Europe – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 25 Jul 2017 11:27:58 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Expériences populistes en Europe https://www.revue-sources.org/experiences-populistes-europe/ https://www.revue-sources.org/experiences-populistes-europe/#respond Mon, 24 Jul 2017 07:50:53 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2317 [print-me]Depuis le début des années 2000, l’Europe connaît une importante vague de populisme. Les situations sont variées, mais certaines constantes se retrouvent dans tous les mouvements incarnant cette mouvance politique. Globalement, ce regain du populisme va de pair avec une mise en cause du système démocratique libéral.

Dans certains pays, la mouvance populiste a la majorité et est au pouvoir. C’est le cas en Hongrie, en Pologne, en Slovaquie et en République tchèque. A Budapest, Viktor Orban est au pouvoir. Son parti, le Fidesz, dispose d’une majorité des deux tiers à l‘Assemblée. Une série de décisions ont été prises qui vont contre les principes démocratiques: prise de contrôle sur le pouvoir judiciaire, affaiblissement du pluralisme des médias, discours public marqué par des références nationalistes. En Pologne, pour la première fois en 2015, le parti «Droit et Justice» (PiS) a accédé au pouvoir avec une majorité absolue au parlement. Les parlementaires du PiS tiennent un discours de revanche anti-élites, souverainiste et prônent une révolution conservatrice. Suivant l’exemple hongrois, le gouvernement de Beata Szylo coordonne de près les médias publics, dont le message doit être validé par des proches du pouvoir. Robert Fico, premier ministre slovaque, en principe classé à gauche, a été suspendu du Parti socialiste européen depuis qu’il gouverne avec le SNS, un parti nationaliste de Slovaquie. En République tchèque, le président Milos Zeman s’est illustré par de nombreuses diatribes contre les immigrés et les musulmans, prétendus inassimilables.

Malgré l’appartenance de leur pays à l’Union Européenne (UE), ces dirigeants d’Europe centrale critiquent ouvertement des aspects du fonctionnement des institutions communautaires. Durant sa présidence de l’UE (juillet-décembre 2016), l’exécutif slovaque a déclaré œuvrer en faveur de la limitation du pouvoir des institutions communautaires.

Les autres mouvements populistes

A côté des partis populistes gouvernementaux, une série d’autres mouvements européens (une quarantaine en tout) s’inscrivent dans la même tendance. Trois d’entre eux ont même momentanément sérieusement menacé de prendre le pouvoir: le Front National en France, le Parti pour la liberté aux Pays-Bas et le Parti de la liberté (FPÖ) en Autriche. En fin de compte, ni Marine le Pen (FN), ni Geert Wilders (PVV) ni Norbert Hofer n’ont réussi leur pari de s’emparer du pouvoir. Les électeurs furent un sursaut de civisme et ont résisté à la montée du populisme européen, mais la partie fut serrée et l’on ne saurait se bercer de l’illusion que le populisme dans ces pays est définitivement vaincu.

Dans d’autres pays comme la Finlande, le Danemark, la Suède, l’Allemagne et l’Italie, les mouvements populistes ne menacent pas encore les démocraties établies. Ils sont néanmoins des forces politiques non négligeables qui recueillent entre 10 et 15% de voix aux élections nationales. Quant au parti nationaliste de Nigel Farage (UKIP), il fut suffisamment puissant pour provoquer le Brexit. Depuis ce succès retentissant, ses leaders se sont retirés et le parti semble actuellement en perte de vitesse.

Les perdants de la mondialisation sont incontestablement à la racine du populisme actuel.

Le cas suisse de l’Union Démocratique du Centre (UDC) est différent. Cette dernière a obtenu pratiquement 30% des votes lors des dernières élections législatives fédérales, mais, en raison du système suisse, elle ne peut monopoliser l’exécutif formé d’un collège de ministres appartenant aux quatre grands partis. Par ailleurs, même si Christoph Blocher, son leader charismatique, s’inscrit pleinement dans la ligne des autres partis populistes européens, une partie de ses membres viennent du parti agrarien à l’idéologie moins extrémiste.

Ces mouvements européens ne se limitent pas au continent mais se développent ailleurs. Trump aux Etats-Unis, Erdogan en Turquie et Poutine en Russie sont des dirigeants qui ont des points communs avec les populistes européens. Mais alors que Trump s’en rapproche, Poutine et Erdogan sont d’abord des autocrates. Tous les trois exercent un fort attrait sur les leaders européens, mais moins sur l’électorat de la base.

