ONU – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 25 Jul 2017 11:30:05 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Le souverainisme nationaliste: une illusion dangereuse https://www.revue-sources.org/souverainisme-nationaliste-illusion-dangereuse/ https://www.revue-sources.org/souverainisme-nationaliste-illusion-dangereuse/#respond Mon, 24 Jul 2017 07:10:16 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2335 [print-me]La conjonction du souverainisme et du nationalisme a trouvé au cours des dernières années des expressions de plus en plus perceptibles dans la vie politique d’un certain nombre d’Etats, petits et grands.

L’idéologie du souverainisme nationaliste a trouvé un sol fertile dans des sociétés décontenancées par des phénomènes divers tels que les migrations, les disparités sociales sur fond de crises économiques, les effets d’une mondialisation non maîtrisée ou les limites d’intégrations régionales perçues comme trop exclusivement mercantilistes.

Aussi réelles et sérieuses que puissent être les causes des préoccupations, et aussi nécessaire qu’il soit de les identifier correctement et de les traiter, l’exploitation politique qui en est faite sous la forme de l’exacerbation d’émotions souverainistes et nationalistes est pernicieuse et même dangereuse.

L’instrumentalisation de la souveraineté et de la nation à des fins de politique partisane corrompt la démocratie et, comme l’histoire des hommes l’a tragiquement démontré, porte en germe le risque de déstabilisations pouvant conduire à des conflits violents, non seulement à l’intérieur des Etats mais aussi entre eux. La conjonction entre la souveraineté érigée en principe suprême et la nation célébrée comme un mythe crée une illusion dangereuse.

Souveraineté et patriotisme

Les discussions sur ce thème étant souvent passionnées, il importe de laisser de côté les émotions et de commencer par clarifier les éléments du débat. Pour commencer et pour éviter tout malentendu, il convient de souligner que la notion de souveraineté et celle de nation ne sont pas nécessairement problématiques en elles-mêmes. Bien au contraire, conçues de manière saine et ajustée, elles désignent des réalités importantes des sociétés politiques nationales et internationales.

La souveraineté est généralement définie comme la suprématie du pouvoir à l’intérieur des Etats, et l’indépendance à l’égard de l’extérieur. Qui contesterait la nécessité pour un Etat d’être doté d’autorités, de règles et de procédures garantissant l’exercice du pouvoir suprême de manière légitime? Qui mettrait en cause la nécessité pour un Etat d’assurer son indépendance à l’égard de puissances tierces? La promotion du bien commun au niveau national, le principe de subsidiarité et celui de participation exigent que le pouvoir soit exercé le plus près possible des personnes concernées. Dans cet esprit, toutes les formes d’impérialisme ou de néocolonialisme doivent être rejetées.

La vision de la sécurité et du bien-être propagée par les souverainistes nationalistes est une illusion

De même, l’attachement à la nation, à sa culture, à son patrimoine linguistique, à son histoire, aux acquis résultant d’efforts communs et à des valeurs partagées justifie pleinement un patriotisme qui est l’expression légitime d’un sentiment d’appartenance et de la conscience de devoir servir le bien commun de la patrie. Le soin de l’indépendance et le patriotisme ne sont pas l’apanage exclusif des souverainistes nationalistes, contrairement à ce qu’ils prétendent.

La souveraineté étatique n’est pas une valeur absolue.

La souveraineté étatique ou, plutôt, l’égalité souveraine des Etats est l’un des principes les plus fondamentaux de l’ordre juridique international, établi comme tel par la Charte des Nations Unies. Le non-respect de ce principe a été la cause et continue d’être la source de trop nombreuses tragédies. Il est donc essentiel de continuer à défendre ce principe et à le promouvoir. Il se trouve pourtant que la souveraineté n’est pas absolue. Elle se heurte à d’importantes limites, en particulier celle de l’obligation de respecter un autre principe encore plus fondamental, celui de la dignité de la personne humaine.

