Jeunes: avenir de l’Eglise? – Revue Sources https://www.revue-sources.org Wed, 10 May 2017 07:49:06 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.1 Des jeunes parlent aux jeunes! https://www.revue-sources.org/jeunes-parlent-aux-jeunes/ https://www.revue-sources.org/jeunes-parlent-aux-jeunes/#comments Tue, 09 May 2017 16:47:00 +0000 https://revue-sources.cath.ch/?p=2294 Un dossier sur les jeunes! Une nouvelle fois, des vieux vont parler des jeunes ou sur les jeunes! Exercice de style aussi stérile qu’inapproprié. Notre revue tomberait-elle, elle aussi, dans ce panneau? Ajouterait-t-elle son refrain à une rengaine ridicule qui s’en prend à une génération fictive, faute de pouvoir la rencontrer? Serions-nous, une fois de plus, restés «sur le balcon», contemplant de haut le cortège, plutôt que descendre dans la rue et nous associer au défilé? Malgré le risque d’une telle entreprise, notre rédaction s’est jetée à l’eau et paraît avoir submergé.

Ce dossier fera rêver les aînés et mobilisera les plus «jeunes».

Nous devons ce «miracle» au fait que dans ce dossier ce sont des jeunes qui parlent aux jeunes. Nous les avons sollicités, pas trop éloignés de nous. Un «jeune» journaliste interroge sociologues et théologiens pour retrouver la trace des croyants de son âge qui ont déserté les bancs des églises ou, pour dire vrai, ne s’y sont jamais assis. Il aimerait savoir si quelques chances subsistent de les voir un jour prier dans ces lieux méconnus ou oubliés. Une «jeune» éditrice rédige un florilège de citations du pape François, admonestant, exhortant ou admirant les milliers de jeunes rencontrés au cours de ses voyages aux quatre coins du monde. Paroles fortes d’un pasteur qui ne cherche pas à récupérer pour son bercail personnel les brebis perdues ou inconnues, mais préfère les voir généreuses et heureuses là où Dieu les a plantées. Et pour que ces paroles ne soient pas du pipeau, nous avons voulu faire connaître l’expérience humanitaire d’une «jeune» chrétienne, volontaire infiltrée dans un camp d’immigrés, quelque part en Grèce, face à une Europe verrouillée.

Notre revue porte le sigle dominicain, nous avons donc voulu donner aussi la parole à nos cadets – car nous en avons! – enflammés du désir de communiquer à leurs «jeunes» contemporains ce qu’ils ont dans la tête et portent dans le cœur. Ils cherchent la meilleure façon de le dire et de se faire entendre et comprendre. Ne vous étonnez pas s’ils pratiquent à cet effet le langage électronique, le seul qui soit adapté et universel pour toucher et séduire les générations nouvelles.

Alors, quel que soit votre âge, bonne lecture! Ce dossier fera rêver les aînés et mobilisera les plus «jeunes». Il pourrait aussi mettre un terme à la résignation et à la désespérance. «Un monde ancien s’en est allé: un nouveau monde est déjà né!»


Frère Guy Musy, dominicain, rédacteur responsable de la revue «Sources».

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Synode sur les jeunes et les vocations: une réflexion inutile? https://www.revue-sources.org/synode-jeunes-vocations-reflexion-inutile/ https://www.revue-sources.org/synode-jeunes-vocations-reflexion-inutile/#comments Tue, 09 May 2017 16:39:21 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2288 Après les familles, les jeunes. A travers son prochain synode, l’Eglise catholique a décidé de « s’interroger sur la façon d’accompagner les jeunes à reconnaître et à accueillir l’appel à l’amour et à la vie en plénitude ». Mais l’heure occidentale est à la déchristianisation, rappelle Jörg Stolz. Le professeur de sociologie des religions de l’Université de Lausanne ne se fait pas d’illusion sur l’effet d’un tel synode, tant le processus de déchristianisation est profond. « Raison de plus pour amorcer une telle réflexion », rétorque l’abbé François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pastorale à Fribourg, qui entend « laisser à Dieu le soin de guider l’histoire ». [print-me]

Dans son petit bureau lausannois avec vue sur le Léman, Jörg Stolz est plongé dans la lecture du document préparatoire pour la XVème Assemblée générale ordinaire des évêques d’octobre 2018. Thème de la réflexion: « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ». Derrière ses lunettes de sociologue, il dissèque avec une attention particulière le premier chapitre: « Les jeunes dans le monde d’aujourd’hui ». Une approche sociologique – ce sont les mots du document – « utile pour aborder le thème du discernement des vocations ». La sociologie a ceci de particulier, lit-on, de « faire voir la profondeur et de donner une base concrète au parcours éthique et spirituel ». Indispensable, donc.

« Apprendre à vivre sans Dieu »

Dans le document préparatoire, la précision du vocabulaire est moins chirurgicale que les mots utilisés par Jörg Stolz et son équipe lors leur grande enquête Religion et spiritualité à l’ère de l’égo (Labor et Fides, 2015). Mais les réalités se recoupent. Le document préparatoire parle « d’un contexte de fluidité et d’incertitude jamais atteint auparavant », « de croissance de l’incertitude », « de sociétés (…) toujours plus multiculturelles et multireligieuses ». Avec ce constat, amer: « l’appartenance confessionnelle et la pratique religieuse deviennent toujours plus les traits d’une minorité où les jeunes ne se situent pas ‘contre’, mais sont en train d’apprendre à vivre ‘sans’ le Dieu présenté par l’Evangile et ‘sans’ l’Eglise ».

Jorg Stolz, Le professeur de sociologie des religions de l’Université de Lausanne (Photo: Pierre Pistoletti)

Jörg Stloz souscrit. « En sociologie, pour comprendre le rapport à la religiosité, nous distinguons les ‘effets d’âge’ des ‘effets de génération’. Empiriquement, les différences de religiosité que l’on constate entre les générations ne sont pas des effets d’âge ». En d’autres termes, lorsqu’ils auront des cheveux blancs, les jeunes d’aujourd’hui ne seront pas plus religieux. « Les choses que l’on a intégrées jeune vont nous accompagner tout au long de notre vie, poursuit le sociologue. Les plus âgés sont plus religieux parce qu’ils ont été socialisés dans des sociétés plus religieuses. Lorsque que cette génération croyante ne sera plus là, toute la société sera moins religieuse ».

Les causes de la rupture sont multiples. Parmi les « moments charnières », Jörg Stolz évoque les années 60, « où de grands changements se sont produits ». Des changements qui se sont progressivement développés, certes, mais qui ont connu un paroxysme dans leur manifestation à cette époque-là. « La croissance économique était importante, explique le professeur. Il était facile de travailler et de gagner de l’argent. Les anciennes valeurs n’étaient plus adaptées », poursuit-il. Une époque pleine de promesses, même dans les Eglises. « Il y avait beaucoup d’enthousiasme dans les milieux religieux. Pensez au Concile. Une nouvelle théologie allait renouveler la foi ». Force est de constater que, cinquante ans plus tard, l’époque marquait plutôt le début d’un affaissement religieux.

L’Eglise et ses concurrents

Un déclin qui s’explique en partie par l’émergence de nouvelles « concurrences », selon Jörg Stolz. « Tant que la vie restait un pur mystère, Dieu s’occupait de tout. Avec Darwin, on commence à comprendre quelque chose de son développement. L’évolution de la médecine atténue le besoin de recourir au divin, tout comme le développement des assurances sociales et de l’Etat providence. D’un point de vue sociologique, les Eglises créent des communautés, donnent du sens, aident en cas de problème. Or, si beaucoup de ces fonctions sont déjà remplies de manière qualitative par la société, les gens ne trouvent plus votre ‘produit’ si intéressant ».

