en toute hâte pour ne pas être massacrée ou obligée de se convertir à l’Islam. Aujourd’hui nous reprenons la route en sens inverse, sans être même sûrs que nous pourrons trouver notre place dans ce pays, certes accueillant, mais qui peine à nourrir ses propres habitants. Sommes-nous condamnés à un éternel nomadisme?»

Pèlerinage insolite en Anatolie

Le 12 juillet dernier Pascal Maguesyan, journaliste franco-arménien, bon connaisseur des chrétiens du Proche-Orient, décide de commémorer les cent ans du génocide arménien et assyro-chaldéen en faisant  un pèlerinage  de trente jours en Anatolie orientale, sur des terres jadis peuplées d’Arméniens:

«Je voulais faire mémoire de ces gens envoyés à la mort par ces marches forcées, Arméniens, Syriaques, Chaldéens… Le but était de parcourir à pied les neuf cent kilomètres de route qui séparent Ani, à la frontière de République d’Arménie, dont les ruines rappellent que la ville fut la capitale de l’Arménie vers l’an mille, jusqu’à Diyarbakir, l’ancienne Dikranakert, la capitale fondée un siècle avant J.-C. par Tigrane le Grand, roi d’Arménie», confie-t-il au journaliste du site cath.ch.

Après 22 jours et 410 km parcourus, Pascal Maguesyan a dû interrompre sa marche, vu la forte tension créée dans la région après l’attentat terroriste de Suruç, à proximité de la frontière avec la Syrie face à Kobané, et la reprise des combats au Kurdistan entre l’armée turque et le PKK.

Ils étaient artisans, commerçants, fonctionnaires, techniciens, médecins, ingénieurs. Saurons-nous les accueillir, les réconforter, les intégrer?

Il pensait participer au grand pèlerinage annuel du 15 août à l’église Sourb Guiragos (Saint Cyriaque)  à Diyarbakir, reconstruite sur  le modèle de la cathédrale du XIVe s. détruite en 1915 et rendue au culte en 2011 avec le soutien des Arméniens et de la municipalité de la ville.  Non seulement  il n’y arrivera pas, mais l’église sera confisquée quelques mois plus tard et mise à mal.

Routes et déroutes, écrivait Nicolas Bouvier. Mesurons-nous le désarroi, voire l’horreur que connaissent ceux qui sont jetés brutalement sur des chemins inconnus et hostiles? Sans bagages, sans équipement adéquat, sans nourriture, livrés au bon vouloir de passeurs sans scrupules et au mépris de populations excédées ou indifférentes?

Belles histoires de solidarité

Elles émanent la plupart du temps des plus pauvres, parce que plus sensibles à la douleur d’autrui. Eux, connaissent la situation de celui qui  n’a pas de quoi se laver, se vêtir, s’abriter, boire ou se soigner. Ils ne se demandent pas s’ils ont une salle de bains séparée à leur offrir. Ils partagent ce qu’ils ont.[1]

Grecs et Italiens en particulier accueillent ces réfugiés avec beaucoup de générosité en dépit de leurs problèmes propres. Certains arrivent en Suisse, en France, en Allemagne. Il y a peu, la plupart vivaient bien, voire mieux que nous ici. Ils étaient artisans, commerçants, fonctionnaires, techniciens, médecins, ingénieurs. Saurons-nous les accueillir, les réconforter, les intégrer?

Revivre le rêve américain

Au XIXème s. des millions d’Européens partirent pour cette terre promise que représentait l’Amérique.

Au XXème s. des millions de  réfugiés traversèrent l’Europe en tout sens, chassés par les guerres, les pogroms, les génocides. Dans une récente interview sur Euronews, Madeleine Albright, première femme à être secrétaire d’Etat aux USA, d’origine tchèque et qui connut deux migrations douloureuses, disait combien son intégration avait été facilitée par l’accueil chaleureux des Américains d’alors. Une histoire pas si lointaine, qui devrait inciter les nantis que nous sommes à ressentir la tragédie de tous ceux qui ne prennent pas la route pour leur plaisir, mais parce qu’elle est pour eux leur seule chance de survie.

La fraternité l’emportera-t-elle sur la fermeture des frontières et des cœurs?

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Monique Bondolfi

Monique Bondolfi

Monique Bondolfi-Masraff, membre de l’équipe rédactionnelle de Sources. D’origine arménienne elle préside à Erevan depuis près de vingt ans  la Fondation humanitaire et de développement KASA. Très sensible de ce fait au génocide qu’a subi son peuple il y a cent ans et à l’émigration forcée qui a suivi, elle est à même de comprendre le désarroi des nouveaux réfugiés qui frappent à nos portes aujourd’hui.