Quoi qu’il en soit, la plupart des principaux partis populistes européens semblent en perte de vitesse. En Finlande, les Vrais Finlandais ont été virés de la coalition au pouvoir. En Italie, lors des récentes élections municipales partielles, le Mouvement Cinq Etoiles a été éliminé dès le premier tour. Au Royaume Uni, UKIP a déjà changé de tête trois fois depuis la décision du Brexit. Aux législatives françaises, le FN n’a pas de quoi pavoiser. En Allemagne, l’AfD connaît des dissensions et lors des régionales son score a été divisé par quatre depuis l’an dernier. Néanmoins, il faut s’interroger sur ce qui a donné naissance à ces mouvements qui contestent les fondements du système démocratique établi depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.

Les causes de l’embardée populiste

Les perdants de la mondialisation sont incontestablement à la racine du populisme actuel. L’ultralibéralisme économique dominant fonctionne en ignorant des franges importantes de la société qui vont des ouvriers pénalisés socialement par ce système jusqu’aux classes moyennes dont le pouvoir d’achat stagne ou diminue. Un contrôle qui corrige ces déséquilibres et ces inégalités criantes est nécessaire si l’on veut réduire la frange de la population séduite par les thèses populistes qui leur font des promesses sociales alléchantes.

Au plan économique encore, la grave crise de 2008 a touché des classes de citoyens qui se sont appauvris ou ont perdu leur emploi; ce qui polarise aussi la société entre privilégiés et nouveaux pauvres. Comme l’écrit Nicolas Bavarez (Le Figaro 03.10.16): «L’angoisse devant la mondialisation et la révolution technologique a remis en question le salariat et l’Etat providence.»

Le grave échec de la politique migratoire de l’UE fait aussi le lit du populisme. En effet, le chaos qui a résulté de la crise des migrants engendre des peurs dans la population qui se sent désemparée devant l’arrivée des migrants. En réalité, la masse de migrants victime de la guerre ou de régimes dictatoriaux ne dépasse pas 0,1 à 0,2% de la totalité de la population européenne. Il aurait été tout à fait possible pour l’UE de répartir ces requérants entre tous les pays membres de l’UE.

Les mouvements populistes sont en directe opposition avec les bases de la construction européenne.

En plus des causes déjà mentionnées, le regain du terrorisme international depuis le 11.09.2001 et la création de l’Etat islamique (EI) a répandu dans la société une peur panique. Les mouvements populistes s’en sont saisis pour durcir à l’extrême de pseudo mesures de sécurité qui vont de la fermeture des frontières jusqu’à la diabolisation de tous les musulmans soupçonnés d’être des terroristes en puissance. Cet amalgame entre islam et terrorisme est sans fondement réel, mais agit émotionnellement sur beaucoup de citoyens prêts à suivre les discours extrémistes des populistes.

En se basant sur la contre-vérité de l’amalgame islam-terrorisme, les mouvements populistes/nationalistes prédisent l’avènement d’une Europe musulmane qui tuera l’Europe chrétienne. Cette approche civilisationnelle, confortée par l’omniprésence des réseaux sociaux, effraie une partie de la société qui y adhère. Elle relève de la dimension immatérielle de la vague populiste européenne et explique pourquoi plusieurs pays sont touchés, bien que ne connaissant pas de chômage ni de crise économique (Suisse, Norvège, Suède, Autriche, Pays-Bas). Daniel Oesch, spécialiste des partis populistes européens, souligne le rôle des variables identitaires ou culturelles dans le vote populiste:«Les électeurs de la droite populiste semblent plus sensibles à l’influence négative des immigrés sur la culture que sur l’économie du pays» (International Political Science Review, vol.29, n°3, juin 2008 p.373).

Au plan politique, on ne peut s’empêcher de mentionner ce qu’il convenu d’appeler la «crise de la représentation politique», abondamment évoquée par les populistes. La confiance dans les partis traditionnels ne cesse de baisser, d’où la volonté de se débarrasser de la vieille classe politique. Le politologue Peter Mair qualifie les partis de plus en plus «responsible» (conscients de leurs responsabilités) et de moins en moins «responsive» (à l’écoute de la société). Cette constatation rend beaucoup de gens très réceptifs aux idées populistes qui remettent en cause des principes démocratiques. Or, une revitalisation de la démocratie ne peut se faire sans payer ce prix inacceptable. On peut en finir avec le retour éternel du même personnel politique et introduire des représentants de la société civile, ce qui ne doit pas exclure la présence d’experts dans différents domaines. Mettre fin à la suprématie des lobbys et des riches et laisser de l’espace aux représentants de la classe moyenne et des frustrés est essentiel pour corriger le système de représentation politique.

