Fribourg – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 14 Mar 2018 16:06:37 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 L’église du couvent St-Hyacinthe à Fribourg https://www.revue-sources.org/leglise-du-couvent-st-hyacinthe-a-fribourg/ https://www.revue-sources.org/leglise-du-couvent-st-hyacinthe-a-fribourg/#respond Thu, 15 Mar 2018 00:30:33 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2552 L’église du couvent St-Hyacinthe des dominicains à Fribourg en Suisse – ou comme on dit plus familièrement, leur chapelle – fut réalisée en 1974-1975, dans le contexte du deuxième agrandissement du couvent, bâti en 1908-1909. Cet agrandissement, devenu nécessaire à cause de l’accueil de nombreux frères en formation, suisses et étrangers, était rendu possible grâce à un legs généreux que les frères avaient reçu peu auparavant.

Le Prieur de l’époque était frère Richard Friedli, énergique et soucieux du rayonnement de la communauté. Il était sensible à une présence attrayante des frères. Celle-ci dépend aussi du cadre de vie et d’activité de ceux-ci. On était dans la période de l’après-concile, du renouveau de la liturgie qui se reflétait dans la construction d’églises modernes en Suisse, bien souvent de haut niveau architectural. L’enthousiasme était grand pour un art sacré renouvelé, après les églises de Vence et de Ronchamp en France. Le frère Henri Stirnimann (1920-2005), qui avait commencé des études d’architecture à l’Éole polytechnique de Zurich avant d’entrer dans l’Ordre dominicain, faisait partie de la communauté St-Hyacinthe. Il enseignait alors à l’Université de Fribourg la théologie fondamentale et venait d’y fonder l’Institut d’études œcuméniques, autre signe de la vitalité ecclésiale à cette époque.

Le frère Henri présidait la commission de l’agrandissement du couvent et de l’église. En effet, la chapelle ancienne, couloir long et étroit, au plafond bas et à l’acoustique ingrate, avait fait désirer depuis longtemps un autre lieu liturgique.

La commission et les frères de la communauté se mirent d’accord pour réaliser une église belle et moderne, répondant aux exigences de la liturgie de Vatican II. Les matériaux devaient être authentiques. Espace et mobilier allaient être adaptables à différents types d’assemblée, une partie de l’église restant réservée à la liturgie tandis qu’une autre partie plus grande pouvait être transformée en salle, pour diverses activités.

Les artistes

Le frère Henri avait des contacts personnels avec le milieu des artistes et des architectes. Il fit appel à l’architecte Dieter Schenker (1938-2015) qui avait rénové l’église St-François à Zurich-Wollishofen peu de temps auparavant. Il fut chargé de l’agrandissement du couvent et de l’église. Pour le mobilier sacré un artiste de Bâle, Ludwig Stocker, fut choisi qui avait fait sa formation de sculpteur dans les années 1950, d’abord à St.Gall et ensuite à Rome à l’Academia delle belle Arti. Il poursuit aujourd’hui encore son travail de sculpteur. À son actif il a un grand nombre de sculptures et d’expositions en Suisse et à l’étranger qui lui assurent une place reconnue dans l’art contemporain suisse. L’architecte et l’artiste s’entendaient pour dessiner l’autel, l’ambon, les chaises, identiques pour le chœur des frères et les fidèles, le tabernacle.

L’intérieur de l’église

Ce mobilier est fait de bois peint en bleu-foncé, de même les portes d’entrée ; pour l’autel et l’ambon, du marbre blanc de Carrare s’y joint. Les murs entourant l’espace sont de béton crépi de blanc à l’intérieur, le sol revêtu de simples catelles en terre cuite rouges à l’italienne, et le plafond plat en bois clair, qui, au regret de l’architecte, devait prendre trop vite une couleur plus foncée. Vers l’ouest une large baie vitrée laisse entrer la lumière à flots, tandis que vers l’est (l’église est orientée vers l’est !), une fenêtre plus petite, qui fait angle à droite, lui fait pendant. Le volume intérieur n’est pas très élevé, pour des raisons imposées par l’ensemble de l’agrandissement, mais il est lumineux. Nulle impression d’oppression accueille ceux qui entrent.

Maître Stocker a placé devant l’angle gauche du mur du fond, dans un pan de mur en biais, une sorte de retable, un mince et haut relief qui va du sol au plafond, dans un mouvement d’un seul élan. En bas et jusqu’à hauteur d’homme un cadre de briques bleu-vert comme le mobilier forme une sorte de vallée en bas et d’ouverture vers le haut : le cosmos, le monde terrestre, l’univers de la matière. Un mètre plus haut, dans une fenètre ressemblant à la pièce centrale d’un retable médiéval, s’ouvre un registre supérieur, fait de styropor blanc, traversé de bas en haut par une tige en bois. Le styropor, matière moderne, évoque le temps de l’histoire, de monde de l’homo faber. La tige de bois porte le crucifié, dont on ne voit cependant que les jambes jusqu’aux lombes du crucifié tandis que le haut du corps est absorbé par le troisième registre, le plus haut et plus étendu, fait de marbre blanc. Dans le “retable”, la poutre de la croix est entouré de saints, disciples de Jésus qui ne l’ont pas abandonné sur le calvaire ; ce sont des saints de l’Ordre de St. Dominique, d’abord Dominique lui-même embrassant la croix, comme sur la célèbre fresque de Fra Angelico à San Marco à Florence, puis tout à gauche Catherine de Sienne et Diane d’Andalo et à la droite  Hyacinthe de Pologne, Henri Suso et Thomas d’Aquin. Leur corps sont formés en styropor, sauf les visages qui sont en terre cuite comme le sol de l’église, et les nimbes en marbre blanc de Carrare, tous dans un profond recueillement. Les fidèles dans l‘église et les saints sur le “retable” sont la communauté de ceux qui accompagnent le Christ dans sa vie et dans sa passion, qui est célébrée dans l’eucharistie.

Le registre le plus haut, fait de marbre blanc à la surface en ondes comme une mer balayée par un vent doux, est marqué par trois cercle concentriques, devant lesquels la figure de Saint-Dominique de dos abîmé dans l’adoration. C’est la gloire divine trinitaire et éternelle, et Dominique entré dans la gloire éternelle. La gloire de saint Dominique évoque celle que Guido Reni a peinte dans la coupole de San Domenico à Bologne, dans la chapelle de la tombe du saint. Les « citations” de représentations célèbres sont une caractéristique de Ludwig Stocker.

L’artiste a offert à la communauté une autre œuvre sculptée, la Vierge Marie, exécutée également en marbre blanc, en styropor et en terre cuite. C’est Marie Mère des vivants, la nouvelle Ève. Cette sculpture est placée au mur près de la porte de l’église vers le couvent. Elle se tient au centre de la gloire du ciel, en écho à la gloire du ciel sur le retable en marbre de Carrare. Ici la gloire est évoquée par un carré dont la surface est un filet de petits carrés concaves. Marie est assise au milieu, se penchant affectueusement en avant  et bénissant l’humanité qui défile devant elle, avançant sur deux branches de styropor disposées en équerre. Sur celles-ci on voit la famille humaine marcher, une longue procession de figurines en terre cuite, dans des postures variées, ployant sous le fardeau ou avançant confiants sur les chemins de la vie.

Il faut encore mentionner les vitraux du frère Pierre Kim En Yong qui a passé plusieurs années à St-Hyacinthe comme jeune frère dominicain en formation. Ce sont les premiers vitraux qu’il a réalisés. Les trois vitraux, l’un sur le mur est à droite, les deux autres sur le mur sud, laissent beaucoup de verre blanc, pendant que des cascades en couleur descendent en diagonale de haut en bas en vagues joyeuses, en un jeu de lumière et de couleurs.

Le tabernacle avait été d’abord en bois peint bleu-vert, placé à droite du retable contre le mur. Plusieurs frères ont eu le sentiment d’un réceptacle irrespectueux pour la réserve eucharistique. Dans les années 1980 on l’a remplacé par un nouveau tabernacle à la porte en émail rouge feu, évoquant le buisson ardent, encastré dans un cadre en marbre blanc finement ciselé. Beau en lui-même par les deux matériaux nobles, il ne s’intègre pas parfaitement dans le caractère plus austère de l’église.

L’accueil de l’église et de ses œuvres d’art à l’époque et l’épreuve du temps

L’architecture et les sculptures avaient été confiées à des artistes venus d’ailleurs. Cela n’a pas plu à tous puisque Fribourg comptait alors plusieurs artistes et architectes de renom qui avaient réalisé des œuvres d’art sacré. Le style de l’église de St-Hyacinthe était insolite pour le public fribourgeois. Les frères dominicains eux-mêmes n’étaient pas tous convaincus par le projet choisi. Notamment le relief de la sainte Vierge irritait fortement.

Avec la distance de plus de quarante ans on peut cependant dire que l’espace de l’église de Saint-Hyacinthe respire une atmosphère de recueillement et aide à la prière. L’acoustique y est excellente. L’église ne lasse pas ceux qui s’y rassemblent plusieurs fois par jour pour la prière chorale et la liturgie de la messe. C’est un témoignage en faveur de la qualité du volume architectural et des œuvres d’art sacré qui s’y trouvent. En ce sens, l’édifice n’a pas vieilli.


Le frère dominicain suisse Adrian Schenker, bibliste, professeur émérite d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg, réside au couvent St- Hyacinthe de cette ville.

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Le vêtement, vecteur de rencontres https://www.revue-sources.org/vetement-vecteur-de-rencontres/ https://www.revue-sources.org/vetement-vecteur-de-rencontres/#comments Wed, 29 Nov 2017 22:27:56 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2446 Valérie Progin est couturière à Fribourg. Elle raconte sa passion du vêtement. Prolongement de l’identité, il permet de s’assumer soi-même et d’assumer le regard de l’autre, selon elle. Un reportage d’Andrea Wassmer.

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Un magistrat en butte au populisme https://www.revue-sources.org/magistrat-butte-populisme/ https://www.revue-sources.org/magistrat-butte-populisme/#respond Mon, 24 Jul 2017 07:30:54 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2328 [print-me]Populisme. Cela aurait pu être un mot noble mais il a mal tourné. Ou plutôt, il a suivi le même chemin que d’autres expressions qui ont tiré leur origine des réalités du peuple, mais qui sont devenus synonymes d’une situation négative. Les mots latins populus et vulgus ont ont été rapidement dévalorisés par les citadins qui détenaient le pouvoir, pour donner naissance aux mots français :populaire, populace, populisme, vulgaire ou vulgarité. Tandis que les gens de la ville (urbs, civitas), par contre, ont par contraste donné leur nom à l’urbanité ou à la civilité. C’était déjà mal parti…

Ainsi donc, au niveau du langage déjà, on a créé les conditions qui donnent libre cours à l’envie, à la jalousie et au ressentiment qui sont les ressorts de ce qu’on appelle populisme et sur lesquels on souffle pour attiser et renforcer l’animosité ambiante. A force de cloisonner les personnes en castes, de favoriser certains et non les autres, de cataloguer les instruits et les ignorants, la fêlure se transforme en précipice sur lequel il devient dès lors impossible de construire des ponts. Ces précipices artificiels, souhaités et entretenus sont les ferments qui nourrissent la haine entre les humains.

