Paix – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 03 Jan 2017 12:25:40 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Une oasis de paix « Nevé Shalom – Wahat al-Salam » https://www.revue-sources.org/oasis-de-paix-neve-shalom-wahat-al-salam/ https://www.revue-sources.org/oasis-de-paix-neve-shalom-wahat-al-salam/#respond Sat, 04 Apr 2015 08:33:17 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=93 [print-me]

Au bout d’un sentier, sur une hauteur fréquemment ensoleillée de la Terre sainte, entre Jérusalem et Tel Aviv, se trouve un coin de verdure original qui a pris le nom d’ »Oasis de Paix« .

Il se veut une réponse modeste à l’inspiration prophétique: « Mon peuple habitera dans une oasis de paix »(Is 32,18). En arabe, l’expression « wahat al-salam » et celle en hébreu, « nevé shalom » disent un domaine paisible.

Tout commence à Latroun en 1972

L’idée prend corps à la suite du Concile Vatican II. Elle est née dans la tête d’un idéaliste qui désire construire des ponts de compréhension entre les hommes. Il s’agit du Dominicain Bruno Hussar (1911-1996) qui reçoit l’aval du Père Corbisier, moine trappiste de Latroun en 1972 pour établir sur un terrain de 40 hectares un village fondé sur la conviction qu’une coexistence dans l’égalité, la coopération et le respect mutuel est possible entre juifs, chrétiens et musulmans, arabes ou non, sans aucune affiliation à un mouvement politique, mais tous citoyens de l’État d’Israël.

Une crèche, un jardin d’enfants et une école primaire existent depuis 1983, où l’on enseigne l’arabe et l’hébreu moderne.

Est-ce un rêve ou un miracle? Toujours est-il qu’une crèche, un jardin d’enfants et une école primaire existent depuis 1983, où l’on enseigne l’arabe et l’hébreu moderne. Des lieux de réunion également pour se connaître, voire apprécier la culture de l’autre.

A travers des dessins, à l’occasion de certaines fêtes, les enfants expriment leur sensibilité respective et leurs valeurs propres dans le but de faire tomber les préjugés et stéréotypes trop fréquents dans le pays. De plus, depuis 1979, existe l’École pour la Paix, « The School for Peace », qui réunit des jeunes, encadrés par des Juifs et des Palestiniens d’Israël et met sur pied des programmes biculturels de littérature, comme « Deux peuples qui écrivent de droite à gauche ». Un « master » en résolution de conflits est par ailleurs en préparation.

Forte demande après des débuts difficiles

En 1989, après un lent démarrage, le village comptait 85 résidents, dont 18 familles et 40 enfants. En 2014, 34 nouvelles familles se sont installées. Parmi elles, 15 appartiennent à la deuxième génération de résidents. Le village compte un total actuel de 60 familles dont 30 de religion juive et 30 non juives: 20 familles musulmanes et 10 chrétiennes. On attend pour l’avenir un développement démographique qui pourrait doubler la taille du village d’ici à 2024.

Les élections annuelles du secrétaire, des membres du secrétariat et du comité de travail sont organisées sur des bases démocratiques « à l’israélienne ». Ces prises de décisions communautaires sont nécessaires. Elles assurent la transparence et obéissent à un souci de vérité. Si le projet se développe à ce rythme, il pourrait signifier que les destins des Juifs et des Arabes palestiniens sont liés sur cette terre. Mais il faut tout de même savoir que les jeunes militaires du village sont tenus de piloter des avions de chasse appelés un jour à bombarder leurs voisins. Ce qui, bien évidemment, contredit la volonté de paix et d’amitié.

La « Doumia » au centre du village

Aucun lieu de culte public au village, mais une salle en forme de demie sphère a été construite pour rappeler que la louange convient à Dieu. « Doumia », au début du Psaume 65 en hébreu peut se traduire par « silence ». C’est donc une bulle pour la méditation ou l’adoration silencieuse, accessible aux habitants comme aux visiteurs.

Un « master » en résolution de conflits est par ailleurs en préparation.

Depuis 1980, cette salle est dédiée à la mémoire du frère Bruno Hussar qui laissa ce testament spirituel: « La foi en la victoire finale de l’amour sur la haine est le but le plus vrai et plus profond de Nevé Shalom – Wahat al-Salam. » En appliquant les valeurs d’égalité, de justice et de réconciliation se profile une paix juste, durable et équitable. À côté de cette « Bet-Doumia – Bet as-Sakinah » qui fait référence à la « tranquillité du cœur » dans la sourate 48,4, il y a aussi le centre spirituel pluraliste, qui développe des activités de réflexion interculturelle et interreligieuse.

