Vocation – Revue Sources https://www.revue-sources.org Tue, 03 Jan 2017 12:37:14 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Dominique Louis (1921–2004) https://www.revue-sources.org/dominique-louis-1921-2004-a-dominicain-ordinaire-trajectoire-extraordinaire/ https://www.revue-sources.org/dominique-louis-1921-2004-a-dominicain-ordinaire-trajectoire-extraordinaire/#respond Fri, 01 Jan 2016 08:47:01 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=420 [print-me]

Le frère Guy Musy brosse à grands traits le portrait d’un Dominicain romand, aujourd’hui décédé. Parmi tant d’autres frères qui auraient mérité d’être évoqués dans ce dossier, il a choisi de présenter Dominique Louis (1921–2004). Ni une oraison funèbre, ni une page hagiographique. Mais un devoir de mémoire. Nous avons de qui tenir.

Né à Genève au début des années vingt du siècle dernier, Michel Louis tient le troisième rang dans une fratrie de six enfants confiés à une mère esseulée. Collégien dans une bonne institution catholique, il rencontre un prédicateur dominicain et contracte le virus des Prêcheurs. Il entre au noviciat après avoir fêté ses vingt ans. Et Michel devint Dominique! Voilà l’ordinaire. De ce temps-là du moins, qui doit paraître bien étrange aux jeunes Dominicains d’aujourd’hui.

L’homme «pratique»

Moins ordinaire fut le noviciat sous les bombes à Chieri, dans le Piémont, suivi d’années d’études à l’Angélique au sortir de la guerre, dans une Rome affamée. Dominique vieillissant prenait plaisir à évoquer ses années de disette autour de notre plantureuse table conventuelle.

Puis, le voici à Fribourg, assigné à St-Hyacinthe, le «couvent des vertueux», ainsi désigné par les dames de qualité de la petite cité, voulant distinguer ce lieu d’un autre établissement dominicain de la place, sans doute plus prestigieux à leurs yeux.

On disait qu’il mettait en émoi les demoiselles venues prier le soir à Complies.

J’entrais au noviciat quand je fis la découverte de Dominique. Je n’oublierai jamais la scène. Les bras nus, son froc relevé jusqu’aux hanches, il sortait en sueur d’une buanderie chauffée comme une étuve, tel Vulcain au sortir de sa forge. C’était sa participation à la bonne tenue de ses frères qui auraient été déshonorés de déambuler sur les trottoirs du boulevard voisin avec un scapulaire qui n’eut pas été immaculé. Tout au cours de sa vie, Dominique, qui aimait se dire «pratique», affectionna de rendre ce genre de services, avec une petite pointe de superbe à l’endroit de ses frères intellos dont il vantait par ailleurs les promotions et les publications.

Mais que faisait donc dans ce couvent de vertueux ce jeune beau, au regard ténébreux? On disait qu’il mettait en émoi les demoiselles venues prier le soir à Complies. Puis qu’on ne proposait à ce «pratique» aucune carrière doctorale, il entra tout de même à l’université en empruntant les allées, les clubs, les stamm et parfois la chapelle. Une mission d’aumônier d’étudiants lui convenait à merveille. De préférence auprès des Bellettriens qui affichaient leur non-conformisme dans ce milieu clérical à l’excès. Notre Genevois y retrouvait son monde, un peu gouailleur, râleur, mais – c’est certain – attachant et même bon enfant.

Un jour, l’Afrique…

Sans qu’il ne s’y attende, un coup de tonnerre dans un ciel serein rompit le rythme de sa vie. Son provincial l’accoste dans un couloir – c’était sa manière d’exercer son autorité – et lui communique sa décision. Dominique devenait le responsable d’une petite équipe de missionnaires en partance pour le Congo, encore belge ces années-là. Bonsoir Fribourg, bonjour Bukavu! Ou plutôt, bienvenue à Kadutu, un bidonville proche de ce qui était alors la perle du Kivu.

Avec trois ou quatre frères, notre missionnaire improvisé plante sa tente dans une zone «indigène», comme on disait alors, bouleversant les réflexes et habitudes des vieilles et longues barbes missionnaires qui l’avaient précédé et à qui il ne serait jamais venu à l’esprit de s’installer dans un tel décor. Dominique vécut à Kadutu les prémisses douloureuses de ce qu’on allait appeler l’indépendance, puis les désordres sanglants qui suivirent, les dictateurs ubuesques, les mercenaires à peau blanche et, pour finir, l’impérieuse nécessité de se replier au Rwanda, abandonnant tout espoir de planter l’Ordre dans ce coin de terre chéri par les colons comme un morceau de paradis.