Il est primordial de thématiser cette situation, de l’analyser sans choisir son camp, que l’on soit politicien ou observateur. Ce n’est pas toujours évident. J’ai été moi-même traité de « Conseiller d’Etat populiste » par un journaliste de « Domaine Public ». Probablement parce que j’étais inclassable, indépendant et ne rentrais pas dans les cases du politiquement correct. Pourtant, j’ai envie de donner du crédit à toutes celles et à tous ceux qui s’engagent pour servir le bien commun car je veux croire qu’il y a au départ de leur engagement un véritable souci altruiste et généreux.

Jouer avec le vent

Quand les seuls vecteurs de l’information étaient les journaux, puis les radios, la tentation était peut-être moins forte de jouer avec le vent. Quoique si l’on regarde en historien les extraits des « Actualités suisses » émises au cours de la dernière guerre mondiale, on se rend bien compte de la mainmise de l’officialité sur cette presse. Avec l’arrivée de l’image, l’intrusion des sondages, le poison de l’audimat, nous avons créé les conditions pour alimenter le populisme et réveiller en nous les sentiments et les ressentiments négatifs. Ces instruments nouveaux portent en eux, paradoxalement, une défiance par rapport aux lecteurs, aux auditeurs et aux spectateurs. Et si on leur disait ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ou de voir !

« Audience, audience, c’est toi la plus belle en mon miroir », chante en choeur la grande majorité des actionnaires engagés dans la presse, devenue un moyen comme un autre de faire de l’argent. Quand le nouveau propriétaire de l’Hebdo exige 15% de rendement au profit des actionnaires qui ne gagnent plus assez dans d’autres placements, il décide, sans le dire bien entendu, de mettre à mort la parution de ce magazine dont se moquent par ailleurs ses actionnaires. Ce n’était que du « welche » ! Si cette triste mentalité persiste, je ne donne pas cher de la survie des autres publications du même groupe.

Les sociétés anonymes génèrent le populisme

Les fameuses sociétés anonymes qui deviennent omnipotentes ont été très bien décrites par le Professeur canadien Joël Bakan, dans le livre intitulé : « Corporation » : « La corporation, personne morale aux yeux de la loi, a un comportement déviant qui rappelle à s’y méprendre celui d’un psychopathe. Egocentrique, amorale et inhumaine, elle défend sans relâche son propre intérêt économique, parfois au mépris des conséquences désastreuses de ses actions. Si la poursuite de son objectif l’exige, elle n’hésite pas à exploiter les populations des pays pauvres, vendre des produits dangereux, piller des ressources naturelles, abuser de la naïveté des enfants, diffuser des propos mensongers…. Ces infamies, elles les commettent souvent en pleine impunité, la communauté étant aveuglée par ses prétentions à la responsabilité sociale et les gouvernements ayant renoncé à tout contrôle en optant pour la déréglementation et la privatisation ».

Ce livre a été écrit en 2004. Joël Bakan n’avait même pas imaginé que l’histoire prendrait le mors aux dents et que Trump, spécialiste des sociétés anonymes, sauterait le pas et serait porté au pouvoir par les populistes qu’il méprise en cultivant des « fake news ». Nous revoilà donc au coeur du populisme. Ne croyons pas que nous sommes épargnés chez nous. De trop nombreuses affiches des référendums et initiatives de ces 50 dernières années en portent le sceau. C’est intéressant de constater que ce sont les publicitaires qui vendent la mèche : « Nous ne nous occupons pas de morale. Nous choisissons le dessin le plus efficace, celui qui fait peur, qui déstabilise et qui sert le seul but pour lequel nous sommes payés : gagner la votation »

Sondages et lobbyistes

Vous êtes-vous demandé comment on faisait avant les sondages ? Une histoire pas si vieille, mais qui a affaibli la liberté du citoyen et de la démocratie. Ces sondages sont considérés plus importants que la paix et la sérénité des citoyens. Ainsi, dans les dernières six semaines qui précèdent une votation, si les sondages laissent présager une issue différente de celle souhaitée par certains groupes de pression et que le peuple « ignorant » se prépare à voter en toute indépendance, on injecte en catastrophe quelques millions pour tenter d’inverser la tendance. Ce procédé va de pair avec une nouvelle maladie qui consiste à infester les parlements de lobbyistes. Ce qui revient à dire que lorsque nous élisons nos 246 parlementaires fédéraux, on nous fait accroire que, tout seuls, ces députés ne pourraient pas bien se déterminer, puisqu’ils leur faut encore deux lobbyistes chacun. Avez-vous déjà élu l’un de ces 492 acteurs majeurs de la politique fédérale ? Assureurs ou syndicalistes, riches propriétaires, sans oublier les représentants des multinationales ? Je ne parle pas des dizaines de milliers de leur collègues qui font les courtisans à Bruxelles ou à Washington !

De l’audience avant tout !

Dans les émissions de la RTS visant la formation de l’opinion, que ce soit Forum ou Infrarouge, il faut de l’audience avant tout. Je l’ai vécu. Lors d’un Infrarouge où je devais croiser le fer avec Fernand Cuche (homme politique suisse, du parti écologiste), le journaliste nous dit 

« Je ne la sens pas cette émission. Vous êtes trop copains, vous deux ». A la fin de cette même émission, une autre journaliste qui était à la réalisation arrive au studio et nous dit : « Il y a eu du sang, c’était bien » ! Audimat quand tu nous gouvernes…

La formation paisible de l’opinion ? Loin derrière l’audimat. J’ai entendu lors du G 20 à Evian, des journalistes de radio inventer un buzz à 7 heures avec le maire d’Evian pour en faire le sujet principal du Forum de 18 heures en confrontation avec Genève. Plus subtil encore, pendant le débat télévisé sur l’adhésion de la Suisse à l’ONU en 2002, alors que le représentant du Conseil fédéral tentait de convaincre les téléspectateurs qu’il fallait adhérer, un cameraman filmait Oskar Freysinger qui faisait des simagrées sur sa chaise. Le réalisateur de l’émission n’avait rien trouvé mieux que remplacer la tête du magistrat par les grimaces du politicien valaisan.

Il y a bientôt 40 ans, Bernard Béguin, journaliste éminemment respecté, a osé écrire un livre intitulé :  « Journaliste, qui t’a fait roi ? ». Ce livre devrait être réédité, lu et relu dans toutes les rédactions. Trouverait-on encore le temps de le lire et de le méditer ? Pourtant j’aime la presse, j’aime et je respecte les journalistes consciencieux. Je suis un lecteur, un auditeur et un téléspectateur assidu. Mais il est des moments où je fulmine quand on fait le jeu de la jalousie et du ressentiment qui sont les ferments du populisme.

Dérive journalistique

Pour illustrer encore cette dérive dont certains journalistes assurent ne pas être pas responsables, je ne peux m’empêcher de prendre l’exemple du « retour » orchestré d’Oskar Freysinger lors de l’assemblée de l ‘ASIN du 6 mai dernier. Au téléjournal, la journaliste avait sagement décidé de ne pas montrer le tribun puisqu’il refusait de parler aux médias responsables, selon lui, de sa non réélection. Tout au contraire, dans le Matin Dimanche du 7 mai on eut droit à une photo pleine page (25 cm sur 18) du politicien. Et comme pour confirmer la dérive, sur la même page on n’avait qu’une toute petite mention du Pape François recevant la Présidente Doris Leuthard. Une photo de 9 cm sur 6 ! O tempora ! O mores !

Quand le berger suit les brebis

Le même 6 mai j’avais particulièrement apprécié la réflexion de Louis Ruffieux dans La Liberté, un journaliste dans la ligne de François Gross et de Roger de Diesbach. Son édito était intitulé : « Quand les bergers suivent les brebis ». Louis Ruffieux s’interrogeait sur l ‘Eglise de France incapable de mettre en garde ses ouailles tentées par le Front national. « Leur rejet de la modernité les conduit à épouser les mouvements les plus nauséeux et les thèses les plus régressives ». Puis plus loin, citant le Cardinal Decourtray : « Comment pourrions-nous laisser croire qu’un langage et des théories qui méprisent l’immigré ont la caution de l’Eglise de Jésus-Christ ? » Combien de compromissions nous faudra-t-il encore avaler par faiblesse ou lâcheté ?

Restons modestes

Pour rester modeste et responsable, je dois admettre qu’on est tous au bord du risque du populisme si on doit convaincre pour être élu ou réélu. Mais si les bases éthiques sont là, on pourra toujours trouver la force de prendre des décisions et de poser des actes qui rendent impossible le rejet d’un être humain et empêchent d’aboyer avec les loups. « Homme mon frère…» nous faisait chanter Don Helder Camara, l’Archevêque défenseur des pauvres brésiliens. Anne-Catherine Lyon qui n’a pas flirté avec le populisme a eu cette belle parole de Roosevelt en quittant son poste de Conseillère d’Etat : « Le progrès est accompli par celui qui fait les choses et non pas par celui qui dénonce comment elles n’auraient pas du être faites ». Voilà qui fait toute la différence. Pascal Corminboeuf.[print-me]


Pascal Corminboeuf (photo), ancien conseil d’Etat fribourgeois, réélu sans parti à deux reprises au premier tour de scrutin, sur une liste qui ne portait que son nom.

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Jardin Laudato Si: permaculture et spiritualité https://www.revue-sources.org/jardin-laudato-permaculture-spiritualite/ https://www.revue-sources.org/jardin-laudato-permaculture-spiritualite/#respond Mon, 26 Sep 2016 11:48:04 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1556 [print-me]

Pour Lionel Avanthay, la lecture de Laudato Si a été déterminante. Il décide de s’inspirer des valeurs de l’encyclique du pape François pour cultiver un jardin de 6’000 m2 en parfaite harmonie avec la nature. 

Il y a quelques mois, un paysan fribourgeois lui prêtait un terrain à Villarlod, près de Romont. Restait à trouver les fonds pour l’achat des graines, des outils et de quelques heures de cours pour acquérir des compétences spécifiques dans l’univers de la permaculture. Lionel Avanthay met sur pied au printemps 2016 une campagne de financement participatif sur Internet pour réunir les 5’000 francs nécessaires. En quelques semaines, il rassemble 6’862 francs. Et se lance dans l’aventure. Reportage.

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Un reportage réalisé par Pierre Pistoletti, membre du comité de rédaction.

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Les Dominicains et la «Grande Guerre» https://www.revue-sources.org/dominicains-grande-guerre/ https://www.revue-sources.org/dominicains-grande-guerre/#respond Wed, 15 Jun 2016 01:37:08 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1388 [print-me]

La Société d’histoire de Fribourg et la chaire d’histoire de l’Eglise de l’université de cette ville, en union avec l’Institut S. Thomas d’Aquin pour la théologie et la culture ont organisé à l’Albertinum  le vendredi 8 avril 2016 une journée d’étude consacrée au Chapitre Général de l’Ordre des Prêcheurs tenu précisément à l’Albertinum de Fribourg en août 1916, voici cent ans. La thématique relative à ce Chapitre n’occupa qu’une partie des débats du colloque. Le reste fut consacré au contexte social et politique fribourgeois de l’époque.

