Nicolas de Flüe – Revue Sources https://www.revue-sources.org Thu, 30 Nov 2017 10:38:38 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Nicolas de Flue: maître spirituel https://www.revue-sources.org/nicolas-de-flue-maitre-spirituel/ https://www.revue-sources.org/nicolas-de-flue-maitre-spirituel/#respond Wed, 29 Nov 2017 22:10:19 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2465 [print-me]Après trois articles déjà parus dans Sources consacrés à situer l’ermite du Ranft dans son contexte géographique, historique et même œcuménique, il est temps de nous arrêter sur son message spirituel contenu essentiellement dans la prière qu’on lui attribue, dans sa toile de méditation et dans les visions dont parlent des témoins. Nous le faisons avec un chercheur passionné qui est aussi un amoureux de Nicolas. Il a bien voulu se prêter à cet interview

Depuis plusieurs années vous vous adonnez à de passionnantes et pointilleuses recherches concernant Nicolas de Flüe. Vous annoncez des publications sur ce thème[1]. Pourriez-vous nous dire pourquoi et comment vous êtes-vous mis sur cette ligne de recherche? 

Depuis longtemps je me rends au Ranft, particulièrement dans l’entre saison. J’aime ce lieu de calme, de paix profonde où rayonne cette présence de saint Nicolas de Flüe. Il y a trois ans j’ai réalisé un diaporama de méditation à partir du tissu de méditation de Nicolas de Flüe. Et, à Noël, en guise de cadeau, mon grand frère m’a offert le livre allemand du 600e. En commençant à le feuilleter et à le lire, je me suis dit que je devais retourner aux sources, que j’ai d’abord repérées sur internet puis dans les livres de Durrer et Amschwand. Je me suis mis à écrire un ouvrage avec le titre «Frère Nicolas de Flüe un mystique pour aujourd’hui. Je me suis vite rendu compte qu’il fallait diviser cet ouvrage en plusieurs publications. J’ai commencé par ce que je connaissais le mieux, à savoir le tissu de méditation, puis les douze visions qui m’étaient presque totalement inconnues. Ensuite, comme une synthèse, la vie spirituelle et intérieure de Nicolas, une mystique pour aujourd’hui. Je peux témoigner que cette étude attentive m’apporte un éclairage profond et lumineux sur mon propre chemin spirituel.

C’est d’abord la “spiritualité” de Nicolas qui vous intéresse et qui nous intéresse aussi. Davantage que ses interventions politiques ou patriotiques. Pouvez-vous décrire le milieu “spirituel” dans lequel il a vécu, qui a influencé ses visions, sa prière et surtout son choix et son genre de vie ? Est-ce la “devotio moderna”? Les mystiques rhénans? Le modèle du “pèlerin”, de l’”ermite”?

Pour dégager la spiritualité de «frère Nicolas» (c’est ainsi qu’il se nomme après avoir quitté femme et enfants à l’âge de 50 ans), il faut se plonger dans le milieu de son temps. Le contexte spirituel du temps de frère Nicolas est celui des mystiques rhénans. Chacun à sa manière cherche à savoir comment Dieu est présent au cœur de l’homme. L’inhabitation de Dieu, thème traditionnel chez les Pères de l’Eglise, a été approfondi, précisée et répandue par ces mystiques intellectuels. De Hildegarde de Bingen (1098-1179), à maître Eckhart (1260-1328), en passant par ses disciples Henri Suso (1295 – 1366) et Jean Tauler (v. 1300-1361). Chacune et chacun a pu influencer frère Nicolas, non pas forcément directement, mais à travers ses pères spirituels et accompagnateurs. En particulier, son ami curé de Stans, Heimo Amgrund, ainsi que le curé de Kerns Oswald Isner ou, plus tard, son chapelain Peter Bachtaler. Le même et unique Esprit inspire aussi notre ermite.

 

Hildegarde, à travers ses visions intellectuelles, présente l’homme comme le microcosme de Dieu, reprenant un thème déjà plus ancien. Elle représente la Trinité à travers trois cercles (le cercle comme symbole de totalité et de plénitude). Maître Eckhart développe le fond du fond de l’homme («Abgrund») qui rejoint le fond de Dieu et montre cette présence trinitaire dans la «fine pointe de l’âme». Henri Suso, dans ses instructions à sa fille spirituelle Elsbet Stagel, décrit un chemin intérieur aboutissant à la Trinité, représentée également par trois cercles. Ce chemin est illustré dans différents manuscrits. Enfin, Jean Tauler, dans ses nombreux sermons, développe le thème de la fontaine de vie.

Les trois voies traditionnelles de la spiritualité, reprise par la devotio moderna (14e s.), sont présentes entre autre dans la prière de Nicolas:

Voie purgative: Mon Seigneur et mon Dieu enlève de moi tout ce qui m’empêche de venir à toi! Voie illuminative: Mon Seigneur et mon Dieu donne-moi tout ce qui me pousse vers toi! Voie unitive: Mon Seigneur et mon Dieu prends-moi (arrache-moi à moi-même) et donne-moi tout entier en («eigen») toi!

Nicolas a quitté sa femme Dorothée et ses dix enfants après deux ans de combat intérieur (aujourd’hui nous l’ appellerions dépression), à l’âge de 50 ans, le jour de la fête de saint Gall (16 octobre 1467), avec le plein consentement de Dorothée, de Hans et Walther, ses aînés pour partir comme pèlerin en direction de Bâle. Il en est revenu peu de temps plus tard ermite et s’est finalement installé au Ranft.