La Charte des Nations Unies, elle aussi, telle qu’elle a été complétée par la Déclaration universelle des droits de l’homme puis par de nombreux pactes et traités destinés à protéger ces droits, rappelle la nécessité, dans le but de «préserver les générations futures du fléau de la guerre», de proclamer «notre foi (…) dans la dignité et la valeur de la personne humaine». Et voilà qu’est établi le lien entre sécurité et respect des droits de l’homme. La souveraineté conçue comme une valeur absolue, détachée de l’obligation de respecter des principes humains essentiels, est incapable d’assurer la sécurité. Au contraire, elle offre à des dirigeants irresponsables le prétexte d’un bouclier contre ce qu’ils appellent une ingérence dans les affaires intérieures. Il se peut bien qu’un Etat démocratique dont les institutions fonctionnent dans le respect du droit n’ait, pour lui-même, qu’un intérêt relatif à être partie à des traités en matière de droits de l’homme dès lors que sa constitution énoncerait les garanties nécessaires. Mais comment ne verrait-il pas qu’il est de son intérêt primordial que les autres Etats avec lesquels il vit en communauté respectent eux aussi les mêmes principes? Le respect du droit, des droits de l’homme et de la démocratie ne suffisent pas, à eux seuls, à établir la paix, mais ils sont des conditions essentielles de l’instauration et du maintien de la paix. L’obligation mutuellement consentie de mettre en oeuvre des conventions internationales en matière de droits de l’homme contribue à créer une sorte d’ordre public international dont chaque Etat partie est bénéficiaire.

Le droit d’ingérence

Oui, la souveraineté est nécessaire mais encore faut-il qu’elle soit exercée de manière responsable. La souveraineté d’un Etat comporte des droits mais aussi des obligations, en particulier celle de protéger sa population contre les risques les plus graves tels que le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les autres violations massives des droits de l’homme. Il s’agit d’une responsabilité primaire des autorités nationales. En vertu du principe de subsidiarité c’est à l’Etat qu’incombe au premier chef l’obligation de protéger sa population.

Mais qu’en est-il des situations dans lesquelles l’Etat est incapable de mettre en œuvre ses devoirs les plus fondamentaux? A l’évidence, la communauté internationale ne peut pas abandonner la population à son sort. L’ordre juridique international a peu à peu développé des obligations de prévention et d’assistance, sous diverses formes. Les populations victimes d’exactions n’ont-elles pas aussi un droit à l’assistance? Il importe de souligner pourtant que l’aide venue de l’extérieur doit, elle aussi, respecter des exigences fondamentales du droit, à commencer par la nécessité de recourir en priorité à des moyens non militaires et à ne faire usage de la force armée qu’en tout dernier ressort, dans le respect du principe de proportionnalité, et conformément aux règles de compétence en vigueur. L’intervention unilatérale souvent motivée par la défense d’intérêts nationaux de la puissance intervenante ne correspond pas à ces exigences. Il faut reconnaître malheureusement que des interventions dites humanitaires ont souvent eu des conséquences dramatiques, mais aussi que des populations ont été abandonnées aux intérêts conflictuels des puissants et à la barbarie de chefs de guerre.

Quand la démocratie devient antidémocratique

Comme on l’a vu, l’exercice responsable de la souveraineté présuppose le respect des droits de l’homme et de l’état de droit. Cette affirmation conduit à situer la problématique dans sa relation avec la démocratie. Certes le plus grand danger pour la paix émane de régimes autocratiques ou dictatoriaux. Mais ne convient-il pas aujourd’hui de considérer aussi les risques de déstabilisation qui émanent de régimes portés au pouvoir par des mécanismes formellement démocratiques mais guidés par des comportements qui mettent en cause l’authenticité démocratique de ces régimes?

L’instrumentalisation de frustrations populaires parfois compréhensibles, les manipulations de l’opinion publique, l’usage systématique de fausses nouvelles, les interférences occultes de puissances étrangères sont autant de développements dont le potentiel a été considérablement accru par l’usage de nouvelles technologies et qui mettent à rude épreuve la culture démocratique.

