suicide assisté – Revue Sources https://www.revue-sources.org Thu, 08 Nov 2018 16:05:45 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Médecins et suicide assisté https://www.revue-sources.org/medecins-et-suicide-assiste/ https://www.revue-sources.org/medecins-et-suicide-assiste/#respond Thu, 08 Nov 2018 09:40:47 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2746 Dans certains cantons suisses, comme celui de Vaud ou de Zurich, les médecins sont autorisés à prescrire les doses létales entraînant la mort de personnes qui ont fait recours aux organisations de type Exit ou Dignitas. Moyennant bien sûr des conditions restrictives  bien établies.

Les partisans du suicide assisté voudraient désormais élargir le cadre de cette permissivité en allégeant les conditions qui l’autorisent. Comment un médecin doit-il répondre à une demande de suicide assisté? A partir de quels critères peut-il accorder une ordonnance pour une potion létale? Dans ses directives médico-éthiques sur “L’attitude face à la fin de vie et à la mort”, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) propose d’assouplir les critères actuels. Promulguées en mai 2018, les directives de l’ASSM seront soumises le 25 octobre 2018 à la fédération faîtière des médecins suisses (FMH) qui les  entérinera ou les rejettera.

Notre revue publie trois documents sur ce sujet « vital ». D’abord une interview du philosophe fribourgeois François Gachoud, réalisée par le journaliste Maurice Page et publiée par cath.ch le 09.10.20118, avec l’autorisation de  la direction de la rédaction de ce site. Suivra l’avis de la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses et enfin la décision de la FMH émise ces derniers jours d’octobre.


 François Gachoud interpelle les médecins

François Gachoud

Pourquoi ces nouvelles directives de l’ASSM sont-elles si inquiétantes ?
François Gachooud: En Suisse, le choix de se donner la mort, avec une assistance est possible selon l’art. 115 du Code pénal. Dans la pratique, ce choix était réservé aux seuls patients en fin de vie et qui souffraient d’une maladie incurable. Ce double critère garantissait l’objectivité fondant la pratique de l’assistance au suicide. Cette pratique relevait de l’exercice d’une expertise médicale. Le médecin posait des garde-fous qui ne sont pas requis par la loi mais par les codes de déontologie.

Mais depuis que les Associations Exit et Dignitas ont réussi à élargir l’assistance au suicide aux “polypathologies invalidantes”, le patient n’est plus nécessairement en fin de vie et sa maladie n’est pas nécessairement incurable. L’ASSM emboîte clairement le pas et va même plus loin. 

Le motif avancé est celui de l’autodétermination du patient. En quoi cela pose-t-il problème?
Ne prendre en compte que l’autonomie du patient et sa souffrance subjective, c’est prendre le risque de méconnaître le caractère souvent équivoque de la demande d’assistance au suicide. L’ASSM n’hésite pourtant pas à privilégier ce seul critère: “Il n’existe aucun critère objectif pour évaluer la souffrance en général, ni le degré de souffrance supportable”. Mais ce n’est pas parce qu’une souffrance est toujours en effet vécue subjectivement qu’on doit en déduire l’exclusion d’un critère objectif définissable.

Pour vous il s’agit d’un fâcheux laxisme. Il suffit au fond de dire : “Je me déclare fatigué de la vie et je suis capable de discernement. Donc je puis m’autodéterminer à choisir le suicide quand je veux puisque je trouve ma souffrance insupportable.”

L’ASSM propose certes à l’appui un principe éthique reconnu important : celui du droit à l’autodétermination du patient. Il ne s’agit pas de le nier, mais de considérer toute la gravité de son application. Car c’est ici la vie elle-même qui est remise en cause. L’ASSM prend le risque de mettre les médecins dans une situation délicate, même difficile, car comment mesurer et évaluer une souffrance subjective déclarée insupportable.

Il en va là d’un euphémisme fort douteux pour exprimer la banalisation du suicide. Après tout, n’avons-nous pas été un jour, vous et moi, des “fatigués de la vie” ? A cause d’une maladie qui a fait beaucoup souffrir, d’un burn-out difficile à vivre, d’un divorce douloureusement traversé, d’un chômage de longue durée ou de toute autre épreuve jugée à un moment donné insupportable? L’idée d’en finir nous a peut-être même effleurés. Mais nous avons réussi à surmonter l’épreuve. Pourquoi? Parce que nous avons en nous une faculté de résilience en vertu d’une foi en la vie plus forte que l’instinct de mort. Mais aussi et surtout parce que nous avons trouvé auprès d’autrui une écoute attentive, une aide, un encouragement, une empathie active, une compassion qui nous a touchés.

