journalisme – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 14 Mar 2018 13:52:54 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Le diable est dans les fake news https://www.revue-sources.org/le-diable-est-dans-les-fake-news/ https://www.revue-sources.org/le-diable-est-dans-les-fake-news/#respond Thu, 15 Mar 2018 01:40:43 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2526 N’en jetez plus, tout le monde s’y met. Le pape François lui-même s’est intéressé au phénomène des fake news, des fausses nouvelles, lui consacrant son message de janvier pour la journée mondiale des communications sociales. Début janvier, c’était le président français Emmanuel Macron qui annonçait devant la presse sa volonté de combattre les «bobards», mot choisi pour traduire la locution anglaise. A l’avenir, promettait Macron, il y aura une loi pour combattre ces fausses nouvelles en période électorale. Nous serions en présence d’une «épidémie de fake news», assure le Temps. Est-ce vrai? Et si c’est le cas, d’où vient-elle et que penser des remèdes proposés?

Le fait que le bobard cher à Macron ait déjà été oublié n’est pas le seul effet de l’impérialisme anglophone. C’est que les fake news renvoient immédiatement au personnage qui les symbolise aux yeux de l’opinion et dont lui-même se sert généreusement: Donald Trump, président des Etats-Unis. On sait qu’il balaie chaque nouvelle dérangeante, chaque révélation des médias critiques à son égard d’un «fake!» dédaigneux. Ce qui ne lui plaît pas est faux.

Aux mollets de Trump

Donald Trump a un rapport particulier avec la vérité. Un journaliste du New York Times qui ne lui lâche pas les mollets depuis son entrée en fonctions assure que le président aurait raconté plus de 2000 bobards au cours de sa première année présidentielle. Déjà lors de son installation à la Maison Blanche, il déclarait que «jamais autant de partisans ne sont venus soutenir un président lors de son investiture». Affirmation aussitôt démentie par les images des télévisions et par les journalistes présents. Mais une fidèle collaboratrice du président avait commenté: «Si Monsieur Trump l’a dit, sa vérité vaut bien celle des journalistes».

Cette petite phrase révèle beaucoup de choses, à commencer par la remise en question de la vérité journalistique. C’est un point sur lequel il faudra revenir. Pour comprendre la nouveauté du phénomène, il faut cependant rappeler que le mensonge est aussi vieux que l’humanité déchue depuis qu’Eve s’est laissée embobinée par le serpent. «Vous ne mourrez pas, mais vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux»: des bobards en rafale.

Dans le document cité, le pape François parle «d’une séduction rampante et dangereuse qui fait son chemin dans le cœur de l’homme avec des arguments faux et attrayants, mais qui apparaissent plausibles et même vraisemblables». La fake fonctionne parce qu’elle plaît et surtout parce qu’elle fait écho à quelque chose qui est déjà présent en nous comme désir, peur ou préjugé.

Un mensonge tentaculaire

Depuis trente ans, le monde dit civilisé vit sur un mensonge tentaculaire, monstrueux et dévorant. Je ne parle pas de la Bourse ni de ses promesses, qui mériteraient à elles seules un article, mais de l’invasion de l’Irak par l’Amérique et ses alliés en 2003. Elle a provoqué des catastrophes en chaîne: la naissance de l’Etat islamique, la déstabilisation de toute la région et l’élimination des minorités locales, en particulier les anciennes communautés chrétiennes du Moyen-Orient.

Cette invasion avait été justifiée à la tribune du Nations-Unies par les armes de destruction massive accumulées par Saddam Hussein, en particulier les armes chimiques et bactériologiques. Or ces armes n’ont jamais été retrouvées. Parce qu’elles n’existaient pas.

Voilà un cas de nouvelle fabriquée ad hoc – ce qui est le sens premier de la fake news, qui n’est pas seulement fausse, mais délibérément inventée ou truquée – et qui a eu pour conséquence l’émigration massive, bien réelle celle-ci, des réfugiés vers l’Europe et les tragédies qui l’ont accompagnée.

La manipulation médiatique fait le jeu des puissants depuis que l’opinion publique existe. Et pas seulement le jeu politique. Je pense aux études téléguidées des multinationales du tabac pour cacher la nocivité de la cigarette et aux diatribes entre climatosceptiques et climatoprêcheurs. Les images récentes d’un ours blanc traînant sa carcasse sur une lande pelée du Canada ont ému les cœurs d’artichaut du monde entier avant que de petits futés dénoncent l’arnaque au réchauffement climatique, cette île étant habituellement libérée des glaces en cette période de l’année. A les entendre, cet ours était simplement malade.

