Témoignage – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 29 Aug 2018 12:21:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 L’ombre d’un doute https://www.revue-sources.org/lombre-dun-doute/ https://www.revue-sources.org/lombre-dun-doute/#respond Wed, 29 Aug 2018 12:21:46 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2719 Imaginons: un groupe venu au monastère de Chalais demande à rencontrer une soeur. Suite aux questions rituelles concernant la couleur de l’habit, les horaires de la communauté, l’emploi du temps quotidien, vient « la » question par excellence « Comment êtes-vous arrivée ici? »

Pour ma part, j’évoque l’appel de Dieu qui se traduit par une attirance profonde, irréductible à toute explication extérieure et un engagement « à la vie jusqu’à la mort ». « Mais, vous n’avez jamais eu de doute sur votre vocation?  » Me voilà au bord de la plongée sous-marine, répondre « non », c’est m’exposer à l’inquiétude générale et même à une sorte de déception. Aujourd’hui, bien souvent, le doute rassure, il offre à la réponse une fragilité qui lui donne une apparence de réalité plus crédible et donc garantit son authenticité. Jouer la carte de la vérité est toujours le meilleur parti, même si, sur le moment, il y faut un certain courage et la grâce de Dieu.

Je n’ai jamais douté

Eh bien non, je n’ai jamais douté de l’appel depuis qu’il est devenu certitude à l’âge de seize ans, lors d’une balade à vélo sur les routes de Seine et Marne. Mon journal secret de jeune fille en a été seul témoin à l’époque. Pas de révélation, ni de vision, là, on peut être rassuré ! Rien qu’une affirmation, une confirmation intérieure, secrète et ferme. Et, dans les événements et rencontres qui suivirent offrant d’autres choix, l’assurance de ma liberté face à celle de Dieu. Le « oui » de l’envol n’en fut que plus puissant.

Pourtant, les accidents de parcours n’ont pas manqué sur la route de la foi et de sa pratique dans une communauté où la fraternité est un trésor caché dans le champ de la vie quotidienne. La question des anciens au sujet d’un candidat à la vie monastique: »Cherche-t-il vraiment Dieu? » est toujours d’actualité. « Est-ce que vraiment, je cherche Dieu ou est-ce moi-même? Suis-je en train de me fabriquer un ‘kit de survie’ ou bien est-ce que je donner ma vie par amour? » La réalité ne ment pas, elle résiste, et peu à peu je découvre que c’est Lui, Dieu, qui me cherche et me trouve, comme la brebis perdue de l’évangile

Mais les tentations n’ont pas manqué.

Les angoisses, les incapacités d’aimer, l’opacité de la vie et de la mort, les tentations multiples nous persuadent, s’il en est besoin, de nos humaines fragilités mais nous découvrent tout en même temps la force de la grâce « qui se déploie dans la faiblesse », comme le dit l’apôtre Paul.

Une communauté de moniales peut se trouver en proie à la tentation. On voudrait tant se sentir fortes, assurées de l’avenir ! Oui, mais là encore, il faut nous en remettre à Dieu qui nous tient et nous soutient. Tout miser sur la foi en celui qui nous a appelées, ce n’est pas rien. Dans la communion fraternelle, quand l’une tombe, l’autre la relève et nous avançons, tantôt boitant, tantôt courant sur les rudes chemins du plus grand amour.

Douter de soi mais garder sa certitude

Autre chose est de douter de soi, de ses capacités ou de celles des autres et de mettre en doute la vocation qui nous attire ensemble, au-delà de nos horizons, « aux frontières » et même « hors frontières », à l’extrême. Bien sûr, il m’est arrivé de douter de moi-même, de perdre coeur et même de tomber, mais je dois confesser avoir gardé intacte la certitude initiale.

Nous avons trop souvent tendance à oublier un point fondamental que saint Paul rappelle aux chrétiens de Rome: « Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance » (Rm 11, 29). Ce qui est donné est donné. Le doute n’a aucune prise sur la foi, notre liberté étant sauve. Et la foi trouve sa confirmation dans les actes. « Ainsi donc la foi, si elle n’est pas mise en oeuvre est bel et bien morte » (Jc 2, 17). La mise en oeuvre de la foi, c’est « l’amour » dans ses gestes les plus simples mais aussi les plus vrais et « l’amour parfait bannit la crainte. » (I Jn 4, 18).

Amis qui lirez ces humbles lignes, croyez que l’amour de Dieu a infiniment plus de poids que les doutes qui parfois vous assaillent. Et recevez cette Parole du Christ: « Ne crains pas, crois seulement »(Mc 5, 36).


Sœur Pascale Dominique est une moniale dominicaine du Monastère de Notre-Dame-de Chalais en Isère (France).

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Petit pays & Là où le soleil disparaît https://www.revue-sources.org/petit-pays-soleil-disparait/ https://www.revue-sources.org/petit-pays-soleil-disparait/#respond Mon, 24 Jul 2017 06:00:44 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2367 Gaël Faye, Petit pays, Grasset, Paris, 2016, 224 p.
& Corneille, Là où le soleil disparaît, XO, Paris, 2016, 319 p.


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Le récit de vie: un chemin à la rencontre de l’autre https://www.revue-sources.org/recit-de-vie-chemin-a-rencontre-de-lautre/ https://www.revue-sources.org/recit-de-vie-chemin-a-rencontre-de-lautre/#respond Wed, 14 Dec 2016 10:59:10 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1639 [print-me]«Dis leur, à tous ces hommes de prière venus du monde entier, que partout où ils sont, il leur faut être attentifs à tous les autres chercheurs de Dieu, quels qu’ils soient, pour faire avec eux, ce que nous faisons ici ensemble, un petit bout de chemin vers Dieu et vers l’homme…»
Christian de Chergé in C. Ray, ed 2010, p.163-164

Ce n’est pas réservé aux moines et aux moniales: nous sommes tous appelés à donner notre vie dans le détail de nos journées, en famille, au travail, dans la société, au service de la «maison commune» et du bien de tous».
François, le 2 janvier 2016, préface du pape François à «Tibhirine, l’héritage», Bayard (2016)

En préambule

J’aimerais commencer par exprimer ma gratitude pour cette invitation qui m’a été faite, où je me sens également sollicitée à témoigner de mon cheminement, toujours en quête, en recherche vers cet Autre, qu’on nomme Dieu, Christ, Mahomet, Bouddha …ou Autre.

Je tiens à remercier chaleureusement le comité d’organisation et tout spécialement frère Grégoire Laurent Huyghues Beaufond ainsi que les recueilleuses et recueilleurs de récits de vie, tout comme les pionniers des histoires de vie en formation, qui font que je «prends cette parole» qui m’est donnée. Enfin, j’aimerais aussi adresser mes remerciements aux frères et sœurs en humanité, de la plaine, des montagnes, d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui…

Outre ma gratitude, je dois encore ajouter des excuses, anticipées. En effet, venant d’ailleurs et d’ailleurs que l’ailleurs, n’étant ni théologienne, ni pratiquante, j’emploie une langue qui peut sembler la même, mais je sais par avance combien, les mêmes mots n’ont pas le même sens et combien on peut créer des malentendus, voire «choquer». C’est le défi que je relève en souhaitant que ce soit «l’illustration» d’une rencontre comme celle recherchée par les moines de Tibhirine.

«Chrétiens et Musulmans, nous avons un besoin urgent d’entrer dans la miséricorde mutuelle… Cet exode vers l’autre ne saurait nous détourner de la Terre Promise, s’il est bien vrai que nos chemins convergent quand une même soif nous attire au même puits. Pouvons-nous nous abreuver mutuellement? C’est au goût de l’eau qu’on en juge. La véritable eau vive est celle que nul ne peut faire jaillir, ni contenir. Le monde serait moins désert si nous pouvions nous reconnaître une vocation commune, celle de multiplier au passage les fontaines de miséricorde»(« L’invincible Espérance », Christiande Chergé, 1997, Bayard Editions, p.73-74).

J’aimerais ajouter combien je me reconnais dans cet appel à célébrer, 20 ans après, les moines de Tibhirine. Tout spécialement en ces temps de violences religieuses, en quête d’une rencontre vraie, portée par cette invincible espérance initiée et nommée ainsi par Christian de Chergé, l’homme de prière, l’homme du dialogue interreligieux et l’homme mort en ayant pardonné à l’avance à ses bourreaux.

Ecrire, ce sera « transfigurer toutes choses » pour les faire passer de la « précarité à la permanence »

Pour en revenir aux deux citations en exergue; Dis-leur… (prendre la parole) / C’est par leur vie (le récit de vie versus l’histoire de vie), je vois ici une invitation à articuler et à nous relier à ce que furent les moines de Tibhirine dans leur quotidien et à ce que nous en faisons ou en disons aujourd’hui. Comment allons-nous célébrer 20 ans après, comment allons-nous vivre le temps de la mémoire pour nous souvenir et entretenir la parole? Comment allons-nous ouvrir cette parole au vécu d’aujourd’hui pour la continuer, la prolonger et la porter vers un «advenir»[1]? De fait, il s’agit de s’inscrire dans une parole, donnée, reçue, où il nous faut éviter de nous enfermer et nous figer pour, au contraire, faire de la parole reçue l’espace d’une rencontre toujours vivante.

Ainsi donc, ces deux citations en exergue soutiennent ma réflexion et le message que j’aimerais faire passer dans cette communication. A noter, et cela n’est pas anodin, que l’intention que j’ai pu formuler le 27 octobre 2016 à Fribourg, dans la salle Rossier, devient atemporelle et sans spatialité, quand la parole est écrite et publiée. Le temps et l’espace deviennent alors spécifiquement celui du lecteur, où qu’il soit, au moment où il lit. La remarque mérite d’être faite, car il en est ainsi des paroles et des actes des moines que j’ai pu lire et auxquels je me réfère. Le fameux testament de C. de Chergé, rédigé en déc. 1993, soit 2 ans avant l’enlèvement tragique et la mort des 7 moines, est emblématique d’une écriture personnelle, intime, restée secrète jusqu’à l’ouverture de l’enveloppe par la famille et sa première diffusion dans le quotidien «la Croix» en mai 1996.

Depuis ce texte ne cesse d’être lu et relu, comme si nous y cherchions inlassablement une réponse à ce mystère d’un engagement allant jusqu’à donner sa vie «A Dieu et à ce pays».,

«De ce qu’ont vécu les moines de Tibhirine- et notamment les dernières années- nous savons beaucoup. Plusieurs d’entre eux ont laissé des traces de leur cheminement spirituel, qui n’étaient pas destiné à être lues par d’autres qu’eux-mêmes. Ces écrits personnels ne sont que plus forts et plus émouvants, forgés au plus intime de leur itinéraire monastique (…)» (Henning, 2016, p.19)

Au commencement

La question du commencement s’impose d’emblée dans cette prise de parole, qui s’inscrit 20 ans après pour rendre hommage aux 7 moines cisterciens de Tibhirine, enlevés puis assassinés le 21 mai 1996. Par où commencer? Ici? Maintenant? A Fribourg, dans cet ancrage helvétique qui appelle l’ouverture aux gens d’ailleurs étonnamment proches. Invitation à célébrer une date commémorative? Pour quelle mémoire? A quelles fins?