Le suicide n’est donc pas une question seulement personnelle?
L’Académie ne voit pas que, si nous sommes des êtres évidemment vulnérables, nous sommes aussi des êtres de relation qui avons besoin des autres. C’est notre condition d’être humain vivant en société. L’isolement et la solitude sont le terreau fertile de l’enfermement sur soi et l’on sait que celui-ci est une des causes principales des tentatives de suicide. Il ne suffit pas de s’en référer à la seule détermination lucide du patient pour lui octroyer le droit de gagner sa mort assistée si facilement. Le patient en souffrance a besoin de tout autre chose: de retrouver le goût de vivre

Chacun a néanmoins droit à son autonomie personnelle.
Nous vivons dans une société qui, depuis quelques décennies, a érigé l’individualisme en absolu. Chacun n’est responsable que de lui-même. Ce qui veut dire que chacun est finalement considéré isolément, livré en effet à sa seule référence subjective. Nul n’est plus responsable de la détresse des autres. Combien de gens, surtout des jeunes, sont fragiles et manquent de repères qui leur donneraient des raisons de vivre? Combien de gens sont vulnérables et seuls enfermés dans leur détresse en quête d’un salut souhaité? Va-t-on offrir à ces gens-là l’assistance au suicide parce qu’ils ressentent une souffrance jugée insupportable?

Autre point inadmissible pour vous: le fait de rendre ces directives également applicables aux enfants et adolescents.
On côtoie ici l’intolérable. Car quel enfant ou adolescent de 12 à 16 ans est réellement capable de discernement à un âge largement reconnu comme fragile, fluctuant, instable et susceptible de retournement complet? Ce dont ces enfants et adolescents ont un urgent besoin, c’est d’une aide attentive pour les accompagner et leur donner des raisons de vivre et non pas l’examen de leurs raisons de mourir! Là se trouve très concrètement le lieu où l’on voit combien notre société est malade.

L’ASSM continue pourtant de défendre l’optique que “l’aide au suicide ne fait pas partie de l’activité médicale car elle est contraire aux buts de la médecine.”
Oui, mais que dit-elle un peu plus loin? “Si le patient persiste dans son désir (de suicide), le médecin peut, sur la base d’une décision dont il endosse personnellement la responsabilité, apporter une aide au suicide, sous réserve de cinq conditions” Comment ne pas constater une contradiction? C’est cautionner ainsi, quelles que soient les conditions édictées par précaution, que le médecin est partie prenante du processus organisé par les associations d’aide au suicide comme Exit ou Dignitas.


François Gachoud

Né à Fribourg en 1941, François Gachoud s’est spécialisé en philosophie moderne et contemporaine, il a consacré bon nombre de travaux à Hegel. Enseignant de philosophie, au Collège du Sud à Bulle, il a participé régulièrement à des émissions à la Radio Suisse Romande et sur France Culture. Il a également été chroniqueur pour divers journaux. Il est l’auteur de diverses publications.


Les évêques inquiets

La commission de bioéthique de la Conférence des évêques de Suisse souhaite exprimer sa vive inquiétude à voir l’abandon par l’ASSM, de toute référence objective en matière d’éthique médicale, dans son texte adopté le 18 mai 2018 « Nouvelles directives éthiques ».

En effet, alors que jusqu’à présent, elle maintenait au cœur de sa philosophie du soin, le fondement de sa mission, à savoir, ne pas nuire, protéger la vie de tout être humain, promouvoir et maintenir sa santé, apaiser les souffrances et assister les mourants jusqu’à leur dernière heure (Code de Déontologie de la FMH, art. 2.), rappelant aussi clairement (2004 et 2013) que l’aide au suicide est contraire aux buts de la médecine, cet abandon fait désormais éclater ce fondement en priorisant l’autonomie et le sentiment de subjectivité. Devant une thématique aussi sensible que l’assistance au suicide, l’ASSM, renforce inutilement le concept d’autonomie au dépend de la bienveillance, qui permet d’équilibrer et de mieux contextualiser les situations (environnement – famille – soignants…).