Dominique, élu provincial, doit regagner son pays.

De cette expérience, des monceaux de lettres, de photos, d’articles dorment dans des cartons poussiéreux, témoins muets d’une aventure exceptionnelle. En dépit des troubles ou à cause d’eux, l’homme «pratique» eut l’occasion de dépenser son énergie inventive. Disons aussi qu’il fut secondé par un tempérament jovial, avenant et optimiste qui lui concilia d’emblée ces Congolais qu’il voulait aimer autant que convertir.

Ce séjour africain aurait pu se conclure par un morne et banal rapatriement diplomatique et fermer ainsi une parenthèse ouverte imprudemment. C’était mal connaître Dominique qui offrit sur le champ ses services aux Dominicains canadiens qui œuvraient à la fondation de la nouvelle université nationale du Rwanda, à Butare, bourgade rwandaise proche du Kivu. Il s’y engagea comme s’il avait initié lui-même ce chantier. Rwandais avec les Rwandais, de même qu’il avait été Congolais avec les Congolais. Une nouvelle aventure africaine à laquelle il ne posa pas plus de limites qu’il n’en avait fixées à son précédent séjour au Kivu.

Provincial des années difficiles

1969, nouveau coup de gond, frappé cette fois-ci par ses frères suisses réunis démocratiquement en chapitre. Dominique, élu provincial, doit regagner son pays. Il assumera cette tâche pendant dix ans, fort de la confiance de ses frères. Ce fut pourtant une période difficile qui vit l’exode de plusieurs et réduisit à néant des projets ambitieux conçus au cours des années où les vaches étaient encore grasses. Avec beaucoup de doigté et de bonté, Dominique facilita la route des partants, tout en rassurant ceux qui avaient choisi de persévérer. Ce provincialat lui valut en haut lieu un certificat de bonne conduite, puisque le Maître de l’Ordre l’appela à Rome pour l’assister dans le gouvernement des provinces francophones.

Ce provincialat lui valut en haut lieu un certificat de bonne conduite.

Alors que d’autres auraient estimé cette nomination comme le couronnement de leur carrière dominicaine ou un tremplin pour conquérir un jour le pouvoir suprême, Dominique resta en deçà de ces ambitions. Je ne pense pas en effet que son étape romaine fut pour lui très gratifiante. Dominique était un homme de terrain et non d’administration. Je ne pense pas qu’il possédât toute la finesse voulue pour distinguer les nuances de toutes les crèmes à la glace canadiennes, pas plus que les subtiles sensibilités affichées par un Dominicain de Lyon, de Paris ou de Toulouse. Tout au plus, il fut ravi de servir d’économe de notre couvent patriarcal de Ste-Sabine. Fonction qui lui permit une fois de plus de mettre en valeur ses aptitudes «pratiques» et son entregent quand il accueillait les visiteurs de ce patrimoine dominicain.

Retraite féconde et douloureuse

Dominique ne s’attarde pas à Rome. Devenu par la force de l’âge «retraité fédéral», son provincial l’assigne au couvent de sa ville natale. Il l’avait quittée pour entrer au noviciat. Et le voilà nommé curé «intérimaire» de la paroisse St-Paul de Genève, en attendant le jour où elle serait remise au clergé séculier. Pour assurer cette sortie de jeu, on lui adjoignit un vicaire encore plus âgé, le frère Jean de la Croix Kaelin. Si on espérait un départ et une transition en douceur, il ne fallait pas compter sur cette paire de retraités. Au contraire, la paroisse reprit feu et vie et on parla de moins en moins de retrait dominicain. Le jeune (?) curé se lança dans une vaste opération de restauration de l’église et des locaux attenants. Il ne lâcha prise qu’en 1991, sous la pression et l’emprise d’un mal inopiné. Il avait alors atteint ses soixante-dix ans!

Et le voilà nommé curé «intérimaire» de la paroisse St-Paul de Genève.