Là-bas à Tibhirine, il y a 20 ans? Avant l’enlèvement quand les moines de Tibhirine marquaient leur parti pris derester aux côtés de la population, de résister à la logique de la haine pour entrer dans une logique de la paix, de la fraternité?

Commencer par un «Nous»? Ce «nous» des sujets qui s’étonnent de se parler, en dehors des géographies et des histoires, pour relever ce formidable défi d’avoir à construire une communauté faite de toutes les singularités et les différences d’hier et d’aujourd’hui.

De fait, cette question du commencement est essentielle. Elle marque, avant même sa réponse, que toute prise de parole est marquée d’une posture épistémologique en lien avec une appartenance culturelle, sociale, spirituelle (Schmutz, 2010).

«Au commencement», tournure reprise des premiers mots de la Genèse, vise non le début du monde mais le commencement absolu. En grec «en archè», en latin «in principio» sont traduits en français par «au commencement». Il faut cependant souligner ici deux conceptions du monde, et donc du temps: les Grecs pensaient un monde éternel, sans commencement ni fin, tandis que pour les Chrétiens Dieu créa le monde, introduisant ainsi le commencement du temps.

Le débat des traducteurs, entre «origine» ou «commencement», manifeste cette dialectique entre origine (oriri)/éternel (surgissement, apparition subite, big-bang) et commencement (cum initium)/continuité (début dans la continuité). Ce sont deux façons de penser le monde et la création qui correspondent à deux modes originaux de s’inscrire dans l’Histoire. Cela correspond aussi à deux appréhensions des temporalités qu’on résumerait en disant que, pour les uns (Aristotéliciens) tout commence à zéro et est dominé par l’intrigue, la mise en ordre«poétique» avec la confiance accordée au pouvoir du récit, tandis que pour les autres, la mesure du temps, telle que l’homme l’a établie, est un instrument parant l’aporie conceptuelle du temps, une aporie augustinienne pour laquelle «la discordance ne cesse de démentir le vœu de concordance constitutif de l’animus» (Ricœur, 1983). Autrement dit, entre la mesure du temps et le temps vécu, seule l’expérience dite, racontée, rend compréhensible l’incompréhensible.

Comment l’homme se saisit de sa propre vie, de son expérience, de sa condition historique pour donner sens et forme à sa vie et trouver les conditions d’être-au-monde?

«Qu’est-ce donc que le temps? Si personne ne me pose la question, je sais; si quelqu’un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus.» (Saint Augustin, XI, 14, 17).

Ainsi selon H. Vulliez (2002, p.178) le prologue de la Genèse est une méditation sur l’origine et non une réponse à la question du commencement, invitant en cela à «faire l’expérience de soi, de la présence de soi à soi, à rendre son présent à soi». Cette expérience fondamentale (qui fonde), d’identité et de naissance, se fait grâce à la parole entendue, écoutée, interprétée dans une sorte de basculement de la non-existence à l’existence, instant où l’éternité devient tout à coup le temps, où la conscience prend conscience d’elle-même, où s’énonce le «je» qui, prononcé, fait saisir l’indicible de soi-même.

«Au commencement était le Verbe,
Et le Verbe était tourné vers Dieu,
Et le Verbe était Dieu. (…)
Et le Verbe s’est fait chair
Et il a habité parmi nous
Et nous avons vu sa gloire,
Cette gloire que, fils unique plein de grâce et de vérité,
Il tient du père.»

Prologue de l’ Evangile selon Saint Jean

Si j’ai choisi d’illustrer ma réflexion de cet extrait de l’évangile[2], qui plus est un prologue[3], c’est qu’il rassemble dans le même énoncé deux points majeurs: le commencement et l’incarnation.

Vulliez (2002) qualifie ce texte «d’hymne liturgique à la gloire du Verbe incarné» ou encore de «mouvement final d’une symphonie reprenant tous les thèmes». «Plus que tout autre texte, il est à faire entendre et résonner dans la tête et dans le cœur», dans la tête précise-t-il, pour en rechercher la compréhension intellectuelle, et dans le cœur, pour en savourer la musique et faire vibrer une écoute intérieure afin d’en percevoir La Parole au-delà des paroles.

Concernant cette question cruciale du commencement, j’aimerais faire référence à une entreprise majeure qui impliqua de nombreux historiens, intitulé et publié chez Gallimard «Essais d’égo histoire», (1987) dirigé par Pierre Nora, qu’on qualifia d’entreprise qui ne ressemble à aucune autre, en expliquant qu’il s’agissait d’une sorte d’enquête visant à demander aux historiens de se faire les historiens d’eux-mêmes. Formidable invitation à faire une histoire de sa vie et entreprise qui ne pouvait qu’intéresser les spécialistes des histoires de vie en formation, curieux de voir comment les historiens allaient appliquer à eux même une démarche qu’ils maitrisaient parfaitement pour d’autres. Autrement dit, qui est «le je» qui fait histoire? Parmi tous les historiens qui se sont prêtés au jeu (au «je»), la réponse de Chaunu est spécialement intéressante:

«Je suis historien parce que je suis le fils de la morte et que le mystère du temps me hante depuis l’enfance (…) J’ai cru longtemps que la mémoire servait à se souvenir, je sais maintenant qu’elle sert surtout à oublier (…) Au commencement était la mort, au commencement était l’oubli.» (C’est moi qui souligne)

Cette idée d’un commencement ancrée dans l’oubli a fait écho en moi lorsque je me suis souvenu avec tendresse et émotion des mots de ma fille, alors âgée de 4-5 ans, qui adorait comme tous les enfants que je lui raconte des histoires et spécialement que je raconte: «quand elle était bébé» jusqu’au jour où sa question me foudroya autant qu’elle m’émerveilla, me laissant par ailleurs sans réponse:

– Oui mais avant j’étais où?
– Avant ta naissance?

Et face à l’enfant, à sa question que je comprenais comme une perplexité de l’oubli dont nous étions tous envahis, tous aussi savants ou curieux que nous soyons… je me mis à inventer:

– Tu étais dans les étoiles, tout proche de la Lumière!

Les écritures de soi

Georges Gusdorf (1990 a et b) dans un ouvrage majeur ayant pour titre «Lignes de vie», en 2 tomes, rappelle que toutes les civilisations, en Orient, en Occident, en Afrique, etc. ont formulé «des liturgies» assurant la continuation de leur vie communautaire. Avant d’être écrits, les textes ont été élaborés, transmis par la tradition orale sous l’égide de dépositaires sacrés tels que prêtres, aèdes, prophètes, etc.

«Au commencement du commencement était le mythe, et les premières écritures furent des écritures saintes, évoquant avec autorité les grandes œuvres des dieux et les exploits des héros fondateurs de l’humanité» (Gusdorf, 1991, p. 95).

Si actuellement dans notre société, dite moderne, on constate une laïcisation et une déchristianisation de la pensée, Gusdorf[4] pensait que ce sont des effets de surface qui n’entament pas les structures profondes. Les héritiers puisent aux sources d’un double patrimoine que sont les Ecritures Saintes et les écritures de l’Antiquité classique (Homère).

«La Bible et Homère n’ont pas cessé, à travers les âges d’interpeller les hommes de culture, de susciter de leur part la révérence due aux révélations transcendantes, et de fournir des thèmes et des modèles à tous ceux qui se mirent à leur école.» (ibid., p.100).

Il existe une logique biologique de la croissance et du dépérissement, une logique historique des événements mais, selon notre auteur, cette logique ne porte pas sa justification dernière. L’homme étant un être de conscience, il se trouve face à cette énigme, ce mystère qu’il est pour lui-même, sujet en recherche de sens eschatologique[5], pris dans une démarche initiatique faisant de la vie son chemin de connaissance.

Dans l’ouvrage passionnant de M. Lani-Bayle (1997) L’histoire de vie généalogique, d’Œdipe à Hermés, qui relève, avec la métaphore de l’arbre généalogique, le transfert à la nature, au rameau, au tronc commun et renvoie au symbole de l’arbre cosmique, arbre de la Genèse reliant les trois mondes, terrestre, aérien, céleste. Selon cette auteure, la reconstruction généalogique est un «accouchement à rebours» ou un art d’accoucher de ceux qui nous ont engendrés.

A. de Peretti, en préface à cet ouvrage, qualifie lui aussi ce chemin labyrinthique d’une recherche de verticalité afin d’extraire nos existences de leur apparente platitude, pour retrouver l’arbre inversé, apprivoiser les ombres paradoxales, les ancêtres envahissants, s’accommoder des hiérarchies enchevêtrées, s’interroger sur les thèmes et légendes familiales qui ont scandé nos jeunesses et soutenus nos maturités. Dans une magnifique formule, il résume: «Nous nous échappons à nous-mêmes juste en nous rejoignant.» Tandis que Pineau en postface, toujours du même ouvrage, souligne « le message généalogique » des morts, comme une loi autre que génétique, qui nous détermine biologiquement. Selon Pineau, il s’agit d’aller dans cette pré-histoire, pour retrouver ses racines, faire revivre les ancêtres, les accoucher en s’accouchant, devenir système auto-poïétique.

Dans la mentalité hébraïque primitive comme dans celle de tous les peuples antiques, la parole et l’objet sont une seule et même chose, désignée par le même terme hébreu dâbâr.

«Une fois proféré, le verbe ne peut être repris et exerce son action. Ce pouvoir du mot donne sa force à la parole des prophètes […]. C’est sur ce pouvoir matériel des sons que repose toute la magie primitive, dans toutes les civilisations. Mais si Yahvé peut déléguer à certains hommes son pouvoir créateur, il ne s’agit pas d’une parole magique […].Au figuré seulement, on peut dire que le commencement de toute œuvre est la parole[6]. Le dessein précède l’action, mais ne la suscite pas.» (J.-C. Bologne, 1991, p. 254).

Contrairement à l’idée commune que l’être préexiste au langage, nous voudrions retrouver dans cette parabole divine, l’idée que le verbe/récit est au contraire «un prérequis existentiel» et souligner le fait qu’il ne puisse y avoir de savoirs autres qu’incarnés.

En outre, cette parabole[7] pose la question de l’humain dans sa dimension spirituelle. Le logos identifié, incarné en la personne du Christ, c’est encore la parole habitant l’homme comme une alliance intérieure entre humanité et divinité. La parole permettant à l’homme d’advenir, à la fois dans une naissance «en éternité» et dans le temps originel de son vécu.