« Les Eglises sont comme des châteaux de cartes qui s’écroulent. » Jorg Stolz

L’utilité de l’Eglise en prend un coup, c’est indéniable. Mais l’Eglise n’est-elle qu’un « produit » utile qui a pour vocation de remplir des fonctions sociales? « Non, soutient François-Xavier Amherdt. Elle répond avant tout à une soif spirituelle. Et cette soif ne va pas disparaître. Elle est même aiguisée par un refus du technologique ou de la croissance économique à tout prix ». Un signe des temps. « On n’a jamais autant parlé de jeûne », sourit-il.

Sécularisation inébranlable? 

Certes, mais de là à adhérer au Christ, il y a encore un pas à faire. Pis encore. Pour Jörg Stolz, la société occidentale tend à s’éloigner toujours davantage du christianisme. « Il y a une majorité de ‘distanciés’ dans nos sociétés. Des gens qui ont hérité d’une certaine croyance chrétienne, qui posent un regard bienveillant sur les Eglises, mais qui n’y sont plus impliqués », explique-t-il. C’est une génération de transition vers ce que le sociologue appelle les ‘séculiers’. Eux, n’auront plus aucun lien avec l’Eglise. « En ce qui concerne la sécularisation de l’Occident, les chiffres sont difficiles à contredire. Les Eglises sont comme des châteaux de cartes qui s’écroulent. D’un point de vue mondial, certes, le nombre d’athées diminue. Les décennies à venir verront même une croissance du religieux, en particulier de l’islam. C’est un effet démographique lié aux pays moins industrialisés et encore très religieux ». Mais cela ne semble pas faire l’ombre d’un doute, pour Jörg Stolz: « Si ces pays se modernisent, ils vont également se séculariser ».

Rien n’enrayerait donc le mouvement. Pas même une catastrophe? « Je ne suis pas sûr. L’Europe du XXe siècle a connu deux immenses traumatismes. Elle n’est pas devenue plus religieuse pour autant. Un facteur de changement pourrait venir de la migration, si le nombre de nouveaux venus était suffisant pour imposer leur religiosité. Ou peut-être qu’un nouveau Karl Barth ou un nouveau Karl Rahner pourraient changer quelque chose. Mais je n’en suis pas sûr. Les changements sont tellement profonds, ça ne me semble pas vraiment possible ».

L’ère de l’égo

« Nous sommes dans l’ère de l’égo, poursuit le sociologue. Les années 60 ont vu l’émergence de l’individu amené à prendre des décisions par lui-même. Certains collègues réfutent ce point de vue en avançant le fait que, malgré tout, les modes ou les normes n’ont pas disparu. Pour ma part, je maintiens ma position. L’individu est au centre et non plus la famille ou la classe. On peut tout choisir, même sa sexualité. Beaucoup de données le montrent. Mais aussi l’évolution des valeurs. Elles suivent les structures sociales. Une récente étude sur l’évolution des annonces de recherches de partenaire est emblématique à ce propos. Avant les années 60, les femmes étaient « discrètes », « modestes », « ponctuelles », voire « obéissantes ». Elles sont devenues « libres », « indépendantes », ou encore « créatives ».

« Il y a à rendre audible l’épaisseur anthropologique de la proposition évangélique ». François-Xavier Amherdt

Et cette individualisation s’étend au religieux, avec deux caractéristiques majeures. « Tout le monde se dit libre de choisir sa foi ou sa non-foi. C’était frappant dans notre étude. La grande majorité des personnes interrogées – même les évangéliques convaincus ou les catholiques intégristes – insistait sur leur adhésion personnelle. ‘C’est ma foi et c’est moi qui l’ai choisie' ». Résultat, l’autorité spirituelle est mise à mal. « En même temps, on assiste à un changement de vocabulaire. La « spiritualité » a remplacé la « religion ». Il est plus ouvert, plus créatif, donc plus proche des valeurs actuelles. Il est aussi très flou, on peut donc y mettre beaucoup de choses à la fois. On va s’intéresser à la fois au bouddhisme zen et aux exercices spirituels de saint Ignace, sans que cela ne pose problème ».

L’individualisme: une chance?

L’individualisme, un défi pour l’Eglise catholique à la veille de son nouveau synode? « Pas seulement », selon François-Xavier Amherdt, à condition d’un renversement nécessaire. « Il s’agit de ne pas envisager l’individualisme simplement comme la source d’un relativisme et d’un délitement social, mais d’y voir la possibilité d’une démarche autonome et libre pour une adhésion plus profonde à la Bonne Nouvelle, assure-t-il. D’ailleurs la pédagogie du Christ est individualiste. Il est universel parce qu’il s’adapte à la manière de faire de chacun. D’où l’importance, dans nos activités pastorales, de l’inculturation ».

François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg (Photo: Pierre Pistoletti)

Dans ce contexte, l’abbé prêche l’accompagnement: « il s’agit moins de montrer la route à suivre que de marcher avec. Notre rôle est d’éclairer les consciences pour que chacun discerne son propre chemin. Etymologiquement, autorité vient de ‘faire grandir’. Elle consiste donc à ne pas vouloir enfermer l’autre dans un moule, mais à servir sa liberté ».

Dans quel but? « Rencontrer le Christ, rétorque du tac-au-tac François-Xavier Amherdt. Et permettre aux gens d’être heureux ». Certes, mais l’adéquation Christ égale bonheur ne va pas sans poser certaines difficultés à l’ère de l’égo. « Je suis mille fois d’accord, concède-t-il. La clé, c’est une conversion quant aux modalités de langage. Il y a à rendre audible l’épaisseur anthropologique de la proposition évangélique ». Le but: « Montrer les pistes que l’Evangile propose pour un quotidien heureux, dans l’Esprit ».

Le paradoxe de l’universel

Les formules ne cachent-elles pas une forme de paradoxe? Comment tenir un véritable individualisme et, dans le même temps, annoncer un bonheur qui, pour tous, s’identifie au Christ? La pastorale vise-t-elle à faire que l’humanité entière reconnaisse le Christ comme l’ultime réponse à sa soif de bonheur? « Pas nécessairement. C’est dans la capacité de cheminer ensemble que nous pouvons tous évoluer. Rien d’unilatéral. Des gens restés à distance du Christ vont nous permettre de mieux suivre le Christ. Voyez le documentaire Demain: c’est une sorte de concrétisation de l’encyclique Laudato Si et l’occasion, pour un chrétien, de redécouvrir la force d’une petite communauté qui ne se referme pas sur elle-même ». Mais alors, est-on tenté de rétorquer, il leur manque bien quelque chose à ces braves gens? François-Xavier Amherdt réfléchit. « Fondamentalement, Matthieu 25 est la réponse. ‘J’avais faim et tu m’as donné à manger’. Et je ne savais pas que je nourrissais le Christ. L’acte de justice, l’acte d’engagement garde toute sa valeur, bien qu’il ne soit pas explicitement au nom du Christ ».

Qu’est-ce que l’annonce de la foi chrétienne peut dès lors apporter? « Le verbe ‘apporter’ est ambigu. Nous pouvons simplement témoigner de ce que nous vivons. Le Christ est mon modèle et il remplit ma vie. Nous plantons quelque chose et nous ne savons pas ce qui en germera ». Et François-Xavier Amherdt de souligner l’importance de la durée. Une sorte de période d’incubation de plusieurs années, en somme, après laquelle les catéchètes d’hier souhaitent une nourriture plus consistante à l’occasion d’un deuil ou d’un mariage, par exemple.

