éthique – Revue Sources https://www.revue-sources.org Thu, 08 Nov 2018 16:05:45 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Médecins et suicide assisté https://www.revue-sources.org/medecins-et-suicide-assiste/ https://www.revue-sources.org/medecins-et-suicide-assiste/#respond Thu, 08 Nov 2018 09:40:47 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2746 Dans certains cantons suisses, comme celui de Vaud ou de Zurich, les médecins sont autorisés à prescrire les doses létales entraînant la mort de personnes qui ont fait recours aux organisations de type Exit ou Dignitas. Moyennant bien sûr des conditions restrictives  bien établies.

Les partisans du suicide assisté voudraient désormais élargir le cadre de cette permissivité en allégeant les conditions qui l’autorisent. Comment un médecin doit-il répondre à une demande de suicide assisté? A partir de quels critères peut-il accorder une ordonnance pour une potion létale? Dans ses directives médico-éthiques sur “L’attitude face à la fin de vie et à la mort”, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) propose d’assouplir les critères actuels. Promulguées en mai 2018, les directives de l’ASSM seront soumises le 25 octobre 2018 à la fédération faîtière des médecins suisses (FMH) qui les  entérinera ou les rejettera.

Notre revue publie trois documents sur ce sujet « vital ». D’abord une interview du philosophe fribourgeois François Gachoud, réalisée par le journaliste Maurice Page et publiée par cath.ch le 09.10.20118, avec l’autorisation de  la direction de la rédaction de ce site. Suivra l’avis de la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses et enfin la décision de la FMH émise ces derniers jours d’octobre.


 François Gachoud interpelle les médecins

François Gachoud

Pourquoi ces nouvelles directives de l’ASSM sont-elles si inquiétantes ?
François Gachooud: En Suisse, le choix de se donner la mort, avec une assistance est possible selon l’art. 115 du Code pénal. Dans la pratique, ce choix était réservé aux seuls patients en fin de vie et qui souffraient d’une maladie incurable. Ce double critère garantissait l’objectivité fondant la pratique de l’assistance au suicide. Cette pratique relevait de l’exercice d’une expertise médicale. Le médecin posait des garde-fous qui ne sont pas requis par la loi mais par les codes de déontologie.

Mais depuis que les Associations Exit et Dignitas ont réussi à élargir l’assistance au suicide aux “polypathologies invalidantes”, le patient n’est plus nécessairement en fin de vie et sa maladie n’est pas nécessairement incurable. L’ASSM emboîte clairement le pas et va même plus loin. 

Le motif avancé est celui de l’autodétermination du patient. En quoi cela pose-t-il problème?
Ne prendre en compte que l’autonomie du patient et sa souffrance subjective, c’est prendre le risque de méconnaître le caractère souvent équivoque de la demande d’assistance au suicide. L’ASSM n’hésite pourtant pas à privilégier ce seul critère: “Il n’existe aucun critère objectif pour évaluer la souffrance en général, ni le degré de souffrance supportable”. Mais ce n’est pas parce qu’une souffrance est toujours en effet vécue subjectivement qu’on doit en déduire l’exclusion d’un critère objectif définissable.

Pour vous il s’agit d’un fâcheux laxisme. Il suffit au fond de dire : “Je me déclare fatigué de la vie et je suis capable de discernement. Donc je puis m’autodéterminer à choisir le suicide quand je veux puisque je trouve ma souffrance insupportable.”

L’ASSM propose certes à l’appui un principe éthique reconnu important : celui du droit à l’autodétermination du patient. Il ne s’agit pas de le nier, mais de considérer toute la gravité de son application. Car c’est ici la vie elle-même qui est remise en cause. L’ASSM prend le risque de mettre les médecins dans une situation délicate, même difficile, car comment mesurer et évaluer une souffrance subjective déclarée insupportable.

Il en va là d’un euphémisme fort douteux pour exprimer la banalisation du suicide. Après tout, n’avons-nous pas été un jour, vous et moi, des “fatigués de la vie” ? A cause d’une maladie qui a fait beaucoup souffrir, d’un burn-out difficile à vivre, d’un divorce douloureusement traversé, d’un chômage de longue durée ou de toute autre épreuve jugée à un moment donné insupportable? L’idée d’en finir nous a peut-être même effleurés. Mais nous avons réussi à surmonter l’épreuve. Pourquoi? Parce que nous avons en nous une faculté de résilience en vertu d’une foi en la vie plus forte que l’instinct de mort. Mais aussi et surtout parce que nous avons trouvé auprès d’autrui une écoute attentive, une aide, un encouragement, une empathie active, une compassion qui nous a touchés.

Le suicide n’est donc pas une question seulement personnelle?
L’Académie ne voit pas que, si nous sommes des êtres évidemment vulnérables, nous sommes aussi des êtres de relation qui avons besoin des autres. C’est notre condition d’être humain vivant en société. L’isolement et la solitude sont le terreau fertile de l’enfermement sur soi et l’on sait que celui-ci est une des causes principales des tentatives de suicide. Il ne suffit pas de s’en référer à la seule détermination lucide du patient pour lui octroyer le droit de gagner sa mort assistée si facilement. Le patient en souffrance a besoin de tout autre chose: de retrouver le goût de vivre

Chacun a néanmoins droit à son autonomie personnelle.
Nous vivons dans une société qui, depuis quelques décennies, a érigé l’individualisme en absolu. Chacun n’est responsable que de lui-même. Ce qui veut dire que chacun est finalement considéré isolément, livré en effet à sa seule référence subjective. Nul n’est plus responsable de la détresse des autres. Combien de gens, surtout des jeunes, sont fragiles et manquent de repères qui leur donneraient des raisons de vivre? Combien de gens sont vulnérables et seuls enfermés dans leur détresse en quête d’un salut souhaité? Va-t-on offrir à ces gens-là l’assistance au suicide parce qu’ils ressentent une souffrance jugée insupportable?

Autre point inadmissible pour vous: le fait de rendre ces directives également applicables aux enfants et adolescents.
On côtoie ici l’intolérable. Car quel enfant ou adolescent de 12 à 16 ans est réellement capable de discernement à un âge largement reconnu comme fragile, fluctuant, instable et susceptible de retournement complet? Ce dont ces enfants et adolescents ont un urgent besoin, c’est d’une aide attentive pour les accompagner et leur donner des raisons de vivre et non pas l’examen de leurs raisons de mourir! Là se trouve très concrètement le lieu où l’on voit combien notre société est malade.

L’ASSM continue pourtant de défendre l’optique que “l’aide au suicide ne fait pas partie de l’activité médicale car elle est contraire aux buts de la médecine.”
Oui, mais que dit-elle un peu plus loin? “Si le patient persiste dans son désir (de suicide), le médecin peut, sur la base d’une décision dont il endosse personnellement la responsabilité, apporter une aide au suicide, sous réserve de cinq conditions” Comment ne pas constater une contradiction? C’est cautionner ainsi, quelles que soient les conditions édictées par précaution, que le médecin est partie prenante du processus organisé par les associations d’aide au suicide comme Exit ou Dignitas.


François Gachoud

Né à Fribourg en 1941, François Gachoud s’est spécialisé en philosophie moderne et contemporaine, il a consacré bon nombre de travaux à Hegel. Enseignant de philosophie, au Collège du Sud à Bulle, il a participé régulièrement à des émissions à la Radio Suisse Romande et sur France Culture. Il a également été chroniqueur pour divers journaux. Il est l’auteur de diverses publications.


Les évêques inquiets

La commission de bioéthique de la Conférence des évêques de Suisse souhaite exprimer sa vive inquiétude à voir l’abandon par l’ASSM, de toute référence objective en matière d’éthique médicale, dans son texte adopté le 18 mai 2018 « Nouvelles directives éthiques ».

En effet, alors que jusqu’à présent, elle maintenait au cœur de sa philosophie du soin, le fondement de sa mission, à savoir, ne pas nuire, protéger la vie de tout être humain, promouvoir et maintenir sa santé, apaiser les souffrances et assister les mourants jusqu’à leur dernière heure (Code de Déontologie de la FMH, art. 2.), rappelant aussi clairement (2004 et 2013) que l’aide au suicide est contraire aux buts de la médecine, cet abandon fait désormais éclater ce fondement en priorisant l’autonomie et le sentiment de subjectivité. Devant une thématique aussi sensible que l’assistance au suicide, l’ASSM, renforce inutilement le concept d’autonomie au dépend de la bienveillance, qui permet d’équilibrer et de mieux contextualiser les situations (environnement – famille – soignants…).

La commission de bioéthique de la CES est parfaitement consciente de la réalité des situations complexes de fin de vie et respecte profondément le principe d’autodétermination. Elle sait que dans certaines de ces situations où le patient exprime son désir d’être aidé à mourir, la décision éthique personnelle du médecin peut le conduire à transgresser sa mission. Cette transgression possible ne doit pas pour autant, infléchir le fondement objectif du prendre soin ultime de l’autre dans le respect de la vie jusqu’aux derniers instants. Dans ce contexte difficile, la commission de bioéthique de la CES, souhaite rappeler que seule la démarche des soins palliatifs permet de maintenir une cohérence dans le prendre soin ultime de l’autre jusqu’aux limites de sa vie. C’est dans cette priorisation du soin ultime que pourra s’exprimer le mieux la mission de la médecine : prendre soin de la vie, ni dans l’excès, ni dans le retrait.