Il va de soi alors, que si l’on conçoit le sujet de connaissance comme un être vivant, un être de chair, la connaissance elle-même ne peut jamais être «désincarnée», extérieure au sujet, ou simplement objective. Elle devient l’incarnation d’une subjectivité concrète, celle du sujet vivant, lequel ne se laisse pas décomposer en facultés séparées, ni morceler en compétences isolées.

La question devient alors de savoir comment tisser les liens entre expériences, récits, pensées? Comment dire ou écrire l’histoire d’une vie? A ce point de la réflexion, deux remarquess’imposent:

la dimension bios, de la vie implique l’expérience du vivant, expérience comprise dans des temporalités, des cycles ou des étapes, mais globalement comprise entre la naissance et la mort. L’expérience de vie est alors l’ouverture à un monde d’inconnu, aux abîmes questionnants de l’être en vie, de ce qu’est le soi, l’entrée dans la conscience de soi, le questionnement de l’origine et/ou de lacontinuité; d’où «je» viens puisque je ne me suis pas auto-engendré et comment «je» me constitue moi, de ce qui n’est pas moidans cette culture, cette société, ces temporalités, ces filiations auxquelles «j’» appartiens et qui me donnent l’espace de ma liberté[8] d’être? Comment je fais ma vie, je construis mon histoire, le sens que je lui donne qui est aussi le «sens que je donne à la mort».

La dimension de la parole, du Verbe, des mots, du signe comme étant au fondement d’une dynamique existentielle ouvrant des commencements, l’accès à l’historicité, aux temporalités platonicienne, augustinienne ou ricœurienne avec le concept de tiers-temps articulant et conjuguant temps biologique et temps cosmique. Cette parole fondatrice est toujours parole adressée à l’autre. A la conscience d’un soi, qu’exprime le «je» qui parle, répond, s’interpose l’autre qui écoute, entend, reçoit. C’est «l’être ensemble» qui se trouve engagé ici, très largement, d’un point de vue humain, «hétéropoïétique»[9] et dans sa dimension cosmique.

En lien avec les moins de Tibhirine, j’ai choisi trois exemples de récits de vie qui me permettent d’illustrer différentes postures:

– Christine Ray (1998) «Christian de Chergé. Une biographie spirituelle du prieur de Tibhirine»

Juste après l’annonce de la mort des moines de Tibhirine, le 21 mai 1996, la lecture du testament de Christian de Chergé fit choc, laissant entrevoir une personnalité spirituelle et une vocation hors du commun. Deux ans plus tard, Christine Ray a été la première à faire découvrir la vocation monastique singulière du prieur de Tibhirine. Il s’agit bien de la biographie d’un personnage qui a disparu et dont l’auteur-biographe reconstruit l’histoire à partir de documents, de relectures des œuvres et d’entretiens auprès de proches

– Frère Jean Pierre et Nicolas Ballet (2012) «L’esprit de Tibhirine»

En 1996, frère Jean-Pierre Schumacher échappait par miracle à l’enlèvement des moines de Tibhirine. Agé en 2012 de 92 ans, cet ancien Malgré-Nous originaire du Thionvillois est le dernier survivant du drame. Pierre Ballet, journaliste va aller à sa rencontre au monastère notre Dame de l’Atlas à Midelt (Maroc) et y effectuera 3 séjours en immersion complète entre avril 2011 et février 2012, puis un autre séjour en Algérie en juin 2012. La note en ouverture du livre explique la démarche de Pierre Ballet et surtout son souci d’être relu et approuvé «par ses interlocuteurs et par les intéressés»

«Ce projet est le seul a avoir reçu la pleine approbation de notre Dame de l’Atlas à Midelt pour être publié du vivant de père Jean Pierre, démarche exceptionnelle chez des moines trappistes.»

En incipit:

«J’ai pressé sur le bouton de la sonnette. Quelques minutes plus tard, j’entends des bruits de pas derrière le grand portail beige. Un petit homme apparaît avec une veste polaire. Il s’avance vers moi en souriant pour me donner l’accolade monastique (…). «Tu as fait bon voyage?» me demande Frère Jean-Pierre. Il sait combien la route est longue pour rejoindre Midelt…» (p.13)

Magnifique entrée en matière avec le «je»du recueilleur, «il» de l’interlocuteur… et puis insertion d’un dialogue rapporté avec ce «Tu»adressé par Frère Jean Pierre.

La démarche est celle d’un recueil de récit de vie (Schmutz, 2016 a et b). Outre le témoignage recueilli du dernier vivant, il fait mémoire d’une époque, d’un combat et il nous permet d’être un témoin du témoin et de découvrir avec le recueilleur comment le moine Jean Pierre à 92 ans poursuit fidèlement l’œuvre de Tibhirine en maintenant le dialogue avec les musulmans. Il raconte aussi l’après et comment le testament de Christian l’a interpelé ou encore comment le film «Des hommes et des dieux» de Xavier Beauvois a suscité de très nombreuses rencontres.

Nicolas Ballet est un recueilleur attentif, respectueux et le lecteur se sent entraîné et invité à découvrir la profondeur du moine survivant, notamment quand il approche la question qui l’a toujours obsédé: pourquoi les autres moines et pas lui? «Cela signifie-t-il que je n’étais pas prêt à accueillir le Seigneur la nuit de l’enlèvement?», s’est longtemps interrogé le religieux. Avant de se rallier à l’explication «qu’il y a des frères amenés à témoigner par le don de leur vie et d’autres à le faire à travers leur vie.»

– troisième exemple; un film ayant pour titre Qu’Allah bénisse la France réalisé par Abd Al Malik (2014) adapté du livre autobiographique du réalisateur racontant son histoire d’enfant d’immigrés, surdoué, élevé par sa mère catholique avec ses deux frères, dans une cité de Strasbourg. Entre délinquance, rap et islam, il va découvrir l’amour et trouver sa voie grâce à la volonté de réussir et d’avoir un avenir meilleur. Le titre «Qu’Allah bénisse la France» n’est pas une provocation mais un message d’apaisement tourné vers le vivre ensemble et la tolérance.

Il ne s’agit ni d’une biographie filmique, ni d’un récit de vie, mais d’une adaptation cinématographique d’un récit autobiographique. Cet autre support «pour dire et prendre la parole» est d’autant plus intéressant que l’auteur est un jeune musicien spécialisé dans le rap et le slam qui va trouver un autre mode de se raconter. C’est un film qui ressemble à un conte moderne entre foi, amour et musique. Pour ma part, quand j’ai découvert ce film, je n’ai pu m’empêcher de penser à Christian de Chergé et à son testament. Je me disais que c’est un film qu’il aurait aimé et qu’il aurait salué comme étant 20 ans plus tard, une belle façon de porter cette parole d’amour…. En la déportant en France 20 ans plus tard avec Allah pour bénir le pays du christianisme.

Les histoires de vie en formation

En outre, si le «moi» a beaucoup occupé «l’espace et le temps», il semble avoir répondu à l’exigence d’un contexte de société «individualiste» pour laquelle l’individu (terme éminemment sociologique) avait tout intérêt à se construire un Soi, à devenir Soi, ou cheminer vers Soi (terme éminemment psycho-analytique). Ce n’est pas un hasard si, à cette même période, la formation a introduit le concept d’auto-formation et celui de formation tout au long de la vie. Dans cette perspective, les Histoires de vie comme démarche de formation ont parfaitement contribué à accompagner «les personnes» dans un processus expérientiel, faisant de la vie et du sujet connaissant, la dynamique de l’apprentissage d’un être-au-monde largement inspirée de la phénoménologie et du mouvement romantique.

«Le pouvoir-savoir que se donne celui qui, en formant l’histoire de sa vie, se forme lui-même doit lui permettre d’agir sur lui-même et sur les structures sociohistoriques dans lesquelles il évolue, en lui donnant les moyens de réinscrire son histoire dans le sens et la finalité d’un projet.»
(Delory-Momberger, 2000, p. 245)

Dans le contexte qui nous occupe, nous ne pouvons ignorer l’héritage sartrien qui, en réaction au positivisme, revendique le principe de la conscience intentionnelle de l’homme: «L’important n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on fait de nous» (Sartre, 1952)[10], et marque de cette même volonté la liberté intentionnelle de tout un mouvement, visant l’émancipation et la reconnaissance d’un «Nous» contre le «On». Un «nous» qui signe visiblement un sujet pluriel et multiple, sujet-actant en opposition et en reliance à un «on» nécessairement articulé puisqu’il se trouve enchâssé dans une proposition subjonctive dépendante de la principale.

La question n’étant pas de savoir si les histoires de vie, les récits de vie, les autobiographies et autres formes d’expression du Soi, sont un effet de mode ou un phénomène de société, mais de comprendre comment s’exerce cette activité «narrative» pour la personne, et sous quelles formes, reconnaissant avec Bruner (1986, 2000) l’intérêt pour le récit comme une forme d’art, de culture, «une subjonctivation de la réalité, une façon dont les humains construisent leurs mondes (et leurs châteaux).» (Bruner, 1986, 2000, p. 65).

Ou encore Comment l’homme se saisit de sa propre vie, de son expérience, de sa condition historique pour donner sens et forme à sa vie et trouver les conditions d’être-au-monde?

Puisque nous ne pouvons saisir la vie en soi, les moyens de comprendre passent par l’expression, les extériorisations, les signes objectivés, les mises en forme, les transpositions dans une articulation compréhensive.

La démarche des Histoires de vie, quand bien même elle s’inscrit dans un cadre institutionnel et des dispositifs de formation, rejoint une dynamique de formation «expérientielle» du récit. Il ne s’agit pas d’apprendre à faire un récit de sa vie mais de solliciter la personne pour qu’elle utilise et recoure à ses compétences et ses savoirs dire, raconter, écrire qui lui permettent de donner forme à son histoire. C’est en considérant ce que tout un chacun pouvait dire de sa vie, que peu à peu il est apparu que les auteurs des récits[11] nommaient les apprentissages et les expériences qui semblaient avoir marqué leur vie, contribuant ainsi à penser la formation «tout au long de la vie» dans l’émergence d’un travail d’analyse, de lecture, d’écriture et d’interprétation. Cette approche offre l’opportunité d’un travail réflexif de ce qui fait le récit de soi et l’histoire d’une vie. Dans ce contexte de formation, il nous semble devoir souligner, comme un signe manifeste de ce tournant épistémologique et méthodologique, l’effacement du discours théorique au profit d’une appropriation par le sujet lui-même de son pouvoir de formation visant à donner forme à sa vie.