Que faire pour répondre à ces défis? Il faut commencer par se souvenir du fait que la démocratie ne repose pas seulement sur des mécanismes formels destinés à permettre l’expression de la volonté politique mais qu’un régime n’est pleinement démocratique que s’il respecte des valeurs et des principes fondamentaux. Pourquoi ne pas rappeler à ce propos les principes proposés par l’enseignement bien établi de l’Eglise catholique en matière de vie en société: dignité de la personne humaine, bien commun, destination universelle des biens, participation et solidarité? Ou encore les valeurs qui doivent présider à la mise en œuvre différenciée et combinée de ces principes: la liberté, la vérité, la justice et l’amour? Lorsque la souveraineté populaire est instrumentalisée à des fins de politique partisane, d’une manière qui flatte les émotions souverainistes et nationalistes, le risque est grand que des processus formellement démocratiques conduisent à des choix politiques qui, à terme, soient contraires à ce qui constitue une véritable démocratie. Il existe bien des limites matérielles à ce qui peut être décidé au moyen de mécanismes formellement démocratiques. Cette règle n’est généralement pas acceptée par les positivistes. Mais elle constitue un ultime rempart contre une conception absolutiste de la souveraineté démocratique et un moyen de sauvegarder les principes essentiels d’humanité. Pour être légitime, la démocratie doit être conçue dans une relation interactive étroite entre les trois composantes d’une fameuse trilogie: démocratie, droits de l’homme et état de droit.

Cette approche n’est pas nouvelle. Elle trouve l’une de ses plus belles expressions dans le Statut de Londres du Conseil de l’Europe de 1949. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, de grands européens inspirés par les richesses de l’humanisme judéo-chrétien, ont voulu établir la paix en Europe sur des bases durables, en commençant par identifier et combattre les causes ultimes de la catastrophe qu’ils venaient de traverser. C’est alors qu’ils ont voulu mettre en valeur ce qu’ils considéraient comme le fondement de leur action en se disant «inébranlablement attachés aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du Droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable».

A la base: dignité de la personne et le bien commun universel

Pour aller à l’essentiel en guise de conclusion, on peut noter que la vision de la sécurité et du bien-être propagée par les souverainistes nationalistes est une illusion, malheureusement périlleuse, qui souffre d’une déficience radicale, celle d’une conception erronée de la personne humaine, de sa dignité et du bien commun nécessaire au plein épanouissement de chaque personne. Le respect de la dignité humaine est une limite à la souveraineté. Et le bien commun ne se limite pas à celui de la communauté nationale. Il existe aussi un bien commun au niveau des régions du monde et un bien commun universel. La communauté humaine a vocation à être organisée en société politique, à tous les niveaux, de la communauté locale à la famille humaine tout entière, bien sûr dans le respect du principe de subsidiarité. Les Etats souverains ont un rôle décisif à jouer dans la mise en œuvre de la dignité humaine et du bien commun mais ce rôle doit être conçu dans une juste perspective.[print-me]


Nicolas Michel est docteur en droit de l’Université de Fribourg et Master of Arts en relations internationales de l’Université de Georgetown à Washington DC. Il a été professeur de droit international et de droit européen à l’Université de Fribourg jusqu’en 1998. De 1998 à 2003, il devient Conseiller juridique du Département fédéral des Affaires étrangères. De 2004 à 2008, il est Conseiller juridique des Nations Unies à New York. En 2008, il redevient professeur de droit international, à l’Université de Genève, à l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement à Genève. Il est président du Conseil de l’Académie de Droit International Humanitaire et de droits humains de Genève (ADH).

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Francisco de Vitoria https://www.revue-sources.org/francisco-de-vitoria/ https://www.revue-sources.org/francisco-de-vitoria/#respond Tue, 09 May 2017 12:06:37 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2228 Le 24 janvier 2017 un acte solennel eut lieu à la Salle Francisco de Vitoria du Palais des Nations de Genève, en présence du Maître de l’Ordre des Prêcheurs. Le but était de rendre hommage à ce penseur dominicain qui inventa au XVIe siècle le «droit des gens» dont se réclama Las Casas, un autre dominicain, dans son combat en faveur des Indiens d’Amérique.

[print-me]Francisco de Vitoria (1486-1546) est un dominicain espagnol qui vécut dans la première moitié du XVIe siècle. Il appartient à un courant réformateur de son Ordre. Son parcours est assez classique pour l’époque: il fait ses études à Burgos et Paris. A partir de 1526, il obtient la «chaire de prime» de Salamanque, une des plus illustres d’Europe. Vitoria, homme de la Renaissance, est le premier théoricien moderne du «droit des gens», au cœur d’une Espagne réunifiée, après deux siècles d’efforts et de guerre pour reconquérir et reconvertir ce territoire. Vitoria influencera notablement la recherche juridique des siècles à venir.