Il ne connaissait pas encore avec précision et certitude ce que Dieu attendait de lui, sa vocation. A Liesthal, trois éléments vont le conduire à découvrir que Dieu l’attend chez lui, non pour un pèlerinage extérieur mais intérieur. D’abord, une couleur rouge, comme un feu au-dessus de la ville, le stoppe net. Puis un paysan à qui il parle de ses projets lui fait remarquer avec justesse que les Confédérés ne sont pas appréciés à l’étranger. Mercenaires, ils ne faisaient pas de quartiers, poursuivaient le combat jusqu’au bout, n’hésitant pas à tuer leurs ennemis. Nicolas pouvait bien mieux réaliser son projet chez lui, sur sa terre natale. Enfin durant la nuit, un rayon de lumière vint comme déchirer son ventre et le faire souffrir. Dès ce jour, il ne mangera et ne boira plus rien d’autre que l’eucharistie mensuelle.

Plus précisément: parlez-nous de son “tableau de méditation”: sa description, son origine, son authenticité, sa signification?

Le tissu de méditation (87,5 x 80,5 cm; à l’origine: 89 x 82 cm) est une peinture à tempera sur du lin. Il est certainement un cadeau que Nicolas a reçu autour de 1480. Il n’est pas le résultat d’une vision de la Trinité que Nicolas aurait eue. Probablement Nicolas n’a donné aucune indication pour le peindre, mais au contraire il s’est laissé enseigner par ce tableau et se l’est approprié pour en faire «son livre». Le témoignage d’un pèlerin anonyme l’atteste dans le «Pilger Traktat». Seuls deux manuscrits contemporains parlent de ce tissu: le Pilger Traktat qui connut trois éditions (l’une non datée à Augsburg et deux à Nurembergen 1488 et 1489), juste après la mort de Nicolas (1487) et la biographie rédigée en latin par Henri de Gundelfingen (1485 – 1489), qui aurait visité l’ermite en 1480-81.

Un échange de lettres, peu fiables, de Charles de Bouelles (chanoine de Noyon) avec son ami Horius qui, vingt ans après la mort de Nicolas rendit visite à son fils Hans, décrit le tissu de manière erronée avec au centre un visage coiffé d’une tiare (pape), et les rayons sont remplacés par des épées sans manches. C’est encore Charles de Bouelles qui parle d’une vision trinitaire de Nicolas – attestée par aucun autre témoin – qui sera reprise lors de sa béatification. Il faudra attendre le début du 20e s. pour que les historiens attentifs aux sources (témoignages et biographies) démontrent qu’il n’y eut jamais de vision de la Trinité.

Dans le Traité du Pèlerin puis dans la biographie de Gundelfingen, on parle d’une roue, l’esquisse dessinée par Henri de Gundelfingen. Les xylographies du Traité ont toutes un cercle central et six rayons, mais l’interprétation varie. Certains ont pensé que l’esquisse de la roue précédait les six médaillons et les quatre évangélistes, mais déjà dans le Traité, des xylographies reproduisent l’ensemble de l’image.

Comment interprétez-vous l’image reproduite sur ce tissu? Ce que vous appelez le «livre» de Nicolas?

Je tente de le fare en suivant les quatre sens que la tradition patristique attribue à l’Ecriture:

Le sens littéral:
Ce que l’on voit, ce que l’image représente: six médaillons: annonciation – nativité – création – arrestation et baiser de Judas – crucifixion – eucharistie célébrée pour un défunt et, au centre, un visage humain en gloire (le Christ).

Le sens allégorique:
En référence à Jésus-Christ, le chemin du pèlerin, du disciple, qui abandonne ses béquilles (au bas de chaque médaillon il y a un objet symbolique), tous ses appuis humains. Avec la nativité il prend le bâton et la besace du pèlerin, puis s’abandonne à la Providence qui lui donne à manger et à boire. Il se libère extérieurement et intérieurement et dépose le tout à travers son vêtement. Il entre dans la contemplation du Christ eucharistiqiue, miroir qui lui permet de relire toute sa vie comme l’histoire du salut en Jésus-Christ.

Le sens tropologique (moral):
Comment agir: six clés pour entrer dans le royaume (cf Traité du Pèlerin), les six œuvres de miséricordes: visiter les malades (béquilles), accueillir l’étranger, en particulier les pèlerins (bâton et besace), donner à manger et à boire, visiter les prisonniers (arrestation), vêtir ceux qui sont nus et enfin honorer les morts. Alors, le visage central est celui de Dieu au jour du jugement dernier.

Le sens anagogique:
En référence à l’ensemble de l’histoire du salut. Trois petits rayons au centre et trois grands à l’extrémité: par l’oreille, nous découvrons et écoutons le Père créateur; par l’œil, nous contemplons le Fils rédempteur et par la bouche, nous expérimentons l’Esprit-Saint sanctificateur. La Trinité se révèle dans ces trois grands mystères: Dieu se fait tout petit pour que chacun puisse l’accueillir: dans sa nativité, son arrestation, il supporte tout, dans l’humilité et l’abandon et se rend lui-même présent dans l’humble hostie devenue son corps.

Et si vous nous parleiez des visions de Nicolas?

Pour ce qui est des visions, Nicolas en a eu douze qui vont l’aider sur son chemin spirituel intérieur. Comme une actualisation et une dynamisation de la Parole de Dieu, ces visions s’adressent d’abord et essentiellement à Nicolas; elles ne feront l’objet d’études qu’à partir du 20e s. En particulier, un manuscrit de Caspar Ambuel du 15e siècle, découvert dans les années trente dans un manuscrit contenant des textes de Pères de l’Eglise provenant de la bibliothèque du couvent des capucins de Lucerne. Carl Gustave Jung a commenté quelques visions de Nicolas, précieuses pour le développement de sa psychanalyse. Il en a fait un livre avec la collaboration de Marie-Louise Von Franz.

Nous connaissons ces douze visions tout d’abord à travers quatre témoins dont le registre de Sachseln (1488) a recueilli le témoignage. Puis, grâce à la biographie latine de Henri Wölflin (après 1501), engagé par le gouvernement de Nidwald, pour dix d’entre elles. Enfin, d’autres biographes: Sebastian Rhaetus (1521), Hans Salat (1531), Ulrich Witwyler (1571) et surtout, déjà mentionné pour les trois grandes visions, Caspar Ambuel qui donne une description plus détaillée de la vision du pèlerin et de la fontaine, et rapporte la vision de la reconnaissance de Dieu.