En s’ouvrant à l’assistance au suicide, l’ASSM déplace non seulement la tension légitime déjà existante au cœur de l’agir soignant mais porte désormais atteinte à la nature même du prendre soin ultime de l’autre.

Ce texte élaboré par le frère Michel Fontaine dominicain a été proposé le 15 septembre 2018 à la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses. Après l’avoir accepté le 26 septembre 2018, cette Commission l’a fait parvenir à la FMH.  NDLR


Communiqué de presse de la FMH

La FMH, fédération faîtière des médecins suisses qui représente plus de 40.000 membres et fédère plus de 90 organisations médicales n’a pas suivi les directives  de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) préconisant une facilitation de l’aide au suicide par le corps médical. Son communiqué daté de Berne le 25 octobre 2018 est clair et explicite :

 « La FMH ne reprend pas les directives de l’ASSM «Attitude face à la fin de vie et à la mort» dans son Code de déontologie. Les nouvelles directives médico-éthiques «Attitude face à la fin de vie et à la mort» de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) ont suscité une vive discussion sur la nouvelle réglementation de l’aide au suicide devant la Chambre médicale. »

Décision définitive ou disposition provisoire ? Vu la vivacité des discussions, nous ne serions pas surpris d’une reprise prochaine des débats. Affaire à suivre. NDLR

Si aujourd’hui l’aide au suicide est uniquement autorisée en fin de vie, elle devra selon les nouvelles directives répondre au critère de «souffrance insupportable». Or cette formulation renvoie à une no- tion juridiquement indéterminée, qui apporte beaucoup d’incertitude pour le corps médical.

Au terme d’un débat animé, la Chambre médicale a décidé à une nette majorité de ne pas reprendre les directives révisées de l’ASSM «Attitude face à la fin de vie et à la mort» dans le Code de déonto- logie de la FMH.

En Suisse, l’aide au suicide est uniquement réglementée dans le Code pénal et non par une législa- tion spécifique comme c’est le cas par exemple dans les pays du Benelux. C’est pour cette raison que le Code de déontologie de la FMH revêt une importance particulière dans ce domaine.

Les directives de l’ASSM de 2012 «Prise en charge des patientes et patients en fin de vie» font partie intégrante du Code de déontologie de la FMH en vertu de la décision de la Chambre médicale du 23 avril 2013. Suite à la décision d’aujourd’hui, elles conservent donc leur validité pour la FMH même si l’ASSM les a supprimées en juin 2018.

Renseignements:

Charlotte Schweizer, cheffe de la division Communication

Tél. 031 / 359 11 50, courriel: kommunikation@fmh.ch

La FMH est l’association professionnelle des médecins suisses représentant plus de 40 000 membres. Pa- rallèlement, la FMH fédère plus de 90 organisations médicales. La FMH s’attache en particulier à ce que tous les patients de notre pays puissent bénéficier d’un accès équitable à une médecine de qualité élevée dans le cadre d’un financement durable.

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Mensonges et vérités https://www.revue-sources.org/mensonges-et-verites/ https://www.revue-sources.org/mensonges-et-verites/#respond Thu, 15 Mar 2018 02:00:47 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2518 Il est question d’enfants et de mensonges dans le dossier de ce numéro. Comme si le fait de mentir était propre au premier âge de la vie. Les enfants mentiraient pour se disculper, échapper à une punition, et donc pour survivre. Mais les adultes eux aussi luttent pour leur survie et se servent du mensonge comme d’un bouclier pour se protéger, eux et leurs amis. «J’ai l’impression de mentir toute la journée!», me disait récemment une personne respectable et… charitable. Il n’est pas certain que le couple biblique «amour et vérité» fasse toujours bon ménage.

Le mensonge serait-il un acte de bienfaisance?

Hors de la sphère individuelle, que de programmes politique fondés sur le mensonge! Notre dossier y fait largement référence. Et pas seulement en Afrique centrale, ainsi qu’une lecture rapide de ce numéro pourrait le faire croire. Le mensonge politique est un fléau notoire qui n’épargne aucun continents. L’article sur les fake news le prouve à l’évidence. Souvenons-nous du grossier mensonge diplomatique qui, il y a quelques années, provoqua au Moyen Orient une catastrophe aux conséquences néfastes incalculables et toujours irréparables. Moins graves et anodines, les promesses électorales mensongère qui n’abusent plus les citoyens des pays dits démocratiques, tant elles leur sont devenues familières. Ils ont fini par savoir les décoder et en faire le tri, avant même qu’elles ne soient soumises à leur consentement.

Le mensonge serait-il notre seconde nature et même – le plus souvent? – un acte de bienfaisance? Les dévots hypocrites reprochent à Voltaire d’avoir cyniquement recommandé l’usage universel du mensonge, jusqu’à déformer ses propos. L’exactitude des dires du châtelain de Ferney serait contenue dans la citation suivante: « Le mensonge n’est un vice que quand il fait mal. C’est une très grande vertu quand il fait du bien. Soyez donc plus vertueux que jamais. Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours. Mentez, mes amis, mentez, je vous le rendrai un jour. » (Lettre à Thiriot, 21 octobre 1736).

Grave question que l’on agitait autrefois dans les cours de théologie morale portant sur la «restriction mentale»[1]. Terme abstrait et aujourd’hui rétrograde qui peut se traduire en proverbe: «Toute vérité n’est pas bonne à dire». Non pas forcément pour se disculper, mais pour ne pas faire souffrir et même pour faire plaisir. Le médecin est-il tenu de révéler à son patient la gravité de sa maladie. Encore faut-il qu’il le sache avec précision et n’engage pas son autorité dans des révélations douteuses et incertaines. Et si c’était le cas, comment le fera-t-il savoir au malade sans lui mentir? Comment l’homme de l’art s’y prendra-t-il avec l’entourage inquiet de la santé de l’un des siens ? Et la famille saura-t-elle répéter le verdict médical au malade? Un exemple parmi des milliers d’autres sur l’usage des connaissances et leur communication appropriée. Quelle intention poursuit-on en taisant ou en affirmant une «vérité» de portée très grave?

J’ai l’impression d’ouvrir une porte que notre dossier ne fait qu’entrebâiller. Notre désir est que nos amis et amies internautes poursuivre ce débat et s’interrogent pour savoir si vraiment toute vérité est bonne à dire. Nous serions même heureux de recueillir leurs avis.


[1] La restriction mentale est une façon de tromper les gens sans être un mensonge pur et simple. Elle a été discutée comme une façon de concilier l’obligation de dire la vérité et de ne pas révéler des secrets à des personnes qui ne sont pas habilitées à les connaître.

 

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Le diable est dans les fake news https://www.revue-sources.org/le-diable-est-dans-les-fake-news/ https://www.revue-sources.org/le-diable-est-dans-les-fake-news/#respond Thu, 15 Mar 2018 01:40:43 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2526 N’en jetez plus, tout le monde s’y met. Le pape François lui-même s’est intéressé au phénomène des fake news, des fausses nouvelles, lui consacrant son message de janvier pour la journée mondiale des communications sociales. Début janvier, c’était le président français Emmanuel Macron qui annonçait devant la presse sa volonté de combattre les «bobards», mot choisi pour traduire la locution anglaise. A l’avenir, promettait Macron, il y aura une loi pour combattre ces fausses nouvelles en période électorale. Nous serions en présence d’une «épidémie de fake news», assure le Temps. Est-ce vrai? Et si c’est le cas, d’où vient-elle et que penser des remèdes proposés?

Le fait que le bobard cher à Macron ait déjà été oublié n’est pas le seul effet de l’impérialisme anglophone. C’est que les fake news renvoient immédiatement au personnage qui les symbolise aux yeux de l’opinion et dont lui-même se sert généreusement: Donald Trump, président des Etats-Unis. On sait qu’il balaie chaque nouvelle dérangeante, chaque révélation des médias critiques à son égard d’un «fake!» dédaigneux. Ce qui ne lui plaît pas est faux.

Aux mollets de Trump

Donald Trump a un rapport particulier avec la vérité. Un journaliste du New York Times qui ne lui lâche pas les mollets depuis son entrée en fonctions assure que le président aurait raconté plus de 2000 bobards au cours de sa première année présidentielle. Déjà lors de son installation à la Maison Blanche, il déclarait que «jamais autant de partisans ne sont venus soutenir un président lors de son investiture». Affirmation aussitôt démentie par les images des télévisions et par les journalistes présents. Mais une fidèle collaboratrice du président avait commenté: «Si Monsieur Trump l’a dit, sa vérité vaut bien celle des journalistes».

Cette petite phrase révèle beaucoup de choses, à commencer par la remise en question de la vérité journalistique. C’est un point sur lequel il faudra revenir. Pour comprendre la nouveauté du phénomène, il faut cependant rappeler que le mensonge est aussi vieux que l’humanité déchue depuis qu’Eve s’est laissée embobinée par le serpent. «Vous ne mourrez pas, mais vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux»: des bobards en rafale.

Dans le document cité, le pape François parle «d’une séduction rampante et dangereuse qui fait son chemin dans le cœur de l’homme avec des arguments faux et attrayants, mais qui apparaissent plausibles et même vraisemblables». La fake fonctionne parce qu’elle plaît et surtout parce qu’elle fait écho à quelque chose qui est déjà présent en nous comme désir, peur ou préjugé.