Pineau et Le Grand (1993 1ere ed) dans un petit opuscule des éditions «Que sais-je» donnent cette définition de l’histoire de vie comme étant: «une recherche et [une] construction de sens à partir de faits temporels personnels qui engage un processus d’expression de l’expérience».

Le récit que le sujet fait de sa vie contribue à la connaissance de ce qu’il est et ce qu’il fait.

Comment le «Soi» mis à l’épreuve de son histoire se trouve-t-il nécessairement impliqué dans des remaniements de rapports à «l’autre» ou encore dans l’élaboration d’une nouvelle intelligibilité interrelationnelle. En ce sens, «apprendre à se connaître» dans un espace collectif, partagé, rassemble et confronte les individualités dans une reconfiguration de la dimension du «vivre ensemble».

L’“avec” est une détermination fondamentale de l’“être”. L’existence est essentiellement co-existence. Non seulement co-existence de “nous” (les hommes), mais de tous les étants (il faut de tout pour faire un “monde”). Être-avec, ou s’exposer les uns aux autres, les uns par les autres: rien à voir avec une “société du spectacle”, mais rien à voir non plus avec une inexposable “authenticité ». Nous? mais c’est nous-mêmes que nous attendons sans savoir si nous nous reconnaîtrons.(J.-L. Nancy, 1996, réed augmentée 2013)

Pour ne pas en finir, ni avec la parole, ni avec la vie…

«Les oiseaux, c’est nous. La branche c’est vous.»
(Dialogue du film «Des hommes et des dieux», Beauvois)

«Il n’y aura plus qu’un petit reste et la souche reverdira». Cette Parole d’Isaïe qu’aimait dire Père Amédée un des deux survivants. «J’en atteste la source reverdit, petit à petit, et sans que nous ayons pu seulement prévoir ce que serait cette nouvelle vie.»
(Frère Jean Pierre Schumacher, 2012, p.36)

Comme j’ai pu l’expliquer en introduction, mon inscription dans les histoires de vie en formation a été marquée par mon travail doctoral avec une thèse dont le titre même témoigne de mes intentions:

L’histoire de vie comme processus de recherche-formation d’un sujet narratif faisant œuvre de vie; de l’œuvre de Georges Haldas aux récits des sans paroles.»

Avec Pierre Dominicé et Marie Christine Josso comme directeur et membre du jury.

Ma question de recherche se centrait sur la prise de parole d’un narrateur et investiguait le «je» qui se raconte et devient auteur de son histoire. La recherche envisagée portait sur un projet de connaissance de la dimension formative du récit de vie qui postule «le sujet connaissant» et ouvre aux espaces de formation de soi par soi, de soi aux autres, de soi au monde.

La personne qui fait son récit, s’implique dans la production de son histoire de vie, et emprunte «une forme discursive»: laquelle ou lesquelles? La forme du récit manifeste de l’historicité du sujet qui se raconte. Le récit fait œuvre de formation en créant un espace d’interpellation entre le récitant ou l’écrivant et «ce qu’il fait de ce qu’on a fait de lui». Le récit l’engage à construire du sens à partir d’expériences vécues.

Que nous apprennent les écrivains et les artistes de cet art de la mise en forme du sens? Quel est pour l’écrivain le sens de l’œuvre? Comment met-il en forme ce concept de «faire de sa vie une œuvre»? Comment, après avoir construit son récit biographique, «l’auteur» fait-il œuvre de sa vie rejoignant cet art de l’existence visant l’acquisition de l’indépendance, la maîtrise de soi et poursuivant le désir de se donner une forme dans le sens d’exercer une action sur soi-même, de se façonner?

«Dans l’état de poésie, on part aussi du sensible pour accéder – par la parole – à l’au-delà du sensible. C’est aussi une transfiguration. On part de la sensation, pour arriver, à travers la zone affective, à la pensée. A la conscience. Chaque parole poétique, en ce sens, refait l’histoire du monde et de l’Homme.» (A1, G. Haldas, 1996, p. 50).

Jean Vuilleumier (1982) ami proche de G. Haldas écrira à ce propos:
«Il n’entend pas donner une œuvre littéraire mais un moyen pour chacun en le lisant, de prendre conscience de lui-même».

Faisant de L’écriture, une «possibilité» pour l’homme de prendre conscience de sa condition d’homme, d’approcher humainement les autres, tout autre, et ce tout Autre qu’est le Christ pour Haldas, ou Dieu, Mahomet, Bouddha, le Juste pour d’autres.

«Ecrire, ce sera « transfigurer toutes choses » pour les faire passer de la « précarité à la permanence », instaurer entre les vivants une « relation d’éternité », nous révéler toujours davantage dans notre « double nature de meurtrier et de victime » et, par-là, nous engager dans « ce processus de la transfiguration vitale qui nous fait passer de l’un à l’autre » – nous aider à « oublier les accidents du moi et nous révéler à un état de communion »». (Vuilleumier, 1982, p. 213). [print-me]


Catherine Schmutz-Brun. Après des études en lettres et linguistique (master) à la Sorbonne Nouvelle, Catherine Schmutz-Brun a commencé par enseigner au secondaire puis elle s’est intéressée à la formation des adultes. C’est à l’université de Genève auprès de P. Dominicé et M-C. Josso qu’elle s’est engagée et a entrepris un doctorat en Histoires de vie. C’est dans ce contexte, qu’elle a monté et créée à la formation continue de l’Université de Fribourg un certificat de recueilleuses et recueilleurs de récits de vie.

 


Bibliographie:

  • Abd Al Malik (de son nom Regis Fayette-Mikano) (2014) Qu’Allah bénisse la France, film
  • Beauvois Xavier, (2010) Des hommes et des dieux» Film
  • Bologne, J.-C. (1991, rééd. 1999). Dictionnaire d’allusions bibliques. Paris: Larousse.
  • Bruner, J. (1986, trad 2000.). Culture et mode de pensée; l’esprit humain dans ses œuvres. Dreux: Retz.Titre original: Actual Minds, Possible Words (1986).
  • Bruner, J. (2002 trad.). Pourquoi nous racontons-nous des histoires? Dreux: Retz.
  • De Chergé C. (1997) L’invincible Espérance, Paris: Bayard Editions
  • Delory- Momberger, C . (2000). Les histoires de vie, de l’invention de soi au projet de formation. Paris: Anthropos.
  • Escrivan, E (2010) Un monastère cistercien en terre d’Islam, Paris: Cerf
  • Gusdorf G.(1990 a et b) Lignes de vie1: les écritures du moi et Lignes de vie2: auto-bio-graphie. Paris: O.Jacob.
  • Haldas, G. (1996) Entretiens de l’auteur avec Catherine Schmutz
  • Henning C (2016, dir) Tibhirine, L’héritage, Préface du pape François, Montrouge, Bayard
  • Lani-Bayle, M. (1997) L’histoire de vie généalogique, d’Œdipe à Hermés, Préface A. de Peretti, Postface G. Pineau , Paris: L’Harmattan
  • Nancy, J.-L. (1996, réed augmentée 2013) Etre singulier pluriel, Paris; ed Galilée
  • Nora, P (1987, dir ) , Essais d’égo-histoires, Paris, Gallimard
  • Pineau, G et Jobert, G (1989, tome 2) Histoires de vie, approches multidisciplinaires, Paris: L’Harmattan
  • Pineau, G, et Le Grand , J.-L. (1993) Les histoires de vie «Que sais-je» Paris: PUF
  • Ray, C. (1998) Christian de Chergé, une biographie spirituelle du prieur de Tibhirine, Paris: Albin Michel
  • Ricoeur, P. (1983). Temps et Récit, tome I. Paris: Seuil.
  • Saint Augustin. Les confessions, dir. de L. Jerphagnon, vol. Bibliothèque de la Pléiade (1998). Paris: Gallimard.
  • Sartre, J.-P. (1952). St Genet, comédien et martyr. Paris: Gallimard
  • Schmutz-Brun, C. et Josso M.-C. (2002) La construction d’un savoir singulier pluriel sur la formation expérientielle fondé sur une interprétation intersubjective de récits de vie Variations à deux voix, Raisons Educatives, Genève.
  • Schmutz-Brun, C. (2012) L’histoire de vie d’un sujet narratif faisant œuvre de vie. De l’œuvre de Georges Haldas aux récits des sans paroles. Berlin: Paf, Presses Académiques Francophones.
  • Schmutz-Brun, C. (2015a) Vous avez dit «formation»? Bizarre, comme c’est bizarre! In chemin de formation n°19 coordonné par MA Mallet
  • Schmutz-Brun, C. (2015b) L’expérience suisse du troublant récit de vie In chemin de formation n°19 coordonné par MA Mallet
  • Schmutz-Brun (2016) Histoires des naissances et recherche de sens in Histoires de naissances et naissances d’histoires C. Chaput_Le Bars (dir) Paris: L’Harmattan
  • Teissier H , Minassian m.-D. (2012) Tibhirine, la fraternité jusqu’au bout, Strasbourg, Ed du signe
  • Vuilleumier, J. (1982). Georges Haldas ou l’état de poésie, Lausanne; L’Age d’Homme.
  • Vulliez, H (2002) Et la parole prend chair. Paris: Cerf.

[1] Advenir: substantif désignant un événement possible, arrivant de manière non absolument prévisible, quoique attendue.
[2] L’évangile: nm étymo évangélium; bonne nouvelle, de même racine que«ange».

Si Evangile (E majuscule, mais mot au singulier -importance de l’écriture!) est l’enseignement de Jésus-Christ, Evangiles (E majuscule, mot au pluriel) sont les livres de la Bible dans lesquels sont consignées la vie et la doctrine de Jésus-Christ. Avec un peu d’audace, nous pourrions identifier là les premières approches biographiques (ou plus précisément hétéro-biographiques) dans la mesure où il s’agit d’une vie racontée dont on veut comprendre l’enseignement – la vie en formation.
En outre, il faut souligner que les évangiles sont des récits biographiques dont«le héros» principal n’a jamais manifesté la moindre intention «d’écrire son histoire ou sa vie».