Enfin, la démographie est aussi un déterminant important de la crise de la démocratie et du succès du populisme. Depuis 2015, en Europe, le nombre des décès est supérieur à celui des naissances. Ainsi, les démocraties, quoique prospères, vieillissent et le vieillissement entraîne une forme de conservatisme qui va de pair avec une aversion au risque et une disponibilité aux thèmes sécuritaires et aux discours populistes.

L’UE, bouc émissaire des populistes

L’UE, née sur les cendres des drames de la deuxième guerre mondiale, est construite sur le principe des libertés démocratiques, clé de la paix sur le continent. Les mouvements populistes, eux, sont en directe opposition avec les bases de la construction européenne.

Etant donné la crise actuelle de l’UE et le récent vote britannique en faveur du Brexit, les populistes disposent d’un terrain favorable pour s’en prendre aux élites technocrates de Bruxelles et faire de l’UE le bouc émissaire idéal pour justifier des replis nationalistes. De plus, le système de représentation indirecte leur offre un terrain facile pour renforcer leur critique de la représentation politique. Mais, en dépit des 28% qu’ils représentent au Parlement européen, les populistes n’ont pas réussi à perturber le fonctionnement de ce dernier.

Ceci dit, Moscou, qui n’aime pas l’UE, soutient inconditionnellement les populistes d’Europe. Rappelons-nous la visite de Marine le Pen chez Vladimir Poutine. La Russie y voit un moyen stratégique de dislocation de l’Union. Jusqu’ici, ce fut un échec dû entre autre à l’inimitié entre la Pologne, la Hongrie (les deux gouvernements populistes de l’UE) et la Russie, leur ancien mentor.

Au niveau des structures de Bruxelles, les mouvements populistes sont très peu influents. La Commission européenne ne compte aucun représentant de ces courants et le Conseil (Affaires étrangères, Défense, Finances) où siègent les ministres des Etats membres n’a nullement souffert des rares représentants de gouvernements dirigés par des partis populistes.

Les risques de dislocation de l’UE ne peuvent cependant pas être complètement négligés. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission a même déclaré: «En Europe, les démons du nationalisme n’ont pas été bannis, ils sont simplement endormis.» Le passé de l’Europe l’expose aux ressentiments ethniques et aux frustrations historiques.

Le populisme européen est signe d’un repli sur soi et d’une perte de souffle de l’Europe. Le combat pour un renouvellement de la démocratie sur le continent doit donc se poursuivre énergiquement.[print-me]


© hirondelle.org

Paul Grossrieder, ancien Directeur Général du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) à Genève.

 

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La reconfiguration de l’Ordre en Europe https://www.revue-sources.org/la-reconfiguration-de-lordre-en-europe/ https://www.revue-sources.org/la-reconfiguration-de-lordre-en-europe/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:09:34 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=413 [print-me]

Le Chapitre Général qui s’est tenu à Rome en 2010 a commencé un processus de reconfiguration ou de «restructuration» de l’Ordre et cela a continué avec le Chapitre Général de Trogir en 2013.

La principale raison pour cette restructuration était la prise de conscience que dans beaucoup d’entités de l’Ordre les Provinces, les Vice-provinces, les Vicariats généraux, les Vicariat régionaux, les Vicariats provinciaux les structures de gouvernement, d’administration, et de formation étaient devenues beaucoup trop lourdes pour les ressources de ces entités. Ces chapitres ont noté qu’en certains endroits la vie commune et la prédication apostolique de l’Ordre étaient entravées plutôt qu’aidées par les efforts visant à maintenir et à utiliser les structures de gouvernement, de l’administration et de la formation qui étaient tout simplement trop grandes.

Une autre raison pour laquelle ce processus a commencé était que l’autonomie et la subsidiarité, qui sont appréciées dans le gouvernement dominicain, avaient été respectées au point que certains vicariats, qui avaient besoin d’une relation étroite et d’un appui solide de la part d’une Province ou de l’Ordre, ne recevaient pas l’aide dont ils avaient besoin. Cela ne venait pas de la négligence ou de l’indifférence, mais d’un désir de respecter leur propre autonomie et de leur permettre de se gouverner eux-mêmes. Mais les ressources n’étaient plus suffisantes pour cela: nombre de frères plus restreint, âge plus élevé, engagements plus importants. De nombreuses entités n’ont pas augmenté aussi rapidement ou aussi fortement que ce qui était espéré quand elles ont été établies.