Un mensonge tentaculaire

Depuis trente ans, le monde dit civilisé vit sur un mensonge tentaculaire, monstrueux et dévorant. Je ne parle pas de la Bourse ni de ses promesses, qui mériteraient à elles seules un article, mais de l’invasion de l’Irak par l’Amérique et ses alliés en 2003. Elle a provoqué des catastrophes en chaîne: la naissance de l’Etat islamique, la déstabilisation de toute la région et l’élimination des minorités locales, en particulier les anciennes communautés chrétiennes du Moyen-Orient.

Cette invasion avait été justifiée à la tribune du Nations-Unies par les armes de destruction massive accumulées par Saddam Hussein, en particulier les armes chimiques et bactériologiques. Or ces armes n’ont jamais été retrouvées. Parce qu’elles n’existaient pas.

Voilà un cas de nouvelle fabriquée ad hoc – ce qui est le sens premier de la fake news, qui n’est pas seulement fausse, mais délibérément inventée ou truquée – et qui a eu pour conséquence l’émigration massive, bien réelle celle-ci, des réfugiés vers l’Europe et les tragédies qui l’ont accompagnée.

La manipulation médiatique fait le jeu des puissants depuis que l’opinion publique existe. Et pas seulement le jeu politique. Je pense aux études téléguidées des multinationales du tabac pour cacher la nocivité de la cigarette et aux diatribes entre climatosceptiques et climatoprêcheurs. Les images récentes d’un ours blanc traînant sa carcasse sur une lande pelée du Canada ont ému les cœurs d’artichaut du monde entier avant que de petits futés dénoncent l’arnaque au réchauffement climatique, cette île étant habituellement libérée des glaces en cette période de l’année. A les entendre, cet ours était simplement malade.

Des tweets rageurs ou moqueurs

Le mensonge est partout et de tout temps. Pourquoi les fake news donnent-t-elles l’impression d’être un phénomène nouveau et récent? Uniquement parce que tous les regards sont braqués sur Donald Trump et le danger qu’il fait courir – d’après ses détracteurs – à la vérité et à la paix dans le monde?

Le président américain communique essentiellement à coups de tweets brefs, rageurs ou moqueurs, c’est selon. C’est déjà une piste. Les fake news sont apparues sur les écrans et dans les conversations pendant la campagne présidentielle américaine à l’occasion des joutes verbales d’une rare violence entre Trump et Hillary Clinton. Trump avait contre lui la quasi totalité des médias traditionnels et l’élite intellectuelle du pays. Mais il a gagné. Parce qu’il est une bête de scène, évidemment. Mais aussi parce qu’il a pu s’appuyer sur une communication alternative, sur ses tweets suivis par des millions de fidèles. Et parce qu’il a fait passer les journalistes pour des menteurs au service des pouvoirs en place. Et cela a marché. Trump pouvait raconter n’importe quoi, il lui suffisait d’expliquer que les bobards de la caste médiatique étaient plus grands que les siens et que ces journalistes n’écoutaient pas les soucis du petit peuple conservateur.

L’émergence des fake news est liée à la perte de crédibilité des médias et des leaders d’opinion, et pas seulement aux Etats-Unis. Le Brexit et d’autres manifestations qu’on réunit sous l’étique de «populisme» sont le signe que les citoyens n’ont plus confiance dans les médias ni dans les élites. Mais si le peuple se révolte, c’est aussi parce qu’il dispose d’autres canaux d’information ou de désinformation. Les fake news circulent à la vitesse de la lumière sur les réseaux sociaux qui se moquent des filtres et des barrières de la communication médiatique traditionnelle.

Qui est allé sur la lune?

Comme dit le message du pape François, qui a bien analysé ce mécanisme, «la diffusion des fake news peut compter sur l’utilisation manipulatrice des réseaux sociaux et des logiques qui en garantissent le fonctionnement: les contenus gagnent une telle visibilité que même les dénégations venant de sources fiables peinent à en limiter les dégâts».

Et qui dit réseaux dit milieux fermés et homogènes qui n’ont pas envie d’entendre d’autres opinions. On est entre soi et on se répète des histoires délirantes: le sida a été fabriqué en laboratoire, les Américains ne sont jamais allés sur la lune, le 11-septembre a été fomenté par la CIA, etc… Et tout cela serait caché par des médias qui participeraient au complot visant à enrichir les multinationales et à éliminer l’homme blanc. Toutes choses qu’on peut lire sur internet.

La nouveauté des fake news n’est pas dans leur existence puisque les rumeurs, les fausses nouvelles et le mensonge ont toujours existé, mais dans cette diffusion puissante et rapide qui peut fausser des élections et perturber le sommeil des gens et le bon fonctionnement de la société.

A la racine du mal

Le texte du pape, qui pousse plus loin la réflexion, constate que le succès des fake news vient du fait que ce type de nouvelles au caractère provoquant, excitant ou scandaleux profite de «l’avidité insatiable qui s’allume facilement dans l’être humain. Les motivations économiques et opportunistes de la désinformation ont leur racine dans la soif de pouvoir, de l’avoir et du plaisir». La fake news est une manifestation du mal «qui se meut de mensonge en mensonge pour nous voler la liberté du cœur». Jolie formule qui va au fond des choses et qui permet de réfléchir aux remèdes proposés. Eve a croqué la pomme parce que le serpent s’est présenté comme un ami bien intentionné et qu’il a su éveiller sa curiosité et son désir tout en la rendant méfiante à l’égard de Dieu. Comment éviter de mordre dans la tentation?

La réponse d’Emmanuel Macron est connue: il y aura une loi. L’Etat se chargera de protéger la vérité contre les pouvoirs étrangers ou mal intentionnés. La nouvelle a fait sourire ceux qui pensent que les nouveaux médias sont plus forts que les Etats, mais il ne faut pas sous-estimer la vague de censure qui frappe internet. D’autres se méfient du recours au Prince: «Un pouvoir qui s’intéresse de trop près au statut de la vérité n’est jamais innocent», écrit Arnaud Benedetti, professeur associé en histoire de la communication à la Sorbonne, dans une excellente tribune[1].

La démocratie est un fait récent dans l’histoire, le journalisme aussi. L’expérience accumulée semble prouver que la meilleure réponse au mensonge n’est ni la censure ni une information contrôlée par l’Etat ni une forme de «bien-pensance» politiquement correcte. Si Trump a gagné, je le répète, c’est parce qu’une partie de l’électorat a voulu donner une leçon au mainstream médiatique qui voulait mettre Hillary Clinton à la Maison Blanche.

La vérité est relation

La réponse aux fausses nouvelles n’est pas une vérité proclamée par l’Etat, par un juge ou un groupe de presse. Elle émerge d’un effort d’information et de réflexion que chacun doit faire pour aboutir à une conviction solide: cela est vrai pour moi. Pour y arriver, il faut bien sûr disposer de sources d’informations fiables, mais internet, tant décrié, offre de très nombreux sites, blogs et autres documents en libre accès. Et il vaut la peine de rappeler que l’information a un coût, et que ce qui est gratuit n’est pas toujours bon.

La vérité naît d’abord de la relation. Entre le journaliste et le lecteur, par exemple, mais aussi entre les lecteurs et tous ceux qui s’expriment, qu’il s’agisse du prêtre en chaire ou du professeur devant ses élèves. Comme l’écrit le pape François, «le meilleur antidote contre les faussetés, ce ne sont pas les stratégies, mais les personnes». La vérité est une personne, c’est Jésus. Et chacun dispose d’un excellent outil pour combattre le mensonge: la conscience. Il y a une voix en moi qui me dit très vite si telle personne, telle information, tel journal ou site internet contribuent à ma réflexion, à mon épanouissement, à une communion plus grande ou si, au contraire, ils font le jeu du mensonge, de la division et de la résignation.

Pour entendre cette voix, il faut aimer le silence, il faut prendre le temps d’écouter et de réfléchir. Les fake news ne sont qu’une des formes du vacarme qui nous étouffe. Le comprendre, c’est déjà y échapper, c’est déjà retrouver le goût de la vérité.


Patrice Favre, journaliste suisse, rédacteur en chef du périodique romand «Echo Magazine». Cet «Hebdomadaire chrétien des familles» paraît à Genève.

[1] Famille chrétienne n. 2087 du 13 janvier.

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Ecrire droit avec des lignes courbes https://www.revue-sources.org/ecrire-droit-avec-des-lignes-courbes/ https://www.revue-sources.org/ecrire-droit-avec-des-lignes-courbes/#respond Thu, 15 Mar 2018 01:30:40 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2530 Fake news,  informations tronquées ou maltraitées, ragots de bas étages aux plus hauts niveaux: Le triomphe de Pinocchio?

Nous avons certes de multiples raisons de mentir. Identitaires d’abord: il y va de notre image pour ne pas nous laisser surprendre en état de faiblesse, d’erreur, de maladresse: que vont-ILS dire? Sociales ensuite: nous voulons être dans le vent, voire en rajouter, pour ne pas avoir l’air de faire bande à part. Peu importe alors que nous desservions la vérité, pourvu que nous nous rallions aux cris de la foule. Politiques, pour défendre unilatéralement une position, refuser nos responsabilités, voire relire l’histoire selon nos intérêts… Mensonges pour avoir davantage, feindre d’en savoir plus, et finalement exercer un pouvoir accru: la stratégie de Satan pour tenter le Christ ne dit pas autre chose! Mensonge qui nous coupe d’autrui. A qui faire confiance? Comment garder espoir? Et ne pas nous méfier de tout amour, en pensant, comme d’aucuns, que les animaux, aux réflexes certes violents mais pas vicieux, sont de meilleurs amis que les hommes?