Les services sur place aujourd’hui

Plusieurs services pour s’ouvrir au monde: une hôtellerie, un restaurant et une auberge de jeunesse. Pour des conférences ou séminaires sont disponibles une bibliothèque et des salles. Et, comme mentionné déjà, une école primaire pour les enfants du village, ouverte aux enfants israéliens des environs. L’«École pour la Paix» est destinée à promouvoir le dialogue et la compréhension dans un but pacifique.

Pour conclure, on dira qu’il règne au village une atmosphère de sérénité, grâce à l’esprit et la volonté de ses habitants. L’évolution se poursuit. A preuve, la longue liste d’attente actuelle de possibles résidents au village. Mais la prudence des moines de Latroun se manifeste dans le conseil de gestion. Les moines en sont membres avec droit de veto. Ceci, pour éviter que le projet initié par le frère Bruno Hussar ne parte à la dérive.

Sur place, une équipe d’accueil et la pionnière française, Anne Le Meignen, qui publie un bulletin de liaison en français: La Lettre de la Colline. Les moines de la Trappe de Latroun sont représentés par le Père Paul qui fait le lien entre son Abbaye et les responsables du village.

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Le frère dominicain belge Christian Eeckhout vit au couvent St-Étienne de Jérusalem. Il participe aux Commissions épiscopales «Justice et Paix» de Terre Sainte et prend part aux activités de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem.

 

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Hrant Dink Constructeur de ponts https://www.revue-sources.org/hrant-dink-constructeur-de-ponts/ https://www.revue-sources.org/hrant-dink-constructeur-de-ponts/#respond Wed, 01 Apr 2015 00:48:42 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=87 [print-me]

Journaliste engagé, Hrant Dink a été assassiné à Istanbul le 19 janvier 2007 pour avoir voulu prôner un dialogue arméno-turc constructif.

Le journal AGOS

Hrant Dink est né en 1954 à Malatya, au coeur de la Turquie, dans une région largement peuplée d’Arméniens jusqu’au génocide de 1915. Mais la vie y était devenue très difficile. Enfant, il déménage avec sa famille à Istanbul. Ses parents séparés, sa grand-mère le confie pendant dix ans à un orphelinat protestant de mouvance évangélique.

Au cours d’un camp d’été organisé par cette institution, il rencontre Rakel, sa future épouse, elle aussi originaire de Turquie orientale. Il l’épousera dans ce même camp en 1976. En 1984, la confiscation par l’Etat turc de ce lieu si cher à son coeur le sensibilise profondément à la précarité du statut des Arméniens en Turquie. Précarité qu’il mesure de nouveau au cours de son service militaire dans l’armée turque. Malgré ses excellentes notes, le titre de sergent lui est refusé. Après ses études à l’Université d’Istanbul, il fonde à Pâques 1996 le journal AGOS, rédigé en arménien et en turc dans le but de toucher un public plus large, et dont il sera l’éditeur.

Ses objectifs

Il assigne cinq objectifs à sa publication: dénoncer toute injustice commise contre les Arméniens en Turquie – analyser les violations des droits de l’homme et les difficultés de la démocratisation – faire connaître à partir d’archives le rôle positif des Arméniens dans l’économie et la culture de l’empire ottoman – informer sur l’évolution de la jeune République d’Arménie, en particulier sur ses rapports avec la Turquie – critiquer les disfonctionnements et l’absence de transparence des institutions de la communauté arménienne. Son but final? Encourager la réconciliation des Turcs et des Arméniens et la reconnaissance des droits des minorités.

Les nationalistes turcs jubilent, font paraîtront des photos de policiers souriants entourant l’assassin devant un drapeau turc.

Il interpelle les Turcs qui ne veulent pas admettre la réalité du génocide au nom de leur nationalisme ou du refus de s’identifier à des actes aussi abominables. Mais il interpelle aussi les Arméniens de la diaspora dont les campagnes internationales se focalisent trop à son avis sur la reconnaissance du génocide, sans chercher à promouvoir un dialogue constructif et prendre en compte les besoins actuels des Arméniens, tant en Turquie qu’en République d’Arménie. « Le problème du pays, aujourd’hui, n’est ni celui de la « négation », ni celui de la « reconnaissance ». Son problème fondamental c’est la « compréhension ». Et la Turquie n’y aura accès, ne prendra pleinement conscience de son passé, de son histoire, que si elle progresse dans son combat pour la démocratie. »

Turco-arménien

Parce qu’il se revendique à la fois turc et arménien, Hrant Dink rêve d’une Turquie plus éthique qu’ethnique, assez forte pour oser regarder son passé en face et éliminer démocratiquement les discriminations. Tous ses articles visent à faire la lumière sur la réalité de la Turquie, sans diaboliser l’une ou l’autre partie.

D’un côté, il faut reconnaître l’évidence de la présence de plus de deux millions d’Arméniens dans l’empire ottoman qui contribuèrent largement à la prospérité du pays et dont les deux tiers furent victimes du massacre planifié; mais, par ailleurs, on ne peut considérer les arrière-petits-enfants des bourreaux coupables des crimes odieux perpétrés par leurs ancêtres. Mieux, il faut favoriser leur intégration, en encourageant l’adhésion de la Turquie à l’Europe.