Nous attendons avec une certaine impatience la publication des Actes de ce colloque pour en savoir davantage. Un lot de consolation cependant. Les lecteurs de l’hebdomadaire romand «L’Echo Magazine» avaient été alléchés par la publication d’une notice et d’une photo sur ce même sujet parues le 30 octobre 2014.  C’était déjà le frère Bernard Hodel, un des organisateurs de la journée d’étude du 8 avril dernier, qui en avait pris l’initiative.

Le chapitre de 1916, présidé par le Père Theissling, accompagné de son bienheureux prédécesseur, le Père Cormier, rassemblait en  un pays neutre des capitulaires provenant de divers pays belligérants. Une immense surprise à la lecture des Actes de ce chapitre, relève Bernard Hodel: «On voudrait trouver dans les textes écrits à cette occasion(…)une dénonciation de la guerre. Déception: il n’y a presque rien. Les cent cinquante pages des Actes son essentiellement consacrées à des questions de gouvernement de l’Ordre ou à des questions de discipline religieuse».

Comment expliquer ce silence?

«Il n’y a pas à s’en étonner», poursuit le frère historien. Mais précisément, nous nous en étonnons. Comment expliquer ce singulier silence? Désir d’éviter entre frères les sujets qui fâchent? De sauver l’unité de l’Ordre au milieu des décombres de l’Europe? Pourquoi cette absence de parole de paix, de médiation et de réconciliation? Nous savons bien par ailleurs comment des Dominicains de ce temps furent fortement sollicités à prendre parti dans ce conflit. Notre revue a déjà fait état du sermon de La Madeleine du 10 décembre 1917 qui valut au Père Sertillanges de sérieux ennuis. (Cf Sources, avril-juin 2015: Philippe Verdin: Servir l’Eglise ou sa patrie? Le dilemme du père Sertillanges.)

Par chance, le Colloque de Fribourg avait prévu une contribution qui aurait pu répondre à nos questions. Celle du frère Philppe Toxé, intitulée: «La guerre absente du Chapitre». Nous attendrons la publication des Actes de ce colloque pour en prendre connaissance.

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La miséricorde de Dieu et la vôtre https://www.revue-sources.org/misericorde-de-dieu/ https://www.revue-sources.org/misericorde-de-dieu/#comments Wed, 30 Mar 2016 11:21:42 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1223 [print-me]

Quid quaeris? Que veux-tu? Que cherches-tu? Cette question me fut posée voici soixante ans, alors que j’étais étendu de tout mon long sur le sol, les bras en croix, devant un frère dominicain qui tenait le rang de prieur dans son couvent.

C’était à Fribourg, un après-midi de septembre. Je quittais une famille qui se pressait émue au-delà des grilles qui fermaient le chœur de la petite chapelle. En deçà, un groupe de religieux dont j’allais porter l’habit. Ma position était suffisamment humiliante et inconfortable pour m’épargner la fantaisie de donner au prieur une réponse non protocolaire à sa demande. J’aurais pu lui rétorquer ce que le diable aurait pu me souffler à ce moment :«Tu me demandes ce que je veux? Et bien, voici. Assure-moi un avenir brillant; fais de moi un nouveau Thomas, un autre Lacordaire. Je m’accommoderais bien aussi de réincarner Las Casas, voire Fra Angelico ou, à la rigueur, le Père Congar…» Ou plus simplement, j’aurais pu répondre aussi: «Je viens chercher ici une bonne planque, un abri pour maintenant et un havre pour mes vieux jours».

Un rite éloquent

Je m’en tins ce jour-là à la réponse officielle fixée par le Processionnal de l’Ordre des Prêcheurs. Quatre mots faciles à retenir et à répéter: «Misericordiam Dei et vestram». «Je demande la miséricorde de Dieu et la vôtre». La miséricorde! Etait-ce bien ce dont j’avais besoin ce jour-là? Cette hypothèse m’avait-elle seulement effleuré au cours des mois où je me posais la question de ma vocation dominicaine? A vingt ans, étais-je si misérable pour provoquer pareille pitié? Si sale pour que le pardon me lave? La miséricorde d’un Père du Ciel qui voit dans le secret passe encore, mais celle de ces messieurs que je ne connaissais pas, pas plus qu’ils ne me connaissaient… Qu’avais-je à faire de leur «miséricorde»? Ce n’était pas le cadeau d’accueil que j’attendais de leur part. Il m’a fallu une longue vie religieuse pour mesurer cette erreur d’appréciation et la pertinence de l’offre qu’on me faisait.

A vingt ans, étais-je si misérable pour provoquer pareille pitié? Si sale pour que le pardon me lave?

La réponse rituelle du prieur à me demande, fixée elle aussi par le Processionnal, était ambiguë. Le supérieur avouait humblement ne pouvoir statuer sur la miséricorde divine, présumant toutefois qu’elle m’avait été accordée du fait que j’avais eu la bonne idée de frapper à la porte de son couvent. Quant à «sa» miséricorde et celle de ses frères, il promettait de ne m’en faire part qu’au jour où j’aurais donné la preuve d’un engagement sincère à observer les vœux religieux. Et de m’énumérer la liste impressionnante des contraintes et obligations que cela exigeait de moi. Un peu comme le ferait un juge d’application des peines mis en présence d’un détenu sollicitant sa libération conditionnelle. En fait de miséricorde, l’Ordre ne m’en promettait qu’une provisoire, à réévaluer d’ici une année. J’avais devant moi douze mois de noviciat pour mériter de la prolonger.

La confrérie des graciés

A plusieurs reprises, il m’est arrivé au cours de ma vie dominicaine de revisiter – comme on dit de nos jours – cette étrange et lointaine liturgie. Non que j’eusse douté de la miséricorde divine à mon endroit. J’ai été élevé sous le regard d’un Dieu bienveillant qui aim pardonner. Mes confessions fréquentes m’avaient enlevé toute illusion quant à ma prétendue sainteté. Je demandais donc aux Dominicains de m’accepter tel que j’étais, ni saint auréolé ni pécheur invétéré. En m’offrant leur miséricorde, ils estimaient, sans doute avec raison, que je ne répondais pas encore – y répondrais-je un jour? – à tous les canons et critères du bon dominicain. Sans attendre ce jour improbable, ils me faisaient miséricorde et m’acceptaient comme «convers», appellation réservée en ce temps-là à une catégorie de frères non prêtres, vêtus d’un capuce et d’un scapulaire noirs, qu’on reléguait dans les dernières stalles du chœur et sur les sièges les plus reculés du réfectoire. De vrais pénitents, quoi! Destiné à devenir clerc, je n’eus pas à subir ces humiliations, mais acquis la conviction que j’étais moi aussi, bien que tout de blanc vêtu, un candidat à un processus ininterrompu de conversion. Bref, j’entrais dans l’Ordre comme on entre en Carême, convaincu de n’être que poussière et désireux de changer de vie.

J’étais vraiment inséré dans une famille où la miséricorde ne devrait pas être un vain mot.

Cet aveu aurait pu me décourager, si je n’avais pas vécu chez les Dominicains des moments autrement plus chaleureux et réconfortants. Tout d’abord cet «osculum pacis», ce baiser de paix, prévu par le rituel après la prise d’habit. Il se transformait chez nous en embrassade générale, en bourrades viriles, avec des mots d’encouragement et des signes visibles d’amitié. Un débordement non prévu par les rubriques, mais accompagné d’un vibrant «Te Deum» que le chantre ne parvenait plus à diriger. Ce geste signifia pour moi que des frères m’acceptaient tel que j’étais et tel que je serai, pour le meilleur et…pour le pire. Et sans condition! J’étais vraiment inséré dans une famille où la miséricorde ne devrait pas être un vain mot. Je fus toujours ému quand mon tour venait d’accueillir un candidat qui sollicitait ma propre miséricorde. Qui étais-je, moi, pour prétendre la lui refuser? Ne l’avais-je pas tant de fois mendiée et reçue de mes frères ? Ce jour-là, se nouait entre lui et moi un pacte de mutuelle miséricorde. Nous entrions l’un et l’autre dans une communauté de graciés.

Dominique le miséricordieux

L’exemple venait de haut et de loin. Saint Dominique lui-même a ouvert cette voie. Les premiers frères ont témoigné de sa compassion pour les égarés, pour ces «pécheurs» que sa prière instante et incessante voulait ramener. Une de ses premières préoccupations ne fut-elle pas d’accueillir des femmes et des filles séduites par les Cathares? Dominique n’aurait eu honte d’aucun de nous.

Beaucoup plus tard, Jean-Joseph Lataste, un de ses fils, émule de son audace, recrutait de futures religieuses parmi les femmes condamnées et détenues dans les prisons de son temps. Nombre de Dominicains et Dominicaines exercent aujourd’hui encore ce ministère de miséricorde dans les maisons d’arrêt du vieux et du nouveau monde. A l’opposé, j’ai toujours trouvé ignoble le refus de miséricorde, la délation, la dénonciation, le rejet hautain et méprisant, la rupture sans pardon ni rémission. Autre indice de miséricorde dominicaine: notre Ordre ne peut renvoyer un frère «déviant» qu’au terme d’une procédure de plusieurs années, lui accordant le temps d’une très longue réflexion, lui offrant même la perspective de rejoindre à nouveau sa communauté. Personnellement, je n’ai jamais vécu comme une rupture d’amitié et de solidarité le départ d’un frère choisissant un jour un autre chemin que le mien. Surtout si ce frère m’avait un jour promis sa miséricorde ou si je lui avais promis la mienne. Je me sens lié par ce pacte de mutuelle fidélité.

Chapelle de Miséricorde

Les Prêcheurs sont arrivés à Fribourg à l’orée du siècle dernier. Ils ont choisi une résidence proche du quartier de «Miséricorde», là où quelques décennies plus tard allait être construite la nouvelle université, là où les Dominicains enseigneront et étudieront encore aujourd’hui. Il y avait à cet endroit, au temps de l’ancien régime patricien, une chapelle – la chapelle de la miséricorde – où les condamnés à mort qu’on allait supplicier sur une colline voisine faisaient une halte pitoyable. Un prêtre offrait à ces malheureux ce qui en vérité était pour eux les dernier sacrements. Sur cet emplacement a été édifiée au siècle dernier une splendide chapelle universitaire. Devant une verrière qui scintille comme autant d’étoiles dans la nuit, un Christ crucifié continue à ouvrir ses bras comme s’il voulait épouser toute la misère du monde. Selon une célèbre antienne, il continue de supplier les passants de ce chemin: «O vos omnes qui transítis per víam, atténdite et vidéte si est dólor símilis sícut dólor méus» «Vous tous qui passez par ce chemin, arrêtez-vous et voyez s’il existe une douleur semblable à la mienne!»

L’actuelle chapelle se dénomme toujours chapelle de Miséricorde comme l’ensemble de ce site universitaire. Quelle mission pour cette institution qu’on appelle aussi «alma mater», mère nourricière, compatissante et miséricordieuse. Les Dominicains qui la fréquentent devraient avoir à cœur de s’en souvenir.

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Guy Musy

Guy Musy

Le frère Guy Musy, dominicain du couvent de Genève, est rédacteur responsable de la revue Sources.