Treize années le séparaient de sa mort. Treize années qui ne furent qu’un long chemin de croix. C’était pitié de voir ce chêne perdre peu à peu de sa vigueur, mais aussi de sa bonne humeur. Au terme de multiples séjours à l’hôpital, il accepta résigné de prendre le pénible chemin de non retour vers un établissement médico-social. Non loin de son couvent, mais séparé de ses frères, vers qui, littéralement, il se traînait chaque dimanche pour partager leur repas. Au surlendemain d’une de ces visites, en novembre 2004, Dominique rendit son âme à Dieu. Son prieur ramena au couvent sa Bible, la croix qui dominait son lit et un ou deux polars. C’était là tous les biens qu’il nous léguait.

Attention au réel

Pourquoi évoquer le frère Dominique Louis? Non pas, on le sait déjà, pour prononcer une nouvelle fois son oraison funèbre. Ni pour ajouter une pièce à son procès de béatification. Comme chacun de nous, ce frère souffrait des défauts de ses qualités. Son itinéraire dominicain toutefois est typique de ce que l’Ordre et l’Eglise attendent de nous, même après huit cents ans. Quelles que soient les trajectoires précises, souvent imprévues, que nous empruntons, elles doivent répondre aux appels évangéliques du moment. Ceux-ci doivent prévaloir sur toutes nos ambitions carriéristes ou personnelles. Une attention, une fidélité et une obéissance au réel, finalement. Comme l’avait admirablement initié il y a huit siècles un autre Dominique, celui dont un aubergiste cathare occitan, rencontré au hasard d’un voyage, avait bouleversé le cours de sa vie.

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Jeunes Dominicains en chemin https://www.revue-sources.org/jeunes-dominicains-en-chemin/ https://www.revue-sources.org/jeunes-dominicains-en-chemin/#respond Fri, 01 Jan 2016 07:59:59 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=407 [print-me]

Le couvent St-Hyacinthe à Fribourg accueille au cours de l’année universitaire 20152016 huit frères en formation. Ils suivent les cours de la Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg. A une exception près, tous ont accompli un premier parcours d’études supérieures: architecture, sociologie, lettres, marketing, sciences… Cinq d’entre eux seront ordonnés diacres au terme de cette année d’étude. SOURCES leur a proposé d’exprimer très librement la façon dont ils vivent cette année «fribourgeoise». Un parcours de formation qui dépasse largement les frontières académiques.

Fr. Charles Desjobert – Qui cherchez-vous?

Nos études nous maintiennent dans une dynamique de recherche qui est le propre de notre foi. Où que nous en soyons dans notre vie religieuse, elles nous rappellent que s’il nous arrive d’enseigner, nous ne sommes pas maîtres, et que la parole que nous portons vient de plus loin. Quand certains matins en partant pour l’Uni’ nous nous demandons «que cherchons-nous?», le Seigneur nous répond: «Qui cherchez-vous?» (Jn 18,4).

Fr. Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond – Comme une marche en montagne

Ce serait comme une marche en montagne, la pente plus ou moins douce, plus ou moins ardue, tantôt l’herbe verte et grasse, parfois la terre nue, la roche affleure, et, au versant nord, glace et neige qui persistent. Et on serait pareils aux pins qui s’accrochent et s’égrènent aux flancs de la montagne et sur ses crêtes, pèlerins de la hauteur, mendiants de la beauté.

On est parti, tôt ou tard, avec allant, il y a trois ans: les sentiers sont balisés. Un jour, on tracera peut-être sa propre piste. Aujourd’hui, des guides nous orientent et nous apprennent comme on enseigne une langue, les syntaxes de la marche. Peu à peu, le pas s’affermit et les yeux s’éclairent, on prend ses repères, on a moins peur de dévisser, et, en tel ou tel lieu, on dresse une croix, en mémorial. 

Bien sûr, il y a la fatigue, et parfois le découragement ou le vertige face à l’immensité qui se découvre et les choix qu’il faut faire. On vient de prendre la route et déjà il faut choisir: ce sera ce massif et non celui-là, pas moins beau ni moins difficile pourtant; ce sera ce chemin, et non celui-ci et on devine de quelles merveilles on se prive, bien qu’on se doute de celles qui nous sont préparées.

Il faut marcher léger, sans doute: mais, on n’a pas pour autant quitté la vallée, ni les hommes de notre temps, leurs joies, leurs espoirs, leurs tristesses, leurs angoisses… tout ce qui peuple l’intelligence et le cœur et oriente aussi les inquiétudes de la marche.

Fr. Emmanuel Dumont – Confession!

