Estavayer-le-Lac – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 09 May 2017 12:26:15 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Dominicaines d’Estavayer: filles de la miséricorde https://www.revue-sources.org/dominicaines-destavayer-filles-de-misericorde/ https://www.revue-sources.org/dominicaines-destavayer-filles-de-misericorde/#respond Tue, 09 May 2017 12:26:15 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2231 Le 25 mars 2017, les moniales dominicaines célébraient sept siècles de présence à Estavayer-le-Lac. Le frère Guido Vergauwen, prieur provincial des Dominicains suisses, tint à cette occasion l’allocution qui suit.

[print-me] La prieure, Sœur Monique, m’a donné trois à quatre minutes pour dire quelques mots au nom des frères de la province Suisse des Dominicains, qui fête d’ailleurs aujourd’hui sa fête patronale. Quelques minutes pour des félicitations fraternelles et pour nous joindre à cette action de grâce de 700 ans de présence dominicaine à Estavayer-le-Lac. Sur le territoire de la province suisse existent aussi des monastères de Dominicaines à Schwyz, Weesen, Cazis et Wil. Nous sommes vraiment privilégies.

Epoque troublée

Il y a 700 ans, 1316/1317, c’est le début du pontificat du pape Jean XXII, qui est le premier pape à résider de manière permanente en Avignon. Jacques Duèze est français, juriste et marchand de Cahors. Il sera durant tout son pontificat l’ennemi du Saint Empire Romain et du roi Louis de Bavière. Très riche, il s’oppose à l’idéal de la pauvreté radicale chez les Franciscains et condamne comme hérétique l’affirmation que le Christ et les apôtres aient vécus sans posséder de biens. Plus tard, il condamnera une série de thèses de notre frère Maître Eckhart.

« Mes soeurs, vous êtes le noyau priant de la Sainte Prédication »

1937. En Europe les temps sont mauvais, des inondations détruisent les moissons et causent une famine généralisée. Mais les Dominicaines viennent à Estavayer-le-Lac et elles y sont toujours, grâce à Dieu, ayant survécu aux papes d’Avignon, au Saint Empire Romain et, sans doute aussi, à tant de famines matérielles et spirituelles qui ont fait souffrir le monde qui les entoure. Les moniales ont partagé les hauts et les bas de l’histoire en accompagnant à chaque époque leurs contemporains par la force de leur prière et la joie que leur donne leur consécration religieuse. Merci, mes sœurs, d’être là, ici et maintenant!

Le visge vivant de Dominique

Dans le récit des origines de l’Ordre de Maître Jourdain de Saxe, nous apprenons que saint Dominique avait «une très ferme égalité d’âme, sauf quand quelque misère en le troublant l’excitait à la compassion et à la miséricorde. Et parce que la joie du cœur rend joyeux le visage, l’équilibre serein de son être intérieur s’exprimait au dehors par les manifestations de sa bonté et la gaieté de son visage … Par cette joie, il acquérait facilement l’amour de tout le monde». Et dans son récit des miracles de saint Dominique, Sœur Cécile écrit que Dominique «restait toujours souriant et joyeux, à moins qu’il ne fût ému de compassion par quelque affliction du prochain».

Mes sœurs, vous êtes pour nous – avec cette joie et votre bonté, votre accueil et votre prière – le visage vivant de Dominique. C’est votre prédication. Vous vivez si pleinement cet idéal de l’Ordre: contempler et transmettre ce que l’on a contemplé de la vérité, de la bonté, de la beauté de Dieu. Dans l’Ordre et son histoire, vous êtes nos sœurs ainées, le noyau priant de la Sainte Prédication, que vous réalisez pour le salut des âmes. Nos Constitutions rappellent en effet, que notre Ordre fut spécifiquement fondé dès l’origine «pour la prédication et le salut des âmes».