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La Trinité triandrique de Semsales https://www.revue-sources.org/trinite-triandrique-de-semsales/ https://www.revue-sources.org/trinite-triandrique-de-semsales/#comments Wed, 30 Mar 2016 09:27:30 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1191 [print-me]

Avec l’article qui suit notre revue «Sources» inaugure une chronique dont le but est de faire connaître en Romandie quelques vestiges d’art sacré qui ont témoigné de la foi de nos aînés. Chefs d’œuvre oubliés, injustement méconnus, ils font partie de notre patrimoine et de nos «sources» spirituelles.

Semsales, commune et paroisse de quelques 1500 habitants, accostée aux contreforts du Moléson, Mont Fuji des Fribourgeois. Une très longue histoires pour ce qui ne fut à l’origine qu’un hameau de quelques fermes et chalets d’alpage. Une histoire qui plonge ses racines dans celle de la Prévôté du Grand St Bernard à qui un pape du moyen âge concéda la propriété des biens curiaux et le droit de nommer le desservant qui se fit appeler pendant des siècles:«Monsieur le Prieur». L’invasion des terres savoyardes par les Suisses au XVème et XVIème siècle amena un changement de régime ecclésiastique. Les chanoines du St Bernard durent céder leurs droits et leurs biens à leurs collègues de Fribourg qui jusqu’au début du siècle dernier nommaient le curé de Semsales et maintenaient son titre prestigieux de «prieur».

Gestation difficile d’un nouveau sanctuaire

Je ne parlerai pas des premiers lieux de culte disparus au cours de des siècle, mais tout de même de l’avant-dernier, une église construite autour de 1630, épaulée par un clocher à bulbe qui survit, rescapé solitaire, au centre du village. Une église de dimension modeste certes, mais qui aurait répondu aujourd’hui aux attentes d’une population plus nombreuse, mais moins pratiquante. Tel n’était pas le cas au tournant des années 1920. La démographie s’était accrue au cours des années précédentes et les catholiques de Semsales trouvaient leur chaussure ecclésiale trop étroite à leurs pieds.

La décision fut donc prise de construire un nouveau lieu de culte et d’abandonner l’ancien[1]. Mais les temps étaient rudes et la crise économique sévère. Les gens étaient bien décidés à offrir bois de charpente, sable et charrois. Mais où trouver l’argent sonnant et trébuchant? L’évêque s’en mêla et pour précipiter le rythme des décisions menaça de suspendre ses visites pastorales tant qu’un nouvel édifice n’aurait pas vu le jour. Une façon de jeter l’interdit sur ce village en privant les enfants du crû du sacrement de confirmation. Mais le temps redevint serein grâce à un coquet subside communal et à des emprunts.

Jacques Maritain à la rescousse

Le village de Semsales dans le canton de Fribourg (Photo: Wikimedia commons)

Le village de Semsales dans le canton de Fribourg (Photo: Wikimedia commons)

Le choix de l’architecte s’imposa de toute évidence à la commission de bâtisse. Le fribourgeois Fernand Dumas, membre du Groupe St Luc, était largement connu à la ronde. Depuis quelques années en effet, un cercle d’artistes romands, animés par le maître verrier Alexandre Cingria s’était proposé de créer un «art sacré» libéré des formules néoclassiques qui l’avait inspiré (?) jusque là[2]. Dumas rêvait pour Semsales d’un vaste espace architectural livré à un décoration conforme à ce nouveau style. Il semblerait que ce fut le philosophe Jacques Maritain[3] qui souffla le nom de Gino Severini à son ami théologien Charles Journet[4] qui s’empressa de le répéter à son évêque, puis à l’architecte. Après une période cubiste à Paris, le jeune peintre italien retrouvait la foi catholique de son enfance et se disait disponible à entreprendre une œuvre spirituelle de quelque envergure.

En dépit de ces éminentes recommandations, le nom de Severini n’allait pas de soi. La consonance «étrangère» de son patronyme ne pouvait que soulever l’ire des artistes locaux qui s’estimaient lésés et dédaignés pour n’avoir pas été retenus par le jury. La cabale ne cessa que lorsque on eut associé à Severini un peintre indigène à qui furent confiées des tâches mineures. Gino Severini demeurait quant à lui le maître incontesté de l’ouvrage pictural.

Le défi de peindre la Trinité

Un nouveau défi l’attendait. L’architecte avait réservé à Severini le décor de la surface extérieure qui dominait le portail d’entrée ainsi que l’abside faisant face au maître autel à l’intérieur de l’édifice. Deux pièces majeures. Une crucifixion correspondant aux canons classiques ne pouvait troubler personne, mais bien une Trinité reproduite au fond de l’abside et qui attirait tous les regards dès le porche franchi. Dans l’aire occidentale de l’Eglise un seul modèle de représentation trinitaire semblait prévaloir depuis l’époque médiévale: l’image verticale du Père portant de ses bras son Fils crucifié et la colombe entre eux deux. Et voilà que Severini choisit un autre modèle, horizontal celui-là, tout aussi médiéval que le premier, mais moins répandu et donc moins connu: celui d’une Trinité triandrique[5] représentant alignés trois adultes humains de genre masculin, étonnement semblables, mais distincts grâce aux attributs de chacun: un globe terrestre pour le Père, une croix pour le Fils et une colombe pour l’Esprit. L’Unité de l’essence ou de la nature divine et la Trinité des Personnes étaient ainsi l’une et l’autre signifiées.

cette fresque aurait-elle pu entraîner les fidèles à concevoir la Trinité sous la forme d’une association de trois divinités particulières et les faire tomber dans le panneau d’un polythéisme grossier?

Peinte pour des fidèles peu enclins aux subtilités de la théologie trinitaire, cette fresque aurait-elle pu les entraîner à concevoir la Trinité sous la forme d’une association de trois divinités particulières et les faire tomber dans le panneau d’un polythéisme grossier? Une brèche s’ouvrait où allaient s’engouffrer certains ennemis du peintre ou de l’architecte. Un délateur envoya un courrier au Saint-Office pour dénoncer cette excentricité. Selon les usages en cour de Rome, on ne publia jamais le nom de ce défenseur de la foi nycéenne auprès des armaillis de Semsales. La réponse ne fit pas long feu. Le 14 mars 1928 un décret du Saint-Office[6] interdisait toute représentation du Saint-Esprit sous forme humaine. Seule la colombe pouvait le signifier.

L’art diplomatique d’un évêque

Doué d’une rare habileté diplomatique, Mgr Besson, l’évêque du diocèse, favorable à la peinture incriminée, fit publier le 19 avril 1928 le fameux décret dans «La Semaine Catholique», organe officiel de son diocèse, sans ajouter un seul commentaire, ni faire aucune allusion au contexte très précis de cette condamnation. Notons qu’à cette date l’église était déjà consacrée, depuis même deux ans (6 décembre 1926). Conseillé par ses théologiens, l’évêque se fendit cependant d’une belle lettre adressée à Rome invoquant l’émoi et le scandale des pauvres paroissiens de Semsales s’ils voyaient détruite cette œuvre d’art qu’ils avaient si chèrement payée. Rien n’y fit. Les juges du Saint-Office demeurèrent de marbre face à cet argument économique et exigèrent que la Trinité triandrique de Semsales fut remplacée par une image plus traditionnelle et plus conventionnelle.

L’évêque n’en resta pas là. Il demanda une suspension provisoire de l’application du décret romain en invoquant fort à propos un autre décret romain signé par un autre pape, le pontife Benoît XIV dans: «Sollicitudinis nostrae» de l’an 1745. Une polémique avait éclaté à cette époque au sujet d’une image assez langoureuse, il faut le dire, représentant l’Esprit-Saint, isolé des autres Personnes divines, sous les traits d’un jeune galant passablement séducteur. L’image se répandait chez des moniales allemandes et de Suisse alémanique et fit les gorges chaudes de leurs voisins protestants. Benoît XIV prit très au sérieux cette affaire rapportée en cour de Rome par son nonce à Lucerne. Il l’étudia personnellement, lui donnant toute son attention. Ses conclusions étaient claires: Dieu pouvait être figuré par les artistes tel que l’Ecriture le faisait apparaître dans ses diverses théophanies. Rien n’empêchait donc de peindre son image sous la forme d’un groupe de trois personnes, puisque l’Ecriture l’avait représenté ainsi dans la scène de l’hospitalité d’Abraham. Les artistes pouvaient jouir de la même liberté que l’Ecriture. La représentation de l’Esprit sous forme humaine à l’intérieur du groupe trinitaire était donc tolérée. Elle ne l’était plus si l’Esprit était représenté comme un personnage isolé des deux autres[7]. Ce qui n’était pas le cas de la fresque de Severini.

Mais qu’en pense le peuple de Dieu?

L’histoire ne dit pas quel épilogue connut cette polémique ecclésiastique. Il se pourrait bien qu’elle se terminât en queue de poisson. La réalité est que la Trinité triandrique de Gino Severini trône toujours dans sa splendeur originelle sur les murs de l’abside de l’église de Semsales. Et cela, depuis quatre-vingt dix ans. Est-ce provisoirement ou définitivement provisoire? Peu importe, du moment qu’il est possible d’admirer cette œuvre et de prier en la contemplant.

C’est bien cette question qui me reste à travers la gorge. Quelle fut la part des paroissiens dans cette affaire? J’ai comme l’impression qu’ils n’ont été sollicités que pour honorer les factures des uns et des autres. Je doute fort qu’ils furent consultés dans le choix des motifs des fresques qui allaient embellir «leur» église, alors que les journaux parisiens en faisaient état. Les a-t-on initiés à ce genre de représentation trinitaire, assurément étrange à leurs yeux, ou l’ ont-ils subie comme tant d’autres décisions autoritaires?

J’aurais aimé savoir aussi quel profit catéchétique ou liturgique en retirent les paroissiens d’aujourd’hui. L’art sacré peut dévier en art pour l’art, réservé aux délices ou aux intrigues d’une poignée de connaisseurs, coupés de leur base. Est-ce le cas de Semsales, désormais gardien d’un trésor qui fait courir les amateurs d’histoire de l’art et pourrait laisse indifférents ses habitants? Je souhaite vivement que l’on me persuade du contraire.

Elément bibliographique:

On consultera avec profit la brochure «Semsales. Une paroisse vivante», décembre 2005, disponible au secrétariat de la paroisse. Particulièrement, les contributions de Marie-Thérèse Torche, du Service des biens culturels du canton de Fribourg et de Jean-Pierre Sonney, alors président de paroisse.

[1] Une statue de saint Dominique présente dans la nef de l’ancienne église aujourd’hui détruite se trouve au musée d’Art et d’Histoire de Fribourg.

[2] Alexandre Cingria: La décadence de l’art sacré, Les Cahiers Vaudois, Lausanne 1917.

[3] Une vieille amitié liait Severini au philosophe Jacques Maritain et à son épouse Raïssa. La fille du peintre, Giulia Radin a publié et annoté La «Correspondance Gino Severini Jacques Maritain 1923 – 1966». Une véritable mine d’informations sur la période «semsaloise» de Severini. Un ouvrage édité par Leo S.Olschki, Editore, en 2011.