Le lundi soir, guidés par un frère, nous faisons une petite promenade. Ce n’est pas une pénitence, et je le confesse, cela me fait de l’effet. Nous sortons parfois du droit chemin, mais c’est pour mieux le retrouver. Nous récoltons bien souvent de bons fruits, mais rarement sur les pêchers. Nous admirons les formes et les matières. Nous observons les choses et les signes. Les accidents du chemin ne nous empêchent pas d’aller à l’essentiel, car, comme tout bon marcheur, nous avons des instruments efficaces qui nous apportent satisfaction. Pardon, je suis contrit, j’ai oublié de vous donner l’objet de la sortie: nous parlons du sacrement de réconciliation.

 Fr. Jacques-Benoît Rauscher – Le compte est bon!

Le compte est bon! Une tentation dans le domaine des études serait pour moi de me laisser aller à une logique purement quantitative: dénombrer les années qui restent encore à suivre pour obtenir tel diplôme, me désoler du temps déjà passé sur le banc d’écoles, avoir les yeux fixés sur le nombre de pages d’un devoir (en jouant au besoin sur la taille de l’interligne ou de la police). Tout cela ressemble un peu au péché de David qui passait en revue son armée (2 Sam 24) et peut faire oublier l’objectif des études de théologie pour un Dominicain: connaître et contempler le Seigneur pour l’annoncer. Car pour les études, comme pour le reste de la vie religieuse, c’est Dieu seul qui compte (dans tous les sens du terme!).

Fr. Pierre-André Mauduit – Gros point d’interrogation

«Le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser sa tête» est peut-être le verset de l’évangile (Mt 8,20) qui accompagne le mieux mes débuts à la faculté de théologie de Fribourg. Venu à Fribourg avec un projet d’études précis, je suis aujourd’hui à la fois réjoui par la diversité des cours proposés et en même temps déçu que leur contenu ne corresponde pas totalement à mes attentes. Je dois donc prendre une direction qui m’oblige à un réajustement. Mais la vie dominicaine n’est-elle pas justement ce perpétuel ajustement aux situations rencontrées, et qui laisse la première place à l’inattendu? Et c’est souvent, je l’ai remarqué, dans cet imprévisible que le Christ vient me chercher et me dit «Suis-moi». Si je devais résumer mes premières semaines à l’université, je dessinerai un grand point d’interrogation. Si je trouve tous les cours plus ou moins intéressants, je ne suis (pas encore) passionné par ce que je fais. Je cherche encore le sens à donner à mes études. Ce que j’apprécie énormément, en revanche, et que je trouve très formateur pour un frère étudiant dominicain, c’est de pouvoir expérimenter la catholicité de l’Ordre. Vivre dans une communauté internationale comme celle de St-Hyacinthe et vivre les rencontres culturelles tous les jours à la faculté est pour moi source d’une grande richesse et d’une grande joie.

Fr. Marko Dokoza – Cultures proches et lointaines

Être frère étudiant à Fribourg est pour moi une expérience nouvelle. Suivre des cours et étudier dans une langue étrangère m’a fait peur au début. Mais dès le début des cours, la peur m’a progressivement quitté et, maintenant, je suis vraiment heureux d’être à Fribourg. La richesse des études à Fribourg n’est pas seulement liée aux cours, mais aussi aux personnes qui étudient avec moi. J’ai la possibilité de rencontrer des gens de différentes nationalités, langue et intérêts. J’ai aussi la chance de faire partie d’une communauté internationale et, de jour en jour, de connaître toujours mieux des cultures qui sont pour moi en même temps proches et lointaines.

Fr. Olivier Catel – L’université: un champ de mission

Après plusieurs années marquées par de passionnants apostolats (visiteur de prison, aumônier scout…), je suis arrivé à Fribourg sachant qu’il y aurait sans doute là un deuil à faire. Mais, me souvenant d’une discussion avec un frère étudiant de Blackfriars Hall à Oxford, j’ai vite compris que ma mission première, outre celle d’étudier, serait de témoigner avec mes frères de notre vie dominicaine, faite d’étude et de prière, de silence et de prédication. L’université devient alors un lieu de mission, un lieu où la Parole est annoncée non seulement par les enseignants, bien souvent dominicains, mais aussi dans la communauté d’étude que nous formons. L’attachement de beaucoup d’étudiants à cette «faculté dominicaine», comme ils le disent parfois, tient sans aucun doute à l’originalité de notre vie faite de contemplation et de mission. Elle trouve une expression singulière dans cette université confiée à l’Ordre depuis plus d’un siècle. 