Les sources

Comme tout théologien qui se respecte, Vitoria utilise comme sources de sa réflexion la Bible et les Pères de l’Eglise. Une de ses originalités est d’y ajouter des sources issues de l’expérience et de l’histoire humaines, appelés «lieux théologiques». En particulier, la raison ou les philosophes. Toutefois, l’innovation la plus importante de Vitoria n’est pas les sources qu’il choisit, mais la façon dont il les exploite et les confronte à une situation tout à fait inédite: la découverte et la conquête des «Indes». Il en tirera des conséquences pour le droit. 

De quel droit parle-t-on?

La jurisprudence médiévale conférait au pape une autorité universelle qu’il pouvait déléguer à un roi. Ainsi, Isabelle la Catholique pouvait affirmer (sans être infirmée par les juristes) que la concession des Indes occidentales faite par le Pape à la couronne espagnole pour y amener la foi légitimait son autorité sur ces nouveaux territoires et l’usage de la force si elle était nécessaire. L’argument théologique sous-entendu était que Dieu a donné à saint Pierre, son représentant sur terre, par l’intermédiaire du Christ, un pouvoir qui se transmet à ses successeurs. Ainsi, le pape de l’époque a-t-il pu concéder une part du territoire qui lui fut légué aux «Rois catholiques» espagnols. Cette concession impliquait la propriété et le gouvernement des Indes occidentales. De ce fait, les Indiens devaient se soumettre à cette à cette hiérarchie et devenir chrétiens. En cas de refus, ils seraient soumis par la force. C’est exactement l’argumentation utilisée dans le Requerimiento[1].

Vitoria a permis à Bartolomé de Las Casas d’avoir une assise juridique dans son combat pour la protection des Indiens

Face à cette position largement répandue, Vitoria pose la question de savoir si avant l’arrivée des Espagnols les Indiens, infidèles non coupables, pouvaient être considérés comme les vrais propriétaires de leur terre, conformément au droit public et au droit privé. Pour y répondre et pour que sa réponse puisse être acceptable à la fois par les Espagnols et par les Indiens, Vitoria utilise la distinction entre le droit divin et le droit naturel.

Le droit naturel est le fruit de la raison humaine (naturelle) qui s’enrichit grâce aux différentes philosophies et réflexions menées au fil des temps. Ce droit est fixé par la condition humaine et est donc valide pour tous les hommes. Le droit des gens, fondement du droit international moderne, est quant à lui l’application du droit naturel dans un contexte particulier. Par exemple, selon le droit naturel, toutes les choses sont communes et mises au service des hommes. Selon le droit des gens, l’expérience montre que la meilleure manière d’y avoir droit est la propriété privée, pour éviter lutte et dissensions. Le droit des gens n’est donc pas figé et statique, mais il évolue en fonction des connaissances et des situations historiques. Il impose un nouveau cadre juridique pour les relations internationales.Vitoria considère que ce droit a été violé aux Indes par les Espagnols lors de la conquête. Selon le droit des gens, les Indiens peuvent être considérés comme les propriétaires légitimes de leurs terres. Vitoria est donc face à une nouvelle question: les Rois Catholiques ont-ils une autorité sur ces territoires? Quels titres peuvent-ils faire valoir pour légitimer leur conquête?

L’autorité des rois et les titres (il)légitimes

Dans son «De Indis et De iure belli» (1539), Vitoria définit les conditions qui déterminent la légitimité de la guerre, entendez celle que mènent les Espagnols pour conquérir les Indes. Sans n’avoir jamais mis les pieds aux Indes occidentales, Vitoria reçoit le témoignage de ses confrères dominicains missionnaires dans ces régions, de passage au couvent de Salamanque. Contrairement à ses prédécesseurs, il ne part pas du pouvoir universel du pape, mais bien du droit naturel et du droit des gens. Ce qui lui permet d’affirmer d’une part que la conquête ne peut être justifiée par le droit positif européen puisque les Indiens n’y sont pas soumis. D’autre part, il reconnaît huit raisons légitimes de faire la guerre, tout en précisant qu’il n’est pas certain que ces raisons puissent être invoquées dans le cas de la conquête des Indes.

Fécondité et actulité de Vitoria

Dans sa lutte en faveur des Indiens, Vitoria a permis à Bartolomé de Las Casas d’avoir une assise juridique dans son combat pour la protection des Indiens. En obtenant, entre autres, les «Lois Nouvelles» de 1542[2].