[4] Une des premières livraisons de la revue de Charles Journet «Nova et Vetera» fait paraître en 1926. (p. 195 – 197 ) une note signée par le rédacteur de la revue sur la trinité triandrique de Semsales. La note est accompagnée d’une illustration.

[5] On peut s’informer sur l’histoire de ces «trinités triandriques» dans l’important ouvrage de François Boespflug, «Dieu et ses images. Une histoire de l’Eternel dans l’art», paru aux Editions Bayard en 2008. En particulier aux pages 214-220.

[6] En voici la teneur telle que retransmise par «La Semaine Catholique de la Suisse Française», le 19 avril 1928:

«Par décret du 14 mars 1928, le Saint-Office a déclaré qu’il est sévèrement défendu de représenter le Saint-Esprit sous une forme humain, soit seul, soit avec Dieu le Père et Dieule Fils.»

[7] cf. Boespflug, op.cit. p. 360 -362.

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Guy Musy

Guy Musy

Le frère Guy Musy, dominicain du couvent de Genève, est rédacteur responsable de la revue Sources.

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Aux origines de la présence dominicaine à Fribourg https://www.revue-sources.org/aux-origines-de-la-presence-dominicaine-a-fribourg/ https://www.revue-sources.org/aux-origines-de-la-presence-dominicaine-a-fribourg/#respond Fri, 01 Jan 2016 09:16:25 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=423 [print-me]

Dans son allocution à l’évêque de Lausanne et Genève, lors de l’inauguration officielle des cours universitaires 1892/1893, le Père Joachim Berthier OP (1848-1924), à ce moment Vice-recteur de la jeune Université, rappelle «un vieux souvenir»:

«En plein XIIIe siècle, vers 1230, Jourdain de Saxe, le second Maître Général des Prêcheurs, celui-là même qu’on appelait ‘la Sirène des Universités’, faisait le voyage de Lausanne. Il venait y visiter un ami intime. Cet ami à lui, c’était l’Evêque. Valde se mutuo longis temporibus diligebant, dit le vieux texte [1. Traduction: «Depuis longtemps ils étaient amicalement très liés».], le Vitae Fratrum [2. Joachim Berthier renvoie ici à la chronique médiévale de Gérard de Frachet OP qui, vers 1260, a rassemblé un recueil d’événements sur la vie des premiers frères et les développements de l’Ordre.], auquel j’emprunte ce récit, et qui raconte à ce propos une délicieuse histoire d’après le témoignage du sacriste de Lausanne. Je n’ai pas cherché le nom de l’Evêque. Mais ce que je sais bien, c’est que les Evêques de Lausanne se sont réfugiés à Fribourg, et que les Dominicains ont fait quelque chose d’analogue. Au moment où la jeune Université de Lausanne s’élève sur les fondements de l’ancien couvent des Dominicains, ces derniers se retrouvent à Fribourg.» [3. Textes de l’inauguration officielle des cours universitaires pour l’année 1892/93, Fribourg 1893.]

Aux origines, une équipe internationale

C’était en effet trois dominicains, le même Joachim Berthier, ensemble avec l’allemand Albert Maria Weiss (18441925) et l’américain Joseph Kennedy (1862-1930) qui arrivèrent le jeudi saint 3 avril 1890 à Fribourg pour y fonder la Faculté de Théologie.[4. Sur cette arrivée à Fribourg on peut lire des détails dans: Joachim Joseph Berthier: Notes relatives aux débuts de la faculté de théologie à Fribourg. Mémoire dominicaine, n° 27, Paris 2011.] Ils vont enseigner d’abord en Faculté de Philosophie – la Faculté de Théologie ne fut érigée formellement qu’en automne de l’année 1890.

Weiss est spécialiste en économie politique.[5. Ses compétences étaient bienvenues dans la nouvelle université. Il ne faut pas oublier que le fondateur de l’Université, le Conseiller d’Etat Georges Python, avait suggéré, dans une lettre du 1.1.1890 au Pape Léon XIII, la création d’une faculté d’économie politique, où on enseignerait la doctrine sociale de l’Eglise.] Plus tard, il enseignera l’apologétique jusqu’en 1919. Berthier, spécialiste de Dante, explique dans ses premiers cours l’Inferno de la ‘Divina Comedia’ pour être ensuite professeur en différentes branches de la théologie. Berthier fut très vite impliqué dans la vie culturelle et artistique de la ville.[6. Voir: Notes relatives aux débuts de la faculté de théologie à Fribourg, 134-136.] Kennedy enseigne l’introduction à la philosophie et la logique. Ce trio dominicain sera vite renforcé par la présence du dogmaticien, Thomas Coconnier OP (1846-1908). Avec Berthier et l’historien de l’Eglise, Pierre-Marie Mandonnet OP (1858-1936), qui rejoint la Faculté de Théologie en 1891/92, le père Coconnier fonde La Revue thomiste.

«Il me semble même, que ce ne peut être qu’un très grand avantage pour la Suisse catholique, si les R. R. Pères Dominicains sont appelés aux chaires de la faculté théologique».

A la toute première équipe d’enseignants s’ajoute très vite un groupe de Dominicains aussi bien francophones que germanophones. Certains ne seront à Fribourg que pour quelques semestres. Ce sont Leo Michel OP (1857-1919) pour la philosophie et Ange Boisdron OP (1845-1924) qui enseignera la morale pratique et la théologie fondamentale; Ambrosius Gietl OP (1851-1918) et Thomas Esser OP (1850-1926) pour le droit canonique; Réginald Frankenstein OP (1858-1914) pour l’histoire de l’Eglise; Symphorien Hyvernat OP (1855-1926) pour la théologie morale. L’exégèse est bien dotée avec les enseignants Albert Fritsch OP (1840-1920) et Vincent Zapletal OP (1867-1938) qui, lui, restera 36 ans et marquera toute une époque. Le premier programme des cours mentionne aussi des cours de Marie-Joseph Lagrange OP (Introduction à l’écriture sainte et exégèse du livre de la Genèse). Mais ce dernier ne viendra finalement pas à Fribourg, étant retenu par la fondation de l’Ecole Biblique et Archéologique française à Jérusalem.

Encouragements épiscopaux

Dans Histoire de l’Université de Fribourg Suisse 1889-1989, publié à l’occasion du centenaire de l’Université, Dominique Barthélemy OP souligne le rôle qu’a joué Mgr Augustin Egger, évêque de Saint-Gall, dans l’appel fait aux Dominicains en vue de la création d’une Faculté de Théologie,«vraiment catholique et internationale», que le gouvernement fribourgeois voulait ajouter aux deux facultés, le Droit et la Philosophie, déjà existantes.

Dans une lettre du 3 décembre 1889 au Secrétaire d’Etat du Pape Léon XIII, le Cardinal Mariano Rampolla, Egger écrit, sans oublier de dire que les moyens financiers sont modestes et qu’ils «ne suffiraient guère que pour des Religieux», que l’on pense «à l’Ordre de saint Dominique et on espère, qu’on pourrait obtenir plusieurs savants professeurs de cet Ordre.» Et l’évêque saint-gallois ajoute: «Les temps et les circonstances où nous vivons exigent que ces professeurs Dominicains, tout en enseignant la vraie doctrine de Saint-Thomas d’après la volonté et l’exemple admirable du Saint-Père, ne perdent pas trop de temps en agitant des questions stériles de l’Ecole et ne défendent pas trop exclusivement et apodictement certaines théories disputées (comme par exemple le Thomisme en opposition au Molinisme)».[7. Etudes et Documents sur l’histoire de l’Université de Fribourg/Suisse, édités par D. Barthélemy OP, Fribourg 1991, Volume Documents, 106.]

Mermillod, qui, lors de la fondation de l’Université aurait préféré le modèle français d’un Institut Catholique, exprime ses réserves contre une trop massive présence dominicaine.

Presque en même temps l’évêque de Bâle, Mgr Leonard Haas, écrit à Rampolla: «Il me semble même, que ce ne peut être qu’un très grand avantage pour la Suisse catholique, si les R. R. Pères Dominicains sont appelés aux chaires de la faculté théologique». L’évêque est sûr que la qualité scientifique de l’enseignement des dominicains sera supérieure à celle des professeurs des séminaires diocésains et qu’une faculté avec la présence d’un Ordre religieux contribuera à établir dans le corps enseignant une unité de doctrine et évitera des dissensions. «Des maîtres pris dans l’Ordre de St. Dominique seront aussi les meilleurs promoteurs de l’étude approfondie des Œuvres de St. Thomas, si recommandée par notre St Père le Pape et tout concourrait à donner une impulsion nouvelle à l’étude de la théologie en Suisse».[8. Ibid. 107.] Dans un article sur les dominicains à l’Université de Fribourg publié dans Helvetia Sacra, le père Guy Bedouelle OP soulève ce dernier aspect.

«Le choix de l’ordre dominicain comme partenaire répondait bien aux intentions des fondateurs, en raison de son caractère international et aussi de l’importance qu’y revêtait traditionnellement l’enseignement de saint Thomas d’Aquin, recommandé en 1879 par l’encyclique de Léon XIII, Aeterni Patris. Cette préoccupation était également chère à l’Union de Fribourg, ce groupe d’intellectuels catholiques qui se retrouvaient chaque année pour des réunions consacrées aux problèmes économiques et sociaux, où Python et Decurtins étaient actifs.»[9. Guy Bedouelle OP, Les Dominicains à l’Université de Fribourg (depuis 1889), dans: Helvetia Sacra, Basel 1999, Section IV, Vol 5, Partie 1, 155.]

Python, Decurtins et Mermillod

Concernant la démarche de faire venir des Dominicains à Fribourg il faut mentionner le rôle proactif de ces deux fondateurs de l’Université, qui dans leurs contacts la mi-août 1889 à Paris avec le savant historien Henri Denifle OP et leurs interventions auprès du Saint Siège et du Maître de l’Ordre des Frères Prêcheurs, José Maria Larroca, ont en quelque sorte court circuité l’évêque du lieu, Mgr. Gaspard Mermillod (1824-1892 – Cardinal depuis 1890). Celui-ci, n’étant pas favorable à ce qu’on confie toutes les chaires aux Dominicains, essaie de corriger le tir de Decurtins et de Python en écrivant le 19 décembre 1889 à Rampolla, que les évêques suisses, «un épiscopat uni, agissant d’un commun accord», soutiennent la création d’une faculté de théologie à Fribourg. Mais Mermillod, qui, lors de la fondation de l’Université aurait préféré le modèle français d’un Institut Catholique, exprime ses réserves contre une trop massive présence dominicaine.

Il est d’ailleurs irrité par la démarche fort autonome des politiciens: «Nous serons heureux d’avoir quelques Dominicains comme professeurs; mais il nous semble, qu’au point de vue des intérêts religieux nationaux de la Suisse, et de notre situation démocratique, il est important qu’il y ait des prêtres séculiers comme professeurs, afin que nous ayons des hommes distingués dans notre pays qui élèvent le niveau du clergé séculier.»[10. Etudes et Documents sur l’histoire de l’Université de Fribourg/Suisse, édités par D. Barthélemy OP, Fribourg 1991, Volume Documents, 110.]

Les fondateurs de l’Université chérissaient l’idée d’une contemporanéité critique dans un contexte catholique.