Il y a entre les frères et les sœurs une sorte de conspiration lumineuse et joyeuse. Nous voulons et nous pouvons respirer ensemble la même fragrance, l’odeur merveilleuse qui émanait du tombeau de Dominique lors de la translation de ses reliques le 24 mai 1233. Cette odeur est le symbole du même envoi, de la même mission qui nous est confiée, de 1317 à 2017 et bien au-delà. Quelle est cette mission?

La Maison de la Miséricorde

Je la vois exprimée dans la Légende Dorée, un récit que le dominicain Jacques de Voragine écrivit pour la fête de saint Dominique, quelques dizaines d’années seulement avant la fondation de ce monastère:

«Il est rapporté que des savants théologiens de Bologne se disputaient sur le verset du psaume 84, 11: Miséricorde et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent. Or un étudiant, adonné aux vanités du monde, eut une vision. Il vit qu’il était dans un grand champ, où une tempête effroyable descendait sur lui. Il voulut alors se réfugier et arriva à une maison. Il la trouva fermée; et, comme il frappait à la porte pour être reçu, une voix féminine lui répondit: «Je suis la Justice, j’habite ici et ceci est ma maison; puisque tu n’es pas juste, tu ne peux pas habiter ici.» L’étudiant, consterné par ces paroles, s’en alla frapper à la porte d’une autre maison et demandait à être reçu. Mais une voix lui répondit: «Je suis la Vérité; j’habite ici, c’est ma maison. Mais je ne puis te recevoir, parce que la vérité ne peut pas rendre libre celui qui ne l’aime pas.» Enfin, il vit une troisième maison, où il aurait pu se réfugier contre la tempête. Mais une voix lui répondit: «Ceci est la maison de la Paix. Mais il n’y a pas de paix pour les impies. Mais seulement pour les hommes de bonne volonté qui aiment la paix. Mais comme j’ai des pensées de paix et non de malheur, je veux vous donner un avenir et une espérance, un conseil utile: Près d’ici habite ma sœur, qui est toujours prête à secourir les malheureux. Va la trouver et fais ce qu’elle te dira. Et, de cette quatrième maison, une voix répondit: «Je suis la Miséricorde, qui habite ici. Si tu veux être sauvé de la tempête, va à la maison des Frères Prêcheurs à Bologne. Tu y trouveras l’étable de la pénitence, la crèche de l’abstinence, le pâturage de la sainte doctrine, l’âne de la simplicité, le bœuf du discernement, la lumineuse Marie, Joseph qui est prêt à servir et l’enfant Jésus qui te sauvera. Ayant eu cette vision, l’étudiant s’éveilla, courut à la maison des Frères et revêtit l’habit de l’Ordre.»

La mission d’un monastère de Dominicaines est d’être un lieu où la vérité, la justice et la paix habitent ensemble avec la miséricorde. Saint Thomas appelle la miséricorde la summa christianae religionis, la vertu dont l’action résume toute la religion chrétienne. Dominicaines et Dominicains, nous sommes les filles et les fils de la miséricorde de Dominique, de sa miséricorde envers les pécheurs, envers ceux et celles qui cherchent la vérité. Nous sommes fils et filles de sa prédication pour ceux et celles qui ont besoin d’orientation, qui doivent être éveillés du sommeil de l’rindifférence ou du manque de foi. Nous sommes fils et filles de sa parole pour ceux et celles qui attendent un mot d’encouragement et l’assurance du pardon.

Merci, mes sœurs, pour votre fidélité à cette vocation. Aidez-nous, frères et membres de la famille dominicaine, habitants de cette ville qui vous accueille depuis 700 ans, à être ou à devenir au milieu de ce monndse des hommes et des femmes d’une miséricorde au multiples visages.[print-me]


Le frère dominicain Guido Vergauwen, provincial des Dominicains suisses, fut recteur de l’Université de Fribourg et professeur de théologie fondamentale dans cette même institution.