Ces différents témoins et biographes ne se contredisent pas; les récits sont étonnement concordants et chacun, dans sa spécificité, n’apporte que des compléments et des détails.

On peut distinguer les visions dans le sein maternel (étoile, pierre, saint-chrême) et le souvenir précis de son baptême, les visions de sa jeunesse (en particulier la tour qu’il voit à lâge de 16 ans), les visions reçues avant de quitter sa famille (le nuage qui parle, le lys et le cheval, les trois visiteurs), la vision de Liesthal déjà évoquée, la vision des quatre faisceaux de lumière ou des quatre cierges qui lui montrent le lieu de son ermitage au Ranft, et les trois grandes visions du pèlerin, celle de la fontaine, de la reconnaissance de Dieu et la vision finale, au Ranft, du visage de Dieu.

Chacune de ces visions exigerait de développer le contexte biblique, symbolique, les correspondances chez les mystiques rhénans, le contexte artistique et l’analyse jungienne. Ce qui n’est pas possible de faire ici. Mais il est passionnant de remarquer combien l’étude détaillée de ces visions nous les rend accessibles et significatives pour tout homme en recherche de Dieu et de sa vocation. Je ne peux qu’encourager chacun, non seulement à les découvrir, mais surtout à leur donner tout le relief et la profondeur de sens qu’elles méritent. 

Et la prière, dite de Nicolas, ou qui lui est attribuée: son authenticité, sa formulation précise, sa traduction – française – son sens, les mystiques qui auraient pu l’ inspirer? Eckhart serait-il de ce nombre?

Nicolas ne savait ni lire, ni écrire, mais il a dicté quelques manuscrits authentiques: sa prière, une lettre de remerciement au gouvernement bernois pour leur don, où il dit: «La paix se trouve toujours en Dieu, car Dieu est la paix, et la paix ne peut être troublée. La discorde, au contraire, trouble toujours. Veillez donc à chercher avant tout la paix» et une autre lettre aux autorités de la ville de Constance pour régler un conflit. Il authentifie ses écrits par son sceau.

La prière de Nicolas est vraiment de lui et résume parfaitement sa vie. Dans l’original, la troisième phrase actuelle, le but, est en premier. Nicolas contemple d’abord le but à atteindre: être tout entier en Dieu, puis il exprime la manière de l’atteindre: en demandant d’enlever ce qui l’empêche de venir à Dieu et de lui donner ce qui le pousse vers Lui. Cette prière, par sa simplicité et sa clarté, est d’une profondeur inégalée. Elle trouve parfaitement sa place dans le Nouveau Catéchisme de l’Eglise Catholique (n°226[2]), à côté de la prière de Thérèse d’Avila. La traduction malheureusement n’est pas très satisfaisante.

En voici la formule :

Mein Herr und mein Gott, nimm alles von mir, was mich hindert zu Dir.
Mon Seigneur et mon Dieu, enlève[3] de moi (prends à moi), tout ce qui m’éloigne[4] de toi (empêche).

Mein Herr und mein Gott, gib alles mir, was mich fördert zu Dir.
Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi, tout ce qui me pousse[5] vers toi.

Mein Herr und mein Gott, nimm mich mir, und gib mich ganz zu eigen Dir.
Mon Seigneur et mon Dieu prends-moi à moi-même[6] (arrache moi à moi-même) et donne-moi tout entier en[7] toi

Cette prière reprend l’expression de Thomas l’apôtre, lorsque le Christ ressuscité l’invite à toucher les plaies de ses mains et de son côté: « Mon Seigner et mon Dieu» s’écrie-t-il dans un acte foi. Dieu n’est plus extérieur à Nicolas (comme chez Thomas) mais il a une relation personnelle et intime exprimée par le possessif «mon».

«Nimm» revient deux fois, mais dans deux sens différents: d’abord au sens d’enlever, puis dans la troisième demande dans le sens de prendre. «Gib» revient également deux fois, également dans deux sens différents: d’abord celui de donner quelque-chose, ensuite celui d’entrer dans l’intimité de Dieu.

Trois demandes, trois voies, qui expriment le chemin de Nicolas. A travers les visions il découvre progressivement sa vocation d’ermite appelé à vivre dans la communion et l’intimité avec Dieu; puis à travers une vie d’ascèse faite de jeûne et de prière, Dieu enlève tous les obstacles à cette vocation, en particulier durant le combat intérieur des deux années qui précédèrent son départ pour le Ranft. Dieu lui donna les lumières nécessaires pour qu’il soit toujours plus attiré par Lui. En particulier, la lumière provenant des trois grandes visions.

Comment ” imaginer” l’emploi du temps de Nicolas dans son ermitage? Sa relation avec sa famille? Que penser de son jeûne prolongé?

Dans la vie de Nicolas on peut distinguer trois périodes: son enfance et sa jeunesse, jusqu’au mariage avec Dorthea Wyss à 30 ans; sa vie en couple et en famille, et, enfin, sa vie d’ermite au Ranft.

Le jeune paysan
Déjà dans sa jeunesse, témoignent ses amis d’enfance Erni Rohrer et Erni Anderhalden, Nicolas aimait se retirer derrière une grange ou dans un pré perdu pour prier et à cette époque déjà il jeûnait le vendredi. Sa vie était celle de tout fils de paysan de l’époque, faite de travail mais sans école. La formation se faisait au contact des parents et des amis. Comme tout jeune de son temps, Nicolas a dû participer à quelques expéditions armées accomplissant ainsi ce que l’on ne nommait pas encore le service militaire. Des témoins racontent sa retenue etr sa modération. Ainsi, intervint-il un joue pour emêcher ses compagnons d’armes de piller un couvent.