Toujours néfaste?

Mais le mensonge ne sert-il pas aussi à nous protéger? L’enfant d’un chagrin trop violent, le malade de l’annonce du caractère inexorable de ses souffrances, la personne fragile d’une parole trop dure? Ne fuyons-nous pas tous ces parangons de justice qui ne cessent de nous taper sur la tête pour nous asséner leurs soi-disant quatre vérités? Et n’avons-nous pas tous expérimenté qu’il y a bien souvent de bonnes raisons de différer, voire de ruser, pour éviter de blesser ou de se mettre soi-même dans une situation très inconfortable, sans oublier toutes les situations où nous devons recourir à des feintes pour préparer une surprise? Au reste la résistance à l’oppression n’implique-t-elle pas des formes subtiles de mensonge, car comment auraient réussi sinon ceux qui ont caché des personnes persécutées au risque de leur vie? Plus fondamentalement la vérité dite divine n’est-elle pas souvent un bon prétexte à ne pas nous remettre en question, à nous réfugier frileusement derrière de pieuses mantilles, qui s’appellent règlements, règles, lois, commandements, au risque de les interpréter à la lettre et de faire taire en nous la conscience que l’injustice ou la guerre révolte? Bref toute vérité est-elle bonne à dire, et le mensonge est-il toujours néfaste?

Une relation avant tout

Poser la question ainsi est sans doute nous condamner à ne pas lui trouver de réponse. Il est évident qu’à moins d’être dénaturés nous haïssons tous le mensonge, et nous cherchons tous la vérité. En théorie. Parce qu’en pratique, ce qui devrait compter plus que tout, ce n’est pas d’abord la vérité en soi, mais une relation humaine habitée par une exigence de vérité. Et cela change tout. Le Christ n’a pas dit: «la vérité. C’EST…» , mais «JE SUIS la VERITE». La vérité a un visage: de bonté, d’écoute, de miséricorde, elle invite à cheminer patiemment, pas à asséner des coups de matraque aux récalcitrants.

Prenons un cas délicat: je dois annoncer à un collaborateur que l’entreprise dans laquelle il travaille va le licencier pour des raisons économiques. J’ai plusieurs possibilités.

– Je lui envoie une lettre recommandée avec mise en congé rapide, et m’arrange pour le faire à un moment où je sais devoir être absent.

– Je délègue ma mission à un autre collaborateur, sous un prétexte fallacieux.

– Je rencontre la personne, mais lui présente la situation en tentant de lui trouver des torts pour ne pas assumer la réalité crue.

– Ou alors j’empoigne le dossier, essaie de comprendre la situation de la dite personne et me donne suffisamment de temps pour envisager aussi les pistes qui peuvent s’ouvrir devant lui au-delà de sa mise à pied: comment pouvons-nous accompagner ce départ, ouvrir des possibilités inédites, transformer une situation insoutenable en nouvelle chance d’orientation? Et si, de surcroît cette personne doit partir parce qu’elle n’a pas rempli correctement ses engagements, vais-je avancer des arguments factices? Où trouver les moyens – soit personnellement soit en l’orientant vers une personne compétente – de lui faire prendre conscience de ce qui l’empêche d’être à la hauteur de sa tâche, voire de ce qui lui conviendrait mieux, bref des perspectives possibles au-delà de l’échec présent? Dit autrement, sortir d’une attitude de déni ou de mensonge implique de s’investir. La vérité n’est pas un donné «c’est ainsi», mais un compagnonnage: cherchons ensemble ce qui est le meilleur dans ta situation, ne nous cachons pas le visage en feignant de penser qu’il est normal que tout soit évident et immédiat.

Mitrailler l’instant

«Immédiat»: une clef pour comprendre l’impact des fack news: elles nous mitraillent dans l’instant, tuent notre sens critique, notre volonté de comprendre le sens d’une réalité. Elles nous donnent l’illusion du pouvoir – moi, je sais – en paralysant notre capacité de rebondir, de prendre le temps d’aller plus loin en profondeur. Elles scotchent notre humeur à la rumeur. Perverses, elles détournent la personne de sa vraie identité, en l’enfermant dans un corset de faux-fuyants, en l’empêtrant dans le leurre du chasseur, bref la coupent du réel, partant d’elle-même et de sa source vive.

Mais dénouer l’écheveau des mensonges relève moins d’argumentations savantes, enchaînant d’interminables et inefficaces parties de ping-pong pour savoir qui a raison que d’un changement de regard: je discerne ton vrai visage au-delà de tes bavardages. La vérité, telle une graine, a besoin de temps pour éclore, sous des formes souvent humbles – le Verbe, Parole vive,  ne s’est-il pas lui aussi fait humus? – . Elle germe là où de vraies relations humaines lui offrent un terreau favorable. Terreau de confiance: je peux croire en toi, parce que tu m’as regardé avec une bonté lucide, que tu as deviné ma face à travers de mes grimaces. Terreau d’espérance: parce que tu repères ce qui éclot au-delà de l’erreur et de l’obscurité, je peux, à mon tour, me mettre en route et nettoyer mon ciel de ses scories. Et terreau nourri d’amour, pour soutenir la croissance de ce qui tente de mûrir à travers les entrelacs de nos existences souvent chahutées mais en quête de sens, partant de clarté: «Dieu écrit droit à travers des lignes courbes» résumait Paul Claudel en exergue du «Soulier de Satin»…


Monique Bondolfi

Monique Bondolfi-Masraff, professeur de philosophie, est membre de l’équipe rédactionnelle de SOURCES.

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Vivre au-delà de 75 ans! https://www.revue-sources.org/vivre-dela-de-75-ans/ https://www.revue-sources.org/vivre-dela-de-75-ans/#respond Wed, 30 Mar 2016 10:06:17 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1211 [print-me]

Ezechiel J. Emanuel est un médecin américain de 59 ans qui a lancé un gros pavé dans la mare en publiant, en 2014, un article, dans la revue «The Atlantic», où il déclare qu’il ne désire pas vivre au-delà de 75 ans. Il est, de manière étonnante, fermement opposé au suicide assisté et à l’euthanasie, mais il déclare qu’il va refuser tout traitement qui pourrait prolonger sa vie à partir de cet âge limite. Passé l’effet d’annonce, on dira que dans sa proposition, il a raison et il a tort.

Il a raison

Il a raison quand il dénonce l’obsession de vivre le plus longtemps possible à n’importe quel prix, quand il stigmatise une médecine qui, dans son illusion de toute-puissance, tente d’empêcher les gens de mourir, une médecine qui ne donne que des réponses techniques à des problèmes spécifiques: une pneumonie implique un antibiotique, une insuffisance rénale une dialyse, etc. On répond du tac au tac à un symptôme, mais souvent, même s’il ne faut pas généraliser, on ne sait plus ou on ne fait plus l’effort de replacer ce symptôme dans la dynamique d’une vie. On ne sait plus lire le temps et reconnaître quand vient le temps du mourir.

E.J.Emanuel a aussi raison quand il ridiculise «l’Américain immortel» avec son désir de rester jeune indéfiniment, de ne pas laisser la vieillesse s’installer à son rythme. On parle de médecine ou de thérapies «anti-âge», comme si on pouvait s’extrtaire du temps. Son texte nous provoque alors à retrouver la vieille notion grecque du kairos c’est-à-dire le fait que tous les temps ne se valent pas, qu’il y a des temps opportuns pour agir et d’autres où il faut se retenir d’agir.

Il a tort

Il a tort quand il explique que ce qui le motive ce n’est pas le respect de la dynamique de la vie et du temps du mourir, mais le regard qu’il porte sur la vieillesse. Pour lui, il n’y a pas d’intérêt à vivre quand on est vieux. Après 75 ans, dit-il, ce qui fait la qualité de vie s’en va petit à petit. C’es le point choquant de sa déclaration, sa manière de dire que la vie dans l’âge avancé «est creuse », qu’elle n’a plus d’intérêt et qu’elle devient un fardeau pour soi et pour autrui. La vieillesse ne serait qu’un déclin et un flétrissement où nous perdrions inévitablement notre créativité.

Qu’est-ce qui fait la valeur et la beauté d’une vie ? C’est de la vivre tout simplement.

Pour cet universitaire, trois éléments font la valeur de la vie : travailler, avoir une vie sociale et avoir des loisirs. On est dans une logique de la performance, de l’image que l’on se donne, mais aussi de l’image que l’on donne aux autres ou que l’on croit devoir leur donner. J’avais été très interpellé, jeune médecin, par la réflexion de la fille d’une patiente décédée d’une maladie d’Alzheimer avancée dans un EMS: «Je vous remercie pour ces deux ans, car j’en avais absolument besoin pour terminer mon histoire avec ma mère». E.J. Emanuel aurait sûrement considéré qu’il eut mieux valu que cette mère ne vive pas ces années-là. Mais qui peut savoir la valeur d’une vie avant de l’avoir vécue ? En tout cas, celle-ci ne dépend pas de ce que peut produire la personne comme le croit notre auteur.