Bref, esquisser les contours d’un réel échange, à l’instar de celui qui se créa entre la France et l’Allemagne après la seconde guerre mondiale. Vision prospective qui vaudra au journaliste trois procès de la part des Turcs, aggravés de menaces.

L’assassinat d’un pacifiste

Le 19 janvier 2007 Ogün Samast, jeune turc de 17 ans, armé par un complot d’ultranationalistes de Trébizonde (ville où avait été assassiné un an plus tôt le prêtre catholique Don Andrea Santoro) l’abat de deux balles dans la nuque devant son bureau. Ceci, peu après la sortie du documentaire Screamers, dans lequel le journaliste dénonçait l’article 301 qui déclare que parler d’un génocide arménien est une insulte à l’Etat, passible de peines.

Hrant Dink est mort pour avoir milité en faveur d’un dialogue qui respecte à la fois la fierté du peuple turc et la vérité historique.

Les nationalistes turcs jubilent, font paraîtront des photos de policiers souriants entourant l’assassin devant un drapeau turc. Mais, en sens inverse, le jour des funérailles de Hrant Dink cent mille personnes défilent à Istanbul en scandant: «Nous sommes tous Hrant Dink et nous sommes tous arméniens ». Un ouvrage courageux, paru à titre posthume en France en 2009, résume sa position. [1. Hrant Dink, Deux peuples proches, deux voisins lointains, Arménie-Turquie, Actes Sud 2009]

Une parole a été libérée

AGOS continue à paraître et une Fondation Hrant Dink a été créée pour perpétuer les valeurs prônées par son fondateur. Surtout, une parole a été libérée. Certes, les pressions gouvernementales restent importantes, croissent même comme le nationalisme turc. Le Turc Perincek [2. www.affaireperincek.com] nargue la Suisse et le monde en niant la réalité du génocide. La Suisse l’avait condamné, mais la cour de Strasbourg l’a blanchi. Ce jugement a fait l’objet d’un ultime appel en janvier 2015. Le discours officiel turc continue à réduire l’assassinat de plus de 1 300 000 civils arméniens, femmes, enfants, vieillards, égorgés, violés, déportés vers le désert de Deir-Et-Zor à une légitime résistance en période de guerre. Il fallait, prétend-on, se défendre contre les Russes avec lesquels les Arméniens étaient suspectés de s’être alliés.

Mais les langues se délient. Des historiens turc [3. Taner Akçam, Un acte honteux: le génocide arménien et la question de la responsabilité turque, Gallimard 2012] éminents s’expriment; une pétition turque qui demande pardon recueille près de 30’000 signatures; le cinéaste germano-turc Fatih Akin tourne The Cut; de nombreux témoignage [4. Fethiye Cetin, Le livre de ma grand-mère, Marseille, Ed. de l’Aube 2006, Parenthèses, 2013] évoquent la quête d’identité des petits-enfants de femmes sauvées du génocide mais islamisées. Ces personnes considérées comme arméniennes par les Turcs sont écartées de ce fait des fonctions importantes, mais elles sont considérées comme des renégats par des Arméniens, même si elles demandent le baptême…

Cent ans après 1915, les Arméniens du monde entier continuent à réclamer aux Turcs la reconnaissance de la grande catastrophe dont leurs ancêtres ont été victimes. Hrant Dink est mort pour avoir milité en faveur d’un dialogue qui respecte à la fois la fierté du peuple turc et la vérité historique. Sa veuve Rakel et ses trois enfants perpétuent son oeuvre au sein de la Fondation Hrant Dink avec les actuels rédacteurs d’AGOS. Ils organisent des programmes économiques et culturels entre Turquie et Arménie et sensibilisent de nombreux Turcs à travers une information ouverte pour récuser l’intolérance.

La mort tragique de Hrant Dink contribuera-t-elle à ouvrir des portes de respect et de vie? Chacun de nous, à son échelle, peut réagir pour ne pas laisser l’ignorance et l’indifférence conduire au fatalisme ou au fanatisme. Tel est bien l’universel enjeu humain [5. En Suisse de nombreuses manifestations marqueront le centenaire du génocide, www.genocide 1915.org]

A signaler aussi que les églises chrétiennes du canton de Vaud organisent à Lausanne des conférences ouvertes à tous, du 4 au 7 juin 2015, auxquelles Rakel Dink est précisément invitée, et qui se clôtureront par une célébration oecuménique à la cathédrale de Lausanne dimanche 7 juin 2015 à 18h.

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Monique Bondolfi-Masraff est présidente de KASA (Komitas Action Suisse-Arménie www.kasa.am). Elle est également membre du comité de rédaction de la revue Sources.

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