L’éleveur
Comme époux et père de dix enfants, Nicolas devait être bien occupé par les travaux des champs. C’est dans ce cadre champêtre qu’il bénéficia de plusieurs visions (le nuage, le lys et le cheval,…),

Nicolas participa aussi à l’évolution d’une économie agraire de subsistance vers une économie de rendement. Le lait se transforme en fromage qui se commercialise, tandis que le bétail se vend sur les marchés du Sud, comme celui de Domodossola. Ce serait dans cette ville que le futur ermite aurait acheté les vitres en cul de bouteille qui remplacèrernt les peaux de vaches tendues qui faisaient office de fenêtres de la maison familiale qu’il avait bâtie avant son mariage. Ses fils témoignent aussi que le soir leur père se couchait avec toute la famille, mais se relevait pour prier le plus souvent toute la nuit auprès du poële. A cette période, il jeûnait quatre jours par semaine, se nourrissant de pommes séchée et de pain.

L’ermite
Au Ranft, la vie de Nicolas sera bien plus dépouillée, n’ayant plus besoin de se nourrir et de boire (c’est l’une des trois grandes grâces). Il se retirait souvent dans la forêt, loin de la foule, lorsqu’elle deviendra nombreuse. Mais il reste disponible pour recevoir les pèlerins l’après-midi. Il dormait à même le sol, la tête appuyée sur une pierre, chauffé l’hiver par un calorifère se trouvant à l’étage inférieur. Il était vêtu d’une bure brune que lui avait tissée son épouse en signe d’acquiescement à son choix de vie. Il passait son temps en méditation et en prière, utilisamt à cet effet son «bätti», une couronne de quarante ou cinquante perles de bois (comme un chapelet) qu’il faisait courir sur ses doigts en récitant et méditant le Notre-Père et l’Ave. Selon des témoins, il pouvait se contenter de méditer durant une journée entière les seules paroles de «Notre Père». Durant sa période dépressive, avant de quitter sa famille, son confesseur, Heini Amgrund, lui avait appris à méditer la passion du Christ en la répartissant sur les sept heures canoniales. Il a certainement poursuivi cet exercice spirituel au Ranft, méditait aussi face «son livre», le célèbre tissu qu’il déroulait dans son ermitage ou sa chapelle.

Le jeûne de Nicolas
Son jeûne permanent est une grâce et un miracle qui commence avec la vision de Liesthal. Nicolas pratique alors un jeûne total de onze jours avant de demander l’avis de son confesseur. Celui-ci l’ausculta longuement et l’autorisa à pousuivre son jeûne aussi longtemps qu’il n’en mourut point. Ce jeûne eucharistique est attesté d’une part par les autorités civiles. Le gouvernement de Nidwald fit surveiller le Ranft par des soldats pour vérifier si Nicolas ne recevait pas secrètement quelque nourriture. Par ailleurs, les autorités ecclésiastiques ne demurèrent pas indifférentes. L’évêque de Constance, natif de Thurgovie, Hermann von Breitenlandenberg, de qui dépendaient à cette époque la paroisse de Sachseln et ses environs, délègue au Ranft son évêque auxiliaire Thomas Wäldner le 27 avril 1469, avec mission de soumettre Nicolas à une épreuve de son choix. L’évêque demanda à Nicolas quelle était la plus grande vertu chrétienne. Nicolas lui répondit que c’était l’obéissance. L’évêque lui ordonna alors, au nom de la sainte obéissance, de manger trois morceaux de pain et de boire le vin de la saint Jean (un breuvage béni le jour de la fête de saint Jean l’évangéliste qui protégeait du poison et du diable). Après que Nicolas eut péniblement et avec d’atroces douleurs avalé la moitié du premier morceau de pain, il supplia d’être délivré de cette épreuve. Selon certains témoins, ce fut Adrien de Bubenberg qui avait asisté à la scène qui intercéda auprès de l’évêque en faveur de son ami Nicolas. Le prélat suspendit l’épreuve et confirma l’authenticité du jeûne permanent de l’ermite. Dans la foulée, il consacra la chapelle de l’ermitage dédiée à la Vierge Marie, à sainte Marie-Madeleine, à l’Exaltation de la croix et aux Dix-Mille Martyrs, selon le désir de Nicolas. Ce jeûne permanent attira curieux et pèlerins bien plus que les visions de l’ermite, totalement inconnues du public.

Nicolas: un spirituel pour notre temps ? Affinités ou répulsions?

Nicolas nous permet de redécouverte la dimension spirituelle de tout homme. Il nous aide à retrouver le centre de notre être d’homme et de femme dans le cœur de Dieu et de trouver Dieu lui-même au cœur de notre cœur. Par sa simplicité et surtout par sa vie quotidienne, Nicolas fait découvrir que Dieu n’est pas ailleurs, caché dans un discours gnostique ou ésotérique, ou enfermé dans une église. Nicolas propose une spiritualité toute simple: Dieu est là présent dans notre travail si nous l’accomplissons avec joie et passion; Il est présent dans nos familles lorsque nous savons déceler et contempler dans le visage de l’épouse, de l’époux ou des enfants le reflet du visage de Dieu. Le visage n’est pas fait pour être dévisagé ou envisagé, mais pour être contemplé. Personne ne peut voir son propre visage; il est fait pour être regardé par Dieu et par Dieu seul. Dieu est donc présent partout dans notre vie si nous savons, comme Nicolas, déchiffrer peu à peu le sens des événements et l’accueillir comme la réalisation du plan d’amour divin. Surtout, Nicolas nous aide à découvrir que tout chrétien est invité à devenir un mystique, un amoureux de Dieu, désireux d’être en communion avec Lui.

Au-delà des images toutes faites du mari qui abandonne sa femme et ses enfants, au-delà de l’ermite ascétique inabordable, se trouve un mystique authentique.[print-me]


Bernard Schubiger, curé de la ville de Morat, dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, est un chercheur passionné de la spiritualité de Nicolas de Flüe. Sources l’a rencontré et se porte responsable de la forme de ce reportage. Cet interview constitue le quatrième volet du retable que notre revue a consacré à l’ermite du Ranft en cette année qui commémore le sixième centenaire de sa naissance.