[1] Le directeur local du UNHCR nous racontait combien il avait été bouleversé de rencontrer aux confins de l’Arménie, dans une région menacée par les tirs des voisins, une famille de six personnes vivant dans d’une extrême pauvreté accueillir une autre famille constituée de douze réfugiés.


SIX VOIX

Ce n’est pas la mer qui nous a recueillis,
nous avons recueilli la mer à bras ouverts.
Venus de hauts plateaux incendiés par la guerre et non par le soleil,
nous avons traversé les déserts du tropique du Cancer.

Quand d’une hauteur la mer fut en vue
elle était ligne d’arrivée, pieds embrassés par les vagues.
Finie l’Afrique semelle de fourmis,
par elle les caravanes apprennent à piétiner.

Sous un fouet de poussière en colonne,
seul le premier se doit de lever les yeux.
Les autres suivent le talon qui précède,
le voyage à pied est une piste d’échines.

Erri de Luca, Aller simple, Edition Bilingue. Poèmes. Traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard, Paris 2015

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Hrant Dink Constructeur de ponts https://www.revue-sources.org/hrant-dink-constructeur-de-ponts/ https://www.revue-sources.org/hrant-dink-constructeur-de-ponts/#respond Wed, 01 Apr 2015 00:48:42 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=87 [print-me]

Journaliste engagé, Hrant Dink a été assassiné à Istanbul le 19 janvier 2007 pour avoir voulu prôner un dialogue arméno-turc constructif.

Le journal AGOS

Hrant Dink est né en 1954 à Malatya, au coeur de la Turquie, dans une région largement peuplée d’Arméniens jusqu’au génocide de 1915. Mais la vie y était devenue très difficile. Enfant, il déménage avec sa famille à Istanbul. Ses parents séparés, sa grand-mère le confie pendant dix ans à un orphelinat protestant de mouvance évangélique.

Au cours d’un camp d’été organisé par cette institution, il rencontre Rakel, sa future épouse, elle aussi originaire de Turquie orientale. Il l’épousera dans ce même camp en 1976. En 1984, la confiscation par l’Etat turc de ce lieu si cher à son coeur le sensibilise profondément à la précarité du statut des Arméniens en Turquie. Précarité qu’il mesure de nouveau au cours de son service militaire dans l’armée turque. Malgré ses excellentes notes, le titre de sergent lui est refusé. Après ses études à l’Université d’Istanbul, il fonde à Pâques 1996 le journal AGOS, rédigé en arménien et en turc dans le but de toucher un public plus large, et dont il sera l’éditeur.

Ses objectifs

Il assigne cinq objectifs à sa publication: dénoncer toute injustice commise contre les Arméniens en Turquie – analyser les violations des droits de l’homme et les difficultés de la démocratisation – faire connaître à partir d’archives le rôle positif des Arméniens dans l’économie et la culture de l’empire ottoman – informer sur l’évolution de la jeune République d’Arménie, en particulier sur ses rapports avec la Turquie – critiquer les disfonctionnements et l’absence de transparence des institutions de la communauté arménienne. Son but final? Encourager la réconciliation des Turcs et des Arméniens et la reconnaissance des droits des minorités.

Les nationalistes turcs jubilent, font paraîtront des photos de policiers souriants entourant l’assassin devant un drapeau turc.

Il interpelle les Turcs qui ne veulent pas admettre la réalité du génocide au nom de leur nationalisme ou du refus de s’identifier à des actes aussi abominables. Mais il interpelle aussi les Arméniens de la diaspora dont les campagnes internationales se focalisent trop à son avis sur la reconnaissance du génocide, sans chercher à promouvoir un dialogue constructif et prendre en compte les besoins actuels des Arméniens, tant en Turquie qu’en République d’Arménie. « Le problème du pays, aujourd’hui, n’est ni celui de la « négation », ni celui de la « reconnaissance ». Son problème fondamental c’est la « compréhension ». Et la Turquie n’y aura accès, ne prendra pleinement conscience de son passé, de son histoire, que si elle progresse dans son combat pour la démocratie. »

Turco-arménien

Parce qu’il se revendique à la fois turc et arménien, Hrant Dink rêve d’une Turquie plus éthique qu’ethnique, assez forte pour oser regarder son passé en face et éliminer démocratiquement les discriminations. Tous ses articles visent à faire la lumière sur la réalité de la Turquie, sans diaboliser l’une ou l’autre partie.

D’un côté, il faut reconnaître l’évidence de la présence de plus de deux millions d’Arméniens dans l’empire ottoman qui contribuèrent largement à la prospérité du pays et dont les deux tiers furent victimes du massacre planifié; mais, par ailleurs, on ne peut considérer les arrière-petits-enfants des bourreaux coupables des crimes odieux perpétrés par leurs ancêtres. Mieux, il faut favoriser leur intégration, en encourageant l’adhésion de la Turquie à l’Europe.