Des tweets rageurs ou moqueurs

Le mensonge est partout et de tout temps. Pourquoi les fake news donnent-t-elles l’impression d’être un phénomène nouveau et récent? Uniquement parce que tous les regards sont braqués sur Donald Trump et le danger qu’il fait courir – d’après ses détracteurs – à la vérité et à la paix dans le monde?

Le président américain communique essentiellement à coups de tweets brefs, rageurs ou moqueurs, c’est selon. C’est déjà une piste. Les fake news sont apparues sur les écrans et dans les conversations pendant la campagne présidentielle américaine à l’occasion des joutes verbales d’une rare violence entre Trump et Hillary Clinton. Trump avait contre lui la quasi totalité des médias traditionnels et l’élite intellectuelle du pays. Mais il a gagné. Parce qu’il est une bête de scène, évidemment. Mais aussi parce qu’il a pu s’appuyer sur une communication alternative, sur ses tweets suivis par des millions de fidèles. Et parce qu’il a fait passer les journalistes pour des menteurs au service des pouvoirs en place. Et cela a marché. Trump pouvait raconter n’importe quoi, il lui suffisait d’expliquer que les bobards de la caste médiatique étaient plus grands que les siens et que ces journalistes n’écoutaient pas les soucis du petit peuple conservateur.

L’émergence des fake news est liée à la perte de crédibilité des médias et des leaders d’opinion, et pas seulement aux Etats-Unis. Le Brexit et d’autres manifestations qu’on réunit sous l’étique de «populisme» sont le signe que les citoyens n’ont plus confiance dans les médias ni dans les élites. Mais si le peuple se révolte, c’est aussi parce qu’il dispose d’autres canaux d’information ou de désinformation. Les fake news circulent à la vitesse de la lumière sur les réseaux sociaux qui se moquent des filtres et des barrières de la communication médiatique traditionnelle.

Qui est allé sur la lune?

Comme dit le message du pape François, qui a bien analysé ce mécanisme, «la diffusion des fake news peut compter sur l’utilisation manipulatrice des réseaux sociaux et des logiques qui en garantissent le fonctionnement: les contenus gagnent une telle visibilité que même les dénégations venant de sources fiables peinent à en limiter les dégâts».

Et qui dit réseaux dit milieux fermés et homogènes qui n’ont pas envie d’entendre d’autres opinions. On est entre soi et on se répète des histoires délirantes: le sida a été fabriqué en laboratoire, les Américains ne sont jamais allés sur la lune, le 11-septembre a été fomenté par la CIA, etc… Et tout cela serait caché par des médias qui participeraient au complot visant à enrichir les multinationales et à éliminer l’homme blanc. Toutes choses qu’on peut lire sur internet.

La nouveauté des fake news n’est pas dans leur existence puisque les rumeurs, les fausses nouvelles et le mensonge ont toujours existé, mais dans cette diffusion puissante et rapide qui peut fausser des élections et perturber le sommeil des gens et le bon fonctionnement de la société.

A la racine du mal

Le texte du pape, qui pousse plus loin la réflexion, constate que le succès des fake news vient du fait que ce type de nouvelles au caractère provoquant, excitant ou scandaleux profite de «l’avidité insatiable qui s’allume facilement dans l’être humain. Les motivations économiques et opportunistes de la désinformation ont leur racine dans la soif de pouvoir, de l’avoir et du plaisir». La fake news est une manifestation du mal «qui se meut de mensonge en mensonge pour nous voler la liberté du cœur». Jolie formule qui va au fond des choses et qui permet de réfléchir aux remèdes proposés. Eve a croqué la pomme parce que le serpent s’est présenté comme un ami bien intentionné et qu’il a su éveiller sa curiosité et son désir tout en la rendant méfiante à l’égard de Dieu. Comment éviter de mordre dans la tentation?

La réponse d’Emmanuel Macron est connue: il y aura une loi. L’Etat se chargera de protéger la vérité contre les pouvoirs étrangers ou mal intentionnés. La nouvelle a fait sourire ceux qui pensent que les nouveaux médias sont plus forts que les Etats, mais il ne faut pas sous-estimer la vague de censure qui frappe internet. D’autres se méfient du recours au Prince: «Un pouvoir qui s’intéresse de trop près au statut de la vérité n’est jamais innocent», écrit Arnaud Benedetti, professeur associé en histoire de la communication à la Sorbonne, dans une excellente tribune[1].