« Dieu a la peau dure »

L’efficacité – ou plutôt la fécondité – de la démarche pastorale interpelle face à la vague de déchristianisation qui modifie profondément les sociétés occidentales. La question s’étend au prochain synode. En définitive, peut-on espérer de cette réflexion un changement de paradigme social? « Je ne suis pas Cassandre », répond François-Xavier Amherdt, en faisant un petit pas de côté pour élargir la réflexion. « Il y a une urgence eschatologique à faire de l’aujourd’hui le moment favorable pour témoigner de notre foi. Qu’est-ce que sera le monde dans 20 ou 30 ans? Je ne sais pas. Le contexte géopolitique est tendu, tout est insaisissable. Je me garderai bien de prédire comment le monde et l’Eglise vont évoluer. A vues humaines, il y a toutes les raisons de penser que les Eglises classiques sont en train de s’écrouler en Occident. Mais je crois que la question de Dieu a la peau dure. Pour moi, ce qui m’incombe, c’est de faire entendre la petite voix de l’Eglise dans le concert du monde sans me faire de fausses illusions. Mais en laissant à Dieu le soin de guider l’histoire ».

Un acte de foi qui rejoint l’espoir dont la jeunesse est porteuse aux yeux de l’Eglise. Citant le message du Concile aux jeunes (8 décembre 1965), le document préparatoire mentionne « ce qui fait la force et le charme des jeunes »: (…) la faculté de se renouveler et de repartir pour de nouvelles conquêtes ». Une capacité qui n’a sans doute jamais été aussi nécessaire.


Membre du comité de rédaction de la Revue Sources, Pierre Pistoletti est journaliste et théologien.

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Les jeunes vus par François https://www.revue-sources.org/jeunes-vus-francois/ https://www.revue-sources.org/jeunes-vus-francois/#respond Tue, 09 May 2017 16:05:02 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2284 Depuis le début de son pontificat, le pape François a eu l’occasion de rencontrer des jeunes et de leur adresser un message à plusieurs reprises. Les Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio en 2013 puis à Cracovie en 2016, mais aussi les JMJ intermédiaires, journées au cours desquelles il leur a adressé un message particulier sur les Béatitudes, les rencontres avec les jeunes de divers pays, l’annonce du synode de 2018 qui leur sera consacré… Ses discours ont tous ce style très direct qui caractérise bien le pape mais qui se voit amplifié lorsqu’il s’adresse aux jeunes, engageant régulièrement un dialogue avec eux. [print-me]

Ces adresses aux jeunes sont traversées par des thématiques récurrentes que le pape défend fermement et que nous nous efforcerons de relever ici. Mais au travers de ces exhortations, il appelle avant tout les jeunes chrétiens à être des acteurs décisifs du monde dans lequel ils vivent, les moteurs d’une transformation évangélique de la société.

Des jeunes à écouter et encourager

François commence par écouter les jeunes avec attention: «J’aime parler avec les jeunes. Et j’aime écouter les jeunes. Ils me mettent toujours en difficulté, parce qu’ils me disent des choses auxquelles je n’ai pas pensé ou auxquelles je n’ai pensé qu’à moitié» (Conférence de presse du vol retour de Cracovie). Oui, les jeunes viennent bousculer leurs aînés, ils viennent les secouer, les réveiller même parfois et c’est vital, c’est cela que François veut signifier. Ces choses auxquelles il n’a pas pensé ou pensé qu’à moitié, il ne cesse d’encourager les jeunes à les dire haut et fort.

« C’est sûr qu’ils feront des stupidités. Mais n’ayons pas peur! »

L’idée du prochain synode se trouve là: se mettre à l’écoute de tout ce que les jeunes ont à dire. «L’Église même désire se mettre à l’écoute de votre voix, de votre sensibilité, de votre foi; voire de vos doutes et de vos critiques. Faites entendre votre cri.» Et c’est même tous les jeunes qui sont appelés à faire entendre leur voix, qu’ils soient croyants ou non: «Le synode est un synode pour tous les jeunes! Les jeunes en sont les protagonistes. “Mais, même les jeunes qui se sont éloignés de l’Église?” Oui! “Même les jeunes – je ne sais pas s’il y en a… peut-être y en aura-t-il – qui se sentent athées!” «Oui! c’est le synode des jeunes, et nous voulons nous écouter. Chaque jeune a quelque chose à dire aux autres, a quelque chose à dire aux adultes, a quelque chose à dire aux prêtres, aux sœurs, aux évêques et au pape. Tous nous avons besoin de vous écouter!» (Veillée avec les jeunes, 8 avril 2017).

François en est persuadé, les jeunes ont beaucoup à apporter au monde: «Aujourd’hui, nous les adultes, nous avons besoin de vous, pour nous enseigner à cohabiter dans la diversité, le dialogue, en partageant la multi-culturalité non pas comme une menace mais comme une opportunité. […] Ayez le courage de nous enseigner qu’il est plus facile de construire des ponts que d’élever des murs!» (Veillée Cracovie). Pour cela, il est essentiel de les laisser parler, de les encourager, puis de les pousser à agir, comme il le disait aux pasteurs et futurs pasteurs, évêques, prêtres, religieux et séminaristes, à Cracovie: «Poussons les jeunes pour qu’ils sortent! C’est sûr qu’ils feront des stupidités. N’ayons pas peur! Les apôtres les ont faites avant nous. Poussons-les à sortir. Pensons avec décision à la pastorale en partant de la périphérie, en partant de ceux qui sont les plus loin, de ceux qui d’habitude ne fréquentent pas la paroisse. Ils sont les invités VIP. Allez les chercher aux carrefours des routes.» (Messe avec les évêques, les prêtres, les religieux et les séminaristes, Rio).

Une soif inextinguible

Il y a une soif spirituelle et le pape François appelle les jeunes à se former, mais cette soif s’incarne aussi dans la recherche d’un monde plus juste. Face aux injustices, il exhorte la jeunesse à ne pas baisser les bras, à ne pas capituler devant la mission qui est la sienne. Il fustige ainsi d’abord à Rio les jeunes qui regardent la vie depuis le «balcon» puis à Cracovie, ceux qui sont empêtrés dans leur confort et devenus des jeunes «divan», ce sont les termes phares des veillées des deux JMJ internationales.

«Ne laissez pas les autres être protagonistes du changement! Vous, vous êtes ceux qui ont l’avenir! Vous… Par vous l’avenir entre dans le monde. Je vous demande aussi d’être protagonistes de ce changement. Continuez à vaincre l’apathie, en donnant une réponse chrétienne aux inquiétudes sociales et politiques, présentes dans diverses parties du monde. Je vous demande d’être constructeurs du monde, de vous mettre au travail pour un monde meilleur. Chers jeunes, s’il vous plaît, ne regardez pas la vie “du balcon”, mettez-vous en elle. Jésus n’est pas resté au balcon, il s’est immergé; ne regardez pas la vie du balcon, immergez-vous en elle comme l’a fait Jésus» (Veillée de prière, Rio).

Cette soif spirituelle s’incarne aussi dans la recherche d’un monde plus juste.

«Dans la vie, il y a une paralysie […] dangereuse et souvent difficile à identifier et qu’il nous coûte beaucoup de reconnaître. J’aime l’appeler la paralysie qui naît lorsque l’on confond le bonheur avec un divan. Oui, croire que pour être heureux, nous avons besoin d’un bon divan. Un divan qui nous aide à nous sentir à l’aise, tranquilles, bien en sécurité. […] Un divan contre toute espèce de douleur et de crainte» (Veillée de prière, Cracovie).

Et il confie cette phrase de Pier Giorgio Frassati, comme un remède à cette léthargie: «Nous ne devons pas vivoter, mais vivre». (Pour la XXIXe JMJ 2014).