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Le triptyque d’Estavayer-Blonay https://www.revue-sources.org/triptyque-destavayer-blonay/ https://www.revue-sources.org/triptyque-destavayer-blonay/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:04:36 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1378 [print-me]

Depuis cinq siècles, un retable dû aux ciseaux de Hans Geiler, sculpteur alsacien exerçant son art en ville de Fribourg, honore le patrimoine religieux et culturel du monastères des Dominicines d’Estavayer-le-Lac. Une vie mouvementée et pèrégrinante toutefois. A l’image de l’Ordre des Dominicains!

1527, la Réforme s’introduit en Suisse. Les moniales d’Estavayer, pauvres mais relativement paisibles, ne se doutent pas encore des difficultés et de l’isolement que «la nouvelle religion» va provoquer chez elles au cours des prochaines décennies. Parmi elles, une sœur, entrée tardivement au monastère après son veuvage, Maurice de Blonay, a pour parent l’évêque commendataire de Belley, Claude d’Estavayer. C’est elle qui prend l’initiative de faire exécuter un retable pour l’église du monastère.

 Les commanditaires du retable

– Claude d’Estavayer

Chancelier de l’Ordre de l’Annonciade, abbé de Hautecombe, confident du duc de Savoie Charles II, Claude est impliqué jusqu’au cou dans diverses intrigues en cette période de grande instabilité politique pour le duché de Savoie. Il est peu versé dans les matières spirituelles, et une mauvaise langue de l’époque, exagérant sans doute quelque peu, le décrit ainsi:

«Estant environné en tant de biens et bénéfices, l’évêque de Belley devint grand maître, tenant grand train, suyvant la cour des princes, estant excessif en banquets, maximement aux danses».

On pourrait même, si on souhaitait prêter l’oreille aux commérages, lui trouver deux enfants. Toujours est-il que Claude est un grand amateur d’art et un généreux mécène. Il fait restaurer la cathédrale de Belley; on lui doit les vitraux de l’Annonciation et de l’Assomption à Romont. À Hautecombe,  si les cisterciens se sont défendus becs et ongles contre sa nomination comme abbé régulier (!) par le Pape Jules II en 1505[1], il n’en demeure pas moins qu’il y bâtit une magnifique chapelle dédiée à saint Bernard. Elle devait lui servir de chapelle funéraire, mais le Seigneur ne permit point que cela se fit puisqu’il mourut en Suisse et son tombeau demeura vacant durant quelques siècles…

– Sœur Maurice de Blonay

Elle meurt le 7 février 1526. A-t-elle entamé des démarches pour la création du retable avant sa mort? Ou l’a-t-elle seulement demandé dans ses dispositions testamentaires? Quoi qu’il en soit, ses moyens ne suffisent sans doute pas à couvrir les frais d’exécution. Aussi son noble et fortuné parent vient-il à la rescousse et contribue à la réalisation de l’œuvre. Sa part devait être plus considérable puisque son écusson ne figure pas seulement sur le volet qui lui est réservé, mais par deux fois au centre du retable.

Le sculpteur Hans Geiler

En ce début du XVIe siècle, Fribourg est prospère du fait de sa fabrique de drap et la ville est en pleine effervescence artistique. Un sculpteur venant du Haut-Rhin s’y est installé il y a une dizaine d’années et s’est imposé comme le meilleur artiste de la ville. Il a pour nom Hans Geiler.C’est lui qui sera contacté pour la réalisation du rerable.

retable

Le dos du triptyque

Venons-en au triptyque lui-même. Fermé, la peinture des panneaux de sapin représente, comme c’est la coutume, nos deux donateurs agenouillés en prière. Sur le volet de gauche, le Christ en gloire, entouré de onze apôtres, accueille sœur Maurice, âgée et toute menue, dans la gloire éternelle. À leurs pieds rugit le féroce lion des armoiries de Blonay. Dans le décrochement, Dieu le Père, tenant le monde en sa main, bénit et envoie le Saint-Esprit.