La démocratie est un fait récent dans l’histoire, le journalisme aussi. L’expérience accumulée semble prouver que la meilleure réponse au mensonge n’est ni la censure ni une information contrôlée par l’Etat ni une forme de «bien-pensance» politiquement correcte. Si Trump a gagné, je le répète, c’est parce qu’une partie de l’électorat a voulu donner une leçon au mainstream médiatique qui voulait mettre Hillary Clinton à la Maison Blanche.

La vérité est relation

La réponse aux fausses nouvelles n’est pas une vérité proclamée par l’Etat, par un juge ou un groupe de presse. Elle émerge d’un effort d’information et de réflexion que chacun doit faire pour aboutir à une conviction solide: cela est vrai pour moi. Pour y arriver, il faut bien sûr disposer de sources d’informations fiables, mais internet, tant décrié, offre de très nombreux sites, blogs et autres documents en libre accès. Et il vaut la peine de rappeler que l’information a un coût, et que ce qui est gratuit n’est pas toujours bon.

La vérité naît d’abord de la relation. Entre le journaliste et le lecteur, par exemple, mais aussi entre les lecteurs et tous ceux qui s’expriment, qu’il s’agisse du prêtre en chaire ou du professeur devant ses élèves. Comme l’écrit le pape François, «le meilleur antidote contre les faussetés, ce ne sont pas les stratégies, mais les personnes». La vérité est une personne, c’est Jésus. Et chacun dispose d’un excellent outil pour combattre le mensonge: la conscience. Il y a une voix en moi qui me dit très vite si telle personne, telle information, tel journal ou site internet contribuent à ma réflexion, à mon épanouissement, à une communion plus grande ou si, au contraire, ils font le jeu du mensonge, de la division et de la résignation.

Pour entendre cette voix, il faut aimer le silence, il faut prendre le temps d’écouter et de réfléchir. Les fake news ne sont qu’une des formes du vacarme qui nous étouffe. Le comprendre, c’est déjà y échapper, c’est déjà retrouver le goût de la vérité.


Patrice Favre, journaliste suisse, rédacteur en chef du périodique romand «Echo Magazine». Cet «Hebdomadaire chrétien des familles» paraît à Genève.

[1] Famille chrétienne n. 2087 du 13 janvier.

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Journalistes et politiciens à l’épreuve du populisme https://www.revue-sources.org/journalistes-politiciens-a-lepreuve-populisme/ https://www.revue-sources.org/journalistes-politiciens-a-lepreuve-populisme/#comments Mon, 24 Jul 2017 07:20:21 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2332 [print-me]Au début, ce fut simple et idyllique: pas de démocratie sans liberté d’opinion et sans liberté de presse. Les pères fondateurs des Etats-Unis l’affirment dans leur Constitution, la Révolution française et ses répliques tumultueuses sur tout le continent européen l’illustreront: élus et journalistes oeuvrent pour le bien commun. Il n’est pas rare que les parlementaires manient la plume pour défendre leurs idées ou que les plumitifs s’offrent au suffrage universel.

Au XXème siècle, l’industrialisation de la production des journaux et le formidable essor de la publicité cassent peu à peu ce lien vital pour la santé démocratique. La presse devient généraliste mais d’autant plus puissante dans son rôle de contre-pouvoir inquisitorial que le travail des rédactions est financé par la manne qui semble, alors, sans fin des annonceurs.

Politiques et chroniqueurs de la chose publique entrent dans la phase orageuse de leurs relations, on nage en plein «je t’aime, moi non plus». Les uns ont besoin des autres et vice versa pour exister, les uns pour séduire les électeurs, les autres pour intéresser les lecteurs, les auditeurs, les téléspectateurs.

La classe polico-médiatique

Quand ils se pencheront sur la résurgence du populisme dans le premier quart du XXIième siècle, les historiens du futur prêteront certainement attention à une antienne qui se répand dès la fin des années 1980: «la classe politico-médiatique». Le concept, qui jette un même opprobre sur les politiciens et les journalistes, fait toujours autant fureur, on parle désormais d’élites et d’«entre-soi» pour qualifier leurs liens. Coupés du peuple et de ses préoccupations, les uns comme les autres failliraient dans leur mission conjointe de servir la démocratie, tout occupés à proroger les privilèges dont ils jouissent.

C’est le moment opportun pour exiger des journalistes l’art de la critique constructive et des politiciens l’obsession des résultats concrets.

Les enquêtes d’opinion qui mesurent la confiance de la population envers divers professions ou institutions sont impitoyables: les politicards comme les journaleux squattent les dernières places du classement. Cette mauvaise réputation ne les rend pas plus solidaires.