Un appel radical

Pour ne pas tomber dans cette tentation de capituler, l’idéal proposé est grand. Les jeunes sont appelés à se mettre radicalement en route pour servir leurs frères. «Aujourd’hui, l’humanité a besoin d’hommes et de femmes, et de manière particulière de jeunes comme vous, qui ne veulent pas vivre leur vie à moitié, des jeunes prêts à consacrer leur vie au service gratuit des frères les plus pauvres et les plus faibles, à l’imitation du Christ qui s’est donné tout entier pour notre salut. Face au mal, à la souffrance, au péché, l’unique réponse possible pour le disciple de Jésus est le don de soi, y compris de sa vie, l’imitation du Christ; c’est l’attitude du service. Si quelqu’un, qui se dit chrétien, ne vit pas pour servir, sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue».

L’appel est exigeant. Il ne s’agit pas moins que du don de sa vie pour le service. Voilà ce que François propose aux cœurs assoiffés des jeunes générations.

Faire du Christ un ami cher

Ce don total, c’est à l’école du Christ que chacun peut l’apprendre. Le Dieu des chrétiens est un Dieu personnel qui s’est fait homme et que l’on peut rencontrer dans la prière et les sacrements. C’est une relation intime avec lui que le croyant peut nouer fidèlement. Ici, François insiste sur la possibilité et même la nécessité pour les jeunes chrétiens de faire de Jésus un ami, un ami cher. À de nombreuses reprises il insiste sur ce point essentiel qui rend la foi véritablement vivante, cette question qui vient toucher le plus profond des cœurs: «Savez-vous parler avec Jésus, le Père, avec l’Esprit Saint, comme on parle avec un ami? Et pas n’importe quel ami, mais votre meilleur et plus fidèle ami?» (xxxe JMJ, 2015).

«C’est bien en lui que la soif d’idéal pourra être assouvie, il n’y a qu’en lui que «se trouve le plein accomplissement de vos rêves de bonté et de bonheur. Lui seul peut satisfaire vos attentes, tant de fois déçues par les fausses promesses du monde» (xxxe JMJ, 2015).

À contre-courant

Là où l’infini habite leur cœur, les jeunes doivent être encouragés à persévérer et à ne pas se conformer à l’idée du monde mais plutôt à bâtir eux-mêmes un monde plus juste, loin des canons de la réussite et du succès qui est en même temps indissociablement un appel au bonheur: «Ayez le courage d’aller à contre-courant. Ayez le courage d’être heureux» (Rencontre avec les volontaires, Rio). Pour cela, il met en garde contre les «liturgies mondaines» et le «maquillage de l’âme» (Messe Cracovie): «Ne vous laissez pas anesthésier l’âme, mais visez l’objectif du bel amour, qui demande aussi le renoncement, et un “non” fort au dopping du succès à tout prix et à la drogue de penser seulement à soi» (Messe Cracovie).

«À vous les jeunes, je confie d’une façon particulière la tâche de remettre la solidarité au centre de la culture humaine. Face aux anciennes et aux nouvelles formes de pauvreté – le chômage, l’émigration, les dépendances en tout genre –, nous avons le devoir d’être attentifs et vigilants, et de vaincre l’indifférence». Dans leur foi, les jeunes peuvent puiser le courage nécessaire pour faire cette terre nouvelle car «la foi est révolutionnaire et moi je demande à chacun de vous aujourd’hui: es-tu prêt, es-tu prête à entrer dans cette onde révolutionnaire de la foi? C’est en y entrant seulement que ta vie aura un sens et sera ainsi féconde!» (Fête d’accueil des jeunes, Rio)

Le pape encourage les jeunes avec empressement à se tourner vers leurs grands-parents ou les personnes âgées

Mais en parallèle de cette exigence lancée aux jeunes, François rappelle régulièrement que leurs aînés doivent aussi leur octroyer une place dans la société qui puisse leur donner la possibilité de mener une vie digne. Le chômage est l’un des principaux soucis pour de nombreux jeunes et le pape rappelle avec force la place qui doit leur être donnée et l’opportunité de faire valoir leurs talents.

Point central de ses discours aux jeunes et donc pilier de la vision de la société qu’il leur propose: dans quasiment chacun de ses messages adressés aux jeunes, le pape les encourage avec empressement à se tourner vers leurs grands-parents ou les personnes âgées qui sont notre mémoire vive: «Nous avons besoin de ce pont, du dialogue entre les grands-parents et les jeunes.» «Écoute les anciens. Fais qu’ils rêvent et que tu prennes toi ces rêves pour aller de l’avant, pour prophétiser et rendre concrète cette prophétie.» Que l’un et l’autre extrême de la société ne soient pas abandonnés par la marche frénétique du monde mais qu’ils prennent justement soin les uns des autres.

Allez. Sans peur. Pour servir.

Lors de la messe de clôture des JMJ de Rio, le pape François a laissé trois injonctions aux jeunes du monde entier, et je crois qu’elles constituent le cœur du message qu’il leur adresse au fil des ans: «Allez, sans peur, pour servir». Les jeunes sont appelés à être des missionnaires de par le monde, des missionnaires aux périphéries de leurs paroisses, des missionnaires vers d’autres jeunes, ils sont appelés à aller à la rencontre, des autres générations, des jeunes de toutes les nations, comme l’illustrent si bien les JMJ. Alors que la tentation du repli sur soi résonne à travers le monde, ils sont appelés à ne pas avoir peur. La peur paralyse, elle empêche, elle réduit, impossible d’être des disciples joyeux du Christ si l’on est emprisonné par la peur. Et enfin: pour servir. Le message de l’Evangile est on ne peut plus actuel, la vie du chrétien véritable est une vie de service et de don de soi, une vie bien différente de ce que les canons de réussite de nos sociétés peuvent présenter. Mais c’est bien dans ce service à contre-courant de l’esprit du temps que les jeunes sont appelés à ancrer solidement leur vie. Et vraiment, quand on lit tous ces textes du pape, on ressent l’urgent besoin d’aller sans peur pour servir car il semblerait bien qu’un monde plus juste soit possible…

Aux centaines de milliers de jeunes rassemblés à Cracovie, François disait: «Le monde nous regarde!» Oui, le monde nous regarde, le monde a besoin de jeunes chrétiens qui témoignent joyeusement, car la joie est témoignage elle aussi, du Christ de manière incarnée et «révolutionnaire»!


Propos recueillis par Marie Larivé, éditrice. 

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« C’était mon devoir d’aller leur montrer que l’Europe ne les avait pas oubliés » https://www.revue-sources.org/cetait-devoir-daller-montrer-leurope-ne-avait-oublies/ https://www.revue-sources.org/cetait-devoir-daller-montrer-leurope-ne-avait-oublies/#comments Tue, 09 May 2017 15:47:35 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2275 En 2016, Céline de Richoufftz a passé plusieurs mois à Thessalonique, en Grèce, où de nombreux réfugiés attendent que leur sort soit décidé dans des camps aux portes de l’Europe. Pour Sources, cette jeune française de 20 ans revient sur son expérience auprès des migrants et dénonce « ceux qui veulent défendre le christianisme en Occident tout en étant contre l’accueil des réfugiés ». [print-me]

Vous êtes partie pour passer plusieurs mois dans les camps de réfugiés en Grèce. Comment vous est venue cette idée?

« Après six mois, il n’y a plus de clivage entre volontaire et réfugié ». Céline de Richoufftz

Céline de Richoufftz: Je suis partie pour la Grèce en juin 2016 pour deux semaines, histoire de me rendre compte de la situation dans les camps et de mettre à disposition un peu de mon énergie au profit des réfugiés et migrants devant qui les frontières européennes venaient de se fermer si violemment.