Voir aussi: www.frangelico.ch


[1] Le tissu de méditation de Nicolas de Flue, un résumé de la foi chrétienne, à paraître aux éditions du Parvis; les visions de Nicolas de Flue, un chemin spirituel pour tout homme.

[2] http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_P17.HTM

[3] nimm mir alles: prend à moi = enlève de moi.

[4] hindert zu dir: ce qui m’handicape vers toi = éloigne de toi.

[5] fördert: m’encourage = me pousse vers toi.

[6] nimm mich mir: prends-moi à moi-même ou arrache moi à moi-même.

[7] ganz eigen zu Dir: eigen = exprime l’unité intime = prends toi entier en toi.

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Nicolas de Flue et le génie du lieu https://www.revue-sources.org/nicolas-de-flue-genie-lieu/ https://www.revue-sources.org/nicolas-de-flue-genie-lieu/#respond Mon, 24 Jul 2017 06:30:00 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2350 [print-me]Nicolas de Flüe est né voici 600 ans. En Suisse, des manifestations œcuméniques marquent cet événement. La revue «Sources» fait mémoire de cet anniversaire dans chacune de ses livraisons de 2017. Voici donc la troisième contribution, due cette fois-ci à la plume du prêtre historien fribourgeois Jacques Rime. Avec les autorisations nécessaires, nous reproduisons un texte publié dans l’ouvrage collectif: «Les 600 ans de Nicolas de Flüe. L’homme, le médiateur, le mystique», paru cette année aux Editions du Parvis, à Hauteville/Suisse.

Paysage ouvert sur l’invisible

L’ami des Alpes aime à voir en elles une nature pure, un paysage qui n’a pas changé depuis le premier matin du monde, un conservatoire de pratiques ancestrales. Ces affirmations demandent certes à être nuancées mais, en ce qui concerne la patrie de Nicolas de Flue, le visiteur peut, en le comparant avec l’époque actuelle, s’imaginer assez bien l’espace géographique dans lequel a vécu l’ermite du Ranft. L’exercice est agréable car la région est un paradis pour le randonneur. Les lacs de Suisse centrale, les prairies et les fermes, un paysage largement pastoral, les rochers, les montagnes et quelques glaciers en arrière-plan permettent à l’âme de goûter à un repos bienfaisant et de se ressourcer. C’est comme si l’harmonie de la nature faisait transparaître la paix qui habitait l’âme de Frère Nicolas. Rendons grâce à la Providence d’avoir fait éclore cette fleur des Alpes que fut l’ermite du Ranft dans un tel coin de terre! L’espace, qui s’apprivoise volontiers par les pieds, s’ouvre ainsi à une dimension symbolique, le paysage donne sur l’invisible et nous dit quelque chose de la spiritualité d’un homme de Dieu.

Une société rurale en mutation

Nicolas de Flue naît en ce pays d’Obwald, Unterwalden ob dem Kernwald, la vallée supérieure, qui compte les six communautés d’Alpnach, Sarnen, Kerns, Sachseln, Giswil et Lungern, des villages, des hameaux et une multitude de fermes isolées. La famille de Nicolas est installée sur le coteau dominant Sachseln. Son nom von Flüe (de la Roche) provient de la petite bande rocheuse qui s’élève près du hameau. Une vision qu’il aurait eue dans le sein maternel fit voir à Nicolas un rocher. «Cela signifiait la fermeté et la constance de son être», rapporte le curé de Stans Heini am Grund. On peut aussi comparer le rocher-patronyme de Frère Nicolas à la solidité de son message à travers les siècles.

Monter vers Dieu signifie entrer dans la profondeur de son cœur.

Du point de vue économique, la grande nouveauté de la fin du Moyen Age dans les Alpes est le passage d’une économie de subsistance marquée par l’élevage ovin et la culture des céréales à l’élevage bovin et à la fabrication du fromage. Un visiteur de Frère Nicolas, le doyen Albert de Bonstetten, écrit du pays d’Unterwald: «Quoiqu’il ne produise ni blé ni vin, il est suffisamment fertile et possède d’excellents pâturages, des lacs, des prairies, des torrents tumultueux, le tout plaisant et en abondance.» Nicolas appartient à la classe paysanne montante. C’est l’époque où les gens veulent agrandir leur propriété privée au détriment de la propriété commune. Comme l’a relevé Roland Gröbli dans un dossier préparatoire au 600ème anniversaire (Einführung in die lebendige Erinnerungskultur zu Niklaus von Flüe heute), l’injonction de Frère Nicolas de «ne pas élargir par trop la haie» était une invitation à ne pas se laisser griser par l’avidité, l’esprit de lucre au détriment de la communauté.

Ouverture…

La vallée supérieure d’Obwald est large, bien plus que la vallée inférieure de Nidwald, d’où provient la mère de Nicolas. Est-ce pour cela que le caractère des Obwaldiens est posé et pragmatique, alors que les Nidwaldiens défendent coûte que coûte leurs idées? La divergence d’opinion sera tragique à la Révolution: en 1798, la résistance des Nidwaldiens à l’ordre nouveau provoquera le massacre de Stans. Nicolas était Obwaldien. Il n’a jamais transigé avec la vérité certes, mais le caractère cantonal a pu influencer son ouverture d’esprit, son sens pratique des réalités, notamment politiques. Ce caractère se traduit aussi dans la disponibilité de Nicolas à se laisser guider par Dieu à travers les aléas de la vie, comme l’indique bien sa prière «Mon Seigneur et mon Dieu» que tout le monde connaît.

et vertige!