Mais Decurtins reste convaincu de l’importance de l’engagement des Dominicains. Il insiste dans des lettres en italien à Rampolla et au Pape Léon XIII sur le fait que la présence des dominicains correspond parfaitement au caractère international de l’Université. La qualité de l’enseignement des Dominicains, qui se situe dans la ligne du renouveau thomiste, est conforme à la politique intellectuelle du Pape. Il est donc évident que la faculté de théologie soit confiée aux Dominicains, «affidata ai Reverendi Padri Domincani».

Il souligne en plus que le gouvernement fédéral ne s’opposerait pas à la venue des Dominicains comme professeurs. Au contraire, «si vede adempito un vantaggio di tutta la Svizzera, poiché i giovani teologi che andavano finora a perfezionarsi nei loro studi all’estero, potranno farlo nella patria svizzera».[11. Traduction: on y voit en effet un avantage pour toute la Suisse, car les jeunes théologiens qui jusqu’à maintenant allaient perfectionner leurs études à l’étranger pourront le faire dans leur patrie suisse.]

Il est intéressant de noter que Decurtins, dans sa lettre au Pape du 21 décembre 1889, dit explicitement que les dominicains devraient aussi enseigner la philosophie, pour que les étudiants des autres facultés – il cite l’histoire, la philologie, le droit et la médecine – puissent suivre ces cours «come fondamento delle scienze nominate». Il s’agit de «rendere alla gioventù un vero ed unico concetto filosofico del mondo»[12. bid. 115. Traduction: Donner à la jeunesse un vrai et unique concept philosophique du monde.], et ceci contre les tendances panthéistes et matérialistes du temps.

L’argument est fort important. La faculté n’est pas simplement une institution cléricale ni une école d’études philosophiques et théologiques propre à l’Ordre, elle est au service du projet universitaire. Les fondateurs de l’Université chérissaient l’idée d’une contemporanéité critique dans un contexte catholique et, dans ce sens, universel. L’orientation catholique mais laïque de l’Université exprime d’un côté la distance par rapport aux prétentions cléricales tant dans le milieu fribourgeois que romain dont Mermillod était en quelque sorte le porte-parole. D’autre part cette orientation préconisait l’ouverture à toutes les disciplines capables de contribuer au bien-être de la société et ceci en correspondance avec la doctrine sociale de l’Eglise, que le Pape Léon XIII exprimera plus tard, le 15 mai 1891, dans son encyclique Rerum Novarum. La catholicité n’était pas une fin confessionnelle en soi, mais plutôt un moyen pour percevoir le monde et les questions du temps. C’était aussi une réaction face au constat de la confessionnalité des autres universités dans les cantons à majorité protestante. Le 24 décembre 1889 une convention fut signée entre le Maître de l’Ordre Larroca et le Gouvernement du Canton de Fribourg.

125 années de présence dominicaine à l’Université

La suite de l’histoire de la présence dominicaine à Fribourg sera écrite à travers de multiples tractations sur les statuts de la Faculté et le maintien de la place spécifique des Dominicains. Cette histoire est bien décrite dans les publications des pères Dominique Barthélemy, Marie-Humbert Vicaire et Dirk Van Damme dans le volume deux l’Histoire de l’Université de Fribourg Suisse 1889-1989. Mais c’est avant tout l’histoire d’un corps international de professeurs qui, par la qualité de leur enseignement et de leur recherche, ont, de manière substantielle, contribué à l’excellence de l’Université de Fribourg et de sa faculté de Théologie. La plupart d’entre eux ont marqué l’histoire de leur discipline.

Au risque d’en oublier, je ne mentionne que ceux de la toute première génération à la frontière du XIXe et du XXe siècle. Dans les sciences bibliques Vincent Zapletal et Bernard Allo; dans la dogmatique Thomas Coconnier et Norbert del Prado; dans la morale Joachim Berthier et Dominik Prümmer; dans l’histoire de l’Eglise Pierre Mandonnet; dans la théologie fondamentale Albert-Maria Weiss; dans la philosophie Gallus Maria Manser et Leo Michel. Plusieurs d’entre eux et des générations suivantes sont enterrés dans la crypte de l’Albertinum. La longue liste de leurs noms est inscrite sur la pierre tombale.

Ces noms témoignent, sans exception, des 125 ans de la présence dominicaine dans ce Fribourg que le père Berthier, en arrivant de Rome, trouvait une ville «noire et morne»[13. Joachim Joseph Berthier: Notes relative aux débuts de la faculté de théologie à Fribourg, dans: Mémoire Dominicaine n° 27, Paris 2011, 116.], ce Fribourg où la présence dominicaine à l’Université et à la Faculté de Théologie sera devenue quelques années plus tard si évidente que l’Ordre entier pouvait célébrer en 1916 à Fribourg son chapitre général sous la présidence du Bienheureux Hyacinthe Cormier. Ce fut aussi l’occasion de faire mémoire du septième centenaire de la confirmation de l’Ordre.

Puisse le huitième centenaire de cette confirmation encourager l’Ordre à maintenir et renforcer sa présence à Fribourg. Une présence théologique intégrée pleinement à cette Université, comme l’ont voulu et cherché tant les fondateurs de cette institution que les générations de Dominicains qui ont contribué au rayonnement international et scientifique de Fribourg.

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Le frère Guido Vergauwen

Le frère Guido Vergauwen

Le frère Guido Vergauwen est né en 1944 et a grandi à SintNiklaas (Belgique). En 1962, il entre dans la Province dominicaine flamande. Il étudie à Leuven, Fribourg et Tübingen. De 1993 à 2001, il fut assistant du Maître de l’Ordre pour la vie intellectuelle. Recteur de l’Université de Fribourg de 2007 à mars 2015, le 6 janvier 2015 le Chapitre de la Province dominicaine suisse l’a élu nouveau Provincial.


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Heinrich Stirnimann (1920-2005) https://www.revue-sources.org/heinrich-stirnimann-1920-2005-unruhig-ist-unser-herz/ https://www.revue-sources.org/heinrich-stirnimann-1920-2005-unruhig-ist-unser-herz/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:46:45 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=418 [print-me]

Le frère Johannes Brantschen, professeur émérite à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, évoque celui qui fut à la fois son Père-Maître et son mentor. Il le fait à travers de nombreuses touches personnelles.

Une fois n’est pas coutume! Sources fait paraître un article en allemand. Pour faire droit dans ce numéro spécial à la diversité culturelle des Dominicains suisses. Il reste que la figure du Père Henri Stirnimann aura profondément marqué ses frères dominicains et bien au-delà de leur petit cercle.

Pater Heinrich war ein weltoffener Mensch. Er war mit allen Sinnen und mit neugierigem Geist der Welt und ihrer Schönheit zugewandt (insbesondere der zeitgenössischen Architektur und Literatur),– gleichzeitig war er ein Liebhaber und Kenner der christlichen Mystik und wohl selber auch ein (verkannter) Mystiker. Er war ein Pionier der Ökumene, und gleichzeitig jeder Schwärmerei und allem Fanatismus von Grund auf abgeneigt. Er war ein Mann, der die Begegnung, das Gespräch und die Freundschaft suchte. Pater Heinrich war zeitlebens auf vielen Wegen unterwegs: er war Studentenmagister in St. Hyazinth, Prior in Freiburg und Luzern, Spiritual bei den Dominikanerinnen in Ilanz (1988-2000); er begleitete als theologischer Berater den Bischof François Charrière zur ersten Sitzung des 2. Vatikanischen Konzils; er war von 1966-1982 Herausgeber der «Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie», und vor allem war er Professor für Fundamentaltheologie an der theologischen Fakultät der Universität Freiburg (1952-1982); last but not least war er Rector magnificus der Universität (1968-1971) und noch vieles mehr. Da es unmöglich ist, hier und jetzt Pater Heinrich auf all seinen Wegen und Pfaden nachzuspüren, begnüge ich mich – ohne logische Ordnung – mit einigen (anekdotischen) Erinnerungen, die bei mir auftauchen, wenn ich an Pater Heinrich denke.

Der Studentenmagister oder ora et sport

Pater Heinrich war für uns im Studentat nicht nur der traditionell klassische Magister studentium, der uns in unzähligen gut vorbereiteten Unterweisungen in die Tradition und die Geheimnisse des OP-Ordens einführte, sondern er war – und das war neu – auch unser Sportmagister, weil er wusste: «Leben ist Bewegung!» Pater Heinrich hat uns erlaubt, auf der Freiburger Kunsteisbahn (in der Altstadt) Schlittschuh zu laufen (sein Vorgänger hat uns dieses Vergnügen verboten mit der Bemerkung: «Auf der Eisbahn hat es zu viele leichtgeschürzte Damen und Mädchen»). Auch hat unser Magister für uns Skier organisiert und einmal pro Woche die neue Turnhalle neben St. Hyazinth gemietet, wo wir uns mit Basketball austoben konnten. Im Garten von St. Hyazinth mussten wir allerdings – mit Rücksicht auf die alten Patres – im Habit Volleyball spielen. Der herzensgute, wenn auch etwas bärbeissige Bruder Mancius (vulgo

«Schneider des Papstes»), sœben aus Rom zurückgekehrt, hatte keine Freude an unserem Spiel im Habit, weil es danach immer viel zu flicken gab und meinte. «Früher hiess es ‘ora et labora’, seit Pater Heinrich hier ist, heisst es ‘ora et sport’».

Unvergesslich bleiben mir auch die Sommerferien in Zeneggen und später in Staldenried (VS). In Zeneggen kam ich, und wohl auch einige andere Mitbrüder, zu ihrem ersten Orientierungslauf. Der Oberpfadfinder (so unser Spitzname für Pater Heinrich) hatte aus dem Zeughaus der Schweizer Armee Kompasse besorgt und uns um 6 Uhr in der Frühe auf den Lauf geschickt, den er in der Nacht ausgesteckt hatte. Höhepunkt der Ferien war jeweils eine hochalpine Bergtour. Ich erinnere mich besonders an die Tour auf den Dom (4545 Meter über Meer – höchster Gipfel auf Schweizergebiet). Als Bergführer fungierte mein Bruder Stefan.

In späteren Jahren war Pater Heinrich regelmässig mit meiner Familie und mir in Randa in den Ferien. Pater Heinrich – in seinem kragenlosen Sensler Bauernhemd – hat mich, meine Mutter und die unvergessliche Tante und Gotta Klara samt meinen Nichten und Neffen in seinem (frisierten?) Deux-Chevaux in die entlegensten Schluchten und Dörfer des Wallis chauffiert. Am Abend, glücklich und müde, warteten wir auf das Kommando von Tante Klara: «Die Entrecôtes sind fertig. Alle zu Tisch! Heinrich und die Kinder auf die Bank

hinter dem Tisch!» Dieser Ton hat Pater Heinrich gefallen, es war so ganz anders als bei ihm zu Hause in der grossbürgerlichen Familie à la Thomas Mann. Selten erlebte ich Pater Heinrich so glücklich und entspannt, wie während dieser Ferientage im Wallis. Er suchte die Freundschaft der kleinen Leute, und diese hat er im Wallis gefunden.