Ce qui est très impressionnant dans la pensée de Vitoria, en plus de son courage, c’est sa capacité à reconnaître à l’autre sa dignité. En se basant sur le droit naturel, il donne un nouveau cadre aux relations internationales: il a distingué le droit médiéval européen du droit des gens international. Dans ce cadre, les individus de toute nation ont les mêmes droits et ils peuvent librement choisir leur gouvernance quelles que soient leur religion, leur croyance, leur origine et leur couleur. De ce fait, au XXe siècle, lors de la fondation de la SDN, Vitoria est cité comme un des fondateurs du droit des gens.

Aujourd’hui, alors que les «droits de l’homme» ont été proclamés, il serait heureux que les hommes et les femmes de notre temps aient le même courage que Vitoria pour exiger leur mise en œuvre dans la société et dans les relations internationales. En vue d’offrir aux hommes, aux femmes et aux enfants un monde plus respectueux des droits de chacun et chacune.


Nicole Awaïs, actuellement au service de DOMUNI, une université dominicaine électronique offrant des formations en philosophie, en théologie et en sciences sociales, a participé au «Colloque Vitoria» de Genève dont il est question plus haut.


Bibliographie

– Monnet, M. éd. (2016). La source théologique du droit. L’actualité de l’Ecole de Salamanque. Toulouse, Domuni-Press.
– Hernandez Martín, Ramón (1997). Francisco de Vitoria et la “Leçon sur les Indiens”. Paris, Cerf
– De Vitoria, Francisco (1991), Politicals writings.Cambridge, Cambridge University Press


[1] Le Requerimiento est un texte lu en espagnol aux Indios par les conquistadors à leur arrivée qui leur laisse le «choix»: se convertir et se soumettre ou être convertis par la force. Donc si les Indios se convertissaient, il n’y avait pas de guerre, mais s’ils résistaient, il était légitime de leur déclarer la guerre.

[2] Las Casas ira beaucoup plus loin dans ses affirmations juridiques et ne reconnaît aucun titre légitime à la présence espagnole et exigera une restitution totale de tout ce qui a été acquis illégitimement.[print-me]

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Droits Humains: les Dominicains ont de qui tenir https://www.revue-sources.org/droits-humains-dominicains-ont-de-tenir/ https://www.revue-sources.org/droits-humains-dominicains-ont-de-tenir/#respond Tue, 07 Feb 2017 13:19:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2069 [print-me]En août 2016, un colloque réunissait à Salamanque[1] quelques deux cents membres de la Famille dominicaine venus dans cette ville raviver l’engagement de l’Ordre au service de la Justice et de la Paix. Un engagement qui pendant huit siècles a marqué l’histoire de la famille de saint Dominique. Long périple que le pape François a comparé plaisamment à un «carnaval mondain» au sein duquel la prédication dominicaine était appelée à résonner.

Le site de Salamanque était judicieusement choisi. L’université de cette ville a hébergé une Ecole célèbre qui prit le nom de cette cité. Elle fut illustrée par un Dominicain non moins célèbre, Francisco de Vitoria (1483-1546), penseur et fondateur du «jus gentium», prémisse du droit international qui arbitre encore aujourd’hui les relations entre les peuples et les Etats.

L’ONU et Francisco de Vitoria à Genève

Il convenait de commémorer une seconde fois cet événement sur les lieux mêmes où ces questions se débattent de nos jours, à savoir au Palais des Nations de Genève qui reçoit trois fois l’an «Le Conseil des Droits de l’Homme». Plus précisément encore, dans une de ses plus belles salles, celle consacrée à Francisco de Vitoria, décorée des fresques marouflées du peintre espagnol José Maria Sert.

Les fresques de sa salle demeurèrent comme un défi muet

La rencontre de Genève eut lieu au soir du 24 janvier 2017, sous l’égide du frère Mike Deeb, promoteur de Justice et Paix au sein de son Ordre et son délégué permanent auprès des Nations Unies. Près de 150 personnes, proches des Dominicains ou membres des missions diplomatiques présentes à Genève, prirent place sur les gradins de cet amphithéâtre historique. A la tribune, une brochette d’orateurs délégués des gouvernements espagnol et péruvien ou de l’Université de Salamanque entourait le Maître de l’Ordre, le frère Bruno Cadoré. On entendit aussi une communication de Mme Nicole Awais[2].