Si la vallée de Sarnen est ouverte, le Melchtal, la vallée latérale qui débouche sur Kerns et Flüeli, est très encaissé. Un jour d’ailleurs, alors qu’il travaillait avec son fils, Nicolas fut précipité dans la pente. Action diabolique ou crise d’épilepsie? Toujours est-il que le paysan d’Obwald fait l’expérience du vertige. Etre en Dieu n’est pas une sinécure. Marcher sur les chemins de Dieu, c’est être profondément transformé. Surtout lui, le visionnaire qui ne mangera plus. L’ami de Dieu passera par une période de dépression avant de retrouver le courage grâce à la méditation de la passion du Christ.

Des monts qui se traversent

Les montagnes sont nombreuses dans le pays: le Pilate, le Stanserhorn, le Huetstock, le Giswilerstock, etc. La comparaison de Nicolas à une montagne n’est pas exagérée. On dit qu’il exercera une activité thaumaturgique sur la colline de Flüeli, l’arrêt de l’incendie de Sarnen. Il apparaîtra aussi sur cette colline après sa mort, tenant en main l’étendard à la patte d’ours: sommet de la victoire, triomphe post-mortem du soldat de Dieu.

Les montagnes ne sont pas des obstacles pourtant. Elles se traversent. La vallée de Sarnen conduit au col du Brünig, passage obligé des pèlerins pour la grotte de saint Béat, l’ermite du lac de Thoune, jadis un des lieux sacrés les plus fréquentés de Suisse. Le Brünig est aussi le chemin des marchands. Des caravanes régulières de bétail, de fromages l’empruntaient pour gagner l’Italie par le Grimsel, d’où elles revenaient avec d’autres denrées. Le jeune Nicolas a peut-être participé à l’une ou l’autre de ces caravanes, comme il a participé à des campagnes militaires en Suisse orientale et jusqu’à Nuremberg. Il est à noter que l’intention première du Nicolas qui quitte sa famille était d’être pèlerin, d’aller de sanctuaire en sanctuaire. Bref de bouger. Et il part le 16 octobre 1467, fête de saint Gall, le disciple du moine irlandais saint Colomban, qui pratiqua la peregrinatio pro Christo, l’éloignement des siens pour se consacrer à l’essentiel.

Expérience de la limite

(© Pierre Pistoletti)

La montagne est franchie, celle qui sépare les cantons d’Obwald et de Lucerne, puis le massif du Jura. Vient alors l’expérience de la limite, à Liestal dans le futur canton de Bâle-Campagne. Comme l’écrit avec pertinence Pirmin Meier dans sa grande biographie de Frère Nicolas (p. 140), les hommes de Bâle-Campagne sont très conscients de leurs limites. Chaque année, on y organise en plusieurs endroits le Banntag, procession civile qui fait connaître les frontières de la commune. Nicolas voit un feu sur la ville, discute avec un paysan qui lui conseille de retourner chez les siens puis s’endort au pied d’une haie (une barrière donc). Le pèlerinage pour lui sera désormais intérieur, tout comme son regard. Nicolas n’aura plus besoin de traverser les pays pour découvrir le secret des choses. Un indice est la fameuse vision du Christ pèlerin, où dans son sommeil le sédentaire du Ranft voit le Mont-Pilate s’aplatir, dévoilant les hommes qui se cachaient derrière, ces hommes handicapés d’une grosse tumeur au cœur, l’égoïsme, et qui fuyaient au loin parce qu’ils se détournaient de la Vérité. L’ermite se serait un jour exclamé, en digne contemporain de L’imitation du Christ: «Il en est plus d’un qui vont par mer au Saint-Sépulcre pour y être armés chevaliers: mais c’est un chevalier valeureux, celui qui porte Dieu dans son âme.»

Le refuge

Nicolas cherche refuge dans un abri précaire du Melchtal, sur l’alpe Chlisterli peut-être, au pied des rochers. Le séjour en montagne n’est que de courte durée cependant. L’homme de Dieu descend, il s’enfonce dans la gorge. Bien avant son départ de la maison, Nicolas cherchait les lieux cachés pour vivre le contraire du tape-à-l’œil. Un ami d’enfance, Erni Rorer, déclarait que Frère Nicolas s’écartait toujours seul derrière une grange ou bien dans un autre endroit solitaire. Là il priait et laissait Erni et les autres garçons courir où ils voulaient. Le Ranft se trouve non loin de l’actuel Hohe Brücke, le pont couvert en bois le plus haut d’Europe. L’ermitage est un endroit profond. Lorsqu’on y vient depuis Flüeli, il faut descendre une rampe très raide, qui n’est pas faite pour tous. Grandir, monter vers Dieu signifie entrer dans la profondeur de son cœur. La mystique rhénane parlait volontiers du Grund der Seele, du fond de l’âme, lieu de la présence divine. Le Ranft est un lieu retiré où Nicolas comme un «nouvel Antoine» – l’expression est d’un visiteur, Jean de Trittenheim – peut se consacrer à la prière. Maître Eckhart l’aurait bien dit: «Rien ne ressemble plus à Dieu dans l’immensité de l’univers que le silence

Au-delà du Jourdain

Le Ranft toutefois n’est pas au fonds d’une forêt impénétrable ou sur un alpage lointain. La cellule de Nicolas se trouve à quelques centaines de mètres de sa maison familiale. Beaucoup d’ermitages de l’époque étaient plus ou moins proches des habitations. Un seul exemple: l’ermitage de Bettelrüti dans la vallée de Stans, qui sera habité par le petit-fils de Nicolas de Flue, Frère Konrad Scheuber, lequel aura droit à un certain culte chez les Nidwaldiens. L’endroit se trouve à une grosse heure de marche du village de Wolfenschiessen. Selon son étymologie, Ranft veut dire le bord (Rand), avec les deux sens de séparation et proximité. La vie de Nicolas est une expérience-limite. Il n’est pas donné à tous de vivre comme il a vécu. Un Frère Ulrich, qui demeurait dans l’ombre de Nicolas, s’écriait que son confrère avait déjà «passé le Jourdain», c’est-à-dire qu’il était arrivé aux rives de la Terre promise, allusion possible à la rivière Melchaa qui séparait les cabanes des deux hommes de Dieu. Mais en même temps, la vie à la frontière est un exemple stimulant: peu éloigné des autres, Nicolas invitait les gens du monde à se rapprocher de son mode de vie, à s’en inspirer pour leur propre existence.