Fr. Pierre De Marolles – Une chance

«Ce que nous avons contemplé… nous vous l’annonçons… afin que notre joie soit parfaite» (1 Jn 1, 1-4). Au début de ma cinquième année à Fribourg comme frère étudiant, je suis toujours aussi émerveillé de la chance que j’ai. La douceur de la fraternité vécue au couvent St-Hyacinthe porte admirablement cette quête commune de la vérité qui se découvre et s’éprouve au fond des bibliothèques comme dans la chaleur d’un débat au réfectoire. L’arrivée de nouveaux frères étudiants est d’ailleurs toujours l’occasion de poser, à travers eux, un regard neuf sur cette chance qui est la nôtre. Chance d’autant plus grande que ce temps des études offert aux apprentis prêcheurs que nous sommes ne saurait se transformer en un cocon coupé du monde. En effet, le confort de notre situation est sans cesse inquiété par ce feu contagieux qui consume mes confrères passionnés: annoncer le Christ aujourd’hui pour le salut de tous les hommes! Quels projets, quelles méthodes, quels médias, quels moments seront les plus propices à évangéliser nos contemporains? 

Comment ne pas être entrainé moi aussi dans cette course de l’Evangile? Se contenter de partager à ceux qui le demandent la Parole reçue de Dieu au creux de notre humanité ne suffit pas: ils sont une foule immense à l’attendre sans savoir demander! Alors je me laisse consumer (bien que le bois soit encore un peu vert), et j’essaie moi aussi, au détour d’un enseignement, d’une retraite, d’un témoignage d’allumer cet incendie du Christ. 

Et c’est dans ces moments de prédications que tout ce qui a été découvert dans les études, tout ce qui a été éprouvé au feu des contradictions, tout ce qui a été murmuré dans la prière, ressurgit comme débordant d’un chaudron bouillonnant! Le chercheur de vérité et le prédicateur du salut sont bien la même personne. La frontière entre les deux est bien mince, elle tient à l’inclinaison de la tête: penchée vers le livre ou levée vers l’assemblée. 

Comment le prêcheur pourrait-il ne pas transmettre aux autres ce qu’il a contemplé?

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Engagé ou compromis? https://www.revue-sources.org/engage-ou-compromis/ https://www.revue-sources.org/engage-ou-compromis/#respond Thu, 01 Jan 2015 17:46:00 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=696 [print-me]

Au monde des curiosités linguistiques, je me suis souvent étonné du sens du mot espagnol «compromiso» que l’on traduit en français par «engagement» et non pas par «compromis», qui serait plus logique, compte tenu de la proximité phonétique des deux expressions. Mais cette traduction paresseuse aurait généré un sérieux contresens.

Et pourtant… Il y a tellement d’engagements qui prennent la forme d’un compromis. Ceux qui ont été longuement négociés, assortis de conditions dirimantes, comme si la crainte de signer un chèque en blanc ou parapher un contrat sans qu’il ne soit relu jusqu’à sa dernière ligne nous prenait à la gorge ou aux entrailles. En général, les humains refusent de sauter sans filet. Comme au cirque, du reste!

Dans la dernière livraison de «Sources», un lecteur semblait affirmer que la restriction mentale n’était pas rare lors de l’échange de ce fameux «oui pour la vie » proclamé sous les voûtes d’une église ou les lambris d’une mairie. On pourrait peut-être en dire autant des diverses formes d’engagement religieux, si les acteurs acceptaient de s’exprimer en toute franchise et liberté.

On veut bien promettre d’aller jusqu’au bout de la route, mais à condition de pouvoir rebrousser chemin en cas de force majeure.

Mais alors, que resterait-il de l’authenticité d’un serment juré? Un mariage, on le sait, est déclaré nul s’il a été contracté sous condition et Jésus n’accepte pas à sa suite un disciple qui négocie préalablement sa disponibilité. Conflit entre idéal et réalisme. Entre absolu et compromis. On veut bien promettre d’aller jusqu’au bout de la route, mais à condition de pouvoir rebrousser chemin en cas de force majeure.