La commission de bioéthique de la CES est parfaitement consciente de la réalité des situations complexes de fin de vie et respecte profondément le principe d’autodétermination. Elle sait que dans certaines de ces situations où le patient exprime son désir d’être aidé à mourir, la décision éthique personnelle du médecin peut le conduire à transgresser sa mission. Cette transgression possible ne doit pas pour autant, infléchir le fondement objectif du prendre soin ultime de l’autre dans le respect de la vie jusqu’aux derniers instants. Dans ce contexte difficile, la commission de bioéthique de la CES, souhaite rappeler que seule la démarche des soins palliatifs permet de maintenir une cohérence dans le prendre soin ultime de l’autre jusqu’aux limites de sa vie. C’est dans cette priorisation du soin ultime que pourra s’exprimer le mieux la mission de la médecine : prendre soin de la vie, ni dans l’excès, ni dans le retrait.

En s’ouvrant à l’assistance au suicide, l’ASSM déplace non seulement la tension légitime déjà existante au cœur de l’agir soignant mais porte désormais atteinte à la nature même du prendre soin ultime de l’autre.

Ce texte élaboré par le frère Michel Fontaine dominicain a été proposé le 15 septembre 2018 à la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses. Après l’avoir accepté le 26 septembre 2018, cette Commission l’a fait parvenir à la FMH.  NDLR


Communiqué de presse de la FMH

La FMH, fédération faîtière des médecins suisses qui représente plus de 40.000 membres et fédère plus de 90 organisations médicales n’a pas suivi les directives  de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) préconisant une facilitation de l’aide au suicide par le corps médical. Son communiqué daté de Berne le 25 octobre 2018 est clair et explicite :

 « La FMH ne reprend pas les directives de l’ASSM «Attitude face à la fin de vie et à la mort» dans son Code de déontologie. Les nouvelles directives médico-éthiques «Attitude face à la fin de vie et à la mort» de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) ont suscité une vive discussion sur la nouvelle réglementation de l’aide au suicide devant la Chambre médicale. »

Décision définitive ou disposition provisoire ? Vu la vivacité des discussions, nous ne serions pas surpris d’une reprise prochaine des débats. Affaire à suivre. NDLR

Si aujourd’hui l’aide au suicide est uniquement autorisée en fin de vie, elle devra selon les nouvelles directives répondre au critère de «souffrance insupportable». Or cette formulation renvoie à une no- tion juridiquement indéterminée, qui apporte beaucoup d’incertitude pour le corps médical.

Au terme d’un débat animé, la Chambre médicale a décidé à une nette majorité de ne pas reprendre les directives révisées de l’ASSM «Attitude face à la fin de vie et à la mort» dans le Code de déonto- logie de la FMH.

En Suisse, l’aide au suicide est uniquement réglementée dans le Code pénal et non par une législa- tion spécifique comme c’est le cas par exemple dans les pays du Benelux. C’est pour cette raison que le Code de déontologie de la FMH revêt une importance particulière dans ce domaine.

Les directives de l’ASSM de 2012 «Prise en charge des patientes et patients en fin de vie» font partie intégrante du Code de déontologie de la FMH en vertu de la décision de la Chambre médicale du 23 avril 2013. Suite à la décision d’aujourd’hui, elles conservent donc leur validité pour la FMH même si l’ASSM les a supprimées en juin 2018.

Renseignements:

Charlotte Schweizer, cheffe de la division Communication

Tél. 031 / 359 11 50, courriel: kommunikation@fmh.ch

La FMH est l’association professionnelle des médecins suisses représentant plus de 40 000 membres. Pa- rallèlement, la FMH fédère plus de 90 organisations médicales. La FMH s’attache en particulier à ce que tous les patients de notre pays puissent bénéficier d’un accès équitable à une médecine de qualité élevée dans le cadre d’un financement durable.

]]>
https://www.revue-sources.org/medecins-et-suicide-assiste/feed/ 0
Accompagner les personnes qui recourent au suicide assisté https://www.revue-sources.org/accompagner-personnes-recourent-suicide-assiste/ https://www.revue-sources.org/accompagner-personnes-recourent-suicide-assiste/#respond Mon, 24 Jul 2017 06:40:50 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2346 [print-me]En Suisse, les organisations Exit et Dignitas proposent leurs services aux personnes désireuses de mettre fin à leurs jours. Elles accueillent toujours plus d’adhérents. Il arrive qu’avant de mourir, ces personnes souhaitent être accompagnées dans leur décision et même dans le geste fatal par un aumônier et bénéficier d’un service religieux après leur décès. La Conférence des Evêques Suisses se préoccupe de ces demandes et a chargé une sous-commission ad hoc de lui présenter des instructions à ce sujet.