Die Kapelle von St. Hyazinth

Herkunft aber bleibt Zukunft (M. Heidegger). Pater Heinrich hat seine akademische Laufbahn an der ETH Zürich als Architekturstudent begonnen, bevor er Dominikaner geworden ist. Diese Liebe zur Architektur konnte er als Prior beim Bau der neuen St.-Hyazinth-Kapelle ausleben, indem er dem Architekten Schenker (Bruder von Pater Adrian), dem Glasmaler Kim OP und seinem Freund, dem Bildhauer Stocker, als kompetenten Souffleur ständig zur Seite gestanden ist. Pater Heinrich hat sogar das Relief am Kapelleneingang – ein in Calacatta-Marmor gemeisseltes stilisiertes Kreuz selber entworfen. So hat denn Pater Heinrich die Kapelle in St. Hyazinth immer auch als sein Kind betrachtet.

Die Universität: Theologie, Ökumene, Rektorat

1952 wurde Pater Heinrich, erst jährig, zum Professor für Fundamentaltheologie und Apologetik an der theologischen Fakultät der Universität ernannt. Dreissig Jahre lang führte er als guter Latinist (die Vorlesungen waren damals in Theologie und Philosophie in lateinischer Sprache) die Studenten «modo geometrico» in die Geheimnisse der Fundamentaltheologie ein. Die Vorlesungen von Pater Heinrich waren an Klarheit nicht zu übertreffen. Als dann das Zweite Vaticanum (19621965) die ökumenische Frage aufgriff, liess sich Pater Heinrich nicht zweimal bitten. Er gründete 1964 das erste ökumenische Institut der Schweiz. Dabei ging es ihm nicht nur darum, in theologischen Kreisen die konfessionelle Differenz auszuloten und abzubauen, sondern er war bemüht, auch und gerade die Kirchenleitungen in diesen Dialog mit hineinzunehmen. So hat Pater Heinrich 12 Jahre lang als Kopräsident der Evangelisch-Römisch-Katholischen Gesprächskommission der Schweiz klug und geduldig für kleine Schritte auf dem weiten Weg zur Einheit gekämpft. Er war sich nicht zu gut, durch Vorträge und Diskussionen in unzähligen Gemeinden den einfachen Leuten den ökumenischen Gedanken nahe zu bringen. Für diese ökumenische Arbeit hat ihm die Evangelische Fakultät der Universität Bern (1978) den Doctor honoris causa verliehen.

Ein Höhepunkt der Universitätsjahre war zweifelsohne das magistrale Rektorat von Pater Heinrich in den schwierigen Jahren 1968-1971. Die Studentenrevolte der 68er Jahre hat via Kalifornien, Paris und Berlin schliesslich auch das verschlafene Freiburg erreicht. In Freiburg waren vor allem die Anarchisten am Werk. Als diese Gruppe einen Festakt in der feierlichen Aula magna gesprengt, die schwarze Fahne entrollt und ein Pamphlet vorgelesen hat, ist Pater Heinrich mutig auf die Bühne gestürmt, hat den Anarchisten nach wildem Kampf das Mikrophon entrissen und zur Vernunft und zum Dialog gerufen. Der Staatsrat – skandalisiert wegen der Entweihung der heiligen Aula magna – verlangte vom Rektor, die Anführer von der Universität zu verjagen. Pater Heinrich aber hat sich zum Anwalt der Studenten gemacht und in unzähligen Nachtstunden die Anarchisten zum Dialog zu bewegen versucht. Pater Heinrich mochte die Studenten, und die Studenten, mochten ihn. Schliesslich hat auch der Erziehungsdirektor die Arbeit des Rektors anerkannt und ihm als Geschenk für sein magistrales Rektorat eine Sekretärin für das «Ökumenische Institut» und die «Freiburger Zeitschrift» gegeben.

Von der Scholastik zur Spiritualität und Mystik

Der Abschied von der Universität nach 30 Jahren war für Pater Heinrich auch eine Befreiung, denn er war im starren Korsett der neuscholastischen Universitätstheologie nie ganz zu Hause. Als Prior von Luzern, und von 1988-2000 als Spiritual der Ilanzer Dominikanerinnen, fand er Zeit und Musse, sich der Mystik und Spiritualität zuzuwenden. Sein Schreibstil wandelte sich. Statt streng wissenschaftlicher Studien, wandte er sich dem nicht weniger anspruchsvollen Essay zu, das ihm erlaubte, meditierend und spielerisch wichtige Themen zu behandeln. So entstanden die zwei originellen und weitverbreiteten Werke über Niklaus von Flüe («Der Gottesgelehrte Niklaus von Flüe», Freiburg 1981) und über Maria («Marjam, Marienrede an einer Wende», Freiburg 1989). Später kam die Reihe

«Sigma» hinzu, mit mehr als 20 kleinen und kleinsten Bändchen, die nicht öffentlich zu kaufen waren, die Pater Heinrich aber seinen vielen Freunden und Freundinnen mit einer sehr persönlichen Widmung schenkte. In diesen kleinen Schriften gelang es Pater Heinrich, in immer konzentrierterer, aphoristisch knappen Verdichtung, wesentliche Grundfragen christlichen Glaubens zur Sprache zu bringen und in einmaligen Miniaturen seinen Freunden ein bleibendes Denkmal zu errichten. Die Freunde F. Gehr und L. Stocker, aber auch der von Pater Heinrich hochverehrte Meister Eckhart, und natürlich sein geliebter Appenzeller Sennenhund Anatol, werden so in je einem Bändchen geehrt. Das erste Bändchen, «Holzbock», bietet eine noch heute aktuelle Kirchenkritik und hätte wohl im letzten Jahrhundert auf dem Index der verbotenen Bücher seinen Platz gefunden.

Die letzten drei Jahre waren für Pater Heinrich schwierig. Eine geheimnisvolle Krankheit liess den bis anhin mutigen, kontaktfreudigen und angstfreien Mann ängstlich, schweigsam und apathisch werden. Die treue Schwester Berta im Kloster Ilanz, die Pater Heinrich bis zum Schluss begleitet und gepflegt hat und gelegentlich aus Liebe streng mit ihm sein musste, sagte mir am Tag des Begräbnisses: «Pater Heinrich hat mir während seiner Krankheit mehr gegeben, als ich ihm geben konnte!» Welch ein Kompliment für Pater Heinrich, aber auch für Schwester Berta. Pater Heinrich ruht auf dem Klosterfriedhof der Ilanzer Dominikanerinnen.

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Une foi à la hauteur du monde https://www.revue-sources.org/une-foi-a-la-hauteur-du-monde/ https://www.revue-sources.org/une-foi-a-la-hauteur-du-monde/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:43:22 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=415 [print-me]

Élu Prieur de la Province dominicaine suisse le 6 janvier 2015, le frère Guido Vergauwen parle de ses origines, de sa formation ainsi que des étapes de sa vie dominicaine. Il donne un aperçu des devoirs d’un provincial dans le contexte actuel et celui de demain.

Quand on souhaite connaître une personne, on s’enquiert d’abord de ses racines. On tente de percevoir l’origine de son histoire. Frère Guido, où se trouvent vos racines?

En fait, je dois avouer que mes racines se trouvent dans l’Ordre des Prêcheurs, car j’y suis entré très tôt, tout de suite après le collège. Ce que je suis devenu comme religieux, intellectuel et même homme, je le dois essentiellement à l’Ordre. Naturellement, je peux dire aussi que mes racines se trouvent en Belgique, en Flandre. Mes parents et ma famille y habitaient. Là, j’allais à l’école; là, j’ai grandi. Mais je me suis «éveillé» dans l’Ordre.

Quelle pratique religieuse dans votre environnement familial? Comment se déroulait la vie de chaque jour? Viviez-vous dans un microcosme, comme on pourrait l’imaginer?

A cette époque – préconciliaire – , lorsque j’étais écolier en Flandre, il était naturel d’aller tous les jours à la messe et de se confesser une fois par semaine. C’était l’usage du collège catholique que je fréquentais. Un monde où la pratique religieuse allait de soi. J’avais perdu mon père très tôt; j’ai grandi avec ma mère, mes tantes, oncles, neveux et nièces, grands-parents… Des personnes qui ne manifestaient pas ostensiblement leur foi, mais fréquentaient la messe chaque dimanche. Evidemment!

Dans votre enfance, vous aviez certainement souhaité devenir conducteur de locomotive ou pilote d’avion… A quel moment vous êtes-vous rendu compte que vous étiez appelé à la vie religieuse?

Puisque j’ai grandi dans un environnement marqué par l’empreinte de l’Eglise, on conçoit aisément que mon choix professionnel pouvait entrevoir la possibilité de devenir religieux. Déterminant fut probablement le temps passé au collège où nous avions des retraites annuelles. Un Père dominicain avait prêché la retraite de mon avant-dernière année du collège. Lors d’une conversation privée avec lui, le Père Gerolf van Daele m’a rendu attentif à l’Ordre dominicain. A la fin de l’année, j’ai saisi l’occasion de participer aux journées des vocations organisées par l’Ordre. Le Père van Daele m’apprit que les Prêcheurs vivaient en quelque sorte une vie religieuse «composée», non pas exclusivement contemplative comme celle des Bénédictins, que je connaissais. Les Dominicains formaient un Ordre apostolique basé sur divers piliers: étude, liturgie, vie communautaire et annonce de la Parole. Cela m’intéressait.

« Tout naturellement, dès la fin de mes études secondaires, j’entrai dans l’Ordre ».

J’ai gardé le contact avec le Père van Daele jusqu’à la dernière année du collège. Tout naturellement, dès la fin de mes études secondaires, j’entrai dans l’Ordre. En 1962, l’année de l’ouverture du Concile, je commençai mon noviciat. Avec les novices, j’avais suivi l’ouverture solennelle du Concile, retransmise à la télévision de la salle de récréation des Pères. Car, bien entendu, les novices n’avaient pas de télévision. J’avais rencontré personnellement Jean XXIII, le Pape du Concile, lors d’un voyage à Rome l’année de mon baccalauréat. Une période très excitante. Le but du Saint Père, dont le programme était «Aggiornamento», n’était rien moins qu’ouvrir l’Église au monde. La chrétienté devait se situer dans le temps présent afin d’être à même de préparer l’avenir. En ce temps-là, nous lisions avec enthousiasme les publications des Pères dominicains Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Edward Schillebeeckx et d’autres encore qui ont marqué le temps du Concile et celui qui a suivi.

Y a-t-il eu un modèle de prêtre ou de religieux dont vous dites: je l’ai admiré, c’est à lui que je dois d’être devenu religieux et prêtre?

Le Père dominicain Gerolf van Daele dont je viens de parler fut certainement important pour moi. Avant lui, il y eut aussi d’autres personnalités qui m’ont marqué, comme le prêtre poète flamand Cyril Coupé, mieux connu sous son nom d’auteur Anton van Wilderode.

« En ce temps-là, nous lisions avec enthousiasme les publications des Pères dominicains Yves Congar ».