Restructurer pour favoriser la prédication

Le but de la restructuration est par conséquent «de promouvoir la mission apostolique et l’observance régulière des frères» (Chapitre de Rome 2010 no 201). Le processus devrait être complété par le Chapitre Général de Bologne en 2016. À cette date, il y aura dans l’Ordre uniquement des Provinces, des Viceprovinces et des couvents ou des maisons sous la juridiction directe du Maître de l’Ordre. Les Provinces pourront aussi avoir des Vicariats, de même que des couvents ou des maisons individuelles hors de leur territoire. Ce ne seront plus des Vicariats régionaux ou des Vicariats généraux.

Il est important de souligner que ce processus est destiné à servir la vie et le ministère de l’Ordre, pour le rendre plus flexible et réactif aux besoins des régions particulières et pour libérer les frères afin qu’ils puissent donner leur temps et leur énergie à la construction de la fraternité et à la prédication de la Parole.

En Russie et en Ukraine

A l’est du continent, l’ancien Vicariat Général des Etats baltes a été incorporée à la Province de France. Il est devenu maintenant un «secteur» au sein de la mission de cette Province. Le Vicariat général de Russie et d’Ukraine va également cesser d’exister. Le couvent de Saint-Pétersbourg deviendra un couvent de la Province de la Pologne

hors de son territoire, tandis que les communautés et les frères en Ukraine seront incorporés à la Province de Pologne qui établira un Vicariat provincial dans ce pays.

En Belgique

A l’ouest de l’Europe, le Vicariat général de Belgique Sud est devenu ViceProvince. Un processus d’unification est engagé avec la Province voisine de Flandres qui compte un petit nombre de frères dont la moyenne d’âge est très élevée. On l’espère que ce regroupement permettra de renforcer et renouveler la vie et la mission de l’Ordre dans l’ensemble de la Belgique.

En Hongrie

Le quatrième Vicariat général en Europe est celui de Hongrie. C’est une des plus anciennes entités de l’Ordre, mais qui ne compte actuellement qu’un petit nombre de frères et de communautés. Les frères de ce Vicariat travaillent avec une Province européenne dont ils reçoivent de l’aide.

En Hispanie

Au sud-ouest de l’Europe le processus d’unification des Provinces en Espagne atteint son apogée. Les trois Provinces d’Espagne, d’Aragon et de la Bétique seront supprimées et une nouvelle Province d’Hispania sera érigée par le

Maître de l’Ordre au début de 2016. Les frères de ces trois Provinces ont travaillé en étroite collaboration depuis de nombreuses années. Le processus de formation est unifié depuis longtemps et une collaboration substantielle d’engagements apostoliques, de gouvernement et d’administration est déjà une réalité.

La Province du Portugal et le Vicariat espagnol de la Province du Saint-Rosaire ont décidé de rester hors de ce processus d’unification. De toute évidence, ils auront des relations étroites avec la nouvelle Province d’Hispania.

Et ailleurs…

Telles sont les principales évolutions en Europe depuis 2010. Il existe d’autres endroits en Europe où se renforcent les relations entre les Provinces. Des collaborations qui n’ont pas l’urgence de celles évoquées plus haut, mais qui sont malgré tout de grande importance.

La Province d’Angleterre travaille en étroite collaboration avec la Province des Pays-Bas, en particulier dans le domaine de la formation. La province de France travaille en étroite collaboration avec la Province de Suisse dans le domaine de la formation. Il existe d’étroites relations entre la Province de France et celle de Toulouse, entre celle

de Bohême et celle de Slovaquie, entre la Teutonia et la Province d’Allemagne du sud et d’Autriche. En Italie, les Provinces collaborent de diverses façons, notamment dans la formation et disposent d’un noviciat commun à Madonna dell’Arco.

Deux autres aspects de la reconfiguration de l’Ordre sont importants pour l’Europe dans la mesure où elles vont au-delà de ses frontières. L’une est la restructuration des fonds de solidarité de l’Ordre qui sont maintenant inté- grés et gérés par l’organisme Spem Miram Internationalis. L’autre est la restructuration des couvents et des institutions relevant de la juridiction di- recte du Maître de l’Ordre. Toutes ces institutions sont en cours d’examen : leurs statuts sont en révision, de nouvelles assignations sont prévues. Dans certains cas, tels que l’Ecole Biblique et l’Angelicum, une restructuration plus radicale se déroule.