Je crois que ce qui m’a poussée à faire le pas, c’est d’abord un sens du devoir. J’avais fait des missions humanitaires pendant plusieurs mois en Inde, au Brésil, bref, au bout du monde. Mais là, j’ai réalisé que l’appel à l’aide venait de chez moi, de ma France, de mon Europe. Et puisque les gouvernements, au lieu d’établir une réelle stratégie pour réceptionner et accueillir les réfugiés et les migrants, préfèrent détourner le regard et les livrer au trou noir qu’est la Méditerranée, c’était mon devoir d’aller leur montrer que l’Europe ne les avait pas oubliés.

La deuxième chose qui m’a entraînée, presque contre mon gré, c’est la compassion. J’avais besoin de souffrir avec eux pour pouvoir, non pas les aider car ils n’appellent pas à l’aide, mais les accompagner dans une des étapes de leur long voyage vers la sécurité. Finalement, j’y suis restée six mois.

Qu’avez-vous concrètement mis en oeuvre?
Avec une bande de volontaires indépendants, activistes, humanistes et courageux venus de partout en Europe, nous avons créé un camp “de jour” en face du camp tenu par l’État où étaient logés 1500 réfugiés, une ancienne usine à volailles composée de neuf hangars plus glauques les uns que les autres.

Dans ce camp de jour, nous avons installé, avec l’aide des réfugiés tout ce dont ils avaient besoin pour passer le temps si long en s’amusant, en apprenant, en partageant. Ils mettaient en place les projets, nous les aidions à trouver les ressources pour les réaliser: une cuisine où l’on cuisinait des repas équilibrés tous les jours, un espace pour les enfants, un autre pour les femmes, une école, un terrain de volley-ball… Nous avions aussi un espace pour stocker tous les dons que nous recevions.

« Dans la tête des enfants, pas de comptines où sautillent nuages colorés, où scintillent des étoiles d’or. Seulement la guerre, la fatigue, le désespoir des adultes »

Avec trois amies, nous avons aussi mis en place une bibliothèque mobile qui se déplace maintenant dans sept camps et dans une maison pour mineurs non accompagnés dans le nord de la Grèce. Elle est pleine de livres, de dictionnaires de langues, de tablettes avec des cours en ligne… Nous voulions offrir aux adolescents et aux adultes les outils intellectuels pour reprendre un degré de contrôle sur leur vie, sur leur esprit. Afin qu’ils continuent de rêver dans ce temps de transition où tout est en suspens. 

Comment se passe la vie dans ces camps?
C’est d’abord oppressant. Que de tentes alignées, de fils électriques, l’écho des hangars, la lumière des néons blancs sur les visages fatigués, le bourdonnement incessant, la chaleur insoutenable en été, l’hiver glacial. Dormir à 6 dans une seule tente, à même le sol. S’amuser avec des cailloux pour passer le temps. Fumer des cigarettes en pensant à la douceur de la vie d’avant, à l’incertitude de celle qui vient.

Au-delà des conditions misérables, le camp est aussi un lieu de vie, et cet aspect-là vous ne pouvez le voir qu’en vous y rendant physiquement. Lieu de communauté, de solidarité, de musique, de danse et de rire. Lieu de partage, de mixité culturelle, de cafés noirs… Intimité avec les femmes, les jeux et les enfants, regards profonds des hommes qui nous remercient d’être là. Interminables discussions,  jeux,  repas,  fêtes… « En Syrie, on dit ma maison est la tienne, au camp on dit: ma tente est la tienne! Sois la bienvenue » m’a dit le coiffeur du camp lorsque je lui ai rendu visite la première fois.

Pour les volontaires indépendants comme moi, il fallait se faufiler dans un trou qu’avaient créé nos amis réfugiés dans la barrière pour entrer dans le camp. L’armée et la police ne laissaient entrer que ceux qui possédaient une autorisation spéciale du ministère de la migration. Pour moi, le camp c’est donc aussi la résistance. Résister à la dépression ambiante, à la colère qui monte, et continuer à s’indigner main dans la main. Après six mois, il n’y a plus de clivage entre volontaire et réfugié, il n’y a plus de statut, ni cette relation de “l’un donne l’autre reçoit”. Juste une équipe d’amis assez hétéroclite qui ne partagent pas la même langue, mais le même combat contre les frontières, sous toutes leurs formes.

Les rencontres que j’ai faites en Grèce m’ont construite plus que n’importe quelles autres dans ma vie. Grâce à elles, j’ai appris que l’amour et l’amitié n’ont pas de frontières ni de langues. J’ai appris que ce qui compte c’est notre capacité à faire confiance et à parier sur la vie. J’aurais des portraits de gens exceptionnels à décrire, mais nous serions encore là demain.

Qu’avez-vous rapporté avec vous de la guerre et de l’exil?
Des bribes d’histoires, de témoignages auxquels je repense comme si je les avais vécus. Ces récits sont teintés de douleurs, de fuites, de séparations, de tortures, de morts, et résonnent encore du bruit des bombes. Plus forts que tout, j’ai aussi ramené les regards d’incompréhension des enfants face à la bêtise des adultes, et leurs cicatrices indélébiles

Beaucoup d’enfants sont nés au cœur du chaos, ou le long de la longue et douloureuse route vers l’Europe, terre promise. L’ancrage dans la dure réalité de la vie lorsqu’on a fui la mort est palpable. La porte à l’imaginaire, au merveilleux, au rêve, à la légèreté est fermée à double tour. Dans la tête des enfants, pas de place pour les animaux qui parlent, pour les hommes qui commandent au soleil et à la tempête. Pas de place pour les princesses aux longs cheveux d’or enfermées dans des tours d’ivoire ou pour les chevaliers vaillants qui, du haut de leurs montures ébène, viennent sauver la destinée des hommes. Dans la tête des enfants, pas de comptines où sautillent nuages colorés, où scintillent des étoiles d’or. Seulement la guerre, la fatigue, le désespoir des adultes, le camp entouré de barbelés et la nourriture sèche de l’armée. Et pourtant… ils ont cette énergie sans bornes qui redonne foi en tout.

Et les jeunes adultes? 
A eux aussi on a volé leur jeunesse. Et c’est presque pire que ce qui arrive aux enfants.  Car eux savent ce qu’est l’abondance, la liberté, le bonheur. Ils ont eu une enfance et savent qu’ils ne seront pas capables de l’offrir à leurs propres enfants. Ils ont commencé des études et des jobs d’été. Ils ont tout arrêté sous la pression des bombes et sont venus chercher un avenir meilleur en Europe. Mais la porte leur est fermée, aussi intelligents, ambitieux et talentueux qu’ils soient. Depuis des mois, ils attendent. Ils aident à la cuisine, au montage et au démontage des infrastructures du camp, ils règlent les disputes entre les enfants ou entre les Kurdes et les Arabes. Ou alors ils se battent, tantôt doux et résignés, tantôt frustrés et désespérés.

« Cette hypocrisie que le pape dénonce est le message le plus important qu’il puisse faire passer dans ce monde agité »

Dans les camps un  petit différend prend des dimensions énormes. Il faut le savoir, tenter de tempérer, ne jamais hausser la voix, ne jamais juger. Les habitants du camp ne sont pas vraiment eux-mêmes. Ils ont perdu tout ce qu’ils avaient: une famille en bonne santé, une maison, de la nourriture sur la table à chaque repas, des vacances au soleil…  Et les voilà dans une carapace de survie qui pousse les émotions à l’extrême, la haine comme l’amour, la joie ou la solidarité. Ce sont ces émotions qui nous font sentir si humains. Plus rien en surface, que cette pure réalité, criante de vérité.