La vie de toute personne humaine a, en soi, une valeur infinie nous dit Kant. Nous disons en tant que chrétiens que cette valeur vient du fait qu’elle est porteuse de l’image de Dieu quoi qu’il arrive. Cela ne veut pas dire qu’il faille chercher à la prolonger le plus possible, mais que, quand elle est là, à 40 ou 90 ans, il faut en reconnaître non seulement la grande valeur, mais aussi, et peut-être surtout, la beauté. Toute créature, disait saint Bonaventure reflète de manière imparfaite, la beauté sans limites du Créateur. C’est à partir de cette conviction qu’il faut aller à la rencontre de toute vie et non avec des statistiques sur l’âge optimal de la productivité intellectuelle. Postulant la beauté de tout âge il faut parfois partir à sa recherche, parce que les clés de lecture fournies par notre culture nous empêchent de la voir. Ce qui est alors à critiquer ce sont ces manières de regarder la vieillesse et non la vieillesse elle-même dont nous ne savons plus voir la beauté.

Il est intéressant de voir que dans l’article d’Emanuel, celui-ci reconnaît que son idée ne plaît pas à tout le monde, et en particulier pas à ses filles, à ses frères et à ses amis proches, en somme aux gens qui l’aiment. Alors que lui fait un raisonnement intellectuel sur l’intérêt de rester en vie, ils lui disent qu’ils veulent le garder avec eux, même sans travail, sans brillance relationnelle et même s’il ne sait plus jouer au poker.

Valeur et beauté d’une vie

Qu’est-ce qui fait la valeur et la beauté d’une vie ? C’est de la vivre tout simplement, à l’âge qu’on a, d’être là avec ses forces et ses faiblesses, sa vitalité ou sa lenteur, c’est de durer dans la vie malgré tout, de la faire advenir avec ce qu’on possède, si peu que cela soit et surtout de la tisser avec les vies de ceux qui sont autour de nous. Dans cette coexistence, il y a alors toute la place pour les vieux, qu’ils soient actifs et brillants ou fatigués et ralentis, qu’ils partent faire du trekking au Népal ou qu’ils restent assis là, ne serait-ce qu’avec leur seule présence à offrir. E.J. Emanuel réfléchit tout seul et ne se laisse pas influencer. «I am sure of my position» dit-il repoussant le discours de ses proches. Il est sûr qu’il faut être performant et que rien d’autre ne dit la beauté de la vie. Au fond, son article est plus triste que révoltant. Comme s’il escaladait le Mont Blanc et voulait en redescendre aussitôt sous prétexte de ne pas y avoir trouvé de McDonald! Sans même soupçonner la beauté du site!

Cet article est une version légèrement modifiée d’un texte paru dans «L’Echo Magazine» du 21 janvier 2016. Repris par SOURCES avec l’autorisation d’E.M.

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Thierry Collaud

Thierry Collaud

Thierry Collaud est médecin et théologien. Professeur d’éthique sociale chrétienne à l’université de Fribourg.

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Ambiguïtés face à la mort https://www.revue-sources.org/254/ https://www.revue-sources.org/254/#respond Wed, 01 Jul 2015 14:58:43 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=254 [print-me]

Affronter la mort n’est pas simple. Entre rejet et attirance, savons-nous toujours nous situer? Le danger, comme souvent en morale, vient d’une vision du monde trop binaire, trop simpliste, nourrie de réponses toutes faites.

Il y aurait dans ce monde-là, les défenseurs de la vie et les partisans de la mort. Il faudrait prendre parti pour les premiers et combattre les seconds. Mais est-ce si simple? Est-on vraiment dans un camp ou dans l’autre? On est, et c’est beaucoup plus inconfortable, à la fois dans l’un et dans l’autre. On illustrera cette ambiguïté difficile à assumer, mais inévitable, par les deux exemples de l’outil casuistique du double effet et de l’usage ambigu de la sédation.

Double effet

Il faut casser l’idée encore trop fréquemment répandue que les analgésiques, tout en soulageant la douleur, accéléreraient la mort. Cette question a fait l’objet de nombreuses recherches qui arrivent toujours à la conclusion que les analgésiques, entre autres la morphine, même utilisés à des doses importantes, ne raccourcissent pas la vie. Ceci est inlassablement répété depuis des années par les spécialistes des soins palliatifs pour lever la retenue souvent constatée dans l’usage de ces médicaments, par peur de provoquer la mort.

Il faut casser l’idée encore trop fréquemment répandue que les analgésiques, tout en soulageant la douleur, accéléreraient la mort.

Cette croyance erronée en la simultanéité proportionnelle de l’effet analgésique et de l’effet mortel a été l’occasion de l’importance donnée à la règle dite du « double effet » dans le champ de la bioéthique. Selon celle-ci, si ce qui est recherché est la disparition de la douleur et non la mort du patient, on peut accepter des pratiques qui, ayant pour but principal le soulagement, accélèrent la mort bien que cela ne soit pas directement voulu.

Cette règle prudentielle met bien en évidence l’ambiguïté inévitable de nos prises de décision qui amènent toujours à des résultats où se mêlent le juste et le faux, le désirable et l’indésirable. Mais elle ne va pas assez loin dans la prise en compte de l’ambiguïté, dans la mesure où celle-ci peut se trouver au niveau de l’intention elle-même. Il y a quelques années, une enquête avait montré, chez la moitié des médecins étudiés, une volonté affichée de soulager les symptômes, mais en même temps un désir plus ou moins caché d’accélérer la mort.

La règle du double effet semble, dans ces cas-là, servir d’excuse facile. En se focalisant sur l’intention principale, elle néglige les intentions secondaires alors qu’il faudrait en prendre conscience et les travailler, en chercher le pourquoi.

Sédation

La sédation utilisée dans des situations palliatives est une situation qui se prête particulièrement à cette confusion des intentions. On l’utilise depuis plus de 20 ans en soins palliatifs, mais elle est apparue dans les lumières médiatiques suite à son insertion dans une nouvelle loi française. Techniquement, la sédation consiste en l’administration d’une médication sédative pour réduire l’état de conscience d’un patient de manière à soulager des symptômes difficiles à supporter, ne répondant pas aux autres traitements.

Dans le jeu des ambiguïtés mentionnées ci-dessus, la sédation peut, soit se révéler un outil très précieux, ou bien glisser vers une forme déguisée d’euthanasie.

Dans son bon usage, elle est utilisée par exemple pour soulager des douleurs paroxystiques ou une détresse respiratoire insupportable. Appliquée correctement, elle permet un réveil régulier du patient où on apprécie la situation et l’éventuelle amélioration des symptômes permettant de la stopper.

La sédation peut, soit se révéler un outil très précieux, ou bien glisser vers une forme déguisée d’euthanasie.

Mais comme on l’a montré, au désir de soulager se mêle parfois insidieusement le désir que cela finisse, que le patient puisse enfin être délivré d’une situation lourde pour lui, mais aussi pour les proches y compris les soignants. S’y ajoute aussi l’analogie mort-sommeil. Le sommeil est une des manières de représenter la mort, et sous cette forme elle en devient presque attirante. Que de fois sur des faire-part de décès ne lit-on pas que la personne «s’est endormie», qu’elle a enfin «trouvé le repos».

On voit là le danger du glissement: endormir pour soulager, et laisser dormir jusqu’à la fin. Le législateur français a cédé à la tentation en prévoyant dans des situations particulières, un droit à la « sédation profonde et continue jusqu’au décès ». On est à l’opposé de ce qui devrait être la sédation en soins palliatifs: légère, réversible et temporaire, respectant le rythme du patient, essayant de maintenir ou de rendre à nouveau possible un maximum de présence, de vie. Non pas parce qu’on refuserait la mort, mais parce qu’une personne, fut-elle mourante, reste jusqu’à la fin un être pleinement vivant et qu’il nous incombe de ne jamais céder à la tentation de dire qu’il n’y a plus rien à en espérer.

Nous devons aider à vivre, même si c’est difficile, même s’il faut par moments fermer les yeux pour pouvoir mieux les rouvrir, mais non pas enfoncer l’autre dans un sommeil mortifère pour que sa vie ne fasse plus de bruit, même si c’était plus aisé.

Il n’est pas possible de sortir de nos ambiguïtés, elles font partie de nous. Il faut en être conscient et plus encore, il faut aller les débusquer dans nos profondeurs cachées. Il faut oser prendre conscience que tous, nous pouvons avoir en même temps des désirs de vie et des désirs de mort. Le défi étant d’entretenir les premiers et de combattre les seconds et non de nous réfugier derrière la casuistique souvent hypocrite du double effet ou l’image rassurante d’un endormissement faussement paisible.

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Thierry Collaud, médecin et théologien, est professeur à la chaire d’éthique sociale de le Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg.

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Diagnostic préimplantatoire https://www.revue-sources.org/diagnostic-preimplantatoire/ https://www.revue-sources.org/diagnostic-preimplantatoire/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:08:54 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=214 [print-me]

Tout au cours de nos livraisons de l’année 2015, la rédaction de l’Eclairage sera confiée au Professeur Thierry Collaud. A chaque parution, il portera un regard professionnel sur un problème éthique qui actuellement défraie la chronique. Quelques lignes brèves et transparentes suffiront à permettre au lecteur de se forger lui-même une opinion voire même un jugement. Aujourd’hui: la question très débattue du « diagnostic préimplantatoire ». De quoi s’agit-il? Que faut-il en penser?