Conclusion

Alors que beaucoup des collaborations entre les Provinces européennes ne comportent pas de restructuration au sens strict, elles demeurent dans l’esprit des Chapitres Généraux de Rome et Trogir: «Y a-t-il des façons dont nous pouvons rationaliser les structures de l’Ordre, au sein des provinces et entre les provinces, de manière à libérer les frères pour la mission?». Le souci d’efficacité ou la tendance à la centralisation ne sont pas nécessairement de bonnes choses pour nous, mais nuisent aux valeurs essentielles de notre forme de gouvernement et aux relations entre les Provinces. Il est donc essentiel de garder clairement à l’esprit la volonté des récents Chapitres Généraux qui propose de renforcer notre communion fraternelle et notre mission apostolique. Y a-t-il encore d’autres moyens par lesquels nous pouvons agir afin de satisfaire ce désir?

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Le frère dominicain Vivian Boland, d’origine irlandaise, est assistant du Maître de l’Ordre des Prêcheurs et réside au couvent SteSabine à Rome.

 

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Etre dominicain en Pologne https://www.revue-sources.org/etre-dominicain-pologne/ https://www.revue-sources.org/etre-dominicain-pologne/#respond Sat, 04 Apr 2015 09:09:15 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=108 [print-me]

Merci de vous présenter à nos lecteurs et leur faire connaître les raisons de votre séjour à Fribourg.

Je suis entré dans l’Ordre dominicain en 2003, à l’âge de 19 ans, dès la fin de mes études secondaires. J’étais très jeune à cette époque. Peut-être pourrait-on penser que j’étais trop jeune pour prendre une telle décision. C’est vrai. Je conseillerais aujourd’hui à chaque candidat à la vie dominicaine d’entreprendre des études supérieures et d’avoir une certaine expérience professionnelle. Mais c’est aussi Dieu qui choisit le temps approprié à chacun pour l’appeler à la vie religieuse. Malgré mon âge, je pense que j’étais assez mûr pour cette démarche. Ma décision fut précédée d’un discernement sérieux.

Après mon entrée dans l’Ordre, j’ai fait un an de noviciat à Poznan. Puis, j’ai étudié deux années et demie la philosophie à Varsovie et trois ans et demi la théologie à Cracovie. Entre mes études de philosophie et de théologie, j’ai tiré profit d’un stage à Dublin, en Irlande, pour apprendre l’anglais, tout en faisant une expérience de vie dominicaine dans une autre Province que la mienne.

J’ai été ordonné prêtre en 2011 et passai ensuite deux ans au couvent de Poznan. Ce fut une période très exigeante pour moi, mais aussi très belle. Je partageais mon temps entre une aumônerie d’étudiants et un travail dans une maison d’édition appartenant à notre Province dominicaine. Encore aujourd’hui, je garde des contacts avec ces étudiants dont la foi et l’engagement religieux me fortifient. J’entretiens aussi des relations avec la maison d’édition. Chaque mois je lui fais parvenir des critiques de livres.

Depuis septembre 2013 je réside au couvent St-Hyacinthe de Fribourg où je poursuis mes études à la Faculté de Théologie. J’ai terminé la licence canonique en 2014 et commence cette année un doctorat en ecclésiologie.

Parlez-nous de l’implantation des Dominicains en Pologne…

La création de la Province de Pologne coïncide avec les origines de notre Ordre, soit dans les années 20 du XIIIe siècle. Cette histoire est liée à la personne de saint Hyacinthe, connu comme le premier Dominicain polonais et père-fondateur de notre Province. Il fut envoyé en Italie par son oncle, l’évêque de Cracovie, et rencontra saint Dominique qui lui donna l’habit de l’Ordre.

Le rayonnement de saint Hyacinthe fut tel que beaucoup de jeunes gens voulurent partager sa façon de vivre.

Après son noviciat, Hyacinthe rentra en Pologne et fonda le couvent de Cracovie en 1222. Le bienheureux Czeslaw qui était son compagnon dans cette aventure prit l’habit dominicain avec lui et fonda pour sa part le couvent de Wroclaw en 1226. Le rayonnement de saint Hyacinthe fut tel que beaucoup de jeunes gens voulurent partager sa façon de vivre. La vie dominicaine se répandit très vite. Déjà, dans les années 1250 la Province de Pologne comptait 32 couvents et maisons. Ce qui est intéressant est le fait que le couvent de Cracovie est un de trois couvents de l’Ordre où des frères vivent encore aujourd’hui, sans aucune interruption depuis la fondation.