Le volet de droite montre saint Claude, évêque du Jura. Il présente son «protégé», Claude d’Estavayer. Celui-ci est vêtu de l’aumusson de petit-gris, un capuce propre aux chanoines qui couvre la tête et les épaules. Devant lui, le blason d’Estavayer surmonté de la mitre et de la crosse et entouré du collier de l’Annonciade. Dans le décrochement, la Vierge et l’Enfant, entourés d’un nimbe, surplombent la chapelle du monastère. Il s’agit de la chapelle de l’époque, avant sa reconstruction à la fin du XVIIe siècle.

Le panneau central

Mais ouvrons maintenant le coffre du retable afin de découvrir les magnifiques sculptures de tilleul réalisées par Hans Geiler et ses assistants. Dans le panneau central, Marie – patronne du monastère – est représentée comme la vierge de l’Apocalypse, la lune à ses pieds ; dans ses bras, l’enfant Jésus tient  main un globe dans une main et bénit de l’autre. Des quatre anges qui entouraient Marie, deux ont aujourd’hui disparu. Demeurent un ange musicien et un ange tenant une couronne au-dessus de la tête de la Vierge.

À droite de Marie, saint Dominique serre le livre des Evangiles contre sa poitrine, tandis que de la main droite, il tient son bâton de pèlerin (manquant). C’est l’attitude du Prêcheur parcourant le monde pour enseigner la Parole. À gauche de Marie, le docteur de l’eucharistie, saint Thomas d’Aquin, porte en sa main un ostensoir (maintenant disparu) et montre du doigt le Christ présent dans l’hostie.

Les volets latéraux

Le volet de gauche est un haut-relief représentant la nativité: les bergers viennent adorer l’Enfant-Dieu sous une arcade Renaissance alors que trois anges surplombent la scène en chantant la gloire de Dieu. Joseph, quant à lui, est à la fenêtre, quelque peu dépassé par le mystère. Le volet de droite décrit l’adoration des mages guidé non par une étoile mais par un ange. Joseph, toujours à sa fenêtre, est de plus en plus ébahi, il en a même laissé tomber son chapeau!

L’histoire du triptyque

Le retable avait été conçu pour orner le maître-autel de l’église du monastère. Il y reste près de deux siècles, mais en 1702, suite à la reconstruction de l’église, il est  relégué au bas du collatéral de droite, en face de la porte d’entrée. En 1882, la communauté qui avait besoin de fonds pour financer une nouvelle rénovation de la chapelle le vend à un antiquaire de Lausanne pour une bouchée de pain. Celui-ci le cède à la famille de Blonay qui l’acquiert à cause du portrait de sœur Maurice et le place dans son château de Grandson.

En 1958, le retable est racheté par la fondation Gottfried Keller avec l’aide d’amis de la communauté. Il est alors complètement restauré et replacé en 1961 dans la nef de l’église du monastère. Avec les années et les variations d’humidité de l’édifice, le triptyque se dégrade à nouveau. À l’occasion de l’exposition Sculpture 1500 au Musée d’art et d’histoire de Fribourg, en 2011-2012, il fait l’objet d’une nouvelle restauration puis est exposé au musée.

Pour favoriser son retour des travaux de régulation de l’hygrométrie ont eu lieu dans l’église du monastère et un assainissement de la chapelle est en cours. Si Dieu le veut, le vénérable triptyque de Hans Geiler retrouvera sa place auprès des moniales pour l’année jubilaire qui s’ouvre le 15 août prochain.

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Sœur Isabelle Lepoutre

est moniale dominicaine à Estavayer-Le-Lac. Elle collabora avec d’autres auteurs à la rédaction d’un livre magnifiquement illustré, paru à l’occasion du septième centenaire de la fondation du monastère d’Estavayer-le-Lac : Les Dominicaines d’Estavayer-le-Lac. Fenêtres sur une histoire. 1316 – 2016, Editions Capedita, Divpnne-les-Bains, 2016, 190 p.