[3] Prologue, (pro-logos; avant le discours) partie du discours qui introduit le discours. Or toute question étant celle du commencement (logos), voilà que dans sa forme même le prologue suppose une forme antérieure au logos … donc l’infinitude originelle!
La réponse «Au commencement était le Verbe» (logos dans le texte) se confirmerait dans cette entrée discursive par un pro-logos, sorte de mise en abyme du commencement dans le commencement, d’une parole avant la parole.
[4] Georges Gusdorf avait été disciple de Léon Brunschvicg. Pendant la guerre il avait passé cinq ans en prison dans plusieurs camps de concentration nazis, où il avait fondé une Université pour les prisonniers et avait écrit sa thèse de doctorat sur «L’expérience humaine du sacrifice» (dirigée par Gaston Bachelard).
[5] L’eschatologie est la vision des choses ultimes (ta eschata, en grec) en même temps que celles des fins dernières de l’homme. Qu’est-ce qui advient après, après les limites de l’espace et du temps de notre condition humaine?
[6] C’est nous qui soulignons.
[7] Pourquoi ce discours en paraboles? Vulliez (2002) postule qu’il s’agit d’une forme discursive «contemporaine» de la naissance du Christ. Un genre littéraire que le judaïsme a beaucoup développé: «En Israël, on avait l’habitude de raconter des paraboles, les rabbis illustraient leurs commentaires de la Torah avec ces récits» (ibid., p. 67) … mais encore une fois, un «genre» de la littérature orale dont on ne retrouve plus malheureusement trois siècles plus tard que quelques traces dans les écrits.
Parabole, du latin parabolê (composé de para; auprès de, à côté et ballein; lancer) est une forme littéraire qui consiste à mettre une réalité à côté d’une autre de manière telle que par le jeu de la comparaison, on puisse mieux la connaître sans pouvoir la connaître parfaitement puisqu’on restera toujours à côté.
La parabole comme la fable, l’allégorie, la métaphore, la poésie, conduit aux limites du compréhensible, elle dévoile en cachant, elle cache en dévoilant. Elle fait passer du monde physique au monde spirituel, ouvrant à l’homme, un chemin de connaissance vers l’inatteignable réalité constamment tenue «à côté» dans une distance qui seule permet la réflexion, dans un espace comme un jeu de liberté entre celui qui parle et celui qui écoute.
Par ailleurs, la parabole, sorte de proverbe, sentence, devinette, est une forme de message-énigme qui ne répond pas mais questionne, impliquant l’écoutant à «chercher» et découvrir le sens caché. «La parabole semblable a une amande dans sa coque» a un noyau et une enveloppe, un dehors et un dedans. Entre ce qu’elle dit, et ce qu’elle dit qu’elle ne dit pas, entre ce qu’elle se contente de suggérer et ce qu’elle suggère qu’elle ne dit pas, elle provoque un vide, un manque, une insatisfaction et réveille, stimule les aspirations à entrer dans un processus de compréhension approfondie, à manifester le «Je» qui se construit dans une rencontre confiante et complice avec le récitant.
Vulliez relève que cette «délicieuse complicité» est aussi celle de l’enfant qui demande une histoire à ses parents avant de s’endormir: «sorte de communion au mystère de la vie» qui leur échappe (ibid., p. 71).

[8] Benveniste (cité par Flahaut) rappelle que la racine dont provient le mot libre signifie «appartenir à une souche ethnique» par opposition à l’esclave défini comme n’ayant pas de liens sociaux.
[9] Nous préférons ce néologisme modérant considérablement l’ambition du terme autopoïétique qui referme sur lui-même le travail de production de l’identité en devenir.
[10] Nous ne pouvions éviter cette citation qui fut longtemps une «devise» des Histoires de vie dont nous pourrions chercher à repérer un historique des différents usages et critiques dont elle fut la référence.
[11] Ici, nous pensons plus particulièrement aux participants des séminaires « Histoire de vie et formation » proposés à l’Université de Genève dans le cursus des Sciences de l’éducation. Pour la suite de notre recherche, nous élargirons la notion d’auteur de récit de vie et préciserons plus loin les autres instances considérées.

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La miséricorde de Dieu et la vôtre https://www.revue-sources.org/misericorde-de-dieu/ https://www.revue-sources.org/misericorde-de-dieu/#comments Wed, 30 Mar 2016 11:21:42 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=1223 [print-me]

Quid quaeris? Que veux-tu? Que cherches-tu? Cette question me fut posée voici soixante ans, alors que j’étais étendu de tout mon long sur le sol, les bras en croix, devant un frère dominicain qui tenait le rang de prieur dans son couvent.

C’était à Fribourg, un après-midi de septembre. Je quittais une famille qui se pressait émue au-delà des grilles qui fermaient le chœur de la petite chapelle. En deçà, un groupe de religieux dont j’allais porter l’habit. Ma position était suffisamment humiliante et inconfortable pour m’épargner la fantaisie de donner au prieur une réponse non protocolaire à sa demande. J’aurais pu lui rétorquer ce que le diable aurait pu me souffler à ce moment :«Tu me demandes ce que je veux? Et bien, voici. Assure-moi un avenir brillant; fais de moi un nouveau Thomas, un autre Lacordaire. Je m’accommoderais bien aussi de réincarner Las Casas, voire Fra Angelico ou, à la rigueur, le Père Congar…» Ou plus simplement, j’aurais pu répondre aussi: «Je viens chercher ici une bonne planque, un abri pour maintenant et un havre pour mes vieux jours».

Un rite éloquent

Je m’en tins ce jour-là à la réponse officielle fixée par le Processionnal de l’Ordre des Prêcheurs. Quatre mots faciles à retenir et à répéter: «Misericordiam Dei et vestram». «Je demande la miséricorde de Dieu et la vôtre». La miséricorde! Etait-ce bien ce dont j’avais besoin ce jour-là? Cette hypothèse m’avait-elle seulement effleuré au cours des mois où je me posais la question de ma vocation dominicaine? A vingt ans, étais-je si misérable pour provoquer pareille pitié? Si sale pour que le pardon me lave? La miséricorde d’un Père du Ciel qui voit dans le secret passe encore, mais celle de ces messieurs que je ne connaissais pas, pas plus qu’ils ne me connaissaient… Qu’avais-je à faire de leur «miséricorde»? Ce n’était pas le cadeau d’accueil que j’attendais de leur part. Il m’a fallu une longue vie religieuse pour mesurer cette erreur d’appréciation et la pertinence de l’offre qu’on me faisait.

A vingt ans, étais-je si misérable pour provoquer pareille pitié? Si sale pour que le pardon me lave?

La réponse rituelle du prieur à me demande, fixée elle aussi par le Processionnal, était ambiguë. Le supérieur avouait humblement ne pouvoir statuer sur la miséricorde divine, présumant toutefois qu’elle m’avait été accordée du fait que j’avais eu la bonne idée de frapper à la porte de son couvent. Quant à «sa» miséricorde et celle de ses frères, il promettait de ne m’en faire part qu’au jour où j’aurais donné la preuve d’un engagement sincère à observer les vœux religieux. Et de m’énumérer la liste impressionnante des contraintes et obligations que cela exigeait de moi. Un peu comme le ferait un juge d’application des peines mis en présence d’un détenu sollicitant sa libération conditionnelle. En fait de miséricorde, l’Ordre ne m’en promettait qu’une provisoire, à réévaluer d’ici une année. J’avais devant moi douze mois de noviciat pour mériter de la prolonger.

La confrérie des graciés

A plusieurs reprises, il m’est arrivé au cours de ma vie dominicaine de revisiter – comme on dit de nos jours – cette étrange et lointaine liturgie. Non que j’eusse douté de la miséricorde divine à mon endroit. J’ai été élevé sous le regard d’un Dieu bienveillant qui aim pardonner. Mes confessions fréquentes m’avaient enlevé toute illusion quant à ma prétendue sainteté. Je demandais donc aux Dominicains de m’accepter tel que j’étais, ni saint auréolé ni pécheur invétéré. En m’offrant leur miséricorde, ils estimaient, sans doute avec raison, que je ne répondais pas encore – y répondrais-je un jour? – à tous les canons et critères du bon dominicain. Sans attendre ce jour improbable, ils me faisaient miséricorde et m’acceptaient comme «convers», appellation réservée en ce temps-là à une catégorie de frères non prêtres, vêtus d’un capuce et d’un scapulaire noirs, qu’on reléguait dans les dernières stalles du chœur et sur les sièges les plus reculés du réfectoire. De vrais pénitents, quoi! Destiné à devenir clerc, je n’eus pas à subir ces humiliations, mais acquis la conviction que j’étais moi aussi, bien que tout de blanc vêtu, un candidat à un processus ininterrompu de conversion. Bref, j’entrais dans l’Ordre comme on entre en Carême, convaincu de n’être que poussière et désireux de changer de vie.

J’étais vraiment inséré dans une famille où la miséricorde ne devrait pas être un vain mot.

Cet aveu aurait pu me décourager, si je n’avais pas vécu chez les Dominicains des moments autrement plus chaleureux et réconfortants. Tout d’abord cet «osculum pacis», ce baiser de paix, prévu par le rituel après la prise d’habit. Il se transformait chez nous en embrassade générale, en bourrades viriles, avec des mots d’encouragement et des signes visibles d’amitié. Un débordement non prévu par les rubriques, mais accompagné d’un vibrant «Te Deum» que le chantre ne parvenait plus à diriger. Ce geste signifia pour moi que des frères m’acceptaient tel que j’étais et tel que je serai, pour le meilleur et…pour le pire. Et sans condition! J’étais vraiment inséré dans une famille où la miséricorde ne devrait pas être un vain mot. Je fus toujours ému quand mon tour venait d’accueillir un candidat qui sollicitait ma propre miséricorde. Qui étais-je, moi, pour prétendre la lui refuser? Ne l’avais-je pas tant de fois mendiée et reçue de mes frères ? Ce jour-là, se nouait entre lui et moi un pacte de mutuelle miséricorde. Nous entrions l’un et l’autre dans une communauté de graciés.

Dominique le miséricordieux

L’exemple venait de haut et de loin. Saint Dominique lui-même a ouvert cette voie. Les premiers frères ont témoigné de sa compassion pour les égarés, pour ces «pécheurs» que sa prière instante et incessante voulait ramener. Une de ses premières préoccupations ne fut-elle pas d’accueillir des femmes et des filles séduites par les Cathares? Dominique n’aurait eu honte d’aucun de nous.

Beaucoup plus tard, Jean-Joseph Lataste, un de ses fils, émule de son audace, recrutait de futures religieuses parmi les femmes condamnées et détenues dans les prisons de son temps. Nombre de Dominicains et Dominicaines exercent aujourd’hui encore ce ministère de miséricorde dans les maisons d’arrêt du vieux et du nouveau monde. A l’opposé, j’ai toujours trouvé ignoble le refus de miséricorde, la délation, la dénonciation, le rejet hautain et méprisant, la rupture sans pardon ni rémission. Autre indice de miséricorde dominicaine: notre Ordre ne peut renvoyer un frère «déviant» qu’au terme d’une procédure de plusieurs années, lui accordant le temps d’une très longue réflexion, lui offrant même la perspective de rejoindre à nouveau sa communauté. Personnellement, je n’ai jamais vécu comme une rupture d’amitié et de solidarité le départ d’un frère choisissant un jour un autre chemin que le mien. Surtout si ce frère m’avait un jour promis sa miséricorde ou si je lui avais promis la mienne. Je me sens lié par ce pacte de mutuelle fidélité.