Et de nos jours, qu’en est-il ?

Je trouve que la situation de ma Province est relativement bonne. Depuis environ trente-cinq ans, Dieu nous donne chaque année plusieurs vocations. Combien sommes-nous aujourd’hui ? Je viens de jeter un coup d’oeil sur nos statistiques et je remarque que nous comptons de nos jours 450 frères, fils de notre Province, dont quelques 60 frères étudiants et 19 novices. Nous avons 16 couvents et 4 maisons en Pologne et 2 maisons hors du pays, à Munich et à Witebsk en Bielorussie. Actuellement, près de 100 frères vivent hors des frontières polonaises pour des raisons de ministère ou d’étude.

Depuis environ trente-cinq ans, Dieu nous donne chaque année plusieurs vocations.

Les vocations furent nombreuses au début des années 80. Leur nombre est resté plus ou moins stable alors que les autres Ordres religieux et les grands séminaires ont connu un net fléchissement au cours de la même période. Donc, pas de baisse significative de vocations chez les Dominicains polonais. Une Province jeune. Peu de frères ont dépassé la soixantaine.

Quels sont les facteurs favorables ou défavorables à la progression de l’effectif dominicain en Pologne ?

Tout d’abord, avant de procéder à une analyse sociologique de nos effectifs, je voudrais dire que chaque vocation est un don de Dieu. Je dirai même que la stabilité de leur nombre est une bénédiction. Chaque vocation doit susciter notre gratitude. Dieu nous fait confiance en nous donnant autant de frères. Nous devons mériter cette confiance et donc ne pas perdre ce qu’Il nous donne.

Quels sont les facteurs favorables ou défavorables à cette situation? Il est évident qu’il n’y a pas qu’un seul facteur, mais plutôt une complexité. Le plus important est le mode de vie des frères. C’est lui qui attire les jeunes. Quand je dis « mode de vie », je pense à la vie communautaire qui s’exprime par une liturgie soigneusement célébrée, par de nombreux projets apostoliques et intellectuels, non pas individuels et isolés mais communs. J’ajoute l’enthousiasme et tout simplement la joie de vivre ensemble.

Nos couvents sont comme des lieux vibrants.

Tout cela fait que nos couvents sont comme des lieux vibrants. Beaucoup de jeunes gens entrent chez nous après avoir fait partie de nos aumôneries d’étudiants ou après avoir partagé l’apostolat des frères. Il y a aussi ceux qui ont rencontré les Dominicains grâce à nos medias. Ils se sont rendus compte que ce que disaient les frères n’étaient pas tout à fait stupide !

Je trouve que les jeunes gens qui pensent à marcher sur le chemin de la vie consacrée cherchent d’abord des communautés vivantes où ils pourraient partager la foi et la joie de l’Evangile. Des communautés qui sont le soutien de la prédication. Je souligne fortement le rôle des communautés solides, parce que ceux qui frappent à la porte de notre Ordre portent fréquemment des poids très lourds : le poids des familles décomposées, le poids des dépendances et des addictions, la difficulté d’être chrétien dans une société de plus en plus déchristianisée. Une communauté religieuse saine peut les fortifier pour qu’ils deviennent de courageux prêcheurs de l’Evangile.

Quels projets apostoliques, quelle mission a la Province dominicaine polonaise aujourd’hui ?

Avant d’énumérer des projets spécifiques, je voudrais d’abord dire que chaque communauté exerce le ministère de prédication, des confessions et des rencontres personnelles. Pour se faire une idée de cet engagement, il suffit de rappeler que près de dix mille personnes fréquentent les diverses messes dominicales du couvent de Cracovie.

Dans les autres villes le nombre de participants n’est pas aussi important, mais nos églises sont quasi pleines le dimanche. Alors qu’on observe une baisse générale de la fréquentation des messes dominicales en Pologne. Tous les couvents des grandes villes disposent de frères aumôniers d’étudiants ou de collégiens. S’y rassemblent aussi divers groupes de prières ou des fiancés qui préparent leur mariage.

« Nous avons besoin de renforcer les institutions intellectuelles de la Province »

Quant aux projets plus spécifiques, il faut d’abord mentionner le Studium dominicain affilié à l’Université Pontificale de Cracovie où nos frères étudient. Plusieurs frères donnent des cours au Studium, mais on invite aussi des professeurs d’autres universités. La Province gère une maison d’édition qui publie près de quarante nouveaux titres par an et un mensuel consacré à la vie chrétienne. Son tirage avoisine les six à sept mille exemplaires.