Quel regard posez-vous sur ce que certains appellent la « crise migratoire européenne »?
En Grèce, je suis devenue activiste sans même l’avoir jamais imaginé. Activiste des droits de l’homme, des politiques d’accueil que nous avons sur papier mais que nous n’appliquons pas. Activiste pour l’abaissement des frontières, activiste pour la liberté.
 Malgré les termes apocalyptiques véhiculés par les médias qui parlent « de la pire crise migratoire » que l’Europe ait connu, je n’y crois pas. Il n’y a qu’à comparer notre “crise” avec celle du Liban, de l’Irak, de l’Ouganda. Non, notre crise à nous relève de la gouvernance et du cul-de-sac dans lequel est enfermée l’assistance humanitaire traditionnelle. C’est une crise de compassion plus que de capacité.

En Grèce, j’ai assisté à cette nouvelle génération d’Européens debout, qui ne prétendent pas “faire une différence” mais simplement apporter un peu de leur créativité, dynamisme, et humanité à ceux qui se sentaient oubliés. On est là pour les mêmes raisons, alors on se complète, on s’inspire, on crée ensemble et on partage nos meilleures énergies pour garder du courage. Être simplement là est un acte politique en soi, car c’est l’émergence du nouveau visage de l’Europe humaniste au moment où l’indifférence prime partout.

L’Europe a une forte culture chrétienne. Est-ce que cela lui incombe des devoirs particuliers?
Précisément, c’est cette culture qui devrait nourrir notre ouverture à l’autre, notre foi inestimable en l’autre, en celui qui est comme nous. Penser que les réfugiés et les migrants vont éroder cette culture millénaire est un faux débat. C’est faire mille pas en arrière. Demain, le monde sera métissé, multiculturel, diversifié, et si riche de toutes ces différences. On ne peut pas aller à contre-courant des migrations. Fermer les frontières et ériger nos pays en forteresses n’est pas une solution durable. On ne peut rien contre la marche de ceux qui fuient dans l’espoir d’un avenir où les bombes ne pleuvent plus sur leur tête.

Le pape François a pris position plusieurs fois sur la question des réfugiés, est-ce que cela a eu un écho selon vous?
Bien sûr, son appel à la tolérance et à l’accueil des réfugiés a fait le tour du monde. Ce qu’il dit sur la contradiction de ceux qui veulent défendre le christianisme en Occident tout en étant contre l’accueil des réfugiés et des autres religions me parle beaucoup. Cette hypocrisie qu’il dénonce est le message le plus important qu’il puisse faire passer dans “ce monde agité”. “Tu ne peux pas être chrétien sans vivre comme un chrétien”, rappelle-t-il. Pour moi, c’est la même chose pour toutes les religions, qui ont comme piliers les mêmes valeurs de paix, d’amour et de solidarité. C’est un impératif moral que de mettre en place une réponse coordonnée et efficace pour l’accueil des réfugiés par la communauté politique, la société civile et l’Église. Je trouve que le pape met parfaitement bien en avant le devoir d’hospitalité ancré dans nos cultures occidentales.

Et chez vous, la foi a-t-elle influencé votre engagement?
Pour être honnête, mon chemin de foi est un peu en stand-by. Entre une foi qui m’a été inculquée dans mon enfance et dans laquelle j’ai du mal à me retrouver aujourd’hui, et une nouvelle relation à la religion qui m’est propre. Elle exigera du temps pour être intégrée à ma vie de tous les jours. Je ne peux donc pas dire que ma décision de passer six mois dans les camps de réfugiés a été motivée par Dieu, même si je sais que les valeurs qui m’ont amenée à partir je les ai puisées dans mon éducation chrétienne.

Dans ce monde trop souvent teinté de déceptions, d’intolérance et de manque d’engagement, je crois bien que l’humanité est ce en quoi je crois le plus fermement. Si croire c’est ouvrir les yeux sur les hommes, les femmes et les enfants qui font face à nos frontières hermétiques et dont le seul crime est d’avoir fui la guerre, alors oui je crois et je tiens à vous faire partager mon chemin d’humanité. Je suis aussi profondément convaincue que nous n’avons pas tous les mêmes combats. C’est justement ce qui rend notre jeune génération si riche! J’aimerais simplement aider les gens de chez moi à sortir de leur aveuglement complaisant en leur rappelant les valeurs qui fondent aussi bien nos religions que nos démocraties. C’est la mission qui me tient le plus à cœur!

Quel regard portez-vous sur votre génération?
Je pense que ma génération est dépassée dans un monde qui change trop vite, et dans lequel elle est informée de tout sans pour autant avoir les outils d’action nécessaires.

Nos institutions sont archaïques, les traités d’aide humanitaire le sont aussi. Nous devons aujourd’hui rafraîchir ces systèmes fourre-tout afin de les adapter au monde contemporain, et lier nos combats entre eux. Avec l’aide des nouvelles technologies, des réseaux sociaux, d’un mélange de rêve et d’un peu de raison, nous pouvons être acteurs de plus de justice et d’humanité.

Et ces belles ambitions commencent par aller donner une soupe chaude aux migrants sous le Pont de la Chapelle à Paris, ou des cours de français dans un centre d’accueil près de chez nous. « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde, écrivait Camus. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ».  

Est-ce que vous ressentez autour de vous une soif de spiritualité?
Oui, certainement. Un besoin de pouvoir se remettre face aux incompréhensions, aux doutes et aux questions sans réponses. Un besoin de s’élever au-delà des guerres, des conflits et des problèmes de la vie de tous les jours pour se concentrer sur ce qui est beau, ce qui compte vraiment. Pour se rappeler notre finitude et la nécessité de faire ce que l’on juge juste, à notre échelle, sans rien attendre en retour. Cette spiritualité peut s’incarner dans la prière, individuelle ou communautaire, mais aussi dans la méditation, la simplicité et la connaissance de soi. Pour penser plus loin, je trouve que cette soif de spiritualité incarne un besoin plus profond: celui du contact humain et de l’épanouissement à travers l’engagement.

Quel sont vos projets aujourd’hui?
Mon engagement ne fait que commencer. Je viens de passer mon diplôme de secourisme avancé car, cet été, j’aimerais travailler sur les bateaux de sauvetage qui secourent les réfugiés et migrants au large de la Libye pour les amener jusqu’en Italie. La mer est cette zone grise où aucune entité ne se sent vraiment responsable de la mort de centaines de personnes. Alors rien ne se fait. Ah si! On parle de serrer la main à ce gouvernement libyen chaotique et corrompu, pour qu’il tente de garder les gens chez eux. Mais dans des conditions qui violent toutes les valeurs que nous prônons. Vraiment, est-ce ce qu’on peut faire de mieux?

Pour le moment, seules des ONG engagées bravent ce statu quo pour tendre leurs mains aux embarcations en détresses. J’ai une admiration sans limite pour les sauveteurs en mer. Leur engagement dépasse tout, il va plus loin que le devoir ou la compassion. Il est le reflet d’une humanité que l’on croyait perdue. [print-me]


Propos recueillis par Marie Larivé, éditrice. 

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Klaus Keller: l’économie au service de la paix https://www.revue-sources.org/klaus-keller-leconomie-internationale-service-de-paix/ https://www.revue-sources.org/klaus-keller-leconomie-internationale-service-de-paix/#respond Tue, 09 May 2017 14:54:45 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2270 Klaus Keller étudie l’économie internationale à Genève. En parallèle, il s’engage chaque mercredi auprès de l’Association Le Bateau pour partager son temps avec des personnes démunies. C’est dans la prière quotidienne qu’il puise la force de ses grands idéaux. Portrait d’un jeune engagé. 