L’expression «compromiso» pourrait aussi évoquer un autre faux frère francophone du mot castillan: la «compromission», une attitude voisine de l’«engagement ». Se compromettre c’est entrer malgré tout et même à son corps défendant dans un processus tenu d’abord à l’écart de ses perspectives. Un demi engagement en quelque sorte. Une velléité, plutôt qu’une décision vraiment volontaire. J’ai l’humilité de penser que la plupart de nos engagements pompeux et solennels se situent en fait à ce modeste niveau. Nous entrons peu à peu, sans bruit excessif, dans une logique du don de soi, dont nous mesurons progressivement l’exigence, mais aussi la joie. Il nous arrive ainsi de faire un jour le saut périlleux que nous redoutons aujourd’hui.

J’en donne deux illustrations. La première inspirée par le quatrième évangile. Quand Jésus avertit ses disciples qu’il va partir en Judée pour réveiller de la mort son ami Lazare, Thomas, d’abord horrifié par la perspective de ce voyage suicidaire, finit par se rendre et s’écrie: «Allons nous aussi et nous mourrons avec lui!». J’emprunte la seconde image aux Carmélites de Compiègne dont Bernanos a narré le martyre. La plus jeune fut aussi la dernière à monter à l’échafaud. De longs jours d’atermoiements, de peurs et de fuite précédèrent son sacrifice. Et cela, malgré ses vœux prononcés un jour d’euphorie.

Il faut du temps et beaucoup d’amour pour qu’un «oui» déclaré puisse éclore en force et en lumière. Il en faut tout autant pour qu’un compromis négocié devienne un inconditionnel engagement.

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Un engagement peut en nourrir un autre! https://www.revue-sources.org/un-engagement-peut-en-nourrir-un-autre/ https://www.revue-sources.org/un-engagement-peut-en-nourrir-un-autre/#respond Thu, 01 Jan 2015 14:24:58 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=225 [print-me]

Je suis à quelques semaines de ma retraite civile et le hasard d’un dossier de « Sources » sur l’engagement m’invite à m’arrêter quelques instants pour décoder une aventure professionnelle vécue au cœur de ma vocation religieuse.

Dominicain à 49 ans!

Tout d’abord quelques éléments pour contextualiser mon propos. J’entre dans la vie religieuse dominicaine à 49 ans, abandonnant une activité professionnelle dans le monde de la santé. Je démissionne donc. Après une année de noviciat, mon ancien employeur [1. L’Institut et Haute Ecole de la santé La Source (Lausanne)] qui était venu assister à ma prise d’habit me demande si je ne veux pas reprendre mon activité professionnelle avec un pourcentage adapté et compatible avec des études de théologie que je devais entreprendre à l’université de Fribourg.

La question était audacieuse et la réponse ne dépendait plus de moi. Le Provincial [2. Nom que l’on donne pour désigner le supérieur d’une province dominicaine.] fut favorable et en perçut probablement les bénéfices à moyen et long terme.

Je m’attendais à « devoir tout quitter » et me voilà à nouveau « réengagé » dans une activité civile.

Je venais de m’engager dans la vie religieuse pour trois ans avant mes vœux définitifs. Je m’attendais à « devoir tout quitter » et me voilà à nouveau « réengagé » dans une activité civile, celle que j’avais laissée un an plus tôt. L’enjeu était important et risqué car il mettait en articulation plusieurs dimensions: l’apprentissage de la vie religieuse avec une formation exigeante, la responsabilité d’un réengagement professionnel et l’équilibre d’une posture nouvelle en rapport à un passé connu de mes collègues de travail.

Cet équilibre a bien fonctionné jusqu’à la fin de mes études tout en reconnaissant quelques tensions. La décision fut donc prise à mon ordination sacerdotale de maintenir cette activité professionnelle intégrée à mon apostolat général, sans être néanmoins un temps plein. Ce point était déterminant pour assurer l’équilibre entre mes deux « vies ». Il fallait par ailleurs répondre à des besoins précis de la communauté de Genève dans laquelle j’allais être assigné.

Pastorale d’enfouissement

Je réalise aujourd’hui que l’articulation vie religieuse et vie professionnelle doit s’inscrire dès l’origine dans l’essence même d’une vie engagée totalement au service de l’Evangile et de l’Eglise. La dimension professionnelle devient alors un lieu catalyseur, une facette de cet engagement fondamental. Ce qui n’est pas toujours facile à faire comprendre à ses « pairs ». Ne serait-ce déjà qu’à cause d’un environnement si différent.