Il faut mentionner aussi des institutions de réflexion intellectuelle: l’Institut St-Thomas d’Aquin, l’Institut Historique et l’Institut Liturgique, de même que les Centres d’aide et d’information sur les sectes et nouveaux mouvements religieux. La Province anime encore deux sanctuaires mariaux, gère huit paroisses et un couvent de prédication itinérante.

Un engagement très varié. Et pas de points faibles ?

Des points faibles ? Je pourrai au moins en mentionner deux. D’abord, le manque de culture d’étude. Nous avons besoin de renforcer les institutions intellectuelles de la Province et de redécouvrir la dimension intellectuelle comme pôle essentiel de la vie de chaque frère. Nous sommes maintenant en état de rattraper les arriérés du passé, surtout ceux des années du communisme. A cette époque, les frères étaient surtout cloisonnés dans le travail paroissial, sans beaucoup de contact avec le monde, y compris le monde intellectuel. Les nouvelles générations de frères n’ont pas hérité de leurs aînés cet engouement pour l’étude qui, à mon avis, est essentiel à notre vocation dominicaine.

Un autre point faible est le manque de générosité et d’ouverture pour sortir de nos habitudes sédentaires, partir à l’étranger, ou emprunter dans notre pays de nouveaux chemins de rayonnement évangélique. Les frères sont assurément bien occupés avec leurs charges actuelles. Je pense néanmoins qu’ils s’y habituent trop et sont trop facilement contents de ce qu’ils font depuis toujours. Nous risquons de perdre l’esprit de mission.

A mon avis, la richesse des vocations devrait nous interroger sur ce que l’Esprit dit à l’Eglise. Quels sont les exigences et les besoins de l’Eglise et du monde d’aujourd’hui ? Quelle est la mission des dominicains dans notre monde, là où nous vivons ? Il faut maintenir vive la conscience missionnaire, au sens large de ce terme. A ce sujet, il vaut la peine de se demander si le travail réalisé par six frères ne pourrait pas être fait par quatre, de manière à envoyer les deux frères restants relever ailleurs de nouveaux défis.

Des frères dominicains polonais travaillent-ils en Ukraine ou en Russie ?

A partir de l’année 2016, c’est-à-dire après la mise en place des changements institutionnels dans notre Ordre, la présence des Dominicains polonais en Russie et en Ukraine sera plus formelle que maintenant. Il existe actuellement un Vicariat Général de Russie et d’Ukraine, comprenant deux couvents (Saint-Petersbourg et Kiew) et quatre maisons (Fastiv, Chortkiv, Yalta et Lviv) où travaillent une quinzaine de frères polonais et une dizaine de frères ukrainiens. Le Vicariat Général sera transformé en Vicariat Provincial de la Province de Pologne, avec un couvent (Saint-Petersbourg) hors des frontières de la Province.

Sans connaître avec exactitude le travail des frères dans cette région, je sais que leurs activités sont à la fois variées et appropriées à leurs lieux d’implantation. Il faut prendre en compte les grandes différences culturelles, linguistiques et de mentalité entre ces villes si éloignées les unes des autres. Mille deux cents kilomètres séparent Kiew de Saint-Petersbourg et autant de kilomètres entre Lviv et Yalta !

A Saint-Petersbourg, les frères administrent une paroisse de langue russe qui se trouve au centre-ville.

A Saint-Petersbourg, les frères administrent une paroisse de langue russe qui se trouve au centre-ville. (La fameuse église Ste-Catherine, sur la Perspective Nevski). Chaque dimanche, ils célèbrent aussi les messes en anglais, français, espagnol et polonais à l’intention de la communauté internationale. A Kiew, les frères dirigent l’Institut des Sciences Religieuses (Institut St-Thomas d’Aquin) où ils offrent des études de Master de quatre ans et des cours de durée plus courte. Ils tiennent aussi une maison d’édition qui publie cinq à dix titres par an en russe et en ukrainien et un bimensuel tiré à 8000 exemplaires. Par contre, la spécificité du travail des frères de Fastiv est absolument différente. Cette ville très pauvre située à environ quatre-vingt kilomètres de Kiew est touchée par diverses pathologies familiales. Les frères accueillent dans un Foyer de jour des enfants démunis.

L’ensemble de ce Vicariat est évidement situé en territoire orthodoxe. Les catholiques y sont minoritaires. Les frères sont attentifs au dialogue oecuménique ou, plus simplement, à la nécessité d’établir des contacts avec les prêtres orthodoxes.