Un reportage de Pierre Pistoletti, journaliste et membre de la Revue Sources.

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ThéDom: la théologie en ligne https://www.revue-sources.org/thedom-theologie-ligne/ https://www.revue-sources.org/thedom-theologie-ligne/#respond Tue, 09 May 2017 14:41:16 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2264 Il y a quelques mois, des frères étudiants dominicains de la Province de France se sont réunis pour évoquer la création de nouveaux projets d’apostolats. Ces projets apparaissaient structurés par trois grandes directions. La première consistait à insister sur la présence auprès des adolescents et des jeunes adultes; la seconde à affirmer de manière plus explicite la vocation de prédicateur et de théologien des dominicains; enfin, le troisième élément soulignait la nécessité d’un engagement encore plus important sur Internet.[print-me]

Ces différentes directions ont convergé, entre autres, vers le projet d’une nouvelle interface destinée à la formation. Notre réflexion a fait émerger de multiples questions dont nous voudrions esquisser quelques aspects dans le présent article. Quelles sont les caractéristiques de la génération actuelle? Quelles sont les offres qui existent déjà aujourd’hui dans le domaine de la formation théologique et leurs limites? Quels outils mettre en place pour répondre aux nouveaux besoins sur Internet?

Une transformation du public des jeunes adultes catholiques

Une des caractéristiques essentielles des jeunes catholiques est non seulement que ces derniers constituent une minorité dans leur tranche d’âge, mais cet aspect minoritaire est renforcé par le fait que ces baptisés, aujourd’hui jeunes adultes, n’ont pas tous été catéchisés. On estime en effet le nombre d’enfants catéchisés compris entre un tiers et un quart d’une classe d’âge aujourd’hui[1]. Ce qui signifie donc qu’entre deux tiers et trois quarts des jeunes adultes français (nés entre 1985 et 2000) n’ont jamais bénéficié de catéchèse.

Il s’agit de mettre en œuvre un espace d’initiation à la théologie qui permet de découvrir les grandes questions qui traversent la foi chrétienne.

Ces données transparaissent également dans la pratique religieuse. Les jeunes sont ainsi très fortement sous-représentés dans la population catholique pratiquante. Alors que les 18-24 ans et les 25-34 ans représentent respectivement 11% et 19% de la population française totale, ils représentent 7% et 9% des catholiques pratiquants en 2009. À rebours de ce mouvement général de décroissance du catholicisme dans la société française, le catéchuménat d’adolescents et d’adultes n’a cessé de croître. Ainsi en 2017, on a recensé le baptême de 4503 jeunes et adultes pour la seule nuit de Pâques en France, en hausse de 5,58% par rapport à 2016 et de 55,39% sur 10 ans[2].

Ce mouvement est l’aboutissement d’un processus de plus grande ampleur, débuté il y a maintenant près d’un siècle quand la France commençait à être qualifié alors de «pays de mission»[3]. Entre autres phénomènes, il a conduit à ce que la sociologue D. Hervieu-Léger a appelé une «exculturation» du catholicisme[4]. Ainsi, contrairement à ce qui se passait encore dans les années 1950 ou même 1970 où des générations socialisées chrétiennement mettaient en cause ces racines, mais entraient en discussion avec des catholiques sur des bases culturelles communes, on observe aujourd’hui que le catholicisme ne fait plus partie de la culture française commune.

Ceci renforce chez un grand nombre de catholiques français pratiquants le sentiment d’appartenir à une minorité[5]. Minoritaires au sein d’une société qui ne parle plus directement leur «langage», les plus jeunes générations de catholiques apparaissent soucieuses d’affermir leur connaissance de ce langage pour des objectifs ad extra: défendre leurs spécificités ou encore entrer en dialogue avec le reste de la société en étant solidement ancrés dans les fondements de leur foi. Mais cette volonté a aussi un objectif ad intra qui paraît important. Conscients de former à la fois une minorité, mais également une minorité se présentant sous une forme éclatée, posséder un langage de foi unifié a aussi pour objectif de structurer les diverses sensibilités autour d’un même dépôt commun.

Dépasser le cadre des propositions existantes

Pour répondre à cet appel, des frères dominicains de la Province de France ont lancé le projet ThéoDom en 2015. Il s’agissait concrètement de proposer de petites initiations à la théologie au cours de l’été, dans des lieux et une ambiance de vacances pour de jeunes adultes. La première session avait eu lieu à Belle-Ile-en Mer en août 2015. Face au succès rencontré par cette proposition, deux rencontres ont été organisées l’année suivante: l’une à Kergallic en Bretagne et l’autre à Chalais, près du monastère des moniales dominicaines. La même proposition est refaite en juillet et en août 2017.

Mais la question s’est rapidement posée de constituer une formation à plus long terme pendant l’année. Les propositions existantes hors des temps d’été[6] sont d’abord des formations de proximité (essentiellement dans les grandes villes) ou des formations sur Internet. Or, la plupart des formations de proximité excluent, par définition, la participation de personnes n’habitant pas dans des lieux pourvus en Instituts catholiques ou groupes de formation. Même si les formations dispensées sur Internet permettent de pallier ces limites, elles proposent souvent des parcours de nature universitaire, impliquant, de fait, un engagement en temps important dans lequel beaucoup de jeunes et de jeunes adultes ne sont pas en mesure de s’investir.

Il manque donc à ce panorama d’offres de formation une interface Internet (palliant de ce fait les problèmes liés à la distance géographique) permettant un apprentissage non-universitaire, assez souple quant à l’investissement (en temps et en argent) qu’il représente, et placé hors des périodes de vacances.

ThéoDom: une initiation à la théologie en ligne

Pour cela, l’idée a été avancée, dans la dynamique des camps d’été ThéoDom, de proposer une nouvelle interface internet répondant à ces besoins. Il s’agit de mettre en œuvre un espace d’initiation à la théologie qui permet, via un site internet, de manière brève et ludique, de découvrir les grandes questions qui traversent la foi chrétienne. Ce site serait surtout destiné à des chrétiens de 25 à 45 ans qui souhaitent mieux connaître leur foi, mais n’ont pas la possibilité de s’investir dans un cycle de formation long. Les jeunes chrétiens auxquels ThéoDom est destiné n’ayant pas tous les mêmes attentes de formation ce site va aussi proposer une offre différenciée et participative. Enfin, animé par de jeunes frères dominicains et nouvelle proposition du portail Retraite dans la Ville, ce site a pour objectif de montrer que la théologie, centrale dans notre tradition religieuse, peut nourrir tout chrétien et qu’elle est une matière vivante qui invite au débat.

Même s’il peut être jugé ambitieux, les terrains que touche ce projet sont exaltants et placés au cœur de la mission de l’Ordre dominicain. Ils présentent en outre le mérite de fédérer la réflexion théologique et pastorale de frères dominicains de différentes générations. Rendez-vous à l’automne 2017 pour le lancement de ce nouveau site. Nous vous y attendons!


Charles Desjobert (à gauche) et Jacques-Benoîr Rauscher, deux jeunes frères dominicains français en formation à Fribourg portent un réel souci d’initier au contenu de la foi chrétienne leurs jeunes contemporains français. Avec d’autres frères de France, ils lancent sur le net pour l’automne 2017 «ThéoDom», un site qui passera allégrement les frontières pour intéresser les jeunes francophones de partout.