[1] L’histoire raconte qu’il ne fallut pas moins de sept bulles au Pape pour faire admettre son protégé. Les cisterciens ne voulaient pas d’un prêtre séculier comme abbé régulier. Les réticences des moines étaient sans doute justifiées puisque lors de son passage à Hautecombe le jour de Pâques 1521, l’abbé de Cîteaux, Dom Edmé décrit l’état religieux de l’abbaye comme fort relâché et les trente-trois moines « tous peu savants et assez ingrats à ce que j’en su connaître».

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Estavayer-le-Lac, 1316-2016 https://www.revue-sources.org/estavayer-le-lac-1316-2016/ https://www.revue-sources.org/estavayer-le-lac-1316-2016/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:35:13 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=427 [print-me]

Un jubilé dans le jubilé. Nos sœurs moniales d’Estavayer s’offrent deux années consécutives de jubilation. Elles s’associent aux Frères qui fêtent un anniversaire de huit siècles. Mais elles veulent aussi célébrer sept siècles de «laus perennis» à l’intérieur de leurs vieux murs.

Les débuts du monastère d’Estavayer-le-Lac sont quelque peu environnés de mystère. Nous savons seulement qu’en 1290 une communauté de moniales dominicaines existait dans un monastère dédié à sainte Marguerite à Chissiez, dans l’actuel quartier du Trabandan de Lausanne, en lien avec le couvent des frères dominicains de cette ville. La maison, aujourd’hui disparue, était située hors des murs de la ville et isolée. Les sœurs cherchèrent donc un emplacement moins exposé pour vivre plus sereinement leur vie dominicaine. Le prieur de Lausanne, frère Jean d’Estavayer, fit appel à son cousin, le chanoine Guillaume d’Estavayer, qui offrit aux sœurs sa propre maison sise sur le rempart de la ville d’Estavayer, à la condition qu’il puisse encore y séjourner avec ses domestiques. La communauté agréa cette proposition et les sœurs arrivèrent à Estavayer à la toute fin de 1316 ou au début de 1317.

Accueillies froidement

Les moniales avaient sans doute le cœur gros, car en dernière minute quelques unes, entraînées par une ancienne prieure, firent sécession et décidèrent de rester à Chissiez. Elles ne rejoignirent le gros de la communauté qu’une quinzaine d’années plus tard, après plusieurs procès menés devant la cour pontificale.

Sans nul doute, elles recevraient des dons et des aumônes dont le clergé du lieu ne percevrait plus le doux tintement dans sa besace.

De plus, si la générosité du chanoine Guillaume ne s’est jamais démentie, le clergé d’Estavayer accueillit fraîchement les nouvelles arrivantes. Sans nul doute, elles recevraient des dons et des aumônes dont le clergé du lieu ne percevrait plus le doux tintement dans sa besace. On raconte même que quelques décennies plus tard un clerc d’Estavayer, furieux qu’une paroissienne fût enterrée dans l’église du monastère, vint dérober les cierges qui entouraient le cercueil de la défunte. Le sang de sœur Alix, sousprieure, ne fit qu’un tour. Elle bondit et s’élança à sa suite, récupérant les précieuses chandelles. Les choses se sont grandement améliorées depuis. Parmi les occasions de rendre grâce, ne faut-il pas mentionner les relations étroites et fraternelles qui lient le monastère aux prêtres et paroissiens d’Estavayer, toujours prêts à le soutenir et lui rendre mille services?

Les empreintes de l’islam

Plus isolées qu’à Chissiez, les sœurs gardaient cependant des liens avec l’Ordre dominicain. Ainsi, en 1404, saint Vincent Ferrier vint prêcher au monastère lors de sa grande campagne d’évangélisation dans la région. Le texte de ses interventions a été copié par le père gardien des Cordeliers de Fribourg. Ce précieux témoin de la vie spirituelle de cette époque est parvenu jusqu’à nous.