Par ailleurs, cet apostolat peut apparaître sans protection et présenter toutes les aspérités d’une existence séculière: carrière, évaluation, compétition, production, rentabilité. Des questions peuvent se poser et rendre l’équilibre fragile, mais elles peuvent aussi nourrir et creuser une vocation.

En fait, j’engageais bien plus que moi-même.

J’ai toujours fait le choix de me situer dans mon activité [3. Celle d’enseignant et de chercheur dans le domaine des sciences infirmières, de la bioéthique et de la philosophie des sciences (HES-SO et Université).] uniquement comme professionnel, en indiquant cependant à l’occasion de mes interventions ou rencontres mon identité de prêtre dominicain. C’est dans cette configuration parfois surprenante que se vit une pastorale indirecte ou « d’enfouissement » faite pour une bonne part d’éléments que la vie professionnelle très souvent évacue ou minimise: une certaine écoute et attention à l’autre, la disponibilité pour aborder des questions essentielles, un regard d’espérance, la confiance dans une vie plus forte que la mort…

Dans ce parcours, il y eut aussi des moments de visibilité religieuse, tels la demande d’un baptême pour l’enfant d’une collègue, les funérailles d’une autre collègue qui m’avait demandé de l’accompagner dans ses derniers moments, une célébration pour une étudiante tragiquement décédée…

Travailler dans une institution laïque, fortement marquée par un passé « religieux » [4. L’Ecole La Source, première école « laïque » au monde de soins infirmiers, fondée en 1859, appelée néanmoins Ecole normale évangélique de gardes-malades est depuis 2002 la Haute Ecole de la santé La Source.], sans en être l’aumônier, vivant un sacerdoce qui ne « se dit pas », voilà une belle alchimie qui m’a aidé, entre autres, à comprendre l’importance des mots et du langage qu’il faut souvent interpréter.

Et pourtant pas schizophrène!

Au moment où je quitte mon statut civil, je prends conscience de la densité de ce qui a été engagé. Je ne m’en suis pas toujours rendu compte. Me vient à l’esprit l’expression « mis en gage ». Car dans le mot engagement, il y a une notion de contrat, de promesse, de respect mutuel, de garantie, de caution. J’ai l’impression que ce que je mettais « en gage » du fait de mon identité de prêtre était quelque chose de ma personne dans son unité profonde.

En fait, j’engageais bien plus que moi-même. Cette conviction m’a toujours accompagné sans pour autant me peser. Très souvent mes collègues de travail m’ont demandé comment je conciliais certaines questions bioéthiques ou philosophiques qui faisaient partie de mon programme d’enseignement avec mon choix religieux. Ces questions me renvoient aujourd’hui à celle de l’unité de cet engagement. Je ne me suis jamais senti schizophrène fonctionnant dans des catégories d’existences séparées, affirmer d’un côté ce que je devais nier de l’autre.

Un chemin à parcourir bien plus qu’un but déjà atteint.

Je réalise aujourd’hui qu’un équilibre enrichissant peut s’établir en de telles situations du moment que l’on est enraciné dans une liberté profonde et ouverte trouvée dans l’Evangile. Si j’essaie de mettre des mots et un cadre théologique à cette expérience de vie qui a duré près de dix-huit ans, je les emprunterai à Xavier Thévenot [5. Salésien de don Bosco, il a été un des grands théologiens moralistes contemporains, décédé en 2004.]. Comme lui, je suis de plus en plus convaincu que: « …tout ce qui se commande au nom du Dieu de Jésus-Christ doit pouvoir se justifier du point de vue de la vérité de l’homme, et tout ce qui est prescrit par la raison droite doit pouvoir montrer sa cohérence avec la vérité de la foi chrétienne« [6. Xavier Thévenot, Compter sur Dieu. Etudes de théologie morale, Ed. Cerf. Paris, p.15].

S’engager dans une activité professionnelle tout en ayant engagé pleinement et totalement sa vie par des vœux religieux révèle à celui qui en fait l’expérience le caractère exigeant mais profondément évangélique de ce choix. Un chemin à parcourir bien plus qu’un but déjà atteint.

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Michel FontaineLe frère Michel Fontaine, prieur de la communauté dominicaine de Genève, a quitté ses activités professionnelles à Lausanne et Strasbourg. Formé en soins infirmiers, en sciences sociales et en éthique, son apostolat principal demeure la formation et l’accompagnement en lien avec la pastorale de la santé à Genève et l’Université de Fribourg. Il est aussi membre de l’équipe rédactionnelle de « Sources ».

 

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