Quel avenir pour l’Ordre dominicain en Pologne ?

Je ne suis pas visionnaire au point de projeter l’avenir de ma Province. Je peux tout au plus partager quelques rêves. Non pas des rêves illusoires, mais fondés sur la réalité.

Je souhaite que les Dominicains en Pologne aient plus d’impact dans la réflexion théologique. On a absolument besoin dans notre pays d’une culture théologique au plus haut niveau. Les Dominicains sont particulièrement prédestinés à travailler sur ce champ. Nos divers Instituts théologiques ont besoin d’être renforcés pour atteindre un plus large rayonnement.

Je souhaite que les gens qui choisissent nos églises y soient attirés par la qualité des homélies et de nos liturgies.

Mon second rêve concerne le travail dans le monde universitaire. Plusieurs frères sont aumôniers d’étudiants et leur travail est vraiment nécessaire. Mais il faut cependant que leur présence apostolique ne se limite pas aux étudiants, mais embrasse l’ensemble du monde universitaire, et tout particulièrement les professeurs.

Le troisième rêve est typiquement dominicain. Je souhaite que les gens qui choisissent nos églises y soient attirés par la qualité des homélies et de nos liturgies. Des prédications brèves mais soigneusement préparées et des célébrations qui ne soient pas que des actes techniques, mais ouvrent la porte au mystère.

Que regard portez-vous sur l’Europe de l’Ouest et sur son Eglise en particulier ?

Question complexe. D’une part, je crains que mon regard sur l’Eglise d’Europe de l’Ouest ne soit que superficiel. Chaque Eglise locale porte sa spécificité et son histoire. En particulier, les Eglises de Suisse ou d’Irlande que j’ai un peu contactées. Quoi de plus différent !

D’autre part, l’Eglise de Pologne dans laquelle j’ai grandi est aussi une Eglise d’Europe, exposée aux mêmes courants que les autres Eglises de ce continent. Peut-être avec une autre intensité et une autre extension. Mais ce sont les mêmes courants. J’ai trente ans aujourd’hui ; j’en avais cinq lors de la chute du communisme. En fait, les gens de ma génération, et moi-même parmi eux, ne se souviennent pas et ne connaissent pas le temps du communisme. Nous grandissions au moment où les courants qui soufflaient de l’Ouest, bons ou mauvais, atteignirent notre pays de plein fouet.

J’espère que le renouvellement de l’Eglise en Europe va venir de là où la foi est vécue comme un engagement personnel pour la vie et non pas comme quelque chose d’accidentel.

Nous vivons donc sur un continent qui, dans sa grande partie, est devenu post-chrétien. Nous devons nous confronter et répondre à une somme de préjugés qui se rapporte aux chrétiens, mais surtout aux catholiques. Des préjugés venant de partout, aussi bien du monde intellectuel que des couches populaires. Franchement, et c’est assez triste, je ne décèle pas un avenir lumineux pour une Eglise réduite à la tradition, à la culture, aux purs actes de culte ou aux opinions intellectuelles. Par contre, j’espère que le renouvellement de l’Eglise en Europe va venir de là où la foi est vécue comme un engagement personnel pour la vie et non pas comme quelque chose d’accidentel.

Pour que la foi soit forte, trois facteurs sont indispensables: la prière personnelle, l’expérience de la communauté des croyants et la formation intellectuelle. Je veux dire par là que ce ne sont pas les facteurs sociologiques extérieurs qui sont les plus importants et qui causent la crise de l’Eglise. Je ne suis pas fataliste. Je ne tremble pas quand je pense à l’avenir de l’Eglise en Europe.

La Pologne a-t-elle une mission particulière à faire valoir au sein de l’Eglise universelle ?

J’ai une simple réponse à donner à cette question. Il n’existe pas de pays qui plus qu’un autre a un grand rôle à jouer dans l’Eglise. Chaque Eglise locale, comme chaque chrétien, est appelée à donner un témoignage crédible.

Quand je regarde l’Eglise en Pologne je me dis que la Pologne a la « chance » (mais je souligne : il ne s’agit qu’une chance, non d’une mission) de construire une société économiquement développée dans laquelle la foi aura une place importante. Tout simplement, la chance de montrer que le développement économique n’entraîne pas en soi l’abandon de la foi.

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Le frère dominicain Lukasz, né à Gdansk en 1984, est doctorant en théologie à l’Université de Fribourg et réside au couvent St-Hyacinthe de cette même ville. Il nous fait découvrir son pays, son Eglise et les Dominicains polonais.

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