L’architecture est mieux documentée. Cette période vit le retour de croisade d’Humbert, prince de Savoie. Cinq années de captivité chez les Turcs lui avaient donné le goût de la prière. Il fit le vœu de construire une église s’il était libéré. Et ce fut celle de notre monastère, bâtie en pierre de la Molière, à l’intérieur de laquelle Humbert fit ériger une chapelle funéraire [1. En homme prudent, ne sachant où il mourait, il avait prévu trois chapelles funéraires pour ses restes mortels: ce fut finalement à Estavayer qu’il décéda et fut enseveli.] protégée par de magnifiques grilles ouvragées à ses armes. C’est ainsi que nous avons en notre église le blason de la maison de Savoie, orné de cinq croissants de lune, chacun évoquant une année de captivité en terre d’islam. Ce souvenir marqué dans la pierre incite les moniales d’aujourd’hui à garder une place à l’islam dans leurs prières.

Le temps des turbulences

Un siècle plus tard, la Réforme protestante déferlait sur la Suisse. Les couvents des frères dominicains furent supprimés et l’aumônier du monastère, frère Jean de Rome, fut chassé, dit la chronique. Les sœurs devaient donc sortir du monastère pour assister à la messe paroissiale à la collégiale. Quand un prêtre de passage venait célébrer au monastère, les sœurs devaient servir elles-mêmes sa messe. Elles perdirent une partie des terres qu’elles avaient gardées en pays de Vaud, et virent leurs revenus amputés d’autant. Malgré tout, elles restèrent fidèles à leur foi et à leur vocation.

En juillet 1599, une partie des bâtiments conventuels s’effondre en pleine nuit.

Puis, en 1575, ce fut la peste qui ravagea la cité et le monastère. On ne donnait guère attention aux registres à cette époque, et moins encore en période d’épidémie. Une tradition veut que seules deux ou trois sœurs soient restées en vie pour maintenir la louange dans nos murs. Nous ne connaissons pas leurs noms, mais les sœurs les invoquent en ces temps de précarité et leur demandent de leur envoyer quelques renforts.

En juillet 1599, une partie des bâtiments conventuels s’effondre en pleine nuit. Les sœurs ne durent leur vie sauve qu’à leur ferveur. En effet, elles chantaient matines dans l’église qui, elle, ne s’effondra pas. On reconstruisit par étapes. Faute de moyens, on cloisonnait les cellules au fur et à mesure que les postulantes se présentaient.

Les siècles «classiques»

Le début du XVIIe siècle marque une nouvelle étape. Nous pouvons mettre un peu de chair sur le nom des sœurs. Divers cahiers nous sont parvenus. Ils contiennent des prières manuscrites ou des notes prises durant des conférences spirituelles données par les aumôniers.

La vie de l’une ou l’autre sœur a même été consignée dans des publications d’époque. C’est le cas de la jeune Barbe Progin, entrée au monastère à 15 ans. Elle vécut une forte expérience spirituelle cinq ans plus tard et, dès lors, mena une vie de prière et de pénitence intenses. Malade, elle supportait ses souffrances avec joie pour le salut du monde. «Je désire souffrir encore bien davantage, s’il le faut, pour la conversion d’une âme.» Elle mourut en 1633, âgée seulement de 23 ans.

Un cahier du conseil fourmille de détails truculents.

Le début du XVIIIe siècle nous offre – ô délices – une mine d’informations: un cahier du conseil fourmille de détails truculents. Ainsi, nous apprenons que deux sœurs protestent quand, un jour, le père aumônier tente d’imposer une décision à la communauté. «Ce n’est pas dans notre tradition qu’on prenne les décisions à notre place!». Aucun doute, nos sœurs sont de vraies dominicaines et elles en sont conscientes!

A cette époque aussi, les sœurs décident de revenir à la vie commune. Chacune avait (ou n’avait pas, en ce qui concerne les sœurs issues de milieux plus modestes) son pécule, son linge et ses meubles. Nous assistons alors à deux jours de grand remue-ménage où toutes les sœurs apportent joyeusement leurs affaires aux officières que la prieure a désignées et se réjouissent de pouvoir partager avec les moins fortunées.