Nous avons été confrontés ces derniers temps et le serons encore au diagnostic préimplantatoire (DPI). Sans prétendre épuiser le sujet, je voudrais souligner trois aspects de cette pratique sur lesquels l’éthicien va achopper.

Ce nom si peu poétique est celui d’une technique développée pour répondre à la souffrance et au désarroi que représente la naissance d’un enfant handicapé. Souffrance réelle, il ne faut pas le nier, mais pour beaucoup aussi souffrance fantasmée. On imagine ce que sera la vie perturbée par l’impensable d’un handicap. Face à la souffrance, on veut savoir si on peut en être épargné. Peut-on m’assurer que mon enfant ne sera pas handicapé?

Souffrance Fantasmée

Nous touchons là une première difficulté éthique qui est cette impossibilité où nous sommes de nous rendre disponibles pour une relation sans en avoir fait au préalable un scénario. Nous mobilisons ce que le philosophe E. Levinas appelle « l’idée de l’autre en moi« , les projections, les espoirs, les désirs et les peurs face à cet autre avec qui nous allons être appelés à vivre. Nous nous trouvons là avec l’idée que la vie va être plombée par ce handicap de départ.

Il s’agit donc bel et bien de trier entre des vies humaines désirables et indésirables.

Qu’est-ce que cette attitude dit de notre capacité à recevoir l’autre comme un don et à commencer une histoire avec lui, indépendamment de ses blessures, ou à gérer les handicaps qui arrivent en cours de route? L’enfant né sain, mais qui a un accident par la suite et qui reste handicapé, faut-il l’éliminer aussi, demande Jeanne B., une femme lumineuse souffrant de mucoviscidose et qui tremble à l’idée que si ces techniques avaient été offertes à sa mère, elle ne serait certainement pas là.

Trier entre vies désirables et indésirables

Deuxième pierre d’achoppement: le tri. Le terme « diagnostic » induit en erreur puisque, ayant obtenu en laboratoire un certain nombre d’embryons, il s’agit de sélectionner celui qui sera le plus apte, celui qui aura la « meilleure qualité », disent souvent les scientifiques. Le diagnostic n’intervient que pour désigner l’embryon indésirable qu’il faut éliminer. La technique devrait alors plus justement s’appeler tri ou sélection préimplantatoires. On se réfugie souvent derrière l’argument disant que le tri survient à un stade où l’embryon ne comporte que quelques cellules et qu’on ne trie pas vraiment des êtres humains. Dans son message aux chambres, le Conseil fédéral parle de l’embryon comme n’étant pas « un être humain à part entière mais son étape préalable ». À voir! Mais même si cet argument était recevable, le tri, lui, se base sur les caractéristiques futures que ces embryons vont développer après leur naissance. Il s’agit donc bel et bien de trier entre des vies humaines désirables et indésirables.

Logique eugénique au profit des riches

La troisième difficulté éthique, que l’on aborde moins, a trait à la justice sociale au niveau international. Pourquoi, à la différence de la Suisse et des pays qui nous entourent, n’y a-t-il pas, à ma connaissance, de débats nationaux sur l’opportunité d’introduire le diagnostic préimplantatoire au Malawi, au Burundi ou en République centrafricaine (trois pays en queue de classement pour leur PIB)? Parce que ces techniques extrêmement complexes sont réservées à ceux qui en ont les moyens, c’est-à-dire, et encore pour longtemps, aux pays riches que nous sommes. Or si nous acceptons d’entrer dans cette logique eugénique (le terme est assumé par le Conseil fédéral), cela signifie que nous aurions au final, ce que certains vont considérer comme une amélioration de la « qualité » de la population du nord, les pays du sud ayant, en plus de leur pauvreté endémique, le poids d’un plus grand nombre de personnes handicapées, mais aussi le poids de notre regard stigmatisant.

Je pense pour finir à François d’Assise dans son rapport aux lépreux, état indésirable s’il en est. Dans sa jeunesse, ceux-ci lui faisaient horreur et leur vue lui était insupportable. Le réflexe eut été de s’en distancer, de valider leur expulsion de l’espace social, mais François fait le chemin inverse, il les fréquente, mange avec eux, voire les embrasse. Faut-il y voir une forme d’ascétisme masochiste? L’interprétation qu’il donne est plutôt celle de l’abandon des peurs et de ce que j’ai appelé au début la souffrance fantasmée, la capacité d’une rencontre fraternelle qui amène à la vraie joie: « ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps ».

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(Photo: Pierre Pistoletti)

(Photo: Pierre Pistoletti)

Thierry Collaud est père de famille, médecin et théologien. Il occupe la chaire de théologie morale spéciale à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Thierry Collaud est également président de la Commission de bioéthique de la Conférence des Evêques Suisses (CES).

 

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Révolution numérique https://www.revue-sources.org/revolution-numerique-genese-et-enjeux/ https://www.revue-sources.org/revolution-numerique-genese-et-enjeux/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:13:29 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=250 [print-me]

Un siècle a suffi pour que s’édifie solidement un «village planétaire», véritable monde unifié où l’information circule à une vitesse incroyable. L’évolution technologique, longuement et discrètement façonnée, connut un tournant décisif au cours du XXe siècle. En l’espace d’une soixantaine d’années une véritable révolution numérique a déferlé sur le monde, nivelant au passage bon nombre de frontières. Quelle est la genèse de cet avènement et quelles perspectives laisse-t-il poindre? Quels enjeux suscite-t-il aujourd’hui et quel regard poser sur ce que Benoît XVI appelait «le continent numérique»? Autant de questions qui constituent la trame de ce propos.

Un phénomène extraordinaire?

Beaucoup en conviendront: il y a quelque chose de fascinant dans l’évolution technologique. Ses avancées continuent d’émerveiller. Les plus âgées se souviennent de la première voix émanant d’une radio ou de la première image retransmise par un poste de télévision. Aujourd’hui encore, on reste frappé d’étonnement quand il suffit de pointer un smartphone vers le ciel pour découvrir non seulement d’où est parti l’avion qui vole sur notre tête, mais également son itinéraire, l’heure prévue de son atterrissage et la vitesse avec laquelle il se dirige vers la ville où il déposera la centaine de personnes qu’il transporte.

Dans le même temps, nous pressentons bien quelques éléments négatifs dans cette course au développement technologique. Or la critique est rendue difficile pour deux raisons: d’une part, l’incessante innovation tend à rapidement submerger celui qui s’y intéresse; d’autre part, la fascination d’un grand nombre devant cette déferlante numérique étouffe les voix critiques.

Ce que nous appelons depuis une vingtaine d’années la «révolution numérique» est un fait massif et, semble-t-il, soudain. Ordinateurs, smartphones et autres tablettes ont envahi l’espace. On les retrouve non seulement dans nos foyers, mais aussi dans les transports publics, les écoles ou encore les restaurants. Cet avènement prend des allures quasi mystérieuses: comment en sommes-nous arrivés là si rapidement? Une telle évolution, si universelle et précipitée, semble défier la logique. Or, il n’en est rien. Avant d’en souligner les enjeux, il est intéressant de nous pencher sur la genèse de cette révolution afin de «démythifier» ce phénomène, mais aussi de favoriser sa compréhension.

Révolution numérique: une définition…

L’expression «révolution numérique désigne l’introduction progressive mais massive de la technologie numérique dans tous les domaines et les moments de la vie, du niveau social – économie, administration, espaces publics – au niveau individuel – équipements domestiques, activités de loisir jusqu’aux objets que l’on porte sur soi ou désormais en soi. Dans les faits, la révolution numérique est une évolution technique extrêmement rapide qui ne cesse de se développer depuis la seconde partie du XXe siècle. Comparable à la révolution industrielle, elle est directement associée à la naissance puis au développement de l’informatique. En effet, l’informatique, en s’appuyant sur des moyens de communication toujours plus efficaces, a contribué à l’émergence d’un réseau mondial tentaculaire qui ne cesse de se densifier par de nouveaux supports.

Comment en sommes-nous arrivés là si rapidement ? Une telle évolution si universelle et précipitée semble défier la logique.

«Informatique» reste un de ces mots-valise qui tend à échapper à une définition ciselée. En soi, le terme désigne la numérisation de tout type d’information: caractère d’imprimerie, son, forme, couleur et, de là, mot, texte, musique, photographie, film etc. Cette numérisation, qui s’exprime par une combinaison binaire – en l’occurrence de 0 et de 1 –, a pour but de stocker, d’éditer et de transmettre ces informations au moyen d’une pléthore d’appareils dont les plus connus sont les ordinateurs, les tablettes ou encore les smartphones. Ces appareils toujours plus performants permettent aujourd’hui à des milliards d’individus d’effectuer des tâches toujours plus complexes dans des délais toujours plus courts – au point que l’on s’accorde à dire qu’ils sont dotés d’«intelligence artificielle».