Chapelle de Miséricorde

Les Prêcheurs sont arrivés à Fribourg à l’orée du siècle dernier. Ils ont choisi une résidence proche du quartier de «Miséricorde», là où quelques décennies plus tard allait être construite la nouvelle université, là où les Dominicains enseigneront et étudieront encore aujourd’hui. Il y avait à cet endroit, au temps de l’ancien régime patricien, une chapelle – la chapelle de la miséricorde – où les condamnés à mort qu’on allait supplicier sur une colline voisine faisaient une halte pitoyable. Un prêtre offrait à ces malheureux ce qui en vérité était pour eux les dernier sacrements. Sur cet emplacement a été édifiée au siècle dernier une splendide chapelle universitaire. Devant une verrière qui scintille comme autant d’étoiles dans la nuit, un Christ crucifié continue à ouvrir ses bras comme s’il voulait épouser toute la misère du monde. Selon une célèbre antienne, il continue de supplier les passants de ce chemin: «O vos omnes qui transítis per víam, atténdite et vidéte si est dólor símilis sícut dólor méus» «Vous tous qui passez par ce chemin, arrêtez-vous et voyez s’il existe une douleur semblable à la mienne!»

L’actuelle chapelle se dénomme toujours chapelle de Miséricorde comme l’ensemble de ce site universitaire. Quelle mission pour cette institution qu’on appelle aussi «alma mater», mère nourricière, compatissante et miséricordieuse. Les Dominicains qui la fréquentent devraient avoir à cœur de s’en souvenir.

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Guy Musy

Guy Musy

Le frère Guy Musy, dominicain du couvent de Genève, est rédacteur responsable de la revue Sources.

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Jeunes Dominicains en chemin https://www.revue-sources.org/jeunes-dominicains-en-chemin/ https://www.revue-sources.org/jeunes-dominicains-en-chemin/#respond Fri, 01 Jan 2016 07:59:59 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=407 [print-me]

Le couvent St-Hyacinthe à Fribourg accueille au cours de l’année universitaire 20152016 huit frères en formation. Ils suivent les cours de la Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg. A une exception près, tous ont accompli un premier parcours d’études supérieures: architecture, sociologie, lettres, marketing, sciences… Cinq d’entre eux seront ordonnés diacres au terme de cette année d’étude. SOURCES leur a proposé d’exprimer très librement la façon dont ils vivent cette année «fribourgeoise». Un parcours de formation qui dépasse largement les frontières académiques.

Fr. Charles Desjobert – Qui cherchez-vous?

Nos études nous maintiennent dans une dynamique de recherche qui est le propre de notre foi. Où que nous en soyons dans notre vie religieuse, elles nous rappellent que s’il nous arrive d’enseigner, nous ne sommes pas maîtres, et que la parole que nous portons vient de plus loin. Quand certains matins en partant pour l’Uni’ nous nous demandons «que cherchons-nous?», le Seigneur nous répond: «Qui cherchez-vous?» (Jn 18,4).

Fr. Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond – Comme une marche en montagne

Ce serait comme une marche en montagne, la pente plus ou moins douce, plus ou moins ardue, tantôt l’herbe verte et grasse, parfois la terre nue, la roche affleure, et, au versant nord, glace et neige qui persistent. Et on serait pareils aux pins qui s’accrochent et s’égrènent aux flancs de la montagne et sur ses crêtes, pèlerins de la hauteur, mendiants de la beauté.

On est parti, tôt ou tard, avec allant, il y a trois ans: les sentiers sont balisés. Un jour, on tracera peut-être sa propre piste. Aujourd’hui, des guides nous orientent et nous apprennent comme on enseigne une langue, les syntaxes de la marche. Peu à peu, le pas s’affermit et les yeux s’éclairent, on prend ses repères, on a moins peur de dévisser, et, en tel ou tel lieu, on dresse une croix, en mémorial. 

Bien sûr, il y a la fatigue, et parfois le découragement ou le vertige face à l’immensité qui se découvre et les choix qu’il faut faire. On vient de prendre la route et déjà il faut choisir: ce sera ce massif et non celui-là, pas moins beau ni moins difficile pourtant; ce sera ce chemin, et non celui-ci et on devine de quelles merveilles on se prive, bien qu’on se doute de celles qui nous sont préparées.

Il faut marcher léger, sans doute: mais, on n’a pas pour autant quitté la vallée, ni les hommes de notre temps, leurs joies, leurs espoirs, leurs tristesses, leurs angoisses… tout ce qui peuple l’intelligence et le cœur et oriente aussi les inquiétudes de la marche.

Fr. Emmanuel Dumont – Confession!

Le lundi soir, guidés par un frère, nous faisons une petite promenade. Ce n’est pas une pénitence, et je le confesse, cela me fait de l’effet. Nous sortons parfois du droit chemin, mais c’est pour mieux le retrouver. Nous récoltons bien souvent de bons fruits, mais rarement sur les pêchers. Nous admirons les formes et les matières. Nous observons les choses et les signes. Les accidents du chemin ne nous empêchent pas d’aller à l’essentiel, car, comme tout bon marcheur, nous avons des instruments efficaces qui nous apportent satisfaction. Pardon, je suis contrit, j’ai oublié de vous donner l’objet de la sortie: nous parlons du sacrement de réconciliation.

 Fr. Jacques-Benoît Rauscher – Le compte est bon!

Le compte est bon! Une tentation dans le domaine des études serait pour moi de me laisser aller à une logique purement quantitative: dénombrer les années qui restent encore à suivre pour obtenir tel diplôme, me désoler du temps déjà passé sur le banc d’écoles, avoir les yeux fixés sur le nombre de pages d’un devoir (en jouant au besoin sur la taille de l’interligne ou de la police). Tout cela ressemble un peu au péché de David qui passait en revue son armée (2 Sam 24) et peut faire oublier l’objectif des études de théologie pour un Dominicain: connaître et contempler le Seigneur pour l’annoncer. Car pour les études, comme pour le reste de la vie religieuse, c’est Dieu seul qui compte (dans tous les sens du terme!).

Fr. Pierre-André Mauduit – Gros point d’interrogation

«Le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser sa tête» est peut-être le verset de l’évangile (Mt 8,20) qui accompagne le mieux mes débuts à la faculté de théologie de Fribourg. Venu à Fribourg avec un projet d’études précis, je suis aujourd’hui à la fois réjoui par la diversité des cours proposés et en même temps déçu que leur contenu ne corresponde pas totalement à mes attentes. Je dois donc prendre une direction qui m’oblige à un réajustement. Mais la vie dominicaine n’est-elle pas justement ce perpétuel ajustement aux situations rencontrées, et qui laisse la première place à l’inattendu? Et c’est souvent, je l’ai remarqué, dans cet imprévisible que le Christ vient me chercher et me dit «Suis-moi». Si je devais résumer mes premières semaines à l’université, je dessinerai un grand point d’interrogation. Si je trouve tous les cours plus ou moins intéressants, je ne suis (pas encore) passionné par ce que je fais. Je cherche encore le sens à donner à mes études. Ce que j’apprécie énormément, en revanche, et que je trouve très formateur pour un frère étudiant dominicain, c’est de pouvoir expérimenter la catholicité de l’Ordre. Vivre dans une communauté internationale comme celle de St-Hyacinthe et vivre les rencontres culturelles tous les jours à la faculté est pour moi source d’une grande richesse et d’une grande joie.

Fr. Marko Dokoza – Cultures proches et lointaines

Être frère étudiant à Fribourg est pour moi une expérience nouvelle. Suivre des cours et étudier dans une langue étrangère m’a fait peur au début. Mais dès le début des cours, la peur m’a progressivement quitté et, maintenant, je suis vraiment heureux d’être à Fribourg. La richesse des études à Fribourg n’est pas seulement liée aux cours, mais aussi aux personnes qui étudient avec moi. J’ai la possibilité de rencontrer des gens de différentes nationalités, langue et intérêts. J’ai aussi la chance de faire partie d’une communauté internationale et, de jour en jour, de connaître toujours mieux des cultures qui sont pour moi en même temps proches et lointaines.

Fr. Olivier Catel – L’université: un champ de mission

Après plusieurs années marquées par de passionnants apostolats (visiteur de prison, aumônier scout…), je suis arrivé à Fribourg sachant qu’il y aurait sans doute là un deuil à faire. Mais, me souvenant d’une discussion avec un frère étudiant de Blackfriars Hall à Oxford, j’ai vite compris que ma mission première, outre celle d’étudier, serait de témoigner avec mes frères de notre vie dominicaine, faite d’étude et de prière, de silence et de prédication. L’université devient alors un lieu de mission, un lieu où la Parole est annoncée non seulement par les enseignants, bien souvent dominicains, mais aussi dans la communauté d’étude que nous formons. L’attachement de beaucoup d’étudiants à cette «faculté dominicaine», comme ils le disent parfois, tient sans aucun doute à l’originalité de notre vie faite de contemplation et de mission. Elle trouve une expression singulière dans cette université confiée à l’Ordre depuis plus d’un siècle. 

Fr. Pierre De Marolles – Une chance

«Ce que nous avons contemplé… nous vous l’annonçons… afin que notre joie soit parfaite» (1 Jn 1, 1-4). Au début de ma cinquième année à Fribourg comme frère étudiant, je suis toujours aussi émerveillé de la chance que j’ai. La douceur de la fraternité vécue au couvent St-Hyacinthe porte admirablement cette quête commune de la vérité qui se découvre et s’éprouve au fond des bibliothèques comme dans la chaleur d’un débat au réfectoire. L’arrivée de nouveaux frères étudiants est d’ailleurs toujours l’occasion de poser, à travers eux, un regard neuf sur cette chance qui est la nôtre. Chance d’autant plus grande que ce temps des études offert aux apprentis prêcheurs que nous sommes ne saurait se transformer en un cocon coupé du monde. En effet, le confort de notre situation est sans cesse inquiété par ce feu contagieux qui consume mes confrères passionnés: annoncer le Christ aujourd’hui pour le salut de tous les hommes! Quels projets, quelles méthodes, quels médias, quels moments seront les plus propices à évangéliser nos contemporains? 

Comment ne pas être entrainé moi aussi dans cette course de l’Evangile? Se contenter de partager à ceux qui le demandent la Parole reçue de Dieu au creux de notre humanité ne suffit pas: ils sont une foule immense à l’attendre sans savoir demander! Alors je me laisse consumer (bien que le bois soit encore un peu vert), et j’essaie moi aussi, au détour d’un enseignement, d’une retraite, d’un témoignage d’allumer cet incendie du Christ. 

Et c’est dans ces moments de prédications que tout ce qui a été découvert dans les études, tout ce qui a été éprouvé au feu des contradictions, tout ce qui a été murmuré dans la prière, ressurgit comme débordant d’un chaudron bouillonnant! Le chercheur de vérité et le prédicateur du salut sont bien la même personne. La frontière entre les deux est bien mince, elle tient à l’inclinaison de la tête: penchée vers le livre ou levée vers l’assemblée. 