Le frère dominicain Michel Fontaine, prieur du couvent de Genève, fait partie de cette sous-commission. Théologien et soignant, il a été interrogé par Maurice Page, journaliste à cath.ch. Avec l’autorisation des intéressés, nous reproduisons ici les éléments essentiels de cet interview.

Comment cet accompagnement peut-il se concevoir?
Ce type d’accompagnement ne peut s’établir que dans la temporalité, dans la durée. On ne saurait en aucun cas se limiter à la seule célébration du sacrement des malades. Concrètement, nous entrons en matière si une personne nous approche en déclarant avoir adhéré à une association d’assistance au suicide. L’aumônier doit être capable d’entendre sans jugement. Dans le respect de la personne, il faut d’abord comprendre avec elle pourquoi elle a effectué cette démarche. Souvent, s’inscrire à Exit signifie vouloir se préserver d’une fin dans la souffrance et la solitude: c’est comme une pseudo-assurance. Ce qui est tout de même assez éloigné de la question du suicide en soi. En ce sens, il est utile de rappeler que les ‘directives anticipées de fin de vie’ ne peuvent pas prévoir l’assistance au suicide.

“Il m’apparaît essentiel de rester très humble”

Cette première démarche, grâce à cette écoute et cette pédagogie du pas à pas, permet assez souvent de ‘désamorcer’ le processus du suicide. Si la personne persiste ou évolue peu à peu vers l’acceptation de l’idée du suicide, l’accompagnement ne doit pas pour autant cesser. Il ne faut pas couper les ponts. Nous ne sommes pas là pour juger, mais pour rester proches et ne pas démissionner devant la réalité du suicide, même si elle nous met mal à l’aise et nous déstabilise. Il est important de rappeler que la conscience est comme un sanctuaire inviolable.

Michel Fontaine, dominicain engagé dans l’enseignement et la recherche dans les milieux de la santé, des sciences sociales et de l’éthique.

Comment agir lorsque des personnes engagées dans cette démarche demandent le sacrement des malades?
Nous devons développer une réflexion théologique et pastorale dans le respect d’une certaine gradualité, autrement dit, une approche progressive dans l’espérance bien sûr de faire émerger une nouvelle dynamique qui permet d’accompagner la vie jusqu’à la mort. Si, sur ce chemin très souvent ‘clair-obscur’, la personne demande la grâce du pardon parce qu’elle est consciente de sa fragilité, de ses limites, au nom de qui et de quoi pourrions-nous la lui refuser? Nous ne savons pas ce qui se passe au plus profond d’elle-même. Il se peut en effet, que dans un temps qui échappe autant à elle qu’à nous, sa demande resurgisse de prendre la potion létale. L’accompagnement, si la personne continue à le demander, reste toujours ouvert. La temporalité de ce processus est imprévisible. Une seule exigence nous incombe: être disponible. N’avons-nous pas à prendre en compte la réalité de cette incertitude fondamentale qui vient creuser toute fin de vie, quelle qu’elle soit? Le sacrement des malades, comme celui de la réconciliation, est le lieu de la grâce où la personne doit se sentir entendue, écoutée, reconnue et portée par une confiance, celle que Dieu lui fait au plus profond de son humanité. C’est là que se réalise le mystère du sacrement.

Pas de schéma standard ou de protocole?
Il est vrai que la situation demande à l’aumônier d’entrer dans une zone grise dans laquelle il ne faut pas avoir peur de se laisser conduire ‘jusque dans les méandres les plus secrets’ de l’autre. Nous sommes incapables de mesurer les conséquences de notre écoute et de notre présence: elles peuvent être l’ouverture à une décision différente.

La question de la cohérence avec la foi catholique et avec le sens d’un sacrement se pose tout de même.
Il s’agit à la fois de montrer l’importance de cette cohérence tout en tenant compte de la fragilité humaine d’une personne confrontée à sa propre fin et effrayée par la mort. Nous ne pouvons donc pas proposer un schéma standard ou satisfaire à un protocole établi à l’avance. On reste dans la singularité déjà évoquée et on laisse l’aumônier maître de sa décision quant à la manière de vivre cet accompagnement.