Fondamentalement donc, l’informatique repose sur des chiffres – historiquement d’ailleurs, les premiers ordinateurs n’étaient que de simples machines à calculer. D’une certaine manière, ce phénomène remonte à l’Antiquité, dès lors que les humains ont commencé à concevoir abaques et bouliers. Pour comprendre comment son développement a donné lieu à l’émergence d’un village planétaire, il est intéressant d’approcher non seulement son évolution technique, mais aussi de souligner quelques étapes-clé de l’édification d’un réseau de communications qui relie aujourd’hui la quasi totalité du monde habité. Loin de lister toutes les étapes qui relie l’ordinateur au boulier, brossons un tableau général des grandes évolutions de l’informatique et de la manière dont elle a investi notre monde.

et une genèse

Au XVIIe siècle déjà, deux événements sont à relever: l’invention de la «pascaline» et l’institutionnalisation de l’esprit des télécommunications. Influencé par l’hypothèse que la pensée peut se formuler de façon systématique par le biais d’un langage mathématique[1], Blaise Pascal met au point la première machine à calculer dont le fonctionnement permet de traiter un algorithme, principe fondamental s’il en est de l’informatique. Dans le même temps, Henri IV fait créer un corps de courriers chargé de transporter les correspondances administratives et privées. En 1612 un service de diligences transportant à la fois courriers, paquets et voyageurs est mis sur pied. La «poste» est née et, avec elle, une première ébauche d’un réseau qui ne cessera de se densifier.

Au XVIIIe siècle, dans le but d’automatiser le fonctionnement des métiers à tisser, le Français Jean-Baptiste Falcon invente le système de cartes perforées – morceau de papier rigide contenant des informations représentées par la présence ou l’absence de trou dans une position donnée. Dès lors, émerge ce qui constituera le cœur de l’informatique: le système binaire[2]. Le siècle des Lumières verra également naître l’Encyclopédie dont le but de promouvoir l’universalisme préfigure, d’une certaine manière, les notions de réseaux et de «village global». Un siècle plus tard, le réseau ferroviaire affinera encore cette préfiguration.

Le XIXe siècle verra naître la «machine analytique» du mathématicien anglais Charles Babbage. Véritable ancêtre de l’ordinateur, cet appareil, alimenté par l’énergie à vapeur, associe la machine à calculer de Pascal et le système de cartes perforées des métiers à tisser inventée par Falcon. Le siècle est également marqué par des inventions décisives dans le domaine des télécommunications. En 1844, Samuel Morse effectue la première démonstration publique du télégraphe, en envoyant un message sur une distance de 60 kilomètres entre Philadelphie et Washington. En 1858, le premier câble transatlantique est tiré entre les Etats-Unis et l’Europe. En 1876, l’Américain Graham Bell invente le téléphone. L’énergie électrique, quant à elle, est mieux maîtrisée. La fin du siècle, enfin, verra naître le tube cathodique qui servira aux premiers écrans de télévision puis aux ordinateurs – jusqu’à l’invention de l’écran plat.

Au début du XXe siècle, l’électricité investit l’industrie, l’éclairage public, le chemin de fer puis les foyers. En 1906, la voix est pour la première fois enregistrée sur les ondes radio et, en 1926, l’Écossais John Logie Baird effectue la première retransmission télévisée publique en direct.

Un tournant décisif

Les années trente et quarante marquent un tournant décisif. En 1930, l’Anglais Fredrik Bull crée la première entreprise développant et commercialisant des équipements mécanographiques en utilisant le principe des cartes perforées. L’Allemagne nazie s’intéresse de près à ce procédé. En 1941, à Berlin, l’ingénieur Konrad Zuse met au point le Z3, calculateur électromécanique, première machine programmable entièrement automatique.

C’est aux Etats-Unis, cependant, que s’amorce véritablement la révolution numérique. En l’espace de trois ans, de 1945 à 1948, trois prouesses technologiques marqueront le début d’une hégémonie américaine en terme de progrès technique. En effet, durant cette période, l’ingénieur Vannevar Bush imagine une machine à mémoriser mécanique qui stocke des microfilms. Dans les murs de l’Université de Pennsylvanie, l’ENIAC[3] devient en 1946 le tout premier ordinateur mondial. Enfin, en 1948 le transistor ouvre la voie à la miniaturisation des composants.

Et tout va très vite

Dès lors tout va aller très vite: en 1958 Jack Kilby invente le circuit intégré, un composant capable d’effectuer plusieurs fonctions complexes sur un minuscule support en silicium. La même année, la société téléphonique Bell met au point le modem, un périphérique permettant de transmettre des données binaires sur une ligne téléphonique – Internet pointe le bout de son nez. En 1961 Léonard Kleinrock développe une technologie permettant d’accélérer le transfert de ces données. Grâce à ses recherches, le projet Arpanet[4] voit le jour en 1969. Mis en place dans le contexte de la Guerre froide, ce réseau, qui deviendra l’internet, poursuit initialement un but militaire. L’objectif est de créer un réseau de télécommunication de structure décentralisée, capable de fonctionner malgré des coupures de lignes. En 1971, vingt-trois ordinateurs sont reliés sur Arpanet et le premier courriel est envoyé.

En 1977, l’Apple II est l’un des premiers ordinateurs personnels fabriqué à grande échelle. Conçu par Steve Wozniak – cofondateur, avec Steve Jobs, de la société Apple – il gagne la sphère privée. En 1981, le numérique envahit littéralement la vie quotidienne lorsque l’IBM-PC fait irruption dans les foyers. En 1983 le mot «Internet» fait son apparition. 562 ordinateurs sont connectés en août[5].

En 1990, Arpanet disparaît pour laisser la place au World Wide Web[6]. En 1992, on dénombre un million d’ordinateurs connectés pour 130 sites internet. Très rapidement cet archipel devient un labyrinthe: en quatre ans à peine le nombre de sites explose: on en recense rapidement plus d’un million. Dès lors, l’orientation devient un enjeu de taille dans cette masse énorme de données. Les premiers moteurs de recherche voient le jour[7].

Le premier smartphone date de 1992. Commercialisé deux ans plus tard, il est l’objet le plus symbolique de la révolution numérique: tenant dans la main et pouvant être utilisé presque en tout lieu, il concentre toute sorte de fonctions: téléphone, appareil photo, ordinateur, poste de radio etc.

En 2000, alors qu’Internet passe au haut-débit, 368 millions d’ordinateurs sont connectés dans le monde. Le réseau se démocratise progressivement: un grand nombre d’individus se l’approprient en ouvrant leur propre site. Les nouveaux moyens d’expression deviennent de plus en plus intuitifs et ne requièrent plus de compétences informatiques très spécifiques. Dès lors Internet n’est plus conçu comme une «autoroute de l’information», mais plutôt comme une «société de communication»[8]. Ce que l’on peut également nommer le «web participatif» verra l’émergence d’interactions toujours plus nombreuses. Dans ce contexte Jimmy Wales et Larry Sanger fondent Wikipedia, première encyclopédie collaborative. Les réseaux sociaux font leur apparition: en 2004, Mark Zuckerberg crée Facebook; deux ans plus tard, Jak Dorsey met en place Twitter. Internet s’immisce dès lors dans tous les domaines de la sphère privée. Les premières années de la décennie 2010 sont caractérisées par deux éléments: d’une part, par le fait que la traditionnelle distinction entre vie privée et vie publique ne cesse de s’estomper; d’autre part, par l’avènement des «big data», lié au fait que l’ensemble des informations circulant dans le monde est devenu si volumineux qu’il exige de nouveaux outils.

Et demain? A la pointe de la technologie

Si l’on en croit la presse spécialisée, la révolution numérique a encore de beaux jours devant elle. Parmi les derniers rejetons d’une technologie toujours fleurissante: les lunettes interactives Google. Selon certains spécialistes, elles pourraient rapidement s’imposer dans le grand public et atteindre plus de 20 millions d’unités vendues d’ici 2018[9]. Le principe de ces lunettes révolutionnaires: «pouvoir accéder immédiatement à des informations pratiques provenant d’Internet par l’intermédiaire d’un minuscule écran semi-transparent fixé sur une monture»[10]. Ses avantages? Un GPS pour s’orienter dans les rues ou au volant de sa voiture; la possibilité de lire ses nouveaux mails directement dans la lunette, découvrir des informations pratiques liées à des commerces, des lieux ou des monuments ou encore prendre des photos et des vidéos[11], le tout par commande vocale, bien évidemment.

Bien que la finalité annoncée d’un tel projet soit bonne, il ne peut se soustraire à d’urgentes questions éthiques.

Ultime développement médiatisé en janvier de cette année: l’ordinateur quantique. Un ordinateur capable d’être théoriquement des millions de fois plus puissant que nos «bonnes vieilles» machines qui fonctionnent – encore – sur un système binaire. Synthèse entre physique quantique et informatique traditionnelle, cette machine ne calculerait plus seulement avec des 0 ou des 1, mais aussi avec des variables qui peuvent être des 0 et des 1 au même moment[12].

Où va-t-on s’arrêter?

Qui ne s’est jamais posé la question de savoir où va s’arrêter cette technologie. Personnellement, je me souviens l’avoir naïvement posée à l’un de mes professeurs d’informatique un jour qu’il nous présentait ses hypothétiques perspectives. «Lorsque le paradis sur terre sera instauré» m’avait-il répondu d’un ton péremptoire! Tout un symbole: la technologie se substituerait ainsi aux grandes aspirations religieuses ou politiques! Qu’elle soit explicite ou non, une telle opinion – prégnante sous nos latitudes – associe ainsi développement technologique et progrès social. L’expression «révolution numérique» est d’ailleurs connotée en ce sens. Elle servirait le progrès de l’humanité à différents niveaux: social, économique, mais désormais également sur un plan anthropologique. En effet, les penseurs transhumanistes attendent de cette révolution qu’elle transforme radicalement l’espèce humaine[13].