Bref, esquisser les contours d’un réel échange, à l’instar de celui qui se créa entre la France et l’Allemagne après la seconde guerre mondiale. Vision prospective qui vaudra au journaliste trois procès de la part des Turcs, aggravés de menaces.

L’assassinat d’un pacifiste

Le 19 janvier 2007 Ogün Samast, jeune turc de 17 ans, armé par un complot d’ultranationalistes de Trébizonde (ville où avait été assassiné un an plus tôt le prêtre catholique Don Andrea Santoro) l’abat de deux balles dans la nuque devant son bureau. Ceci, peu après la sortie du documentaire Screamers, dans lequel le journaliste dénonçait l’article 301 qui déclare que parler d’un génocide arménien est une insulte à l’Etat, passible de peines.

Hrant Dink est mort pour avoir milité en faveur d’un dialogue qui respecte à la fois la fierté du peuple turc et la vérité historique.

Les nationalistes turcs jubilent, font paraîtront des photos de policiers souriants entourant l’assassin devant un drapeau turc. Mais, en sens inverse, le jour des funérailles de Hrant Dink cent mille personnes défilent à Istanbul en scandant: «Nous sommes tous Hrant Dink et nous sommes tous arméniens ». Un ouvrage courageux, paru à titre posthume en France en 2009, résume sa position. [1. Hrant Dink, Deux peuples proches, deux voisins lointains, Arménie-Turquie, Actes Sud 2009]

Une parole a été libérée

AGOS continue à paraître et une Fondation Hrant Dink a été créée pour perpétuer les valeurs prônées par son fondateur. Surtout, une parole a été libérée. Certes, les pressions gouvernementales restent importantes, croissent même comme le nationalisme turc. Le Turc Perincek [2. www.affaireperincek.com] nargue la Suisse et le monde en niant la réalité du génocide. La Suisse l’avait condamné, mais la cour de Strasbourg l’a blanchi. Ce jugement a fait l’objet d’un ultime appel en janvier 2015. Le discours officiel turc continue à réduire l’assassinat de plus de 1 300 000 civils arméniens, femmes, enfants, vieillards, égorgés, violés, déportés vers le désert de Deir-Et-Zor à une légitime résistance en période de guerre. Il fallait, prétend-on, se défendre contre les Russes avec lesquels les Arméniens étaient suspectés de s’être alliés.

Mais les langues se délient. Des historiens turc [3. Taner Akçam, Un acte honteux: le génocide arménien et la question de la responsabilité turque, Gallimard 2012] éminents s’expriment; une pétition turque qui demande pardon recueille près de 30’000 signatures; le cinéaste germano-turc Fatih Akin tourne The Cut; de nombreux témoignage [4. Fethiye Cetin, Le livre de ma grand-mère, Marseille, Ed. de l’Aube 2006, Parenthèses, 2013] évoquent la quête d’identité des petits-enfants de femmes sauvées du génocide mais islamisées. Ces personnes considérées comme arméniennes par les Turcs sont écartées de ce fait des fonctions importantes, mais elles sont considérées comme des renégats par des Arméniens, même si elles demandent le baptême…

Cent ans après 1915, les Arméniens du monde entier continuent à réclamer aux Turcs la reconnaissance de la grande catastrophe dont leurs ancêtres ont été victimes. Hrant Dink est mort pour avoir milité en faveur d’un dialogue qui respecte à la fois la fierté du peuple turc et la vérité historique. Sa veuve Rakel et ses trois enfants perpétuent son oeuvre au sein de la Fondation Hrant Dink avec les actuels rédacteurs d’AGOS. Ils organisent des programmes économiques et culturels entre Turquie et Arménie et sensibilisent de nombreux Turcs à travers une information ouverte pour récuser l’intolérance.

La mort tragique de Hrant Dink contribuera-t-elle à ouvrir des portes de respect et de vie? Chacun de nous, à son échelle, peut réagir pour ne pas laisser l’ignorance et l’indifférence conduire au fatalisme ou au fanatisme. Tel est bien l’universel enjeu humain [5. En Suisse de nombreuses manifestations marqueront le centenaire du génocide, www.genocide 1915.org]

A signaler aussi que les églises chrétiennes du canton de Vaud organisent à Lausanne des conférences ouvertes à tous, du 4 au 7 juin 2015, auxquelles Rakel Dink est précisément invitée, et qui se clôtureront par une célébration oecuménique à la cathédrale de Lausanne dimanche 7 juin 2015 à 18h.

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Monique Bondolfi-Masraff est présidente de KASA (Komitas Action Suisse-Arménie www.kasa.am). Elle est également membre du comité de rédaction de la revue Sources.

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