Les Dominicains à l’ONU

C’est à Rome, à la fin des années 80, que se concocta l’idée d’une présence dominicaine dans les parages de ce qui était alors «La Commission des Droits de l’Homme». Deux amis en furent les artisans: un franciscain  canadien John  Quigley et le dominicain Jean-Jacques Pérennès, aujourd’hui Directeur de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem. Mais, pour les Dominicains, la cheville ouvrière de ce projet fut le frère canadien Philippe LeBlanc. Il travailla de concert avec les Franciscains et partagea à Genève le même bureau (FIOP), d’abord à la Cité Universitaire, puis à la rue de Vermont. Le frère LeBlanc prit part chaque année aux réunions de la Commission et de la Sous-Commission créées par l’ONU pour la promotion et la protection des droits de l’homme. A cet effet, il créa en 1998 une organisation non gouvernementale (ONG) appelée «Dominicains pour Justice et Paix». Une nouvelle étape fut franchie en 2002 quand cette ONG obtint un statut consultatif spécial de la part du Conseil Economique et Social des Nations Unies (ECOSOC).

Parvenu au terme de son mandat, le frère Philippe LeBlanc fut remplacé à ce poste par le frère Olivier Poquillon auquel a succédé le frère Mike Deeb actuellement en charge. La mission de ces délégués permanent de l’Ordre auprès des Nations Unies est bien précise: répercuter dans l’Ordre les débats qui se déroulent dans cette aula internationale et dans ce même hémicycle se faire les porte-paroles des victimes lésées dans leurs droits humains, selon les informations qui leur sont transmises par les membres de la famille dominicaine présente dans les cinq continents[3].

«Ne sommes-nous pas des humains?»

Alors que ses compatriotes prenaient pied dans les Indes Occidentales, parvenait à Salamanque aux oreille du théologien dominicain Francisco de Vitoria l’écho du cri de son frère Montesinos, en mission à Hispaniola. Un cri proféré au sujet des Indiens de cette île réduits en esclavage, après avoir été dépouillés de leurs terres: «Ne sont-ils pas des hommes?». La réponse du théologien ne se fit pas attendre. Se réclamant du droit naturel, de sources bibliques et de la meilleure tradition thomiste, Vitoria mit en cause le principe de la colonisation, affirmant le droit des peuples à disposer en pleine souveraineté de leurs terres ancestrales, contestant de ce fait les prétentions papales et impériales de s’en approprier et de les distribuer selon leur gré. Vitoria plaide aussi pour la concertation entre les Etats en vue de régler en commun les questions qui concernent la liberté de commerce, la circulation des personnes et les limites à apporter au droit de la guerre. Questions audacieuses et étonnamment modernes, «disputées» dans un cadre académique et dont les conclusions sont parvenues jusqu’à nous. Le Maître de l’Ordre suggérait dans son intervention de reprendre à notre compte le cri de Montesinos, répercuté dans une version universelle par Vitoria: «Ne sommes-nous pas tous des humains?». 

Les yeux et la tête tournés vers les fresques de Sert personnifiant les maux de l’humanité vaincus par la paix, la justice, le progrès, la solidarité, je demeurai perplexe, me souvenant de la date de l’inauguration solennelle de la salle Vitoria dans ce Palais: 2 octobre 1936. La guerre civile faisait déjà rage en Espagne et la SDN (Société des Nations) qui avait commandé ces peintures murales était moribonde, incapable d’éviter le terrible conflit mondial qui se profilait. Vitoria ne fut pas entendu et les fresques de sa salle demeurèrent comme un défi muet proposé aux sociétés de tous les temps. La nôtre saura-t-elle le relever?[print-me]


Frère Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».

[1] Les Actes de ce colloque viennent d’être publiés: Dominicans and Human Rights. Past, Present, Future.Edited by Mike Deeb OP, Celestina Veloso Freitas OP, ATF Theology, Adelaide. 2017, 247 p.

[2] Notre revue reproduira cette intervention dans une prochaine livraison.

[3] Phippe LeBlanc: Les Dominicains à l’ONU, Revue du XXIème siècle, Bruxelles, mars 2002.

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