Je mentionne aussi un enseignant de ma dernière classe de collège, Lucien Lootens. L’un et l’autre m’ont marqué de façon inoubliable au cours de mes dernières années de collège. Ils nous rendaient accessible la littérature grecque et latine, ils nous ont aussi rendus sensibles à la culture flamande et nous encourageaient à apprendre d’autres langues. Il faut rappeler qu’au cours des années 50 et 60 du siècle dernier la culture flamande connaissait une période de renaissance. Ce qui ne fut pas sans conséquence pour la Province dominicaine Sainte Rose de Flandre. Mes professeurs de Leuven, Dominikus De Petter et Henrikus Walgrave, ont joué un rôle important dans le choix de mes orientations en philosophie et en théologie fondamentale. Remarquables furent aussi les professeurs dominicains de la Faculté de Théologie de Fribourg.

Frère Guido, après votre ordination sacerdotale qu’êtes-vous devenu? Où avez-vous été assigné? 

Après un stage d’étude à Tübingen et la présentation de ma thèse de doctorat, j’ai quitté Fribourg pour un temps prolongé. De 1975 à 1985 je fus directeur d’études à la Paulusakademie de Zurich.

En même temps, j’acceptai des enseignements en théologie fondamentale et en œcuménisme à Fribourg, donnant suite à l’invitation du Recteur de l’Université, le Père Heinrich Stirnimann, dont je suis devenu le successeur en 1985. Ma période zurichoise fut importante pour moi. Elle m’a rendu sensible aux problèmes sociaux et religieux de la Suisse. Je me suis occupé de questions soulevées par la pastorale des divorcés ainsi que du dialogue judéo-chrétien.

En parallèle, dépannant des paroisses, j’ai pris en charge de nombreux services sacerdotaux. J’ai proposé régulièrement des cours de formation continue pour les prêtres du décanat de Zurich. Je fus chargé de cours au Seminar für Seelsorgehilfe. Ce séminaire, fondé après le Concile par le théologien Johannes Fleiner, avait pour but de former des laïcs en pastorale et d’approfondir leur qualification. Fleiner était aussi le fondateur des cours de catéchèse pour adultes (Glaubenskurs) et de théologie pour laïcs (Theologiekurs für Laien). Il était un très bon théologien et un pasteur clairvoyant. De plus, il avait été conseiller des évêques suisses lors du Concile.

Comment se sont présentées les étapes suivantes? 

En 1985, j’ai pris la succession du Père Heinrich Stirnimann. En 1993, le Maître de l’Ordre Timothy Radcliffe me demanda d’être son assistant pour la vie intellectuelle. Je diminuai alors mon activité d’enseignement à l’Université de Fribourg afin de remplir la mission dont j’étais chargé à Rome et dans le monde. J’appris alors à connaître les dimensions universelles de l’Ordre, en particulier les maisons et couvents d’études ainsi que les universités dominicaines. Au rythme des nombreux voyages, au cours d’innombrables rencontres et en participant à trois Chapitres généraux, à Caleruega, Bologne et Providence (USA).

« Timothy Radcliffe me demanda d’être son assistant pour la vie intellectuelle ».

Cette période achevée, je retournai à l’Université de Fribourg où j’ai été élu Doyen de la Faculté de théologie. Je devins aussi Vice-recteur, de 2003 à 2007, plus spécialement chargé de l’enseignement, des bibliothèques et des relations internationales. En 2007, je fus élu Recteur de l’Université de Fribourg, fonction que j’exercerai jusqu’en mars 2015. Une fois de plus, ce fut un défi extraordinaire pour moi. J’avais déjà vécu mes années professorales et ma présence à Rome auprès du Maître de l’Ordre comme une période d’apprentissage incroyablement captivante. Il en fut de même des années passées au Rectorat.

Je ne me suis donc jamais éloigné de mon temps de formation et de pérégrination. Je fus constamment appelé à parfaire mon apprentissage. Recteur de l’Université, j’avais de nouveaux territoires à découvrir, surtout dans les domaines touchant à la médecine, à l’économie, à la jurisprudence. J’avais aussi pour mission de promouvoir ces secteurs d’enseignement et de recherche. Autant de défis permanents qu’il fallait relever pour satisfaire les demandes variées des professeurs et celles des étudiants. J’ai eu la joie de constater que les diverses facultés de la communauté universitaire avaient accepté un recteur théologien. Bon signe pour la faculté à laquelle j’appartenais! Elle devait et pouvait se considérer comme partie intégrante de l’Université.

Au terme de votre rectorat il vous était possible de poursuivre vos activités professorales en Suisse, en Belgique ou ailleurs encore. Mais le Chapitre de la Province dominicaine suisse vous a élu Prieur provincial. Que signifie pour vous ce nouvel appel?

Tout d’abord, ce fut une surprise pour moi. Je n’avais pas imaginé être élu à un tel poste. D’autre part, c’était un défi joyeux que de mettre à nouveau mon expérience au service de l’Ordre, rappel du temps où je travaillais de façon soutenue comme assistant du Maître de l’Ordre. Une nouvelle tâche que je devais apprendre. Je ne l’assumais donc pas avec des opinions préconçues. Je reste ouvert, attentif aux surprises qu’elle me réserve.

Naturellement, ce provincialat me donne le loisir de poursuivre certains intérêts que je cultivais déjà comme professeur, par exemple l’œcuménisme ou le Centre «Islam et Société». Recteur, j’avais trop peu de temps à leur consacrer. De même, je pense m’occuper à nouveau de la Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie et poursuivre mes recherches sur le théologien dominicain Thomas de Vio, dit Cajetan, dont je souhaiterais traduire les prédications.

L’Eglise catholique comprend un nombre imposant d’ordres, de congrégations et de mouvements religieux. Où situer l’Ordre des Dominicains dans cette constellation?

 J’ai appris à considérer l’Ordre dans ses dimensions qui vont bien au-delà d’une Province locale. En ce temps où les vocations se font rares, particulièrement en Europe occidentale, il est important que la Province dominicaine suisse apprenne à tenir compte de la dynamique de l’Ordre en sa totalité.

« L’Ordre est jeune de 800 ans, parce que sa mission est toujours actuelle ».

En ce sens, le «Jubilé des 800 ans de l’Ordre Dominicain» est l’occasion pour notre Province de devenir plus visible. Nous le serons en collaborant avec le Maître de l’Ordre et l’ensemble de sa curie. Il nous appartient de participer à cette commémoration de toutes nos forces. Nous n’avons pas le droit de rester à l’écart des festivités du Jubilé. L’Ordre est jeune (!) de 800 ans, parce que sa mission est toujours actuelle. Il continue à proclamer la Parole sous diverses formes et avec des moyens multiples. L’étude et la prédication demeurent une mission permanente que l’Eglise a explicitement confiée aux Prêcheurs. Nous pouvons la remplir dans le cadre d’une communauté, sans qu’il ne soit nécessaire de jouer les cavaliers seuls. Le Jubilé de 2016 est un appel à redécouvrir cette dynamique et à la faire fructifier. Annoncer la Parole est un mandat impératif qui n’a rien perdu de son actualité.

La Province suisse des Dominicains a vu chuter ces dernières années l’effectif de ses frères. Ce constat vous fait-il souci?

L’âge avancé des frères n’est pas un problème en soi. La société dans son ensemble devient toujours plus âgée. Mais que les frères aînés en dépit de leur âge puissent demeure prédicateurs, confesseurs, auteurs ou simplement soutenir par leur prière les activités des autres.

Je situerais le problème à un autre niveau: la discontinuité ou la rupture intergénérationnelle. Ce souci-là me préoccupe. Autrefois, il y avait une continuité naturelle dans la transmission de la foi et de la connaissance religieuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Afin de combler ce manque, des structures doivent être créées pour des hommes à la recherche d’un deuxième chemin de vie à l’intérieur de notre Ordre. La vie dominicaine comporte traditionnellement une certaine culture orale issue du vécu de chacun. Elle est essentielle pour la transmission de notre spiritualité, de notre liturgie, de notre vie intellectuelle, de nos manières de vivre en communauté. Lorsqu’une génération fait défaut, un déficit se crée. En Suisse tout particulièrement, nous devons nous préoccuper de la relève.

De quoi doit-on tenir compte dans la formation de cette relève?

La formation comprend différents éléments. Il est important pour moi de ne pas sous-estimer la dimension intellectuelle, de familiariser ceux qui frappent à notre porte à la grande tradition intellectuelle de l’Ordre. Elle permet d’acquérir à travers le travail personnel un ensemble d’instruments qui permettent d’analyser, de rendre accessibles les problèmes du temps présent et de préparer des réponses adéquates.

Il n’est pas vrai que le monde ait changé au point que la vie religieuse aurait perdu son sens. Il s’agit de transmettre notre propre tradition dominicaine. La formation doit avant tout faire des jeunes des chrétiens adultes. Il ne s’agit pas de les mettre sous tutelle, mais de faire en sorte qu’ils trouvent leur chemin personnel et deviennent des chrétiens qui savent rendre compte de leur foi dans le monde actuel. En aucun cas on ne fera d’eux des êtres dépendants, mais des chrétiens adultes, munis d’une foi située à la hauteur du  monde.

« Entre nous, j’aimerais aussi utiliser plus souvent ma bicyclette, une vieille passion… »

Mais encore, quel appui donner à ces jeunes, indépendamment de toute carrière spécifique et professionnelle?

Si nous leur disons «venez chez nous», les candidats (ainsi que les candidates des communautés féminines) devraient dans l’Ordre pouvoir se développer intellectuellement, et ceci m’importe particulièrement devenir des adultes chrétiens en prenant profondément racine dans la Parole et la vie de l’Eglise. Ils doivent être prêts à relever à partir de leur foi les défis que le monde leur pose. Johann Baptiste Metz appelle cela la «mystique des yeux ouverts». Metz était, bien entendu, professeur de théologie fondamentale…

Frère Guido, vous n’avez jamais esquivé les charges à responsabilité. Sans regarder derrière vous, où trouvez-vous les motifs de vous réjouir aujourd’hui? 

Je me réjouis surtout d’avoir davantage d’espace, de temps et de force pour me consacrer à la théologie et plus directement pour répondre aux sollicitations de mes frères. Je ressens cette opportunité comme une nouvelle chance. C’est un cadeau de pouvoir vivre une fois encore intensément ma vocation dominicaine dans une période nouvelle de ma vie. Entre nous, j’aimerais aussi utiliser plus souvent ma bicyclette, une vieille passion…

Que signifie concrètement votre activité de Prieur de la Province suisse des Dominicains?

 Provincial, j’apporterai naturellement mon concours à la Conférence des Unions des religieux/religieuses et des Instituts séculiers de Suisse (KOVOSS / CORISS). Je me réjouis aussi de participer au prochain Chapitre Général de l’Ordre en 2016 à Bologne.

Dans ma fonction de Prieur provincial j’ai surtout le devoir, en étroite collaboration avec le Conseil provincial, de mettre en œuvre les Actes et les décisions du Chapitre provincial de janvier 2015. La fonction d’un Prieur provincial est directive sans doute, mais elle doit se situer toujours dans la ligne des Constitutions de l’Ordre et en consonance avec les directives et perspectives formulées par le Chapitre provincial.

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Interview réalisé pour notre revue Sources par le frère Uwe Augustinus Vielhaber, du couvent St-Hyacinthe de Fribourg. Traduit de l’allemand par Evelyn von Steffens et Guy Musy.

 

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