En ce sens, le Human Brain Project (le «Projet du cerveau humain»), dirigé par une équipe de l’École polytechnique fédéral de Lausanne, en collaboration avec 90 universités et hautes-écoles réparties dans 22 pays différents, vise à simuler le fonctionnement du cerveau grâce à un superordinateur. Bien que la finalité annoncée d’un tel projet soit bonne – le développement de nouvelles thérapies sur les maladies neurologiques – il ne peut se soustraire à d’urgentes questions éthiques.

Point de vue critique

Opposés à cette conception «technophile», d’autres penseurs ne voient pas du tout d’un bon œil cette déferlante numérique. Les plus pessimistes considèrent même que cette prolifération informatique, signe d’une aliénation profonde, pourrait conduire l’humanité à sa perte. Critique sans pour autant tomber dans cet extrême, le théologien protestant Jacques Ellul percevait dans l’adaptation à la technique la marque d’un nouveau type de conformisme: «L’homme est aujourd’hui tellement fasciné par le kaléidoscope des techniques qui envahissent son univers qu’il ne sait et ne peut vouloir rien d’autre que de s’y adapter complètement»[14]. Pour lui, l’association des mots «révolution» et «technique» est une contorsion du langage car l’homme moderne serait non pas libéré, mais submergé par une technique qui le contraint et l’oblige toujours davantage.

De nouvelles inquiétudes

C’est désormais un lieu commun d’affirmer que les innovations technologiques ont révolutionné notre rapport au monde. Aujourd’hui, les échanges s’opèrent de façon toujours plus immatérielle, les barrières géographiques et culturelles s’estompent, les règles géopolitiques et économiques sont bouleversées. Indéniablement, ces mutations ont changé notre conception du monde. Tout est à portée de main – ou plutôt de clic – et, il faut l’avouer, il y a là quelque chose de fascinant. Or, l’essor du numérique génère également son lot d’inquiétudes. Des phénomènes tels que la vidéosurveillance, le fichage biométrique et la géolocalisation pourraient inaugurer de nouveaux types de totalitarismes. Les effets de la révolution numérique sur l’environnement sont, quant à eux, encore trop peu soulignés. En dématérialisant l’activité humaine, le numérique peut certes avoir un impact positif sur la crise environnementale. En revanche, il n’est pas «propre» pour autant:

«Si le monde numérique semble virtuel, les nuisances qu’il provoque, elles, sont bien réelles : la consommation des centres de données dépasse celle du trafic aérien, une recherche sur Google produit autant de CO2 que de porter à ébullition de l’eau avec une bouilloire, la fabrication des équipements nécessite l’utilisation d’une quantité considérable de matières premières, l’obsolescence des produits ne cesse d’accroître la mise au rebut de composants électroniques extrêmement polluants»[15].

La révolution numérique bouleverse également les cadres juridiques traditionnels. La mise en ligne d’œuvres artistiques – films, musique, photos, livres etc. – oblige à une révision de la notion de propriété intellectuelle. Internet, tout en inaugurant de nouveaux types de délits, comme le piratage, développe certains pans de la criminalité «classique»: incitation à la haine raciale, blanchiment d’argent, pédophilie etc. Internet et les réseaux sociaux en particulier peuvent être source d’addictions et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, destructeurs du lien social. Exemple emblématique: ces personnes qui ne quittent pas leur smartphone des yeux lorsqu’elles partagent un repas au restaurant ! Au niveau social, ces mutations impliquent également des bouleversements intergénérationnels. Ce ne sont plus les anciens qui détiennent le savoir, mais les jeunes générations. De plus, la généralisation de l’anonymat sur Internet invite à repenser la notion de responsabilité alors que la prolifération des informations rend toujours plus difficile l’exercice de l’esprit critique. Citons enfin, dans cette liste non exhaustive, un élément qui est très certainement en train de bouleverser notre champ éthique: le libre accès aux contenus pornographiques, toujours plus massif, sur n’importe quel type de support.

Un défi de taille pour l’Église du XXIe siècle

La révolution numérique est aussi fascinante que déroutante. Capable d’innovations technologiques époustouflantes, elle appelle, dans le même temps, une critique qui se doit d’être toujours au fait de ses dernières évolutions. C’est là un défi de taille pour l’Église. «Experte en humanité» jusque dans les périphéries du web 2.0, elle ne peut faire l’économie d’une connaissance profonde d’un «continent numérique» qu’elle entend évangéliser. Négliger les limites – bien réelles – du virtuel en jetant un regard dépourvu de critique sur ce phénomène amputerait d’une possible fécondité toutes démarches d’évangélisation. Internet et les nouveaux moyens de communication sont, d’une certaine manière, le réceptacle de tout ce qui fait l’humanité, dans sa vulnérabilité, mais aussi dans sa bonté. Dès lors, le regard le plus profond que l’Église peut poser sur cette révolution numérique est un regard d’espérance. Dans sa compréhension des moyens de communication, l’Église est passée de l’outil au topos: il ne s’agit plus simplement de moyens qui peuvent servir à l’annonce de la Bonne Nouvelle, mais de lieux où le Royaume doit s’édifier[16]. L’espérance saisit que le message de l’Évangile peut non seulement résonner au cœur de ce continent, mais aussi le transformer de l’intérieur afin qu’il développe toujours davantage les virtualités de bonté qu’il contient.

Bibliographie

  • BENOÎT XVI, Message pour la XLVIIe Journée mondiale des communications sociales, 2013.
  • BOSTROM Nick, Qu’est-ce que le transhumanisme, www.transhumanism.org.
  • CONCILE VATICAN II, Décret sur les moyens de communications sociales Inter Mirifica, 1963.
  • ELLUL Jacques, Le bluff technologique, Paris, 2004.
  • FLIPO Fabrice, DOBRE Michelle, MICHOT Marion, La face cachée du numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies, Paris, 2013.
  • FRANÇOIS, Message pour la XLVIIIe Journée mondiale des communications sociales, 2014.
  • LIPKIN Jonathan, Révolution numérique. Une nouvelle photographie, Paris, 2006.

[1] «La raison […] n’est rien d’autre que le fait de calculer» HOBBES Thomas, Léviathan, Paris, 2000.

[2] La carte perforée indique de manière matérielle ce que le langage binaire signifiera de façon électrique. En effet le système binaire a deux états (0 ou 1) selon qu’un circuit électrique laisse ou non passer un courant électrique.

[3] Pour Electronic Numerical Integrator Analyser and Computer. Pesant trente tonnes, occupant 167 m2 et consommant 150 kilowatts, il effectue 5000 additions par seconde.

[4] Pour Advanced Research Projects Agency Network.

[5] On en comptera 1000 en 1984, 10’000 en 1987 et 100’000 en 1989.

[6] Littéralement «la large toile [d’araignée] mondiale».

[7] Dont le désormais célébrissime Google en 1998.

[8] Ce nouvel essor est connu sous l’appellation «Web 2.0».

[9] cf. Le Figaro a essayé les Google Glass, sur www.lefigaro.fr, septembre 2013.

[10] Cf. Idem.

[11] En vue, peut-être, lorsque la distinction entre vie privée et vie publique sera encore plus estompée, de la reconnaissance de visage.

[12] Une technologie qui intéresse d’ailleurs vivement la NSA, selon les documents transmis par Edward Snowden, puisque ces machines sont potentiellement capables de révolutionner le monde de la cryptographie. En effet, elles mettraient quelques secondes à décoder les clés de cryptage les plus sophistiquées – alors qu’il faudrait des milliers d’années aux ordinateurs actuels les plus puissants.

[13] «Si nous pouvions scanner la matrice synaptique d’un cerveau humain et la simuler sur un ordinateur il serait donc possible pour nous de migrer de notre enveloppe biologique vers un monde totalement digital (ceci donnerait une certaine preuve philosophique quant a la nature de la conscience et de l’identité personnelle). En s’assurant que nous ayons toujours des copies de remplacement, nous pourrions effectivement jouir d’une durée de vie illimitée». BOSTROM Nick, Qu’est-ce que le transhumanisme, www.transhumanism.org, le 07.02.14.

[14] ELLUL Jacques, Le bluff technologique, Paris, 2004.

[15] FLIPO Fabrice, DOBRE Michelle, MICHOT Marion, La face cachée du numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies, Paris, 2013.

[16] Cf. L’article de François-Xavier Amherdt, Inculturer la bonne nouvelle dans le continent numérique: enjeu de la nouvelle évangélisation, dans ce même numéro, pour un développement plus complet de l’approche du Magistère quant aux nouvelles technologies de la communication.

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Pierre Pistoletti

Pierre Pistoletti (Photo: Eric Frattasio)

Pierre Pistoletti, étudiant en théologie, informaticien de formation, est l’initiateur de Kerusso communications (www.kerusso.ch) qui a développé à ce jour une trentaine de sites internet, principalement dans le milieu ecclésial. Il est membre du comité de rédaction de la revue Sources.

 

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