Actuellement, les deux castes sont pareillement «disruptées» par la montée en puissance des réseaux sociaux. Plus besoin ni des uns ni des autres dans un monde orwellien où les sondages en ligne seraient permanents, nourrissant l’illusion que les citoyens décident en toute liberté, et surtout pas orientés par les intermédiaires, les médiateurs, que sont les rédacteurs et les partis politiques.

Juguler le populisme

Voilà pour le contexte. On s’inquiète des ravages du populismes, mais peu de la disqualification que subissent ceux dont la démocratie a besoin pour fonctionner: d’une part les représentants légitimement choisis par les citoyens et, d’autre part, les fabricants d’opinion qui font métier de rendre compte et de questionner le monde tel qu’il est, d’apporter avec honnêteté intellectuelle le vertige de la contradiction.

Juguler le populisme à long terme nécessitera de travailler sur toutes ses causes. En premier lieu, le mal être social et économique qui laisse en moyenne européenne au moins un travailleur sur dix au chômage. Sans emploi, sans perspectives salariales dignes, difficile de ne pas céder aux discours qui promettent que demain sera meilleur et plus juste.

En second lieu, la presse, mais également le monde académique, les artistes, tous ceux qui ont vocation à réfléchir sur le monde et ses dysfonctionnements, doivent s’engager plus activement, déconstruire les solutions «perlimpimpesques» des démagogues, proposer des alternatives,…

Un brin d’autocritique

Dans cet exercice, un brin d’autocritique des journalistes sera bienvenu. Par manque de moyens (souvent) mais aussi d’ambition et d’exigence, par goût du spectacle, par paresse, ils n’ont pas assez combattu les populistes. Ils ont été une caisse de résonance alors qu’ils auraient dû se dresser en rempart.

Ils ont cédé à la «pipolisation» de la vie politique, ravageuse entre toutes, jouant sur l’émotion, la simplification, alors que les problèmes sont complexes. Ils ont personnifié les enjeux à l’excès, alors que la volonté, pour être efficace, doit s’appuyer sur le collectif.

Le journaliste doit, avec humilité, retrouver le sens de sa mission: décrire les événements du monde, leur donner une profondeur historique et éthique, afin de fournir aux citoyens les moyens de décider en conscience. Ce faisant, les acteurs médiatiques retrouveront la confiance de leur public.

Urgence de reconstruire

La crise de la presse n’est pas que technologique ou financière, c’est une crise de la démocratie. Pour les journalistes, lâchés par des éditeurs plus soucieux de leurs bénéfices que de leur responsabilité sociale, tout est à reconstruire. Pour les élus, bousculés par les démagogues, aussi. C’est le bon moment pour recommencer à travailler ensemble, dans le respect des prérogatives et des compétences de chacun. C’est le moment opportun pour exiger des journalistes l’art de la critique constructive et des politiciens l’obsession des résultats concrets. Face aux populistes, il est urgent que les uns comme les autres retrouvent ce qui leur a tant manqué récemment: la force de convaincre, à la loyale, sans tromper ni divertir.[print-me]


(© twitter.com/chantaltauxe)

Journaliste basée à Lausanne, Chantal Tauxe a travaillé successivement à 24 Heures, Le Matin, l’Illustré et L’Hebdo, dont elle a été la rédactrice en chef adjointe (de 2003 à 2016). Depuis 2017, elle collabore aux travaux de Médias pour tous visant à refonder les conditions-cadre du journalisme en Suisse. Elle est membre de l’équipe Bon pour la tête et publie régulièrement sur son blog personnel.

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Le portail Cath.ch https://www.revue-sources.org/le-portail-cath-ch-une-arche-dans-les-tourbillons-du-numerique/ https://www.revue-sources.org/le-portail-cath-ch-une-arche-dans-les-tourbillons-du-numerique/#respond Tue, 01 Apr 2014 15:03:16 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=243 [print-me]

Il y a peu d’années, recouvert par des mètres de neige, l’hospice du Simplon, colossale bâtisse, accueillait des étudiants d’un collège de la plaine du Rhône. Un matin, l’un d’eux, australien venu apprendre le français en Suisse, paraît en état de choc, les yeux gonflés de larmes. Il montre sur son téléphone portable la photographie qu’il vient de découvrir sur les réseaux sociaux. Elle représente une maison coupée en deux par des torrents de boue. Il la reconnaît, c’est la maison de ses parents, celle de son enfance.