La fin du siècle est plus morose. Une prieure, manipulée par un cousin cistercien, fait sortir le monastère de la juridiction de l’Ordre dominicain. Et ceci contre l’avis unanime de la communauté. Début d’une longue période douloureuse où les sœurs désireuses de rester dominicaines n’eurent plus le soutien de leur Ordre. Les observances pâtirent de cette situation. On obtint la permission de faire gras, les matines ne furent plus dites en pleine nuit, on renonça au port de la laine, et les temps de prières furent raccourcis…

Et un dix-neuvième contrasté

Alors que le vent révolutionnaire soufflait en France, de nombreux prêtres de ce pays trouvèrent refuge en Suisse, particulièrement dans le canton de Fribourg demeuré catholique. Estavayer en accueillit un certain nombre. Le monastère les aida matériellement. Surtout, il leur ouvrit les portes de son église pour qu’ils puissent y célébrer la messe. On ne parlait pas à cette époque de concélébration. Les messes donc s’enchaînaient presque sans interruption de quatre heures du matin à midi sur les sept autels de l’église. Les sœurs offraient le vin et le pain d’autel, soit une bonne trentaine de bouteilles de vin et un quarteron [2. Une vingtaine de litres dans le canton de Fribourg.] de froment par semaine. On utilisa aussi onze chasubles! Les sœurs accueillirent en outre des religieuses françaises chassées elles aussi de leurs couvents, ainsi que des dames de la noblesse qui tenaient salon au monastère.

Le Père Lacordaire vint visiter la communauté.

La communauté traversa la période révolutionnaire et napoléonienne sans trop de dommage. Dès 1817, elle reprit progressivement les observances tombées en désuétude, puis renoua des liens avec les frères dominicains. Le Père Lacordaire vint visiter la communauté. On conserve plusieurs lettres écrites de sa main. La situation politique devint à nouveau tendue au milieu du XIXe siècle. Le gouvernement radical imposa la fermeture du noviciat et aliéna divers domaines. En 1872, le Père Jandel, maître de l’Ordre, vint visiter le monastère. Prélude au retour à la direction spirituelle de l’Ordre dominicain. Le Père Barthier assuma la charge de directeur durant une trentaine d’années. Outre les conférences et prédications qu’il donnait aux sœurs, il restaura entièrement l’église du monastère, faisant notamment appel à des artistes belges. Les vitraux qui relatent l’histoire de la communauté datent de cette restauration.

La révolution conciliaire

Que dire du XXe siècle? L’événement marquant fut sans doute le concile Vatican II et son cortège de conséquences. Si la vie des moniales reste la même, tissée de travail et de prière, la forme extérieure a beaucoup changé. La communauté a adapté sa liturgie au français, tout en gardant les plus belles pièces du répertoire grégorien.

On installa le chœur dans la nef, proche de l’assemblée. Les sœurs purent enfin profiter elles aussi de la magnifique architecture de l’église. La vie dominicaine s’élargit aux dimensions des Fédérations ou du Service des Contemplatives de Suisse romande qui permirent aux sœurs de s’entraider. Et même aux dimensions du monde, grâce au passage de frères et de sœurs de tous horizons. Les liens avec l’extérieur se sont aussi intensifiés. En témoigne notre hôtellerie La Source: une grange du XVIIe siècle menacée de ruine fut rebâtie pour recevoir des hôtes désirant se ressourcer et divers groupes pour des sessions et retraites.

Et maintenant?

L’année 2016-2017 marquera les 700 ans de notre monastère et nous en préparons les festivités. Et voici le programme.


Sœur Isabelle, qui réside dans le monastère d’Estavayer-le-Lac, remémore quelques souvenirs de la longue et passionnante histoire de ce monastère.

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