Comme dans tout accompagnement spirituel, la démarche de cohérence et de vérité concerne autant l’aumônier que la personne. Quelqu’un qui demande la grâce du pardon se trouve probablement à un point nodal de son existence. Il cherche à redécouvrir comment le Seigneur peut encore être présent dans sa vie et comment retrouver l’espérance et la force. C’est là aussi toute l’importance de la temporalité.

Sans critères de jugement objectifs, l’aumônier peut être en difficulté.
La difficulté est déjà là au moment où il commence à accompagner une personne en fin de vie indépendamment de la problématique du suicide assisté. Un aumônier qui sent que les choses sont trop difficiles pour lui doit pouvoir le partager, soit dans une équipe, soit avec un référent. Mais je pense qu’il y a encore plus de mal à proposer une grille ou une recette inapte à absorber la globalité complexe d’une telle situation.

Jusqu’ou peut-on accompagner une personne qui maintient sa décision de se suicider?
L’enjeu fondamental est de ne pas abandonner les personnes, même dans des choix qui sont contraires à l’enseignement de l’Eglise. Le Christ n’a jamais abandonné quiconque. Nous avons souvent l’expérience de personnes qui meurent naturellement avant de faire le geste du suicide. Selon mon hypothèse, mais qui est assez bien vérifiée, dès qu’une personne se sait reconnue, entendue, écoutée dans sa propre vérité, sans jugement, un processus de libération se met en route et aboutit à accepter de lâcher prise et de mourir naturellement. Elle a pu, peut-être inconsciemment, évacuer, exorciser ce choix qu’elle avait fait de vouloir se suicider. En tout cela, il m’apparaît essentiel de rester très humble.

Un aumônier peut-il être présent au moment où la personne va absorber la potion létale?

Je ne me suis jamais trouvé dans une telle situation. Mais personnellement, je peux imaginer que je puisse être présent, sans pour autant cautionner l’acte. Il faudrait que cela soit une personne que j’aie pu accompagner un certain temps, que je connaisse assez bien et qui me demande d’être là. Je m’assurerais aussi que l’environnement soit informé du pourquoi je suis présent et du fait que je ne soutiens en aucun cas l’acte du suicide. Entre le oui et le non, il y a peut-être une troisième voie, celle de la présence qui dépasse tout discours, parce que je suis convaincu que là, le Christ est présent et pleure devant la mort de cette personne. L’un des maîtres-mots est la vérité avec la personne, avec les gens qui l’entourent et avec soi-même. Mais par exemple donner l’eucharistie à ce moment-là me paraît impensable. C’est une ligne rouge infranchissable. Bien évidemment, aucun aumônier ni agent pastoral ne doit se sentir contraint d’aller au-delà de ce que lui-même peut supporter: il importe d’aller le plus loin possible.[print-me]

]]>
https://www.revue-sources.org/accompagner-personnes-recourent-suicide-assiste/feed/ 0
Vivre au-delà de 75 ans! https://www.revue-sources.org/vivre-dela-de-75-ans/ https://www.revue-sources.org/vivre-dela-de-75-ans/#respond Wed, 30 Mar 2016 10:06:17 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1211 [print-me]

Ezechiel J. Emanuel est un médecin américain de 59 ans qui a lancé un gros pavé dans la mare en publiant, en 2014, un article, dans la revue «The Atlantic», où il déclare qu’il ne désire pas vivre au-delà de 75 ans. Il est, de manière étonnante, fermement opposé au suicide assisté et à l’euthanasie, mais il déclare qu’il va refuser tout traitement qui pourrait prolonger sa vie à partir de cet âge limite. Passé l’effet d’annonce, on dira que dans sa proposition, il a raison et il a tort.

Il a raison

Il a raison quand il dénonce l’obsession de vivre le plus longtemps possible à n’importe quel prix, quand il stigmatise une médecine qui, dans son illusion de toute-puissance, tente d’empêcher les gens de mourir, une médecine qui ne donne que des réponses techniques à des problèmes spécifiques: une pneumonie implique un antibiotique, une insuffisance rénale une dialyse, etc. On répond du tac au tac à un symptôme, mais souvent, même s’il ne faut pas généraliser, on ne sait plus ou on ne fait plus l’effort de replacer ce symptôme dans la dynamique d’une vie. On ne sait plus lire le temps et reconnaître quand vient le temps du mourir.

E.J.Emanuel a aussi raison quand il ridiculise «l’Américain immortel» avec son désir de rester jeune indéfiniment, de ne pas laisser la vieillesse s’installer à son rythme. On parle de médecine ou de thérapies «anti-âge», comme si on pouvait s’extrtaire du temps. Son texte nous provoque alors à retrouver la vieille notion grecque du kairos c’est-à-dire le fait que tous les temps ne se valent pas, qu’il y a des temps opportuns pour agir et d’autres où il faut se retenir d’agir.