Nous restons dubitatifs face à la force de l’image livrée crûment, sans explication, là-haut dans le silence recueilli des montagnes. Lui veut appeler, il veut savoir et entendre la voix de ses parents. Dans la journée, les médias traditionnels nous apprennent les terribles inondations qui touchent l’Australie; le téléphone apportera des nouvelles rassurantes. Je resterai grandi par cette importante leçon: les réseaux sociaux ont dessiné le continent numérique; ils y règnent en maîtres.

Le royaume de l’immédiat

Les réseaux sociaux, ceux que l’on rassemble savamment sous la terminologie «web 2.0» pour indiquer l’évolution irrémédiable qu’Internet a vécue en comparaison des temps du gentil «site à papa», ont intronisé un nouveau royaume, celui de l’immédiat. Lisez bien ici l’absence de média, la disparition de cet intermédiaire qui délivre une information sur le monde après l’avoir collectée, critiquée, pondérée et mise en forme. Désormais le monde communique avec le monde sans médiation. Est-ce la fin du journalisme que l’histoire avait patiemment érigé en triomphe et qui semble s’effondrer maintenant?

Si les journalistes se lamentent, d’autres se frottent les mains. Les gens du devant de la scène, ceux qui veulent se tenir sous les feux des projecteurs, les politiciens, les stars peuvent communiquer au public, à un public mondial, à des millions de fans, en contournant l’exigeant filtre médiatique. Mieux encore, les annonceurs développent des campagnes publicitaires à moindre frais, mais diablement efficaces du fait de leur pénétration dans l’intimité des gens. Car, dans le monde des réseaux sociaux, les salutaires barrières de la vie privée tombent l’une après l’autre. Peut-être, n’a-t-on pas encore appris à les construire?

Une arche journalistique dans un monde d’immédiateté.

Dans les années 70-80, le téléphone – fixe! – avait fait la conquête des ménages et était parvenu à atteindre la femme au foyer. Quelle aubaine pour elle, recluse à la maison, qu’une fenêtre ouverte sur un vaste réseau sans frontière. Quelle aubaine aussi pour les annonceurs! Voici venu l’âge d’or du démarchage téléphonique qui défriche un accès providentiel dans une moitié d’humanité prête à consommer. Il n’est pas impossible que les réseaux sociaux ressemblent plus qu’on ne l’imagine au téléphone. Ils ont réussi à accéder à une population repliée sur elle-même, celle des jeunes, en leur proposant d’accéder immédiatement dans l’intimité de la sphère privée. Il n’est pas impossible que ces réseaux sociaux vieillissent avec cette jeunesse, comme le démarchage téléphonique après avoir atteint son apogée se replie inexorablement.

Cath.ch

Comment évangéliser le continent numérique? Sur le modèle de l’évangélisation téléphonique qui n’a pas eu lieu? Je crois que ce continent n’existe pas. Les personnes qui y naviguent disposent toutes d’une adresse réelle. C’est bien sur terre que la rencontre évangélisatrice doit se faire d’abord! Preuve en est les groupes de jeunes dynamiques en Suisse romande qui possèdent des sites et des pages Facebook jamais à jour ou alors trop tardivement et pas systématiquement. Ils s’organisent certes sur facebook, mais se rencontrent In Real Life.

L’Eglise catholique a édifié le plus important, le plus dense, le plus efficace et le plus humain des réseaux sociaux, parce qu’elle l’a déployé dans la vie de chair et d’esprit. Elle utilise le «web 2.0» à titre accessoire pour faciliter et assister son «web catholique» et sa mission d’évangélisation, en se gardant bien d’en faire un but en soi!

Et cath.ch me direz-vous! Eh bien, il peut paraître comme une ruine virtuelle du «web 1.0», un site à papa vieux de trois ans, une communication désuète puisqu’elle ressemble au journal de presse écrite et non pas au carnet de souvenirs du Facebook.

Mais pour moi, cath.ch se présente au contraire comme une arche journalistique dans un monde d’immédiateté, un espace de valeurs reconnues, choisies, partagées, éprouvées, critiquées, chéries et proclamées; un lieu qui participe à l’évangélisation, autant, si ce n’est plus, que les narcissismes mondains qui souvent empoisonnent les réseaux sociaux. Je lui connais un présent heureux et, malgré les tempêtes, je lui promets un avenir radieux.

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Pascal Fessard

Pascal Fessard

Pascal Fessard est journaliste et webéditeur du portail catholique suisse cath.ch. Philosophe de formation, il partage également son regard sur l’actualité ecclésiale à travers son blog «Cuistreries spirituelles».

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