Comment le prêcheur pourrait-il ne pas transmettre aux autres ce qu’il a contemplé?

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Un engagement peut en nourrir un autre! https://www.revue-sources.org/un-engagement-peut-en-nourrir-un-autre/ https://www.revue-sources.org/un-engagement-peut-en-nourrir-un-autre/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:24:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=225 [print-me]

Je suis à quelques semaines de ma retraite civile et le hasard d’un dossier de « Sources » sur l’engagement m’invite à m’arrêter quelques instants pour décoder une aventure professionnelle vécue au cœur de ma vocation religieuse.

Dominicain à 49 ans!

Tout d’abord quelques éléments pour contextualiser mon propos. J’entre dans la vie religieuse dominicaine à 49 ans, abandonnant une activité professionnelle dans le monde de la santé. Je démissionne donc. Après une année de noviciat, mon ancien employeur [1. L’Institut et Haute Ecole de la santé La Source (Lausanne)] qui était venu assister à ma prise d’habit me demande si je ne veux pas reprendre mon activité professionnelle avec un pourcentage adapté et compatible avec des études de théologie que je devais entreprendre à l’université de Fribourg.

La question était audacieuse et la réponse ne dépendait plus de moi. Le Provincial [2. Nom que l’on donne pour désigner le supérieur d’une province dominicaine.] fut favorable et en perçut probablement les bénéfices à moyen et long terme.

Je m’attendais à « devoir tout quitter » et me voilà à nouveau « réengagé » dans une activité civile.

Je venais de m’engager dans la vie religieuse pour trois ans avant mes vœux définitifs. Je m’attendais à « devoir tout quitter » et me voilà à nouveau « réengagé » dans une activité civile, celle que j’avais laissée un an plus tôt. L’enjeu était important et risqué car il mettait en articulation plusieurs dimensions: l’apprentissage de la vie religieuse avec une formation exigeante, la responsabilité d’un réengagement professionnel et l’équilibre d’une posture nouvelle en rapport à un passé connu de mes collègues de travail.

Cet équilibre a bien fonctionné jusqu’à la fin de mes études tout en reconnaissant quelques tensions. La décision fut donc prise à mon ordination sacerdotale de maintenir cette activité professionnelle intégrée à mon apostolat général, sans être néanmoins un temps plein. Ce point était déterminant pour assurer l’équilibre entre mes deux « vies ». Il fallait par ailleurs répondre à des besoins précis de la communauté de Genève dans laquelle j’allais être assigné.

Pastorale d’enfouissement

Je réalise aujourd’hui que l’articulation vie religieuse et vie professionnelle doit s’inscrire dès l’origine dans l’essence même d’une vie engagée totalement au service de l’Evangile et de l’Eglise. La dimension professionnelle devient alors un lieu catalyseur, une facette de cet engagement fondamental. Ce qui n’est pas toujours facile à faire comprendre à ses « pairs ». Ne serait-ce déjà qu’à cause d’un environnement si différent.

Par ailleurs, cet apostolat peut apparaître sans protection et présenter toutes les aspérités d’une existence séculière: carrière, évaluation, compétition, production, rentabilité. Des questions peuvent se poser et rendre l’équilibre fragile, mais elles peuvent aussi nourrir et creuser une vocation.

En fait, j’engageais bien plus que moi-même.

J’ai toujours fait le choix de me situer dans mon activité [3. Celle d’enseignant et de chercheur dans le domaine des sciences infirmières, de la bioéthique et de la philosophie des sciences (HES-SO et Université).] uniquement comme professionnel, en indiquant cependant à l’occasion de mes interventions ou rencontres mon identité de prêtre dominicain. C’est dans cette configuration parfois surprenante que se vit une pastorale indirecte ou « d’enfouissement » faite pour une bonne part d’éléments que la vie professionnelle très souvent évacue ou minimise: une certaine écoute et attention à l’autre, la disponibilité pour aborder des questions essentielles, un regard d’espérance, la confiance dans une vie plus forte que la mort…

Dans ce parcours, il y eut aussi des moments de visibilité religieuse, tels la demande d’un baptême pour l’enfant d’une collègue, les funérailles d’une autre collègue qui m’avait demandé de l’accompagner dans ses derniers moments, une célébration pour une étudiante tragiquement décédée…

Travailler dans une institution laïque, fortement marquée par un passé « religieux » [4. L’Ecole La Source, première école « laïque » au monde de soins infirmiers, fondée en 1859, appelée néanmoins Ecole normale évangélique de gardes-malades est depuis 2002 la Haute Ecole de la santé La Source.], sans en être l’aumônier, vivant un sacerdoce qui ne « se dit pas », voilà une belle alchimie qui m’a aidé, entre autres, à comprendre l’importance des mots et du langage qu’il faut souvent interpréter.

Et pourtant pas schizophrène!

Au moment où je quitte mon statut civil, je prends conscience de la densité de ce qui a été engagé. Je ne m’en suis pas toujours rendu compte. Me vient à l’esprit l’expression « mis en gage ». Car dans le mot engagement, il y a une notion de contrat, de promesse, de respect mutuel, de garantie, de caution. J’ai l’impression que ce que je mettais « en gage » du fait de mon identité de prêtre était quelque chose de ma personne dans son unité profonde.

En fait, j’engageais bien plus que moi-même. Cette conviction m’a toujours accompagné sans pour autant me peser. Très souvent mes collègues de travail m’ont demandé comment je conciliais certaines questions bioéthiques ou philosophiques qui faisaient partie de mon programme d’enseignement avec mon choix religieux. Ces questions me renvoient aujourd’hui à celle de l’unité de cet engagement. Je ne me suis jamais senti schizophrène fonctionnant dans des catégories d’existences séparées, affirmer d’un côté ce que je devais nier de l’autre.

Un chemin à parcourir bien plus qu’un but déjà atteint.

Je réalise aujourd’hui qu’un équilibre enrichissant peut s’établir en de telles situations du moment que l’on est enraciné dans une liberté profonde et ouverte trouvée dans l’Evangile. Si j’essaie de mettre des mots et un cadre théologique à cette expérience de vie qui a duré près de dix-huit ans, je les emprunterai à Xavier Thévenot [5. Salésien de don Bosco, il a été un des grands théologiens moralistes contemporains, décédé en 2004.]. Comme lui, je suis de plus en plus convaincu que: « …tout ce qui se commande au nom du Dieu de Jésus-Christ doit pouvoir se justifier du point de vue de la vérité de l’homme, et tout ce qui est prescrit par la raison droite doit pouvoir montrer sa cohérence avec la vérité de la foi chrétienne« [6. Xavier Thévenot, Compter sur Dieu. Etudes de théologie morale, Ed. Cerf. Paris, p.15].

S’engager dans une activité professionnelle tout en ayant engagé pleinement et totalement sa vie par des vœux religieux révèle à celui qui en fait l’expérience le caractère exigeant mais profondément évangélique de ce choix. Un chemin à parcourir bien plus qu’un but déjà atteint.

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Michel FontaineLe frère Michel Fontaine, prieur de la communauté dominicaine de Genève, a quitté ses activités professionnelles à Lausanne et Strasbourg. Formé en soins infirmiers, en sciences sociales et en éthique, son apostolat principal demeure la formation et l’accompagnement en lien avec la pastorale de la santé à Genève et l’Université de Fribourg. Il est aussi membre de l’équipe rédactionnelle de « Sources ».

 

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Quand Dieu s’invite en prison https://www.revue-sources.org/quand-dieu-sinvite-en-prison-2/ https://www.revue-sources.org/quand-dieu-sinvite-en-prison-2/#respond Tue, 01 Jan 2013 10:55:22 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=375 [print-me]

Notre Dieu, qui ne manque pas de créativité, nous donne rendez-vous dans des carrefours inattendus et insoupçonnés. La prison n’est pas exclusivement un lieu territorial, mais surtout un lieu «existentiel», marqué par l’expérience de la perte de sa liberté, de la douloureuse séparation des liens familiaux, de la confrontation avec soi-même.

Peut-elle devenir aussi le lieu de la proposition de la foi? En tant qu’aumôniers, nous essayons d’adapter nos pas au rythme de ceux et celles que nous accompagnons, de devenir «guetteurs» de l’œuvre de l’Esprit. Au fond, Dieu «se propose» Lui-même et ne cesse d’attirer à Lui tous ceux et celles qui le cherchent dans la sincérité du cœur.

Merci à nos deux frères dans la foi qui ont accepté d’oser une parole et de témoigner, avec leurs propres mots, de leur parcours spirituel. Que ces paroles puissent aussi redonner courage et espérance à toutes les personnes détenues qui, devant l’âpreté de l’expérience de l’incarcération, n’arrivent pas à «se redresser et à relever la tête». Oui, la grâce de Dieu peut transformer ce «temps perdu en temps fécond»!

Foi de nuit

En mars 2008, ma vie a basculé. J’entre en prison en abandonnant ma femme enceinte, à une semaine d’accoucher de notre enfant. Le ciel venait ainsi de tomber sur ma tête. Dès lors, la douleur, faite de culpabilité, de remords et d’enfermement s’est emparée de moi. J’étais complètement assommé et vidé de mon être. Les nuits m’étaient longues et surtout blanches. Mais de ces nuits torturantes, commençaient par s’échapper des réflexions mûres et approfondies sur ce que je suis, ce que je devrais être et ce qui devrait être ma priorité. Très vite, mes préoccupations allaient sur DIEU.

Je ne cherchais pas forcément un sauveur pour me sortir des antres du naufrage, je n’étais même pas dans la dynamique de recherche d’un salut. Mais j’étais épris de toutes sortes de questionnements sur Dieu et sur la spiritualité en général. La nuit, que je redoutais pour son âpreté, ne me pesait plus. J’y prenais même goût. Elle me permettait d’avancer dans ma réflexion. J’en étais arrivé à un stade où il fallait échanger avec une personne avertie sur ces sujets qui me passionnaient et qui transformaient mon incarcération en une sorte de quête.

Je fis appel aux aumôniers. De nos rencontres hebdomadaires, et de mes lectures de textes bibliques et philosophiques, s’est peaufinée et s’est forgée mon orientation spirituelle. Celle-ci sera renforcée au fil du temps. En somme, Dieu manifesta sa miséricorde à mon égard en me donnant cet irrésistible et imparable cheminement vers Lui. De ce cheminement, j’étais le seul à m’en dévier dans ma fratrie. En effet, par une conjonction d’événements, je n’ai pas été baptisé à ma naissance comme mes autres frères. Le trop plein de rationnel en moi ne m’aidait pas non plus à trouver les chemins sinueux mais combien salvateurs de la foi. Je végétais dans une sorte de néant spirituel. Au plan de l’Esprit et du partage de la Vérité, je n’existais pas. Mon incarcération est venue consacrer en moi cette Vérité dans l’Esprit.