[1] Chiffres donnés à partir des tendances relevées dans D. Villlepelet, L’avenir de la catéchèses, Paris, Les Éditions de l’Atelier/ les Éditions ouvrières, 2003.
[2] D’après la Conférence des évêques de France, 2017.
[3] Pour reprendre le titre du livre célèbre des Pères Godin et Daniel publié en 1943.
[4] D. Hervieu-Léger, Catholicisme la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003.
[5] Avec le paradoxe qu’ils sont parfois encore perçus comme majoritaires ou disposant de moyens de pression majoritaires, cf. R. Rémond, Le christianisme en accusation, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
[6] Un panorama de ces différentes propositions est présentésur le site: http://www.parolesdecatholiques.org/se-former/formations-de-l2018eglise-catholique#, liste consultée le 01/05/2017.

 

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Document préparatoire du synode des jeunes https://www.revue-sources.org/document-preparatoire-synode-jeunes/ https://www.revue-sources.org/document-preparatoire-synode-jeunes/#respond Tue, 09 May 2017 14:01:40 +0000 http://revue-sources.cath.ch/?p=2259 Le discernement vocationnel est au cœur du document préparatoire en vue du prochain synode des évêques. Il est intéressant de relever que le titre de ce document porte sur le «discernement vocationnel» et non pas la «pastorale des vocations», vocabulaire auquel recourent les différents textes abordant le sujet de la vocation. Il s’agit donc d’envisager la pastorale vocationnelle comme un accompagnement des jeunes, accompagnement qui offre les outils et le contexte favorisant un vrai discernement.[print-me]

Cette différence de vocabulaire nous invite à repenser la pastorale des vocations sous un nouvel angle. La pastorale des vocations est parfois réduite à la simple interpellation; elle considère comme acquis le fait que la communauté chrétienne, le plus souvent la communauté paroissiale, offre les fondamentaux que sont la transmission de la foi et l’expérience ecclésiale, terreau indispensable à l’éveil des vocations.

Consciente de ces exigences fondamentales, la pastorale de vocations est d’ailleurs tentée d’identifier les différents lieux ecclésiaux dans lesquels il vaut la peine de chercher les vocations; cela peut d’ailleurs tourner à l’émergence de «réseaux vocationnels». Peut apparaître alors le danger de réduire les critères de discernement aux seules caractéristiques des jeunes appartenant à ces milieux identifiables.

« L’Eglise veut veiller sur les jeunes qui sont en situation de croissance et de construction de soi »

Or le document préparatoire change cette perspective: la pastorale des vocations n’a pas à se contenter d’adresser un appel à des jeunes à peu près préparés à répondre, mais elle doit offrir un discernement à tous les jeunes qu’elle rencontre pour leur permettre d’ouvrir leur cœur à l’accueil de la volonté de Dieu, quelle que soit la forme dans laquelle cette volonté divine s’exprimera concrètement. Il n’est pas question d’opposer la vocation au mariage et la vocation à la vie consacrée, il n’est pas question non plus d’opposer la vocation baptismale à la vocation presbytérale ou religieuse: il s’agit bien d’envisager l’existence de chaque jeune comme le lieu d’accueil de la vocation que Dieu veut lui donner. Cette nouvelle perspective repose sur deux principes auquel le pape François se réfère souvent[1]: la temps est supérieur à l’espace, la réalité est plus importante que l’idée.

Un accompagnement, pourquoi?

Cela suppose alors que la pastorale de l’Eglise auprès des jeunes se comprenne comme un accompagnement dans le temps et non pas comme la proposition d’événements ponctuels dont on mesurerait le succès au nombre de participants. Un processus d’accompagnement apparaît pertinent dans un monde qui – ainsi que le relève le document préparatoire[2]– expose les jeunes à milles solitudes et exclusions par le contexte de fluidité et d’incertitude qui caractérise les milieux dans lesquels ils grandissent.

Dans ce contexte, la pastorale a pour mission de familiariser les jeunes avec le mystère de communion qu’est l’Eglise et de les inviter à poser un regard intégral sur la réalité. L’Eglise veut veiller sur les jeunes qui sont en situation de croissance et de construction de soi: c’est une œuvre d’éducation qui ne se réalise que dans le moyen et long terme. C’est le regard de la foi qui est à la source du discernement des vocations: dans ce contexte l’Eglise a à retrouver un langage qui sache manifester la cohérence de la foi et de la vie chrétienne.

Enfin, l’accueil d’une vocation se fait progressivement: il a lieu au cœur même des facultés de l’être humain et dans les dimensions intimes et existentielles de la vie: intelligence, volonté, affectivité, découragements, attachements, des réalités qui sont très sollicitées par d’autres «esprits» dans la société[3]. La construction de ces différentes dimensions s’opère dans le temps.

Les enjeux du synode

Ainsi apparaissent plusieurs enjeux à la lecture du document préparatoire au synode. Le premier est de former des prêtres, religieux et agents pastoraux laïcs qui soient des accompagnateurs. Non seulement en leur donnant les différents outils que proposent les différentes formes d’accompagnement qui existent déjà dans la pastorale, mais en fondant la formation à l’accompagnement sur l’écoute – écoute de la Parole de Dieu et écoute des autres – et en référence constante à sa propre expérience d’être ou d’avoir été accompagné. Celles et ceux qui sont actifs dans la pastorale avec les jeunes doivent concevoir leur ministère d’accompagnement dans l’élan du don de soi qui caractérise la charité pastorale afin de ne pas s’emparer de la foi et de la vocation de jeunes, mais bien de l’accompagner: il s’agit d’un accompagnement spirituel. Le document préparatoire évoque des «croyants qualifiés» et des pasteurs.

Le deuxième enjeu pourrait être celui de «sortir des schémas préétablis»[4], notamment pour «apprendre le style de Jésus qui passe dans les lieux de la vie quotidienne, qui s’arrête sans hâte»[5]. Un pasteur contribue à l’édification d’une communauté chrétienne en cheminant et non en s’installant. Le thème est cher au pape François[6] qui invite les disciples missionnaires à «sortir», signe qu’ils vivent d’une liberté intérieure qui leur donne de ne pas s’enfermer dans les préoccupations habituelles pour s’ouvrir à une approche de la foi toujours plus attentive aux situations particulières des personnes. Et cela demande d’avoir la disponibilité de pourvoir passer du temps avec les jeunes pour éveiller le désir de vie qui sommeille au fond de leur cœur.

Sortir des chemins établis consiste aussi – et ce pourrait être le troisième enjeu – à ne pas se contenter d’une pastorale de guichet, ni d’une pastorale faite d’activités «qui marchent» parce qu’elles rencontrent un certain succès de fréquentation mais qui ne sont pas inscrites dans un processus de croissance. Annoncer et accompagner, stimuler la croissance et consolider l’approfondissement[7]: telle est la dynamique de ce processus qui veut servir un chemin de croissance. Ce processus ne se réduit pas simplement à l’activité pastorale de celles et ceux à qui l’Eglise confie un ministère, car elle est aussi l’œuvre des différents membres des communautés chrétiennes. Oui, il s’agit vraiment d’une conversion de la pastorale.


L’Abbé Nicolas Glasson est vicaire épiscopal dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, plus particulièrement chargé de la pastorale, du discernement et de l’accompagnement des vocations. Il est également directeur du séminaire diocésain.


[1] Cf. Pape François, Evangelii gaudium nos 222 et 231; Amoris laetitia no3; Document préparatoire III, 4.
[2] Cf. Document préparatoire I, 1.
[3] Cf. Document préparatoire, II, 1.
[4] Document préparatoire III, 1.
[5] Pape François, Discours aux participants au Congrès de pastorale des vocations, 21 octobre 2016.
[6] Cf. Pape François, Evangelii gaudium, nos 20-24.
[7] Cf. Schönborn Ch., Entretien sur Amoris laetitia avec Antonio Spadaro, Parole et Silence/La Civiltà cattolica, Paris, 2016, p. 25.

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