Au centre de la Suisse

Enfin, arrêtons-nous sur un symbolisme des plus frappants. Les géographes ont calculé que si la Suisse devait tenir en équilibre sur un seul point, ce dernier se trouverait à l’Älggialp dans le Klein Melchtal, à l’altitude de 1600 mètres environ. L’alpage est ainsi le centre de la Suisse, le Mittelpunkt der Schweiz. Ce point central est, à vol d’oiseau, à moins de neuf kilomètres du Ranft, dans la même commune de Sachseln!

(© Pierre Pistoletti)

Le cardinal Journet aimait à dire que certains saints pouvaient être, sur le plan de la culture, du temporel, la «suprême incarnation» du génie d’un peuple. C’était le cas, selon lui, pour Nicolas et la Suisse. Visiter le Ranft est donc à la fois gagner le centre d’un pays et découvrir en son occupant un message valable pour les citoyens d’hier et d’aujourd’hui, chrétiens ou non. Mais ajoutons: Nicolas n’est pas le centre, il le montre. Un jour, l’ermite accueille un pèlerin à qui il explique son schéma, l’image d’une roue ornée de rayons. Au centre, un point, la divinité sans partage. Les rayons qui en sortent et qui reviennent signifient les trois personnes divines: «Elles sortent de l’unique divinité, elles embrassent le ciel et encore le monde entier, qui relèvent de leur puissance. Et comme elles sortent avec une force divine, ainsi elles rentrent» (traduction Charles Journet, p. 36). Là est le centre motivant toute la vie de Nicolas.

Macrocosme et microcosme

Chacun a en mémoire des lieux qui lui font du bien, qui lui rappellent des souvenirs. On visite volontiers un endroit habité par une personne célèbre où l’on cherchera des traces de sa présence. Ainsi en est-il du Ranft, de Flüeli, de Sachseln. Mais il y a davantage au cœur du pays d’Obwald: le milieu ambiant est en correspondance étroite avec la personne de Nicolas. La solidité du rocher, la largeur de la vallée, l’élévation de la montagne et la praticabilité de ses cols, la profondeur des gorges, la notion de centre, tout contribue à mettre en lien une personne et son univers géographique. Coïncidence? Lecture solliciteuse des faits? Ou bien influence réelle d’un milieu, que l’on peut découvrir lorsqu’il est davantage préservé de l’urbanisation? L’ancienne philosophie faisait volontiers le lien entre le microcosme (l’homme) et le macrocosme (l’univers). La relation étroite d’un homme et de son milieu serait une application d’une notion plurielle, le «génie du lieu». A défaut d’en fixer les lois, le présent article sur Frère Nicolas de Flue a voulu au moins porter l’attention sur ce phénomène.[print-me]


Jacques Rime est né en Gruyère en 1971. Après ses études à la Faculté de théologie de Fribourg et à l’Angelicum de Rome, il est ordonné prêtre en 1997. Il devient vicaire dans la région d’Estavayer-le-Lac, puis aumônier à l’Université de Fribourg, avant d’être nommé curé des paroisses de Grolley et de Courtion. Grand marcheur et passionné d’histoire religieuse, il signe “Lieux de pèlerinage en Suisse”, aux Editions Cabédita, puis, auprès du même éditeur, “Nicolas de Flue ou l’âme d’un pays”.


Bibliographie

La plupart des informations de cette étude ont été puisées dans: Jacques Rime: Nicolas de Flue ou l’âme d’un pays: quinze itinéraires au cœur de la Suisse, Cabédita, Bière, 2013, lequel ouvrage s’inspire surtout de: Charles Journet: Saint Nicolas de Flue, Saint-Paul, Fribourg-Paris, 1980 (1ère éd. en 1947); Roland Gröbli : Die Sehnsucht nach dem “einig Wesen”: Leben und Lehre des Bruder Klaus von Flüe, NZN Buchverlag, Zürich, 1990; Philippe Baud: Nicolas de Flue (1417-1487): un silence qui fonde la Suisse, Cerf, Paris, 1993; Pirmin Meieir: Ich Bruder Klaus von Flüe: eine Geschichte aus der inneren Schweiz, Amman, Zürich, 2000.

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Frère Nicolas est vivant! https://www.revue-sources.org/frere-nicolas-vivant/ https://www.revue-sources.org/frere-nicolas-vivant/#respond Tue, 07 Feb 2017 13:42:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2074 [print-me]A une époque où l’on prône la réalisation de son «moi», voilà que se dresse la stature d’un homme qui s’est donné comme objectif de trouver en Dieu la liberté absolue. Il ne va donc pas de soi de commémorer le 600ème anniversaire der la naissance de Nicolas de Flüe (1417-2017).

Les préparatifs à cette année jubilaire ont débuté voici quatre ans dans le canton d’Obwald. Ceux qui s’en chargèrent étaient conscients de relever ce défi. C’est en avril 2013 en effet que se constitua un groupe de plus de trente personnes (hommes et femmes, laïcs et ecclésiastiques, catholiques et réformés, proches ou distants des Eglises, jeunes et moins jeunes) pour discuter de la ligne directrice de ce jubilé. Cet atelier constitua une base d’inspiration pour en définir le contenu. Un leitmotiv fut choisi en collaboration avec Margret Omlin-Küchler, réalisatrice et graphiste: «Retour au Ranft: Mystique, Médiateur, Homme». Des valeurs vécues par Nicolas de Flüe[1].


Chronologie


En 1917, voici donc cent ans, au cours de la première guerre mondiale, le 500e anniversaire fut placé sous le signe de la réconciliation et de la cohésion nationale. Un siècle plus tard, on a choisi trois thèmes clés qu manifestement se réfèrent à Nicolas de Flüe et qui se laissent définir sans peine.