Il a tort

Il a tort quand il explique que ce qui le motive ce n’est pas le respect de la dynamique de la vie et du temps du mourir, mais le regard qu’il porte sur la vieillesse. Pour lui, il n’y a pas d’intérêt à vivre quand on est vieux. Après 75 ans, dit-il, ce qui fait la qualité de vie s’en va petit à petit. C’es le point choquant de sa déclaration, sa manière de dire que la vie dans l’âge avancé «est creuse », qu’elle n’a plus d’intérêt et qu’elle devient un fardeau pour soi et pour autrui. La vieillesse ne serait qu’un déclin et un flétrissement où nous perdrions inévitablement notre créativité.

Qu’est-ce qui fait la valeur et la beauté d’une vie ? C’est de la vivre tout simplement.

Pour cet universitaire, trois éléments font la valeur de la vie : travailler, avoir une vie sociale et avoir des loisirs. On est dans une logique de la performance, de l’image que l’on se donne, mais aussi de l’image que l’on donne aux autres ou que l’on croit devoir leur donner. J’avais été très interpellé, jeune médecin, par la réflexion de la fille d’une patiente décédée d’une maladie d’Alzheimer avancée dans un EMS: «Je vous remercie pour ces deux ans, car j’en avais absolument besoin pour terminer mon histoire avec ma mère». E.J. Emanuel aurait sûrement considéré qu’il eut mieux valu que cette mère ne vive pas ces années-là. Mais qui peut savoir la valeur d’une vie avant de l’avoir vécue ? En tout cas, celle-ci ne dépend pas de ce que peut produire la personne comme le croit notre auteur.

La vie de toute personne humaine a, en soi, une valeur infinie nous dit Kant. Nous disons en tant que chrétiens que cette valeur vient du fait qu’elle est porteuse de l’image de Dieu quoi qu’il arrive. Cela ne veut pas dire qu’il faille chercher à la prolonger le plus possible, mais que, quand elle est là, à 40 ou 90 ans, il faut en reconnaître non seulement la grande valeur, mais aussi, et peut-être surtout, la beauté. Toute créature, disait saint Bonaventure reflète de manière imparfaite, la beauté sans limites du Créateur. C’est à partir de cette conviction qu’il faut aller à la rencontre de toute vie et non avec des statistiques sur l’âge optimal de la productivité intellectuelle. Postulant la beauté de tout âge il faut parfois partir à sa recherche, parce que les clés de lecture fournies par notre culture nous empêchent de la voir. Ce qui est alors à critiquer ce sont ces manières de regarder la vieillesse et non la vieillesse elle-même dont nous ne savons plus voir la beauté.

Il est intéressant de voir que dans l’article d’Emanuel, celui-ci reconnaît que son idée ne plaît pas à tout le monde, et en particulier pas à ses filles, à ses frères et à ses amis proches, en somme aux gens qui l’aiment. Alors que lui fait un raisonnement intellectuel sur l’intérêt de rester en vie, ils lui disent qu’ils veulent le garder avec eux, même sans travail, sans brillance relationnelle et même s’il ne sait plus jouer au poker.

Valeur et beauté d’une vie

Qu’est-ce qui fait la valeur et la beauté d’une vie ? C’est de la vivre tout simplement, à l’âge qu’on a, d’être là avec ses forces et ses faiblesses, sa vitalité ou sa lenteur, c’est de durer dans la vie malgré tout, de la faire advenir avec ce qu’on possède, si peu que cela soit et surtout de la tisser avec les vies de ceux qui sont autour de nous. Dans cette coexistence, il y a alors toute la place pour les vieux, qu’ils soient actifs et brillants ou fatigués et ralentis, qu’ils partent faire du trekking au Népal ou qu’ils restent assis là, ne serait-ce qu’avec leur seule présence à offrir. E.J. Emanuel réfléchit tout seul et ne se laisse pas influencer. «I am sure of my position» dit-il repoussant le discours de ses proches. Il est sûr qu’il faut être performant et que rien d’autre ne dit la beauté de la vie. Au fond, son article est plus triste que révoltant. Comme s’il escaladait le Mont Blanc et voulait en redescendre aussitôt sous prétexte de ne pas y avoir trouvé de McDonald! Sans même soupçonner la beauté du site!