Ma foi, que je conçois comme une audace, a pris toute sa dimension et sa force entre quatre murs, loin du charivari ambiant. J’étais face à moi-même, j’étais face à la Vérité. C’est-à-dire: «Je l’ai cherché, et il n’a pas détourné de moi sa face. Et maintenant, je le louerai dans la Grande Assemblée» (Ps 21, 1 Tm 6,16). Aujourd’hui mon esprit se trouve dans un état de gratitude et de félicité car le saint Mystère qui dépasse toute intelligence se révèle à moi. On m’a souvent dit que je suis né de la nuit, les ténèbres de la geôle et dans les dédales des barbelés. Je me retrouve sous la douce emprise du Seigneur et j’avance inlassablement sur mon chemin.

Maintenant, je me demande comment ai-je pu traverser toutes ces années sans cette foi, dépourvu de cette force apaisante et rassurante? Comment ai-je pu évoluer en dehors du champ de cette Lumière inhérente au Père des lumières (Jc 1,17)? Lumière qui m’a renouvelé et crée de nouveau à travers le Baptême. Comme quoi, des ténèbres (prison) peut jaillir la lumière. J’en suis une preuve. Jésus nous tend la main, où que nous sommes, quoi qu’on ait fait. Je suis honoré d’être dans cette Lumière, car: «Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire» (Jn 6,44) a dit le Christ. Si tout petit que je suis, si pécheur que je suis, le Seigneur m’attire à lui, alors sa Miséricorde et son Amour sont sans exclusive.

Cette tribune pour témoigner de cette Foi inébranlable au Christ Vivant est aussi une occasion pour moi de remercier très sincèrement l’évêque, qui a officié ma cérémonie de baptême, mon parrain et ma marraine et tout le personnel de la prison pour leur inestimable accompagnement sur ce chemin de l’Amour et de la Vérité dans le Christ.

Dominique*

Spirituellement libre

Dans mon pays d’origine, la religion nous est inculquée depuis que nous sommes tout petits, et comme tous les enfants j’ai appris comment prier le Notre Père et d’autres prières. Au fur et à mesure que le temps passait mon désir de mieux connaître augmentait. Quand je racontais à ma maman ce qui m’arrivait, elle me disait de prier car Dieu m’écouterait et me parlerait. C’est ainsi que j’ai fait, mais je n’ai reçu aucune réponse à mes prières; c’est à partir de ce moment que commença la plus grande recherche de ma vie.

Pendant longtemps j’ai été dans plusieurs lieux, j’ai parlé à plusieurs personnes afin qu’elles puissent m’aider à écouter Dieu, mais aucun lieu ni personne n’a pu m’aider.

Le temps a passé et il est arrivé un moment, dans ma vie, où tout a commencé à s’écrouler. Tout allait très mal pour moi; j’ai perdu mon travail, la proximité avec ma famille, ma vie de couple, une partie de ma joie et enfin ma liberté. Pendant longtemps, ici en prison, j’ai été préoccupé pour ma famille: j’étais son principal appui et je n’ai pas pu communiquer avec elle pendant six mois.

Depuis mon arrivée en prison, chaque jour je priais pour ma famille, je demandais conseil et un peu de sérénité et un jour j’ai reçu ce que j’avais tant cherché: une réponse.

Tout le monde dit qu’ici c’est un mauvais lieu et passe son temps en rêvant de sa famille ou en se demandant combien de temps va-t-il rester prisonnier. Je ne veux pas dire que pour moi ce n’était pas ainsi, mais je le vis d’une manière différente, sans trop m’occuper de quand je sortirais d’ici et en sachant que ma famille va bien.

Quand j’ai été incarcéré je pensais avoir tout perdu alors qu’en vérité, j’ai gagné beaucoup plus que ce que j’ai perdu.

Aujourd’hui, grâce à Dieu, je me sens spirituellement libre; bien que je sois dans une prison j’ai en moi une paix et une sérénité incroyables; j’ai retrouvé la joie que j’avais et elle est même plus grande qu’autrefois; j’ai des contacts avec ma famille qui reste pour moi un grand appui. Le temps que j’ai passé ici n’a pas été du temps perdu, mais, au contraire, je l’ai transformé en temps fécond.

Felipe*

* Prénoms fictifs

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Federica Cogo fait partie de l’aumônerie œcuménique d’un établissement pénitentiaire de Suisse romande.

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Regard du Cambodge https://www.revue-sources.org/regard-du-cambodge/ https://www.revue-sources.org/regard-du-cambodge/#respond Sun, 01 Apr 2012 08:26:49 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=79 [print-me]

Vincent Sénéchal

Je perçois de plus en plus clairement le fossé culturel et religieux qui sépare les Khmers de ce qu’ils découvrent en rencontrant le catholicisme pour la première fois.

Tant de choses sont indéchiffrables pour eux! S’ils entreprennent le chemin vers le baptême, il leur faut entrer dans un nouveau langage, découvrir notre liturgie, réorganiser leur vie en fonction de l’évangile. Bref, il leur faut entrer dans une nouvelle façon de voir et comprendre le monde. En introduisant le message de l’évangile au moyen de codes culturels locaux, l’inculturation vise à atténuer ce fossé. Au Cambodge, l’Église a connu un certain nombre d’essais d’inculturation depuis le Concile Vatican II. On peut présenter ces essais en trois grandes phases.

1963-1975: l’effervescence

À la suite du Concile Vatican II, la Conférence Épiscopale Laos-Cambodge a initié la traduction de l’ordinaire et du canon de la messe, ainsi que des études en vue de procéder à des adaptations liturgiques. Des missionnaires, conscients de l’inadéquation de la première traduction de la Bible en Khmer (1954), entreprenaient également à cette époque une nouvelle traduction. Ce travail de traduction est en soi le premier travail d’inculturation.

Durant ces mêmes années, les évêques du Cambodge et du Laos commandèrent un certain nombre d’études à leurs commissions liturgiques nationales et quelquefois à certains spécialistes. Ces recherches portèrent sur les rites traditionnels pour le mariage, les veillées funèbres, les enterrements, les maladies graves; sur certains gestes religieux de vénération; sur l’utilisation du matériel d’orfèvrerie locale pour la liturgie catholique; sur la fête des morts locale et les liens possibles avec la commémoration des fidèles défunts; sur le bouddhisme.

Ces recherches permirent aux évêques de transmettre un certain nombre de demandes au Consilium de liturgie puis à la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin. Finalement, elles aboutirent à donner une couleur particulière à la liturgie eucharistique au Cambodge. Ainsi depuis cette époque, les catholiques du Cambodge célèbrent la Toussaint et la fête des morts au moment des fêtes nationales annuelles en l’honneur des morts (Pchum Ben); durant la messe, ils montrent leur vénération par le sompeah (inclination profonde les mains jointes touchant le front); et depuis 1974, il y a possibilité de célébrer la messe dans certains cas sur un autel bas et dans une posture conforme aux habitudes religieuses habituelles du pays.

1975-1998: coup d’arrêt et isolation

L’année 1975 restera dans l’histoire cambodgienne l’année terrible de la prise du pouvoir par les Khmers Rouges et l’instauration d’un régime de terreur sans précédent. Pour l’Église, cette année inaugura plus de vingt années d’isolation. De 1975 à 1979, l’Église fut décimée. Entre 1979 et 1989, elle survécu en grande partie dans les camps de réfugiés à l’extérieur du pays. De 1989 à 1998, elle se réorganisa sur le territoire à partir des baptisés des camps et des survivants restés au pays. L’année 1998 marqua la fin des Khmers Rouges et par conséquent la fin de presque trente ans de guerre.

Durant ces années, les missionnaires oeuvrèrent principalement à accueillir, réconforter, soigner et donner un nouvel espoir aux victimes de la guerre. Assez rapidement, des catholiques réfugiés dans les camps furent rassemblés en communautés, qui très vite connurent un grand nombre de catéchumènes. Aussi, à partir de 1985, un catéchuménat par étapes bien structuré s’organisa dans les camps de réfugiés. Certains rites du mariage traditionnel furent incorporés à la célébration catholique du mariage durant ces années également.

Puis au début des années 1990, de retour au pays, il fut important pour les catholiques cambodgiens de se montrer comme d’authentiques khmers pour survivre, en évitant d’être traités de « traîtres à la nation », c’est-à-dire en étant trop proches des chrétiens vietnamiens ou des chrétiens occidentaux. Ainsi les attitudes liturgiques, dans la ligne des recherches des années 1965-75 et de la pratique des camps, furent-elles « khmérisées »: attitude assise, bâtonnets d’encens, imagerie khmère, musique renouvelée. Sans être devenu une Église nationale, les communautés khmères de cette époque ont revêtu un aspect propre.

1998-2012: chrétiens dans un monde globalisé

La fin de la guerre et des Khmers Rouges en 1998 marqua aussi le début d’un nouveau Cambodge, intégré dans l’ASEAN et perméable à un monde globalisé. Cette période fut caractérisée par la naissance régulière de nouvelles communautés catholiques à travers le pays mais aussi par l’arrivée continue de missionnaires étrangers (avec une inflexion récente vers l’arrivée de missionnaires asiatiques).

Cet état de fait engendra des débats nouveaux sur les méthodes d’évangélisation, sur la liturgie et sur le vocabulaire religieux. A ce titre, on retrouve aujourd’hui au Cambodge les positions les plus variées parmi les missionnaires, allant de tentations syncrétistes au questionnement sur la nécessité d’inculturer le message chrétien. Les questions souvent posées sont celles-ci: inculturer, n’est-ce pas dénaturer? Peut-on évangéliser sans connaître le cœur de l’autre, sa culture, son histoire? L’Église du Cambodge peut-elle se couper de l’Église universelle? Dans l’instruction des catéchumènes, faut-il mettre l’accent sur la rupture (nouveauté chrétienne) ou la continuité (semences du Verbe)?

L’émergence de penseurs catholiques cambodgiens aidera à dépasser ces dilemmes. Car eux seuls connaîtront en profondeur là où se trouvent les leviers qui permettent à un cœur cambodgien de s’ouvrir au mystère pour devenir pleinement cambodgien et catholique.

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Vincent Sénéchal s’est découvert en 1996 une vocation de missionnaire au cours d’un stage de volontaire au Cambodge. Pour répondre à cet appel, il entre dans la société des «Missions Etrangères de Paris (MEP) qui depuis le XVIème siècle est présente dans le Sud-Est asiatique. Le P. Sénéchal a passé plusieurs années au Cambodge, pays où il réside encore.

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