Paix et message de paix

Nicolas de Flüe est mondialement vénéré comme un saint invoqué en relation avec la paix. Aussi bien au Liban, au Salvador qu’en Indonésie et même davantage qu’en Suisse, son pays natal. Beaucoup d’églises et de chapelles lui sont dédiées grâce à l’initiative de missionnaires suisses. Aujourd’hui, ce sont surtout les fidèles originaires de ces pays qui demandent l’appui de Nicolas dans leur recherche de paix. 

Œcuménisme

Bien des gens vénèrent Nicolas de Flüe parce qu’ils ont grand estime de sa personne et de ses messages. Ils sont croyants ou en quête de vérité. L’œcuménisme qui se réfère à Nicolas veut encourager le dialogue entre tous les chercheurs de Dieu, quelle que soit leur confession. 

Dorothée Wyss

On reconnaît aujourd’hui que Dorothée Wyss, l’épouse de Nicolas, fut pour lui un soutien important. Le chemin de vie emprunté par son mari n’aurait pas été possible sans son accord. De nombreux articles et ouvrages parus dans le cadre de la commémoration[2] montrent à l’évidence comment le Oui commun ouvre de nouvelles perspectives spirituelles. Celui qui se limite à condamner Nicolas pour avoir abandonné femme et enfants ne rend justice ni à Nicols ni à Dorothée.

Trois supports essentiels pour comprendre la vie et le message de Nicolas:

La prière de Nicolas

Cette prière nous introduit profondément dans la mystique de ce chercheur de Dieu qu’était Frère Nicolas Sa formule de «prière et sérénité» traversa les siècles trouva place dans le Catéchisme catholique universel». [3]

Le symbole de la roue

L’image de la roue est le parfait reflet de la personnalité de Nicolas de Flüe. Sa sobre simplicité correspond à ses convictions fondamentales, apparemment très simples. Seul celui qui se plonge dans «ce livre dans lequel j’apprends» prend conscience de sa difficulté, de son exigence et de sa profondeur. C’est ce qui se passe pour quiconque fréquente Nicolas de Flue.

Le retour au Ranft

Le troisième support est le Ranft. Ce lieu habité par un désir ardent, par une force créatrice, vécu avec Nicolas et Dorothée, signifie un plus de retraite et de réflexion, un plus de calme et de méditation, un plus de sérénité et de modération. C’est un endroit de silence, de prière, une oasis de paix et de réflexion. Beaucoup d’églises et de lieux spirituels tiennent compte de ce besoin et offrent des espaces de silence qui assez souvent portent le nom «Ranft» ou sont rattachés d’une façon ou d’une autre à Nicolas de Flüe.

Large appui dans toute la Suisse

Une plateforme organisatrice du jubilé a vu le jour: L’ «Association 600 ans de Nicolas de Flue 2017». Des groupes obwaldiens, tant étatiques qu’ecclésiastiques, font partie de cette Association. Parmi eux, pour la première fois, la fédération des paroisses évangéliques réformées d’Obwald. L’Association est soutenue par un conseil scientifique et un comité directeur. Ces deux organes contribuent à la mise en réseau de cet événement commémoratif et à le faire connaître au-delà du canton d’Obwald.

Un important soutien financier de la «Conférence Centrale catholique romaine» (RKZ) et de la «Mission intérieure» (IM) atteste le caractère national du jubilé. Plusieurs cantons et Eglises cantonales contribuent aussi à son succès, de même que des comités locaux romands ou tessinois qui prennent des initiatives en ce sens.

L’Association elle-même se donne onze projets phares ayant une portée régionale et nationale. Environ cent autres projets sont reconnus par l’Association. Plus de dix publications[4], des pièces de théâtre, des films, des compositions musicales et bien d’autres manifestations qui témoignent de la vénération de l’ermite du Ranft et de son épouse.[5] De même, beaucoup de paroisses planifient et organisent des activités, souvent interconfessionnelles, des conférences et d’autres manifestations. Frère Nicolas est donc bien vivant!

Pour aujourd’hui et pour demain

Nous pouvons constater avec joie que la commémoration créera cette année une forte impulsion. L’intérêt et l’engagement sont très grands. Au centre, la question du sens de l’existence humaine.

Dans notre société focalisée sur l’intérêt personnel, la médiation réconciliatrice n’est-elle pas particulièrement nécessaire? Entre régions linguistiques et culturelles, entre confessions, entre hommes et femmes. Nicolas de Flüe a beaucoup à nous dire sur la façon de relever nos défis actuels. Utilisons donc la chance d’un dialogue captivant et fécond avec cet éminent mystique, médiateur et humain.

Article paru dans le périodique«Schweizerische Kirchen Zeitung», sous le titre «Bruder Klaus lebt – Gedenkjahr als Impulsjahr», Lucerne 1er décembre 2016.

Traduit et adapté de l’allemand par Gisèle Fauchère et Guy Musy.[print-me]


Roland Gröbli est l’auteur de l’ouvrage de référence «Die Sehnsucht nach dem Einig Wesen» (Zürich,2006), Président du conseil scientifique et membre du comité directeur de l’Association: «600 ans Nicolas de Flüe».

 

[1] Voir pour l’année commémorative www.mehr-ranft.ch et pour la préparation du contenu www.mehrranft.ch/Niklaus von Flüe.

[2] Roland Gröbli, Heidi Kronenberg, Markus Ries, Thomas Wallmann-Sasaki (Hg) Mystique, Médiateur, Homme, TVZ Verlagm Gemeinsames Vorwort von Gottfried Wilhelm Locher und Bischof Charles Morerod, Zürich 2016.

[3] Katechismus der Katholischen Kirche, München 1993, Nr. 226

[4] www.bruderklaus.com/Neuerscheinungen

[5] www.mehr-ranft.ch/projekte

 

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