Cet article est une version légèrement modifiée d’un texte paru dans «L’Echo Magazine» du 21 janvier 2016. Repris par SOURCES avec l’autorisation d’E.M.

[print-me]


Thierry Collaud

Thierry Collaud

Thierry Collaud est médecin et théologien. Professeur d’éthique sociale chrétienne à l’université de Fribourg.

]]>
https://www.revue-sources.org/vivre-dela-de-75-ans/feed/ 0
Assistance au suicide https://www.revue-sources.org/assistance-au-suicide-un-vicaire-episcopal-prend-position/ https://www.revue-sources.org/assistance-au-suicide-un-vicaire-episcopal-prend-position/#respond Wed, 04 Jul 2012 10:11:23 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=131 [print-me]

Les lecteurs penseront que cet « Eclairage » survient comme la pluie après la moisson. Avant la parution de ce numéro, le corps électoral d’un canton suisse, celui de Vaud, se sera prononcé le 17 juin 2012 sur la possibilité d’offrir aux « patients ou aux pensionnaires de ses Hôpitaux et Etablissements Medico-Sociaux (EMS) ou Maisons de retraite » les services d’«assistance au suicide», jusque là tolérés à titre privé, mais jamais proposés dans un établissement public.

L’enjeu était de taille. Il entraînait la banalisation du suicide assisté et obligeait le corps médical et soignant à s’impliquer dans une intervention qui n’appartient pas à sa mission. Il posait aussi une question fondamentale aux établissements de soins publics ou subventionnés qui n’auraient plus la possibilité de s’opposer à ce genre d’interventions à l’intérieur de leur institution.

Les communautés religieuses de ce canton (catholique, réformée et juive) avaient réagi dans un premier temps dans un communiqué commun très vague, insistant sur l’importance de ce vote, mais refusant de donner à leurs coreligionnaires des consignes précises. L’Eglise catholique présente dans le canton de Vaud n’a pas voulu en rester là. A travers un communiqué de presse, paru à Lausanne le 9 mai 2012, l’Abbé Marc Donzé, Vicaire épiscopal a pris clairement position sur cette consultation populaire. Le Vicaire épiscopal reprend quasi textuellement un avis de droit émis par M. Philippe Gardaz, juriste vaudois, ancien juge cantonal, avis qui a paru à Genève dans l’Echo Magazine du 9 mai 2012.

La rédaction de Sources a jugé bon de publier le texte du Vicaire épiscopal. Le vote vaudois, quelle qu’en soit l’issue, ne sera pas sans créer des vagues sur l’ensemble du territoire suisse et même sur les pays voisins qui poursuivent la réflexion sur ce grave sujet. D’où l’importance de la prise de position que nous publions ici dont l’intérêt dépasse celui d’un scrutin régional.

Comment se pose la question?

Voici d’abord comment se pose la question. En Suisse, l’assistance au suicide n’est pas un délit s’il n’y a pas motif égoïste. On ne peut toutefois dire qu’elle est expressément autorisée, comme on l’entend parfois. Elle est tolérée.

Dans le canton de Vaud, l’association EXIT demande, par voie d’initiative populaire cantonale, que tous les établissements médico-sociaux (EMS) reconnus d’intérêt public, c’est-à-dire la quasi-totalité des EMS vaudois, soient obligés d’accepter l’assistance au suicide en leur sein.

Le Grand Conseil (assemblée législative cantonale) a adopté un contre-projet à l’initiative, prévoyant la possibilité de l’assistance au suicide dans tous les établissements de soins (hôpitaux et EMS) sous certaines conditions. La tenue d’un suicide assisté devra être autorisée par une décision écrite du médecin responsable si celui-ci, en concertation avec les proches, l’équipe soignante et le médecin traitant, constate que le requérant est capable de discernement, qu’il persiste dans sa volonté de suicide et qu’il souffre d’une maladie ou de séquelles d’accident graves et incurables.

Loi problématique

A première vue, l’initiative se borne à généraliser la pratique de l’assistance au suicide dans tous les EMS vaudois. Cette généralisation pose question, car la loi, en principe, ne peut pas imposer ce qui n’est qu’un acte toléré sous certaines conditions, ainsi que le stipule le droit au niveau de la Confédération.

La vie est reçue. Personne ne peut se la donner à lui-même. Elle est un mystère, dans son origine comme dans sa fin. Nous sommes loin d’en connaître tous les paramètres, en particulier pour ce qui concerne le passage de la mort vers un au-delà de la vie. Ce mystère est à respecter comme don. De ce fait, la vie n’est pas une possession, dont l’homme pourrait disposer sans référence à l’origine du don.

Dans l’optique chrétienne, ce don de la vie est reconnu comme venant de Dieu. Chacun en est responsable devant Lui.

Pas de jugement sur les personnes

Quoi qu’il y paraisse, le suicide n’est pas un acte purement individuel. Il brise les liens qui unissent chaque personne à sa famille, à ses amis, à la cité. Il est un acte de désespoir, contraire à l’amour du Dieu donateur de vie ou contraire à la source de la vie, quelque représentation que l’on en ait. Mais, subjectivement, il est souvent explicable par des circonstances personnelles graves. De ce fait, il n’est pas question de porter jugement sur les personnes qui recourent au suicide.

Comme le suicide n’est pas qu’un acte individuel, l’assistance au suicide, elle aussi, a une portée sociale. De ce fait, il n’est pas légitime que l’accès à une telle prestation soit imposé par la loi aux maisons de soins, fût-ce avec des conditions. La tolérance prévue dans la loi fédérale suffit; elle permet de sauvegarder des choix éthiques que certains établissements ont fait en déclarant en toute transparence ne pas accepter la tenue d’assistance au suicide. Elle est en effet contraire à leur mission: soigner et accompagner.

Contre-projet discutable

Le contre-projet soumet l’assistance au suicide à une réglementation précise. Ainsi, le législateur fait, d’un acte aujourd’hui toléré, un acte expressément autorisé lorsque les conditions légales sont remplies. Par la décision du médecin responsable, le suicide assisté serait déclaré conforme à un droit légitime. Le souci d’encadrer l’assistance au suicide aboutirait donc, paradoxalement, à la légitimation d’un acte contraire à la vie.

De plus, l’équipe soignante devrait prendre part au processus décisionnaire aboutissant à l’autorisation (ou au refus) d’un suicide assisté. Et cela quelles que soient les convictions des soignants qui seront contraints de collaborer au moins indirectement à une démarche contraire à leur éthique de soins.

Le médecin responsable devrait aussi se concerter avec les proches du patient au sujet du discernement et de l’incurabilité de celui-ci. Il est infiniment délicat voire périlleux d’associer un conjoint, un partenaire, un enfant à une telle démarche aboutissant à une décision grave.

Pour ces raisons, j’estime que l’initiative et le contre-projet ne sont pas acceptables. Il me paraît bien préférable que, dans le canton de Vaud, on se contente de la législation fédérale qui se borne à ne pas pénaliser l’assistance au suicide, pour autant qu’elle ne repose pas sur des motifs intéressés ou égoïstes.

Post Scriptum

Le verdict des urnes est tombé au soir du 17 juin. Les électeurs vaudois qui ont pris part au vote – en fait, une minorité du corps électoral – ont nettement rejeté l’initiative proposé par Exit, mais approuvé le contre-projet gouvernemental. Pour la première fois en Suisse, l’assistance au suicide, bien qu’encadrée par des dispositions qui en conditionnent l’exercice, est légalisée.

Une semaine avant le vote, Denis Müller, professeur d’éthique à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Genève, donnait un avis très clair recommandant, comme l’avait fait Marc Donzé, un double non à l’initiative et au contre-projet gouvernemental. Cet avis a paru dans le quotidien Le Temps, dans son édition du 12 juin 2012: « Refuser les manigances d’Exit au nom de la dignité de l’éthique ».

L’évêque diocésain, Charles Morerod, avait, pour sa part, pris une position semblable à celle de son Vicaire épiscopal dans une interview donnée au quotidien Le Matin, dans son édition du 15 juin 2006, deux jours avant le vote.

L’Abbé Marc Donzé, après avoir été vicaire épiscopal pour le canton de Fribourg pendant six ans, a été nommé Vicaire Episcopal pour l’Eglise catholique dans le Canton de Vaud par Mgr Charles Morerod, évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Spécialiste de Maurice Zundel, il a été professeur ordinaire de Théologie pastorale à l’Université de Fribourg de 1986 à 1997 avant de retourner à la pastorale paroissiale, puis cantonale.

[print-me]

]]>
https://www.revue-sources.org/assistance-au-suicide-un-vicaire-episcopal-prend-position/feed/ 0